B. LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE FRANÇAISE : UNE AMBITION QUI S'AFFIRME

1. La France, pays de l'Indopacifique

La communauté française en IP se compose de 1,6 million de citoyens répartis sur sept régions, départements et collectivités d'outre-mer (DROM-COM) que sont Mayotte, la Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)21(*), la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française et Clipperton. S'y ajoutent 200 000 ressortissants français expatriés dans les pays littoraux de l'océan Indien, en Asie et en Océanie, et 8 000 militaires en mission.

Suscitant un intérêt géostratégique évident, ces territoires permettent à la France de disposer de 11 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE), soit la deuxième plus importante au monde après les États-Unis et de se projeter militairement, diplomatiquement et dans une moindre mesure, économiquement dans la région.

On recense ainsi 108 milliards d'euros d'investissements directs français en IP. Le stock d'actifs détenus par la France en Indopacifique a été multiplié par sept en une quinzaine d'années. Selon Business France, 14 % des décisions d'investissement directs étrangers en France sont le fait d'investisseurs originaires d'IP, plaçant la zone au 3e rang derrière l'UE (60 % des décisions d'investissement) et l'Amérique du Nord (22 %).

Le réseau des opérateurs de l'État déployé en IP comprend :

- 24 bureaux de Business France, chargés d'accompagner les entreprises françaises à l'international et les entreprises étrangères pour leurs investissements en France,

- 10 bureaux Atout France, qui assurent la promotion de l'offre touristique française à l'international,

- l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger (AEFE) qui gère 96 établissements dans la zone,

- l'Institut français, qui assure le rayonnement de la culture française à l'étranger, est implanté dans 35 pays,

- l'Agence française de développement (AFD) qui couvre pour sa part 24 pays de l'IP.

Les territoires français du Pacifique disposent également de leurs services de coopération régionale et siègent de plein droit au sein des instances régionales (Communauté du Pacifique -CPS-, Programme régional Océanien de l'Environnement -PROE- et le Forum des îles du Pacifique -FIP-).

Le dispositif administratif et diplomatique de l'État consiste en 25 ambassades, dont certaines ont un champ géographique élargi, assurant une représentation auprès de 39 États au total. S'y ajoutent 14 consulats généraux et 2 bureaux de représentation (situés à Taïwan et en Corée du Nord). Dans les territoires français, l'État est représenté par 2 haut-commissariats (Polynésie française et Nouvelle- Calédonie), 2 préfectures (La Réunion et Mayotte), l'administration supérieure des îles de Wallis et Futuna et l'administration des TAAF.

Deux ambassadeurs à la coopération régionale dans les bassins océaniques indien et pacifique s'attachent à renforcer la coopération structurelle entre les territoires d'outre-mer et les pays voisins22(*). Depuis 2020, la France s'est dotée d'un ambassadeur pour l'Indopacifique23(*) afin de coordonner les efforts diplomatiques français dans la région indopacifique.

La France développe également sa présence diplomatique dans les enceintes régionales : en rejoignant notamment l'Indian Ocean Rim Association en décembre 2020. Elle a présidé le 7ème symposium naval de l'océan Indien à l'été 2021. Elle a rejoint l'Asean Defence Ministers' Meeting Plus (ADMM+) et souhaite adhérer à l'accord ReCAAP (Accord de coopération régionale pour la lutte contre la piraterie et les vols à main armée contre les navires en Asie).

Enfin, la zone IP est divisée en cinq commandements militaires, présentés sur la carte suivante, répartis entre :

- trois forces de souveraineté : les forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), les forces armées de la Nouvelle-Calédonie (FANC) et les forces armées en Polynésie française (FAPF),

- et deux forces de présence : les forces françaises basées des Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).

Ces commandements régionaux interarmées représentent près de 7 000 personnels déployés de façon permanente, auxquels s'ajoutent ponctuellement 700 marins en mission. Ces forces disposent d'une quarantaine d'aéronefs et de cinq bâtiments de la marine nationale.

Source : « La stratégie de la France dans l'Indopacifique » Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Ce dispositif, que complète un réseau de 18 attachés de défense et 7 attachés de sécurité intérieure, doit assurer un maillage géographique suffisant pour veiller à la protection et à la sécurité des ressortissants et des territoires français, contrôler la ZEE et participer aux activités de coopération de défense dans tous les domaines.

Depuis plusieurs années, le dispositif est ponctuellement renforcé par le déploiement de bâtiments et d'aéronefs depuis la métropole. Pour la marine des déploiements ponctuels et l'organisation ou la participation à des exercices concourent de façon récurrente à démontrer la présence française en Indopacifique. Ainsi, la mission « Jeanne d'Arc », mobilisant l'un des porte-hélicoptères amphibie et une frégate, qui marque la fin du cursus des élèves officiers de marine à l'École navale, s'est concentrée ces dernières années sur la région IP. En 2019, le groupe aéronaval s'est déployé en IP. Puis, en 2021, la mission Marianne a permis le déploiement d'un sous-marin nucléaire d'attaque L'Émeraude et du bâtiment de soutien La Seine soulignant la capacité de la France à déployer des moyens stratégiques loin du territoire métropolitain, sur de longues durées, et en dépit des difficultés imposées par la crise sanitaire.

Dans le domaine du sauvetage et de l'assistance, dit HADR (Humanitarian assistance and disaster relief), les exercices Croix du Sud (organisé les années impaires par les forces armées de Nouvelle-Calédonie) et Marara (organisé les années paires par les forces armées de Polynésie française) rassemblent autour de la France une quinzaine de pays partenaires du Pacifique. L'exercice La Pérouse permet également d'associer les nations de l'IP autour de la France pour développer leur interopérabilité afin de gagner en efficacité en cas de crise ou de catastrophe naturelle. En 2019, l'Australie et les États-Unis ont pris part à l'exercice, puis en 2021, l'Inde s'y était associée. Enfin, du 30 au 31 août 2022, l'Australie et le Japon ont participé à l'exercice.

La Marine nationale prend également une part active aux exercices de grande ampleur de la région tels que :

- Rimpac (Rim of the Pacific Exercise pour Exercice du Pacific Rim est un exercice militaire réalisé tous les deux ans par différentes marines nationales sous la direction de l'United States Pacific Command (Commandement du Pacifique, Pacom) au large de Hawaï, aux États-Unis24(*),

- Komodo (organisé par l'Indonésie25(*)),

- et Varuna (organisé par l'Inde). L'exercice Varuna, exercice annuel impliquant les marines de guerre française et indienne est organisé un an sur deux dans l'océan Indien26(*). Sa 20ème édition s'est déroulée au large de la mer d'Oman en 2022 et a associé, d'une part pour la marine française, la frégate de classe La Fayette, le FS Courbet et le navire de soutien sous-marin FS Loire et, d'autre part, pour la marine indienne, le destroyer furtif construit localement, INS Chennai, avec un complément intégré d'hélicoptères Sea King Mk 42B. L'Inde a également envoyé des avions de patrouille maritime P-8I et Dornier 228 et des avions de combat MiG-29K/KUB.

Enfin, en mars 2022, la France, présidente de l'IONS (Indian Ocean Navy Symposium), a organisé conjointement avec la marine indienne l'exercice IMEX qui a rassemblé plusieurs pays riverains de l'océan Indien. L'édition 2023 de cet exercice sera organisée par la France conjointement avec le sultanat d'Oman.

L'armée de l'Air et de l'Espace renforce également sa présence dans la région, en complément de sa contribution aux missions des forces de souveraineté, par sa participation à l'exercice Pitch Black 2018 (Australie) et des missions Pégase 2018 (Asie du Sud-Est) et Skyros 2021 (océan Indien).

Du 17 août au 07 septembre 2022, trois Rafale (deux Rafale B et un Rafale C), un avion ravitailleur MRTT Phénix et un Casa CN-235 des Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) ont participé à l'édition 2022 de l'exercice biennal Pitch Black en Australie qui réunissait une centaine d'aéronefs et 2  500 participants de 17 pays27(*) .

La mission Pégase 2022 a ensuite permis le déploiement de Rafale, MRTT et A 400 M en Indonésie28(*), comme le montre la photographie suivante. Ces déploiements sont autant d'opportunités d'interactions avec les principaux partenaires de la France, en particulier l'Inde, l'Australie, le Japon et les États-Unis, avec lesquels elle entretient des coopérations de défense de haut niveau dans tous les domaines.

Du 20 juin au 9 juillet 2021, l'AAE a conduit, depuis la métropole vers le Pacifique sud, la mission HEIFARA-WAKEA en projetant un dispositif aérien composé de 3 Rafale, 2 A330 Phénix et 2 A400M Atlas ainsi qu'environ 170 aviateurs. Après une première phase de projection de puissance, HEIFARA, conduite en 48 heures en Polynésie française, le dispositif a amorcé une seconde phase de coopération bilatérale avec l'armée américaine WAKEA. Les aéronefs français se sont rendus à Hawaï pour participer à des missions de préparation opérationnelle.

Enfin, en matière de diplomatie de défense, la France dispose « d'un réseau d'officiers de liaison à l'Information Fusion Center (IFC) et au Centre régional de coordination de l'aide humanitaire et des secours en cas de catastrophe de Changi à Singapour, au commandement des Nations unies en Corée du Sud, et occasionnellement à la 7e flotte américaine à Yokosuka »29(*).

2. Une stratégie indopacifique ambitieuse qui se dessine peu à peu

Ces moyens militaires, économiques, diplomatiques et administratifs sont mis au service d'une stratégie indopacifique définie entre 2018 et 2021. Ses principes et objectifs ont été formalisés dans des discours présidentiels prononcés en Inde (mars 2018), en Australie et en Nouvelle-Calédonie (mai 2018), lors de la Conférence des Ambassadeurs (août 2019), et enfin à l'occasion du sommet Choose La Réunion (octobre 2019). L'encadré suivant en présente une synthèse dont certains éléments ne sont plus à jour, le contexte ayant évolué, qu'il s'agisse de la relation avec l'Australie ou de la relation avec la Chine.

La déclinaison de la stratégie indopacifique française entre 2018 et 2019

(i) La zone indopacifique est au coeur de cette stratégie de politique étrangère, définie en 2018, qui se décline autour des axes suivants :

- Poursuivre le renforcement et le rééquilibrage par le haut du partenariat stratégique global avec la Chine, qui suppose, y compris via l'Union européenne, l'introduction de davantage de réciprocité.

- Développer et approfondir les partenariats stratégiques ou globaux dans la région, notamment avec l'Australie, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, l'Indonésie et Singapour sur la base d'une communauté de valeurs et d'intérêts, mettant en oeuvre des formats de dialogue et de coopération ad hoc, en vue de développer les convergences au niveau stratégique et de contribuer à la paix et à la stabilité de l'espace indopacifique, notamment dans sa dimension maritime. Les relations avec le Vietnam, la Malaisie, la Thaïlande et la Nouvelle Zélande ont également vocation à être développées dans ce cadre.

- OEuvrer au renforcement du positionnement de l'Union européenne dans la région, en soutenant la conclusion d'un partenariat stratégique avec l'Asean, son admission au Sommet de l'Asie de l'Est (EAS), la reprise des négociations en vue d'accords de libre-échange, notamment avec certains pays de l'Asean, dans la perspective d'un accord bi-régional ambitieux, une redynamisation du dialogue Europe-Asie dit « ASEM » (Asia Europe Meeting), qui doit devenir plus clairement un espace d'expression de l'ambition européenne en Asie, la mise en oeuvre de la stratégie européenne de connectivité entre l'UE et l'Asie et enfin la détermination d'une stratégie européenne dans le Pacifique, qui s'annonce comme un enjeu de la présidence française prochaine de l'Union européenne.

- S'impliquer davantage dans les organisations régionales ce qui suppose l'intensification des relations avec l'Asean-et l'ensemble de ses États-membres, y compris dans le cadre de l'ADMM+, une mobilisation accrue auprès d'enceintes pertinentes comme le Forum des garde-côtes asiatiques (Hacgam), l'Association du bassin de l'océan Indien (IORA), ou l'Accord de coopération régionale contre le piratage et le vol à main armée contre les navires en Asie ReCAAP, et plus largement une présence renforcée auprès de l'ensemble des enceintes régionales et sous régionales avec lesquelles la France sera en mesure de contribuer au développement du multilatéralisme renforcé et rénové qu'elle appelle de ses voeux.

- Contribuer à une réponse globale face au terrorisme islamiste dans la région, en s'attaquant simultanément premièrement aux symptômes, via le développement avec les pays les plus concernés, des coopérations dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, deuxièmement aux causes politiques en accordant une attention particulière à la situation en Afghanistan et aux difficultés rencontrées par les minorités musulmanes en Asie et troisièmement aux causes systémiques, en contribuant à la promotion de l'État de droit et de la bonne gouvernance.

- Accompagner les transitions en cours dans la région premièrement en oeuvrant à la promotion des biens communs régionaux et mondiaux, s'agissant notamment de l'environnement, de la santé, de l'éducation, et du numérique, deuxièmement en contribuant à leur développement durable et à une réponse efficace au changement climatique, et en promouvant dans ce contexte les solutions et l'expertise françaises, et troisièmement en soutenant le développement de la société civile dans le cadre de la promotion des droits de l'Homme et de l'État de droit, du multilinguisme et de la diversité culturelle, enfin en accordant une attention particulière à l'égalité entre les femmes et les hommes.

(ii) La Stratégie de défense en indopacifique a été présentée en mai 2019 à l'occasion du Shangri-La Dialogue à Singapour. Elle définit les huit axes d'effort suivants :

- Renforcer l'action des forces de souveraineté et des forces de présence.

- Contribuer activement à la lutte contre la prolifération. La France participe à l'Initiative de Sécurité contre la Prolifération et recherche des coopérations bilatérales et multilatérales destinées à lutter contre le contournement des sanctions onusiennes contre la Corée du Nord.

- Soutenir les institutions régionales tel que l'Indian Ocean Naval Symposium (IONS), dont la France a la présidence pour les années 2020 à 2022.

- Contribuer à la stabilité et au développement des régions où les forces françaises sont présentes et soutenir les partenaires régionaux afin d'assurer une sécurité collective respectueuse du droit international.

- Favoriser le renforcement de l'autonomie stratégique de nos partenaires d'Asie du Sud-Est. La France développe pour cela une approche régionale coordonnée et recherche des opportunités de coopérations multilatérales, dans le cadre de l'architecture régionale de sécurité existante.

- Mettre en oeuvre une politique de coopération maritime coordonnée dans l'ensemble de l'espace indopacifique. La France recherche en particulier le développement de partenariats bilatéraux et multilatéraux en matière de Maritime Domain Awareness, et fera la promotion du modèle français d'action de l'État en mer.

- OEuvrer, enfin, à la politique d'anticipation sécuritaire environnementale française dans trois domaines : l'analyse des risques environnementaux, le soutien à des programmes scientifiques ciblés, et l'organisation de conférences sur l'ensemble de la zone, afin de sensibiliser nos partenaires aux conséquences sécuritaires du changement climatique.

En juillet 2021, une véritable stratégie gouvernementale a été publiée, en amont de la visite du Président de la République au Japon et en Polynésie française. Cette stratégie entend confirmer la capacité française de conceptualisation de l'Indopacifique et recense la mise en oeuvre d'initiatives dans et pour la région qui sont présentées en annexe.

La stratégie française pour l'IP vise également à placer la France -et il est désormais précisé que cela doit être conjointement avec l'Union européenne qui a adopté sa propre stratégie indopacifique-, comme parties prenantes de l'Indopacifique, région où leurs intérêts sont importants, les risques de déstabilisation croissants et où se confirme la nécessité de porter clairement les valeurs de liberté et de défense des droits humains ainsi que la protection de l'environnement.

L'avant-propos du Président de la République pose l'ambition de la stratégie indopacifique française :

« Pays de l'Indopacifique à part entière, la France veut également être une puissance stabilisatrice, qui porte les valeurs de liberté et de respect du droit. Notre ambition est d'apporter des solutions aux défis sécuritaires, économiques, sanitaires, climatiques et environnementaux auxquels les pays de la zone sont confrontés. La stratégie Indopacifique française, qui traduit ces objectifs en actions concrètes, repose sur quatre grands piliers. »

Ces quatre piliers, (i) sécurité et défense, (ii) économie, connectivité, recherche et innovation, (iii) multilatéralisme et règle de droit, et enfin (iv) changement climatique, biodiversité et gestion durable des océans, sont présentés en annexe.

3. Un volet économique de la stratégie indopacifique française sans objectif chiffré

Malgré l'intérêt stratégique que représente la région pour la France, elle n'y occupe qu'une place relative par rapport aux autres pays présents dans la zone. Parmi les partenaires français, le Japon bénéficie de parts de marché significatives dans les pays de l`Indopacifique, ainsi que les États-Unis, comme le montre l'encadré suivant. Les pays européens restent toujours individuellement des fournisseurs marginaux des pays de l'IP. La Chine est largement mieux positionnée sur tous ces marchés.

Performances françaises comparées à celles des autres pays

En pourcentage de parts de marché en 2020

• Inde : 1,1% France, 2,7% Japon, 3,5% Allemagne, 7,2% USA, 13,8% Chine ;

• Indonésie : 1,0% France, 2,1% Allemagne, 6,1% USA, 7,5% Japon, 10,13% Chine ;

• Vietnam : 0,6% France, 1,3% Allemagne, 5,2% USA, 7,7% Japon, 15,6% Chine ;

• Malaisie : 0,8% France, 2,9% Allemagne, 7,7% Japon, 8,7% USA, 18,6% Chine.

Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à la Direction générale du Trésor

Un volet économique30(*) est venu compléter la stratégie française pour l'IP actualisée en février 2022, dans une logique de diversification et d'intensification des partenariats avec les pays de la région. Le cadre affiché est celui de concurrence équitable et vise le développement d'actions dans plusieurs secteurs porteurs (infrastructures, connectivité, économie maritime, etc.). Les principaux objectifs de la France en termes de coopération économique avec les pays de la zone indopacifique sont ainsi définis :

- assurer la diversification des approvisionnements en biens stratégiques et favoriser la réduction des dépendances,

- promouvoir et faire prévaloir les normes internationales existantes pour établir un cadre de concurrence équitable,

- répondre aux besoins en matière de connectivité et d'infrastructures,

- soutenir nos intérêts économiques dans la zone, à travers la promotion de l'expertise et du savoir-faire des entreprises françaises et l'intégration de nos collectivités de l'océan Indien et du Pacifique dans leur environnement régional,

- et approfondir les partenariats en matière de recherche et d'innovation.

Selon les projections de la Banque asiatique de Développement (février 2017), les besoins de financement en infrastructures des pays en développement en Asie-Pacifique dépasseront 22 600 Mds$ d'ici à 2030, soit 1 500 Mds$ par an31(*) . Plusieurs outils de financement direct visent le soutien de projets d'infrastructures et de services à l'international portés par des entreprises françaises :

• Le FASEP32(*)  : Avec 14,4 M€ d'engagements cumulés de 2016 à avril 2020, l'Indopacifique représentait 24 % du total mondial des engagements pris en faveur du secteur des infrastructures économiques et sociales et plus d'un quart des projets (soit 24 sur 94).

• Les prêts concessionnels33(*) et les prêts directs34(*). L'Indopacifique a ainsi capté un cinquième du total mondial des prêts consentis par le Trésor de 2010 à 2020. Plus de 90 % de ce prêts ont concerné le secteur des infrastructures et de la connectivité numérique. L'Asie du Sud-Est est la première région bénéficiaire des soutiens octroyés au secteur des infrastructures (soit 15 % de l'enveloppe mondiale).

• L'assurance-crédit export, principal outil de soutien financier public à l'export en montants, permet le financement d'achat de biens et services français. Elle permet de proposer des solutions de financement aux acheteurs étrangers à un coût réduit (prêts en moyenne d'une durée de 8 à 12 ans), en particulier vers les pays en voie de développement. Elle stimule le commerce extérieur français. L'Indopacifique représentait un encours de près de 13 Mds€ soit 19 % du total mondial fin 2019, tous secteurs d'intervention confondus. Sur la dimension resserrée des projets d'infrastructures stricto sensu, l'encours était voisin de 1,7 Md€.

Exemples de projets concrets soutenus

Vietnam : ligne 3 du métro de Hanoi, 355 M€ de prêts concessionnels du Trésor octroyés depuis 2006 ;

Indonésie : renforcement de capacités d'e-gouvernement, 80 M€ de prêt direct et 60 M€ de crédit acheteur garanti par BPI, signé en 2021 ;

Sri Lanka : équipement de 6 laiteries et construction de 30 centres de collecte, 14 M€ de prêt concessionnel, signé en 2017 ;

Projets de satellites au Vietnam dont le financement n'est pas encore bouclé.

Source : Réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à la Direction générale du Trésor.

La France est aussi présente dans la région indopacifique grâce à l'AFD, dont l'encours total dans ces pays s'élevait à plus de 13 Mds€ en 2020 tous secteurs confondus, soit environ un quart de l'encours mondial. Outre la Chine (9 % de l'encours en Indopacifique), il se répartissait équitablement entre les deux sous-ensembles régionaux constitués par l'océan Indien et l'Asie du Sud-Est35(*).

Le mandat d'intervention de l'AFD dans le Pacifique a été élargi une première fois en 2018 aux projets régionaux dans le secteur de l'adaptation au changement climatique et à la biodiversité. Une nouvelle modification du mandat a été décidée en mars 2021 pour l'étendre au secteur de l'atténuation au changement climatique, en prêts et/ou en dons. Dans le cadre de son nouveau mandat, l'AFD pourra également conduire ou participer à des projets bilatéraux et non plus seulement régionaux.

4. