N° 189

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 décembre 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1)
sur l'
enquête de la Cour des comptes sur Santé publique France ,

Par Mmes Corinne IMBERT, sénatrice
et Élisabeth DOINEAU, rapporteure générale

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui dispose que « la Cour des comptes peut être saisie par les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale, de toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale », la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a, par courrier 14 décembre 2021, demandé au Premier président de la Cour des comptes de procéder à une enquête sur l'Agence nationale de santé publique (Santé publique France) .

Cet établissement public de l'État à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministère de la santé, a été créé en mai 2016 1 ( * ) par la fusion de l'Institut de veille sanitaire (InVS), l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) et de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaire (Eprus). Addictions drogues alcool info service (ADALIS) a été, à la demande du ministère de la santé, intégré à la future agence quelques mois avant sa création.

Il s'agissait alors, selon l'auteur du rapport de préfiguration et premier directeur général de la nouvelle agence François Bourdillon, de « mettre fin au mille-feuille d'agences » et de regrouper « l'ensemble des fonctions de santé publique , intégrant la veille, l'alerte, la surveillance, la prévention-promotion de la santé et la réponse en cas de situation sanitaire exceptionnelle » 2 ( * ) .

Derrière la simplicité de l'objectif central affleurait pourtant la gageure de concilier le besoin d'autonomie de l'ex-Eprus, chargé de la gestion des stocks nationaux de produits de santé constitués en cas de pandémie ou d'attaque terroriste, la consolidation des crédits nécessaires à l'exercice par l'ex-INPES de sa mission de conduite des programmes de santé publique, et l'indépendance scientifique et l'implantation territoriale de l'ex-InVS, chargée de la veille et de l'alerte sanitaire.

La Cour concède que l'agence n'avait pas achevé de relever cet ambitieux défi administratif lorsqu'elle a dû affronter la plus grave crise sanitaire de ces dernières décennies.

Après trois ans ou presque de gestion de crise, la commande de la commission des affaires sociales visait à obtenir un bilan du fonctionnement de la nouvelle agence au triple plan de sa gouvernance, de son organisation et de sa gestion, une étude des moyens de l'agence rapportés aux missions qui lui sont assignées, une analyse sur la place de l'agence dans le paysage administratif et institutionnel, et une appréciation sur la gestion budgétaire de l'agence depuis le déclenchement de la crise sanitaire.

1. Un exercice par l'agence de ses missions encore perfectible sur de nombreux points

En matière de surveillance et de veille sanitaire , la Cour fait d'utiles observations sur la nécessaire modernisation des dispositifs existants. Elle relève ainsi l'ancienneté du système d'information du dispositif de veille syndromique et regrette le déploiement « limité de la certification électronique des décès, puisqu'elle ne concernait que 27 % de ces derniers en 2020 ». L'identification des signaux faibles figurait pourtant parmi les grandes orientations de la stratégie nationale de santé 2018-2022.

Les rapporteurs s'appuient sur le rapport de la mission indépendante sur l'évaluation et la gestion de la crise 3 ( * ) pour faire observer que « sous l'effet de la crise de la covid-19, le besoin a été ressenti d'une nouvelle extension de ces dispositifs ». C'est pourtant aussi ce que montrait celui de la commission d'enquête sénatoriale sur la gestion de la crise sanitaire, qui relevait par exemple l'aveuglement au secteur médico-social des outils de surveillance existants.

S'agissant de la gestion des stocks stratégiques , si c'est encore la mission indépendante qui admet dans le rapport que « l'intégration des missions de l'Éprus au sein de SPF a nui à la bonne prise en compte des enjeux logistiques, le nouvel ensemble étant dominé par une culture et des préoccupations d'ordre plus scientifique », c'est pour mieux rejoindre les craintes qu'avait exprimées le Sénat dès 2016, avant de les voir se confirmer dans le rapport de sa commission d'enquête 4 ( * ) .

Sa commission des affaires sociales avait en effet à l'époque « [salué] la création d'une Agence nationale de santé publique qui réunira en son sein l'ensemble des compétences dédiées à la veille et à la surveillance, à la prévention et à la promotion de la santé et aux réponses aux urgences sanitaires », mais elle jugeait « utile de rappeler la marge d'autonomie qu'il conviendra de laisser à l'Eprus au regard de la spécificité de ses missions et des conditions particulières de sécurité et de confidentialité qui s'y attachent » 5 ( * ) .

