C. DES CONTRIBUTEURS MAJEURS À L'ACTION DE L'ÉTAT OUTRE-MER

1. La situation particulière des outre-mer rend critique la contribution des forces de souveraineté aux missions civiles

Le rôle des armées en matière civile sur le territoire national en outre-mer est théoriquement régi par les mêmes règles que dans l'hexagone. La spécificité des outre-mer entraine toutefois quelques particularités importantes, conférant aux forces de souveraineté un rôle de contributeur majeur aux missions civiles de l'État.

Ces particularités sont tout d'abord dictées par les situations géographiques singulières des outre-mer. En plus d'être éloignés de l'Hexagone, la plupart sont des archipels, et requièrent des moyens logistiques à long rayon d'action que seules les armées sont bien souvent en mesure de fournir.

En outre-mer, le maillage des moyens de l'État hors armée est par ailleurs moins dense que dans l'hexagone. L'organisation des moyens de l'État repose en partie sur la capacité de renforcement des moyens d'un territoire par l'autre, ce qui est rarement possible aussi facilement en outre-mer. Au cours de l'épidémie de COVID-19 à Wallis et Futuna, l'armée a ainsi procédé à des évacuations sanitaires en direction de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie en avion de transport de type Casa, ce qui requiert plus de dix heures de vol.

Enfin, les outre-mer sont marqués par une situation opérationnelle souvent plus dégradée qu'en métropole, en matière de pêche illégale, de trafic de stupéfiants, ou d'exposition aux risques naturels.

2. Les trois logiques de contribution des forces de souveraineté aux missions civiles

Au total, les forces de souveraineté contribuent aux missions civiles selon trois logiques :

- par le biais de l'action de l'État en mer (cf. infra ), qui est dirigée par le commandant de zone maritime (soit le commandant supérieur de la force de souveraineté s'il s'agit d'un amiral ou son adjoint officier de la marine nationale) sous l'autorité du délégué du gouvernement pour l'action de l'état en mer (préfet ou haut-commissaire). Ce champ de compétence extrêmement vaste concerne la sécurité maritime et le sauvetage en mer, la sûreté maritime et portuaire, la lutte contre les trafics illicites, les atteintes à l'environnement en mer, l'immigration clandestine par voie maritime et la pêche illégale ;

- dans le cadre de protocoles spécifiques aux territoires ultramarins permettant la mutualisation des moyens de l'État ;

- il peut enfin être recouru aux armées sur réquisition de l'État (préfet ou haut-commissaire) lorsque les moyens de l'autorité civile sont estimés indisponibles, inadaptés, inexistants ou insuffisants (règle des « 4i ») 12 ( * ) . C'est généralement le cas pour les crises d'importance touchant le territoire national, comme la crise Covid-19 ou les événements climatiques qui touchent fréquemment les territoires ultra-marins.

Exemples de participation des forces armées en Polynésie française
à des missions de sécurité civile

Source : marine nationale

Compte tenu des moyens limités des territoires ultramarins, les forces de souveraineté participent par conventions ou protocoles à un certain nombre de missions de nature civile. C'est le cas pour les évacuations médicales en Polynésie française où deux hélicoptères Dauphin de la marine nationale, faisant l'objet d'un financement interministériel, sont mis en oeuvre pour le compte des ministères des armées, de l'intérieur et de l'outre-mer, au profit de l'ensemble du territoire. Ces hélicoptères sont également utilisés pour la lutte contre les feux de forêt.

La participation des forces de souveraineté aux missions civiles suppose d'importants liens avec les autres services de l'État et les forces de sécurité intérieure, notamment la gendarmerie nationale, avec laquelle la coopération est permanente en situation de crise . Elle comprend l'échange d'informations, la coordination des moyens et l'appui mutuel selon les besoins. L'efficacité en temps de crise repose sur une planification en amont et le maintien d'une étroite relation au quotidien hors crise. Elle est particulièrement concrète en Nouvelle-Calédonie (notamment pendant la période référendaire, ou la crise du Nickel), ainsi qu'en Guyane avec l'opération « Harpie » de lutte contre l'orpaillage illégal.

L'importante contribution aux missions de sécurité intérieure des forces armées en Guyane (FAG) : la lutte contre l'orpaillage illégal et la protection du centre spatial guyanais

En Guyane, les activités militaires sont essentiellement tournées vers les missions de sécurité intérieures.

La mission « Harpie », débutée en 2008, est une opération interministérielle co-pilotée par le préfet de Guyane et le procureur de la République de Cayenne pour lutter contre l'orpaillage illégal en Guyane. Les FAG y participent en appui de la gendarmerie, en mobilisant des moyens terrestres et aériens conséquents ainsi que des capacités spécifiques (renseignement, génie, pirogues, etc). Les FAG apportent une masse critique dissuasive qui sécurise le déploiement en forêt du volet judiciaire. La nécessaire coordination entre les FAG et la gendarmerie se traduit par la co-localisation, au Quartier de la Madeleine à Cayenne, de l'état-major interarmées et d'un centre de conduite des opérations de la gendarmerie, dédié à la lutte contre l'orpaillage illégal.

