D. DES FILIÈRES SPÉCIFIQUES QUI RESTENT EN DEVENIR

1. Les VHU outre-mer : une histoire ancienne proche de l'épilogue ?
a) Un bilan en demi-teinte, sept ans après le rapport Letchimy

Le problème des véhicules hors d'usage (VHU) dans les outre-mer est un problème ancien qui a déjà fait l'objet de nombreuses analyses et plans d'action.

En 2015, Serge Letchimy, député, remettait un rapport 103 ( * ) au nom du Gouvernement qui fit date. Selon ses estimations, un stock de 65 000 véhicules échappait aux centres VHU agréés avec de multiples conséquences : prolifération de nuisibles, pollution des sols et des eaux, dégradation du paysage, sentiment d'insécurité ... Le rapport formulait 26  propositions.

Certaines adaptations réglementaires ont été apportées. Surtout, les constructeurs automobiles ont été chargés par les pouvoirs publics de mettre en place un plan d'actions volontaire pour résorber le nombre élevé de véhicules hors d'usage abandonnés présents dans ces territoires, dans l'esprit d'une filière REP qui ne dirait pas son nom.

Ce plan d'actions, qui a ensuite fait l'objet d'une réglementation, vise à soutenir et à accompagner les collectivités territoriales d'outre-mer pour collecter et traiter les VHU abandonnés et éviter que le stock de ces véhicules se renouvelle.

Un accord-cadre a été signé en octobre 2018 réunissant les 22 plus grands constructeurs automobiles mondiaux pour permettre de collecter et de traiter dans les territoires d'outre-mer, près de 60 000 véhicules hors d'usage abandonnés en collaboration avec les acteurs locaux de la filière et les opérateurs économiques de la déconstruction automobile.

Ce plan est toujours en cours de déploiement.

Selon Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l'environnement, des déchets et des pollutions diffuses à la DGPR, ce plan a permis de faire financer par les constructeurs la reprise de 21 437 véhicules hors d'usage, dont 9 000 en Martinique, 4 000 en Guadeloupe, 6 000 à La Réunion, 400 à Mayotte et 2 000 en Guyane.

Plus de quatre ans après son lancement, le plan de résorption du stock historique serait donc au tiers de son exécution.

Les VHU traités ont été récupérés dans l'espace public. Toutefois, de récentes dispositions issues de la loi Agec ont renforcé la prise en charge des VHU abandonnés sur les terrains privés. L'article L.541-3 du code de l'environnement permet, lorsque le propriétaire d'un véhicule hors d'usage ne satisfait pas à l'obligation de remettre son véhicule à une filière agréée, de se substituer à celui-ci et de venir faire enlever le véhicule, afin de le déposer au centre VHU.

b) Une filière REP pour un nouvel élan ?

La loi Agec de 2020 a créé une filière REP pour les VHU qui entrera en vigueur à compter du 1 er janvier 2023, généralisant en quelque sorte ce qui avait été ébauché avec le plan d'action pour les outre-mer en 2018 (pour le seul stock historique).

Le projet de décret portant diverses dispositions d'adaptation de la gestion des véhicules hors d'usage et instituant un régime de responsabilité élargie des producteurs de ces véhicules a été mis en consultation en mars 2022. Il prévoit en particulier pour les outre-mer que :

- la mise en oeuvre d'un plan d'action outre-mer spécifique. Ce plan comporte notamment le versement d'une prime au retour afin d'inciter les détenteurs à remettre leur véhicule à la filière légale. Il est activé dans un territoire dès lors que le taux d'abandon de véhicule est supérieur à 10 % 104 ( * ) (projet d'article R.543-165 du code de l'environnement) ;

- tout éco-organisme ou système individuel réalise une étude de gisement des véhicules abandonnées dans les territoires d'outre-mer dans les trois ans suivant leur agrément (projet d'article R.543-165-1 du même code) ;

- les principes du plan d'action VHU de 2018 sont repris. Il est ainsi prévu que les éco-organismes et les systèmes individuels se coordonnent afin d'assurer la prise en charge de tout véhicule abandonné sur la voie publique, sur le domaine public, sur un terrain privé ainsi que sur une « casse » illégale, dès lors qu'il aura été constaté que les procédures de police administrative ont échoué (projet d'articles R.543-166 à R.543-166-2 du même code).