Le sénateur Francis Delattre s'était pour sa part, au nom de la commission des finances, « interrogé sur l'opportunité d'une telle fusion, du point de vue de l'efficience des missions actuellement assurées par [l'Eprus] et de son impact sur les finances publiques ». Si son rapport 6 ( * ) finissait par admettre sa pertinence, eu égard à la bonne coopération entre les trois organes dans la lutte contre l'épidémie d'Ebola, il la soumettait au respect de « certaines conditions préservant la réactivité de la future structure » , notamment celle de « préserver une certaine autonomie des fonctions de réponse aux crises sanitaires actuellement assumées par l'Eprus ».

Au terme de l'analyse toutefois, si les rapporteurs de la Cour se rangent à la proposition de la commission d'enquête sénatoriale consistant à rendre possible l'autosaisine de l'agence sur cette question, ils plaident pour le statu quo dans la gestion des stocks par l'agence, qui demeurerait en toute hypothèse un opérateur logistique agissant pour le compte de l'État. Le débat n'en est sans doute pas clos pour autant.

Quant à la réserve sanitaire, la Cour reconnaît que l'outil est « inadapté aux crises de grande ampleur » - ce qui n'étonnera pas davantage les lecteurs des rapports antérieurs - en raison de la réglementation, du déficit d'attractivité financière du dispositif et des défaillances de sa gestion administrative. Elle propose en conséquence de rénover son cadre d'emploi et de lui donner une mission davantage interministérielle.

La mission de prévention et de promotion de la santé est jugée « en cours de consolidation ». Les crédits de promotion de la santé ont augmenté de 42 % entre 2017 et 2021 pour atteindre 84 millions d'euros, même si cette hausse est due pour l'essentiel en 2021 à la campagne des « 1 000 premiers jours » de l'enfant et à la lutte contre les discriminations.

La Cour relève cependant dans cette matière un défaut de stratégie globale discutée en conseil d'administration, conduisant à ce que certains champs restent absents des préoccupations de l'agence, tels que la santé mentale, la santé des personnes âgées, ou encore les accidents vasculaires cérébraux, qui sont pourtant en France la troisième cause de décès et la première cause de handicap acquis de l'adulte.

La Cour fait encore d'intéressantes observations sur le fonctionnement de l'agence , ses politiques immobilière et de ressources humaines. Les systèmes d'information restent un point d'alerte sensible. Plus globalement, l'agence a certes fait preuve de réactivité dans son organisation pour répondre aux besoins liés à la crise. En témoignent la réorganisation rapide des services, la mise à disposition de l'observatoire cartographique Géodes, la modification de sa programmation, ou encore la création de nouveaux partenariats avec des acteurs de la recherche.

Sur ce dernier point toutefois, l'adossement de Santé publique France à la recherche reste insuffisant. L'organisation par elle du réseau des centres nationaux de référence pour la lutte contre les maladies transmissibles, la signature de partenariats avec des organismes de recherche pour ses études et le suivi de cohortes, sa participation financière aux appels à projets de l'Institut pour la recherche en santé publique (IReSP), ou encore la mise en place de réseau de surveillance, n'effacent pas l'une des grandes différences entre Santé publique France et ses homologues étrangères : Le Robert Koch Institut exerce par exemple des fonctions de recherche biomédicale, et les CDC et la FDA étatsuniens s'appuient sur des laboratoires et publient des travaux scientifiques de haut niveau. La Cour ne se prononce pas en la matière.

Les rapporteures de la commission des affaires sociales s'étonnent de l'absence de réflexion en matière d'éthique scientifique , alors que l'agence est chargée de contribuer « à l'information, à la formation et à la diffusion d'une documentation scientifique et technique et au débat public » 7 ( * ) , et est dotée d'un comité d'éthique, que la Cour a d'ailleurs auditionné. L'une des premières observations faites par l'agence elle-même à la récente mission d'information de la commission sur la lutte contre l'obésité 8 ( * ) a été en forme d'avertissement, pour préciser que les industriels du sucre, comme ceux du tabac, ont « orienté des recherches pour instiller le doute sur la dangerosité de leurs produits ». Que peut une agence de santé publique pour remédier à de telles pratiques ?

2. Une gestion budgétaire déformée par la crise sanitaire

Pour ce qui concerne le financement de l'agence, l'enquête montre la très forte augmentation des crédits dont a bénéficié Santé publique France ces dernières années.