La préparation des opérations est soigneusement réalisée de concert entre les forces de sécurité intérieure et les FAG, en lien avec les régiments qui en assurent la conduite.

Avec un engagement moyen de 300 hommes/jour en forêt, cette opération connaît de vrais succès opérationnels. Les modes d'action s'attachent à freiner les flux d'approvisionnement, à détruire le matériel de production et à occuper le plus longtemps possible les sites afin d'amoindrir la rentabilité du travail et ainsi forcer les orpailleurs à quitter les lieux. À cet effet, les FAG combinent leurs opérations entre bases ou postes avancés, postes de contrôles fluviaux, patrouilles de durées variables et actions « coup de poing » héliportées et/ou nautiques.

Au plan de la coopération internationale, compte-tenu de la dimension transfrontalière du phénomène d'orpaillage illégal, la coopération avec l'armée brésilienne se traduit par des actions coordonnées régulières. Celle avec le Suriname est la plus symbolique mais se développe.

En outre, la mission historique des FAG est la protection du centre spatial guyanais. Celle-ci est assurée depuis le premier tir Ariane le 24 décembre 1979.

Depuis 2008, l'opération « Titan » assure la protection d'en moyenne une dizaine de tirs par an, avec les moyens du 3ème régiment d'infanterie, un patrouilleur de la marine pour assurer la protection en mer, et un dispositif aérien autour d'un centre de contrôle militaire et d'hélicoptères d'intervention Fennec.

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

La coopération avec la police nationale est plus limitée, excepté à Mayotte dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine (LIC), ou les forces armées assurent le soutien des intercepteurs de la police (cf. infra ).

La coopération avec la douane se fait essentiellement dans le cadre de l'action de l'État en mer, dans le domaine particulier de la lutte contre les trafics de stupéfiants.

L'action de l'État en mer constitue le principal cadre de la participation des forces de souveraineté à des missions civiles.

3. Une contribution centrale à l'action de l'État en mer outre-mer

Si l'action de l'État en mer est par nature interministérielle 13 ( * ) , les forces de souveraineté réalisent l'essentiel des missions dans ce domaine, étant notamment les seules dotées de moyens hauturiers. Les commandants de bâtiments de la marine nationale disposent à cet effet de nombreuses habilitations prévues par la loi permettant de mener à bien ces missions. Les habilitations dont sont dotés les commandants des bâtiments de la marine nationale sont visées dans chaque code ou dispositions législatives auxquels les infractions se rattachent, en fonction de la police considérée. Ce dispositif complet ne soulève, selon la marine nationale, pas de difficulté.

Les compétences des commandants de bâtiments de la marine nationale
dans le cadre de l'action de l'État en mer

Les commandants de bâtiments sont dotés de pouvoirs leur permettant d'assurer leurs missions. Les habilitations dont sont dotés les commandants des bâtiments de la Marine varient en fonction de la police exercée :

- en matière de lutte contre les activités illicites en mer (lutte contre la piraterie, l'immigration clandestine par voie maritime, le trafic illicite de stupéfiants par voie maritime et les infractions relatives à la sécurité de la navigation maritime), les commandants des bâtiments peuvent être dotés de pouvoirs de police administrative et de police judiciaire ;

- en matière de police des pêches, les commandants des bâtiments de la Marine sont habilités au titre du code rural et de la pêche maritime (article L.942-1) et disposent éventuellement, en complément, d'habilitations spécifiques à certaines zones dans le cadre d'organisations régionales de pêche auxquelles l'Union européenne ou la France est partie ;

- en matière de polices en mer participant à la protection de l'environnement, les commandants des bâtiments sont habilités à constater certaines infractions au titre du code de l'environnement, notamment les activités de pollution.

Enfin, les commandants des bâtiments de l'État disposent d'habilitations pour l'application d'autres pouvoirs de police, notamment la police de la circulation maritime (article L.5243-1 du code des transports), la police des documents de bord (article L.5222-1 du code des transports), les polices liées à la sécurité de la navigation (articles L. 5243-2-2 et L. 5243-2-4 du code des transports), la police des biens culturels maritimes (article L. 544-8 du code du patrimoine), etc.

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Ces missions concernent dans les faits :

- la lutte contre le narcotrafic , qui est particulièrement présente aux Antilles face au trafic de cocaïne (les FAA consacrent au minimum 120 jours de mer de frégate à cette mission chaque année, complétés par des missions ponctuelles d'autres bâtiments ) ou à La Réunion face au trafic d'héroïne ;

- la police des pêches , qui constitue activité principale des patrouilleurs de Guyane face aux incursions répétées des pêcheurs des pays riverains, et une activité importante des moyens de La Réunion, notamment sur les îles Éparses (voir supra .), ou des forces du Pacifique ;

La lutte contre les incursions de pêcheurs étrangers
dans les eaux territoriales françaises en Guyane

La police de la pêche, menée dans le cadre de l'action de l'état en mer vise à lutter contre les incursions dans les eaux territoriales guyanaises des pêcheurs illégaux brésiliens, surinamais et vénézuéliens.

La stratégie des FAG repose sur des opérations répétées, imprévisibles, entrecoupées d'opérations renforcées (planification d'une opération par trimestre) avec des moyens venus de métropole. Ces dernières permettent d'entretenir la crainte chez les pêcheurs illégaux et facilitent les opérations menées avec les seuls moyens locaux. Cette stratégie globale fonctionne d'autant plus que la politique pénale appliquée par le parquet de Cayenne est ferme à l'égard des pêcheurs illégaux.

Le second axe d'effort amorcé par les FAG est la coopération avec les pays voisins. Les interactions avec le Brésil semblent porteuses d'améliorations sensibles. La création d'une capitainerie à Oyapock devrait permettre de mieux connaitre et contrôler la pratique de la pêche brésilienne et les interactions récentes avec la marine brésilienne semblent offrir des perspectives d'opérations de police plus apaisées.

Source : ministère des armées

- le secours en mer où les évènements majeurs placent l'État et les forces de souveraineté au coeur du dispositif, avec la mobilisation des moyens aéro-maritimes ainsi que des capacités de lutte contre les pollutions en mer, mais aussi de sauvetage de la vie humaine et d'assistance aux navires en difficultés ;

- la lutte contre l'immigration clandestine par voie de mer, qui constitue une activité relevant du ministère de l'intérieur mais à laquelle les forces de souveraineté contribuent largement, notamment à Mayotte.

4. Le rôle central des FAZSOI dans la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte

Le cas particulier de Mayotte, île française appartenant à l'archipel des Comores, justifie un développement particulier dans la mesure où la contribution des FAZSOI à la lutte contre l'immigration clandestine y est majeure . Le nombre d'étrangers s'y rendant de manière illégale par voie maritime en provenance des autres îles comoriennes, notamment Anjouan, sur des embarcations traditionnelles de type kwassa, se situe entre 15 000 et 22 000 par an.

La politique de lutte contre l'immigration clandestine est dans le même temps particulièrement intense : en 2021, 23 724 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits dans leur pays d'origine.

Le dispositif d'interception en mer à Mayotte repose sur différents acteurs, dont la coordination incombe à la base navale . Selon les informations transmises par cette dernière, environ 300 embarcations (comprenant chacune une vingtaine de personnes) arrivent chaque année sur les côtés de l'île, dont la moitié environ est détectée par les services de l'État.

Les opérations d'interception débutent par la détection des kwassas en mer, grâce à l'exploitation de quatre radars et d'un avion civil léger loué par le ministère de l'intérieur depuis février 2021, qui effectue trois à cinq heures de vol par jour. D'autre moyens des FAZSOI sont également affectés à cet important travail de détection, à l'instar de la frégate Nivôse , basée à La Réunion, qui dédie environ 40 jours de mer par an à la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte. Le Falcon 50 M de surveillance maritime de la marine nationale ne fournit, faute de présence suffisante dans la zone (cf. III. A. 1. A), qu'une contribution marginale à ce travail de détection.

Une fois les bateaux détectés, huit intercepteurs de la gendarmerie maritime (dont trois sont en permanence à la mer) coordonnés par la base navale et placés sous le commandement opérationnel du commandant supérieur des FAZSOI vont à leur rencontre et prennent en charge les personnes à leur bord . Les personnes interpelées sont acheminées au centre de rétention administrative, où elles demeurent jusqu'à leur éloignement vers leur pays d'origine.

Les forces de souveraineté contribuent également au volet « terre » de la lutte contre l'immigration clandestine et de la phase d'interception, par le biais des opérations « Nephila » réalisées par les militaires du détachement de Légion étrangère de Mayotte (DLEM). Ces dernières, qui constituent des opérations « coup de poing », ont une forte dimension dissuasive. Organisées huit fois par an, elles visent à assurer une très forte présence militaires sur certaines plages de l'île, afin d'y favoriser l'interpellation des étrangers en situation irrégulière, en présence des officiers de police judiciaire.

La présence des forces de souveraineté à Mayotte constitue donc un atout majeur pour l'État, dans ce département confronté à une crise migratoire et où la population pourrait doubler d'ici à 2050, pour dépasser les 700 000 habitants 14 ( * ) .


* 12 Article 18 de l'Instruction interministérielle n° 10100/SGDSN/PSE/PSN/NP du 14 novembre 2017.

* 13 Elles impliquent notamment la mise en oeuvre des moyens des forces de sécurité intérieure, des douanes, des affaires maritimes et de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).

* 14 Insee, « La population de Mayotte à l'horizon 2050 : entre 440 000 et 760 000 habitants selon l'évolution des migrations », Insee analyses Mayotte-La Réunion, n° 26, juillet 2020.

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