La prime au retour est la proposition la plus forte. Elle devrait stopper la reconstitution d'un stock historique.

Cette mesure est naturellement la bienvenue.

Toutefois, elle ne fonctionnera que si les centres agréés sont en mesure de réceptionner et de traiter les VHU . Or, si le déstockage est important, toutes les filières ne pourront pas absorber la demande.

Certains territoires, comme la Martinique, en pointe sur ce problème, se déclarent prêts à traiter le volume de VHU. Le territoire a les capacités techniques et organisationnelles (capacités des centres agréés de 28 120 VHU) de traiter conjointement le flux annuel (environ 14 000 VHU) et le solde du stock historique (environ 12 500 VHU estimés).

En revanche, à Mayotte, un seul centre agréé subsiste . Lors de la visite des installations, la délégation a pu constater que la capacité de stockage était très limitée, faute de foncier disponible, sachant qu'outre le stock historique, il faut aussi traiter les nouveaux flux. Il y a donc un risque de saturation, ce qui serait un mauvais message envoyé aux usagers .

En Guyane, le constat est assez proche : les infrastructures sont trop fragiles pour monter rapidement en capacité. Un seul centre agréé pour tout le territoire. En 2017, en moyenne, 1,4 VHU pour 1 000 habitants était traité (moyenne nationale 17 VHU pour 1 000 habitants).

À Saint-Pierre-et-Miquelon, même chose, la filière reste à construire . Un container de dépollution a été livré cette année avec des co-financements de l'Ademe et n'était toujours pas opérationnel en septembre 2022 lors de la visite de la délégation.

À Wallis-et-Futuna, la filière se structure. Une plateforme d'accueil va être créée et grâce au FEI, une presse a été acquise, ainsi qu'un conteneur de dépollution des véhicules.

La prime au retour et la montée en charge des capacités de traitement doivent être coordonnées . 105 ( * )

Un bilan de cette nouvelle filière REP devra être fait avant d'envisager des mesures complémentaires.

Le traitement des VHU en Polynésie française

Le pays est compétent pour le traitement des VHU. Les opérations de traitement des VHU dans les archipels sont particulièrement complexes. Elles se font par campagne, lorsque le stock est suffisant.

Grâce à deux presses montées sur remorque, le pressage se fait localement après dépollution. Le transport est ensuite pris en charge par le pays. Les véhicules sont entreposés à Tahiti avant d'être exportés vers la Nouvelle-Zélande.

Le pays a désormais une capacité de traitement de 1 000 VHU par an dans les archipels.

À titre d'exemple, sur l'île de Moorea (l'île la plus proche de Tahiti et reliée quotidiennement par un ferry) en avril dernier, 300 VHU en attente depuis 2014 sur un terrain ont été traités. Mais le stock total est estimé à 800 VHU.

Source : DSOM

2. Les déchets du BTP : tout reste à faire

Les déchets du BTP forment la catégorie de déchets la moins bien connue et la moins bien prise en charge. Dans les outre-mer, les données sont extrêmement parcellaires. Plusieurs observatoires indiquent ne pas avoir de réelle connaissance du gisement.

À titre d'illustration, Fabrice Hoarau, conseiller régional en charge des déchets et de l'environnement, estime à 50% le flux non tracé à La Réunion, sur un total de 2 millions de tonnes par an.

La création d'une filière REP au 1 er janvier 2023 par la loi Agec devrait transformer la donne. Le cahier des charges impose notamment à la filière la création de centres de prise en charge des déchets triés. Le réseau de ces centres devra être dense (moins de 20 km à parcourir).

L'application qui en sera faite outre-mer devra être suivie attentivement. Il faut en attendre une résorption de nombreux dépôts sauvages.

3. Les déchets dangereux : surmonter les craintes d'un traitement local

En 2021 et 2022, l'évacuation des déchets dangereux de certains territoires ultramarins vers l'Hexagone ou l'Union européenne a viré au cauchemar (voir II.C.2.). Déjà habituellement complexe et onéreuse, cette évacuation est devenue quasi-impossible avec la désorganisation du fret maritime.

Cette crise, qui commence seulement à se résoudre depuis l'affrètement d'un navire en octobre dernier et l'accalmie sur le transport maritime mondial, a accéléré la prise de conscience de la grande dépendance des outre-mer pour gérer leurs déchets dangereux.

Cette prise de conscience est d'autant plus urgente que plusieurs territoires devraient se doter dans les prochaines années d'unités de valorisation énergétique qui produiront des quantités importantes de déchets ultimes dangereux . En particulier les résidus d'épuration des fumées d'incinération des ordures ménagères (REFIOM), voire certains mâchefers.

L'essor de la voiture électrique ne cesse aussi d'inquiéter les responsables ultramarins, qui craignent d'avoir à gérer dans quelques années des milliers de tonnes de batteries usagées, pas ou peu exportables 106 ( * ) .

Ces perspectives incertaines doivent conduire les territoires ultramarins à engager une réflexion et des études sur la création de centre de stockage de déchets dangereux sur leur territoire .

À cet égard, la région de La Réunion a lancé début 2022 une étude d'opportunité sur la création d'une Installation de Stockage de Déchets Dangereux (ISDD). L'objectif est d'apporter des éléments d'aides à la décision, afin d'alimenter les travaux du futur plan régional. Cette étude comprend plusieurs volets :

- état des lieux (gisements, filières, coûts, identification de nouvelles filières pouvant être créées localement...) ;

- éléments d'opportunités pour la création d'une ISDD à La Réunion (techniques, économiques, inter-régionaux et environnementaux, avantages et inconvénients, gisements qui pourraient être traités localement (filières existantes ou en projet) et ceux qui pourraient être orientés vers des filières d'exportation, dimensionnement de l'installation les cas échéant, critères de localisation) ;

- impacts (techniques, économiques, réglementaires et environnementaux).

Sans préjuger des résultats de cette étude et de la faisabilité d'une ISDD à La Réunion, des démarches similaires devraient être conduites dans chaque territoire.

En Guyane, le projet de PRPGD prévoit qu'une étude de faisabilité sur l'intérêt de disposer d'une installation de stockage dédiée aux déchets dangereux soit réalisée d'ici 2025.

En Martinique, le PRPGD ne prévoit pas d'installation de stockage des déchets dangereux. Toutefois, il ne limite pas les initiatives locales de création d'équipements de traitement (ex : possibilité de casier amiante sur carrière en réhabilitation, projet d'incinération des sous-produits animaux de catégorie 1).

Proposition n° 26 : Réaliser pour chaque territoire une étude d'opportunité et de faisabilité sur la création d'une installation de stockage de déchets dangereux (ISDD) ou d'équipements de traitement de ces déchets.


* 103 Rapport public au Gouvernement de Serge Letchimy, député de la Martinique, sur l'économie circulaire en outre-mer.

* 104 Il conviendra de veiller au mode de calcul de ce taux d'abandon. Il serait dommage que plusieurs territoires d'outre-mer soient évincés du dispositif.

* 105 Des investissements, en particulier des presses, sont indispensables. De même que du foncier disponible pour stocker en attendant le traitement et l'exportation.

* 106 À noter des études en cours par CMA-CGM en vue de proposer une solution d'exportation de ces déchets spécifiques (prenant en compte les risques liés à la sécurité) pour fin 2022.

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