Cela s'est vérifié pour les dépenses ordinaires , passées de 166,3 millions d'euros en 2017 à 225,2 millions d'euros en 2021. Mais cela a surtout concerné les dépenses de crise . Celles-ci, comme le rappelle la Cour, ont donné lieu à des enveloppes exceptionnelles, allouées au moyen d'arrêtés ministériels, pour un montant total de 12,8 milliards d'euros sur la période 2020-2022 :

- 4,8 milliards d'euros en 2020, consacrés principalement à des achats de masques, matériels de protection et réactifs pour les tests PCR ;

- 4,2 milliards d'euros en 2021, en vue de l'acquisition de vaccins et autres équipements nécessaires à la campagne vaccinale ;

- et 3,8 milliards d'euros en 2022, notamment pour des achats de vaccins.

L'enquête retrace également le reversement d'une partie significative de ces fonds - pour 1,8 milliard d'euros, soit 14 % des dépenses exceptionnelles de crise - à l'État lui-même , au travers de divers fonds de concours.

De plus, la Cour des comptes souligne que, bien que le financement de l'agence ait été transféré de l'État 9 ( * ) à la sécurité sociale 10 ( * ) en 2020 , Santé publique France a été, pendant la crise un « bras opérationnel des services de l'État ». En outre, même en temps normal, les dépenses de l'agence réalisées au titre des stocks stratégiques le sont « pour le compte de l'État ». L'audition du 7 décembre l'a pleinement souligné, la Cour qualifiant Santé publique France d'opérateur de l'État tandis que la direction de l'agence confirmait n'agir que sur consigne de l'État en matière de stocks.

À partir de ce constat, les rapporteures partagent le regret de la Cour de la baisse de qualité et d'exhaustivité de l'information du Parlement qui résulte de ce transfert de financement.

Mais, si elles rejoignent également la Cour pour approuver le décroisement des subventions de l'État et de la sécurité sociale aux organismes, elles peinent à trouver la justification d'un financement de Santé publique France par la sécurité sociale dès lors que l'ensemble des décisions stratégiques sont assumées par le seul État. Dès lors qu'une part au moins des dépenses de l'agence relève sans conteste de l'État, la logique de décroisement des financements devrait, en l'espèce, justifier une subvention entièrement assumée par l'État.

À leurs yeux, la question du mode de financement de Santé publique France ne se limite donc pas à une perte d'information du Parlement mais comprend aussi, d'une part, celle de la cohérence entre décideur et payeur et, d'autre part, celui de l'absence d'autorisation parlementaire des dépenses conséquentes de l'agence , dont celles qui ont été reversées à l'État) qu'a entraînée la débudgétisation de la subvention publique.

Les rapporteures relèvent que, dans ce contexte, le nouveau cadre organique des lois de financement de la sécurité sociale a permis une première avancée , à l'initiative du Sénat. Désormais, le Parlement est informé du montant de subvention prévu l'année suivante pour toutes les agences, dont Santé publique France, dès le dépôt du projet de LFSS. Néanmoins, ce dispositif ne permet qu'un contrôle particulièrement souple, une simple information des commissions des affaires sociales des assemblées étant prévue en cas de dépassement de la subvention envisagée de plus de 10 % en cours d'année.

Le contrôle que doivent conduire dans les prochains mois, au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), la rapporteure générale et Mme Annie Le Houerou sur les dotations des régimes de sécurité sociale à divers fonds et organismes permettra de déterminer s'il convient de renforcer ce cadre, au moins pour certaines structures.

3. Une réflexion sur la place de l'agence dans le paysage institutionnel encore loin d'être achevée

La création de Santé publique France, et plus largement le recours aux agences, « s'inscrit dans une évolution de plus long terme », pointée par l'ancienne sénatrice Nicole Bricq, à « la recherche d'une action publique moderne et réactive. Conçues comme des formes alternatives aux administrations traditionnelles, les agences sont en effet supposées être le gage d'une plus grande efficacité, indépendance et transparence pour le citoyen ». Son rapport ne prétendait toutefois pas trancher entre le modèle « tout agence » anglo-saxon et suédois, le modèle de gestion ministérielle danois, où les missions restent assurées principalement par l'administration, et le système français, intermédiaire 11 ( * ) .

L'influence intellectuelle du modèle de gestion publique anglo-saxon et scandinave a cependant toujours dominé . Elle perçait à vrai dire dès le deuxième paragraphe de l'introduction du rapport de préfiguration de Santé publique France : la création de l'agence est alors vue comme une « opportunité unique » de mettre sur pied « un centre de référence et d'excellence » qui soit « à l'image des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains, du Public Health England (PHE) ou encore de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) » 12 ( * ) .

Le rapport de la Cour permet d'observer que, d'une part, le choix du modèle semble n'avoir pas été complètement assumé puisque la fusion n'a pas conduit à repenser les missions de l'agence et que ses moyens pour agir ni son autonomie n'ont été portés au niveau de ses homologues étrangers ; et que, d'autre part, la réflexion n'a guère dépassé l'acceptation de l'argument d'autorité .

La Cour pointe d'abord une ambiguïté originelle dans le rapport de préfiguration : celui-ci mentionnait la logique d'efficience mais estimait « que la création du nouvel établissement [devait] s'accompagner d'un signal fort sur le plan des ressources permettant de donner de la visibilité et de la stabilité pour au moins les trois prochaines années ». L'augmentation constatée des dépenses sur la période analysée par la Cour des comptes tient quasi-exclusivement aux dépenses de fonctionnement hors charges de personnel, alors que « tant les dépenses d'intervention que celles d'investissement ont décru ».

Sur le plan des effectifs, la Cour estime que « le diagnostic de maîtrise de l'effectif doit faire l'objet de tempéraments » car la contrainte du plafond d'emplois a été moins forte que pour d'autres agences sanitaires, car l'externalisation de certaines activités a entraîné des coûts non compensés et car, conformément aux objectifs qui lui étaient fixés, SPF a dégagé des marges de manoeuvre en renforçant la mutualisation des services support des organismes préexistants.

Les tempéraments au diagnostic n'empêchent pas que Santé publique France paraisse sous-dimensionnée pour une agence sanitaire bâtie sur le modèle anglo-saxon : « aux États-Unis, le nombre d'employés des CDC est passé de 8 325 en 2007 à 11 574 en 2018, soit une augmentation de 28 % de l'effectif, évolution inverse à celle constatée en France », bien qu'il soit redescendu en 2020 à 10 013 employés, ni qu'« entre 2019 et 2021, l'effectif du RKI en Allemagne a augmenté de 21 %, passant de 1 204 à 1 461, et celui de l'agence de santé publique de Suède (Folkhäslomyndigheten), de plus de 80 %, passant de 348 à 636 personnes. Au Canada, l'effectif de l'Agence de la santé publique est passé de 2 134 à 2 860 entre 2018-2019 et 2020-2021, en hausse de 34 % ».

La nature incertaine de la tutelle sur SPF est un autre indice de l'agencisation imparfaite opérée depuis 2016 . La Cour relève bien que le contrat d'objectifs et de performance entre l'État et SPF a été conclu deux ans après la création de l'agence, en février 2018, et que la crise sanitaire a fait passer son respect au second plan. Ses 22 objectifs ne sont pas rattachables à ceux du programme 204 de la mission Santé du PLF, ni à ceux de la stratégie nationale de santé et, peu d'entre eux étant chiffrés, l'action de SPF reste difficile à évaluer, contrairement à celle de ses homologues étrangers.

Du reste, le conseil d'administration n'a jamais eu à en connaître. Ce dernier a bien établi des orientations générales, qui ont pris la forme d'orientations stratégiques pluriannuelles et d'un programme de travail annuel, mais ces derniers sont peu articulés avec le contenu du contrat d'objectifs et de performance, et couraient jusqu'en 2018 sur plus de 230 pages. Depuis 2021, les projets de SPF sont regroupés en six enjeux, mais leur maturité est jugée « hétérogène » et l'absence d'indicateur freine toujours autant leur évaluation.

Plus généralement, la Cour relève la faible impulsion du conseil d'administration sur le pilotage stratégique de l'agence , qui a donné lieu à peu de débats sur la prévention ou la promotion de la santé, et guère davantage sur la réserve sanitaire. Les grandes orientations sont élaborées en amont de ses réunions, et le conseil scientifique, peu impliqué depuis la crise sanitaire, est resté peu sollicité.

Au fond, il semble que la réflexion sur l'efficacité de l'action publique en matière sanitaire, à ce jour, a porté excessivement sur le modèle administratif, au détriment des missions à assurer .

Une telle réflexion aurait peut-être conduit à préserver les missions de l'ex-Eprus et dispensé d'attendre la crise sanitaire pour « refaire de la préparation au risque pandémique une priorité de l'action publique », ainsi que l'avait sous-titré la commission d'enquête sénatoriale - une telle mission est désormais dévolue à Mme Cécile Courrèges, chargée par le ministre de la Santé et de la prévention de préfigurer une direction de préparation et de gestion des crises sanitaires. Cette préoccupation rejoint la question relative à la présence territoriale de l'agence et à la territorialisation de la veille sanitaire , sur laquelle la même commission d'enquête a fait des propositions fortes. La Cour désapprouve celle de rattacher aux ARS les cellules territoriales de Santé publique France, mais ne tranche pas davantage ce noeud-là.

Une telle réflexion porterait aussi à s'interroger sur la distribution des compétences entre les différentes agences existantes , problème intellectuel dont trois exemples récents montreront la complexité. Le rapport de la mission d'information sénatoriale sur la politique de santé environnementale 13 ( * ) a ainsi relevé qu'au moins quatre agences - SPF, HAS, Anses, HCSP, mais en réalité sept si l'on ajoute les organismes intervenant en appui sur des risques sectoriels - intervenaient dans une matière qui n'en mobilise étrangement que deux aux États-Unis ; le rapport sur la lutte contre l'obésité précité a relevé les ponctuelles divergences d'appréciation de Santé publique France et de l'Anses sur l'évaluation scientifique de ce qui deviendra le Nutri-Score ; enfin, la question s'est récemment posée de confier la compétence scientifique pour donner un avis sur les occurrences des rendez-vous de prévention tout au long de la vie créés par la loi de financement pour 2023 à la Haute Autorité de santé ou bien au Haut Conseil de la santé publique, qui y prétendent également - et sans doute à raison.

La coordination et la mise en réseau peuvent ainsi rester l'antienne de la politique sanitaire, le thème admettant de nombreuses variations - il est par exemple intéressant de constater que le rapport de Nicole Bricq de 2007 précité envisageait à cette fin, outre l'équipement des agences en systèmes d'information compatibles et l'articulation de leurs programmes de travail, leur réunion au sein du Haut Conseil de la santé publique. C'est depuis 2017 au comité d'animation du système des agences (Casa) qu'est dévolu ce rôle de coordination, mais la Cour relève à juste titre qu'il « n'a pratiquement joué aucun rôle pendant la première année de la crise sanitaire » et qu'il ne contribue que « de manière très modeste à l'élaboration de la politique nationale de santé et aux choix d'orientations prioritaires dans le champ de compétences de ses membres ».

En définitive, il semble aux rapporteures que la réflexion sur les modalités de gestion des risques et de conduite de la politique de prévention est encore loin d'être achevée.


* 1 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et ordonnance n° 2016-462 du 14 avril 2016 portant création de l'Agence nationale de santé publique.

* 2 François Bourdillon, « La France se dote d'une agence nationale de santé publique. Illustrations de ses principales missions et enjeux », Bull Acad Natl Med. 2016 Mar;200(3):639-650.

* 3 Mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l'anticipation des risques pandémiques, mars 2021. Pour rappel, cette « mission indépendante » a été installée par le Président de la République deux mois après la création de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale et un mois après l'annonce d'une création analogue au Sénat ; l'un de ses membres et l'un de ses rapporteurs sont, depuis, devenus respectivement secrétaire d'État et député de la majorité présidentielle.

* 4 Santé publique : pour un nouveau départ - Leçons de l'épidémie de covid-19, rapport n° 199 (2020-2021) de Mme Catherine Deroche, M. Bernard Jomier et Mme Sylvie Vermeillet, fait au nom de la commission d'enquête Évaluation des politiques publiques face aux pandémies, déposé le 8 décembre 2020.

* 5 Rapport n° 653 (2014-2015) de M. Alain Milon, Mmes Catherine Deroche et Élisabeth Doineau, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 22 juillet 2015.

* 6 L'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) : comment investir dans la sécurité sanitaire de nos concitoyens ? Rapport d'information n° 625 (2014-2015) de M. Francis Delattre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 juillet 2015.

* 7 Article R. 1413-1 du code de la santé publique.

* 8 Surpoids et obésité, l'autre pandémie, rapport d'information n° 744 (2021-2022) de Mmes Chantal Deseyne, Brigitte Devésa et Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales - 29 juin 2022.

* 9 Mission « Santé », programme 204.

* 10 Sixième sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).

* 11 Les agences en matière de sécurité sanitaire : de la réactivité à la stratégie, rapport d'information n° 355 (2006-2007) de Mme Nicole Bricq, fait au nom de la commission des finances, déposé le 27 juin 2007.

* 12 Agence nationale de santé publique, rapport de préfiguration remis par François Bourdillon à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, le 2 juin 2015.

* 13 Les orientations et la gouvernance de la politique de santé environnementale, rapport d'information n° 479 (2020-2021) de M. Bernard Jomier et Mme Florence Lassarade, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 mars 2021.

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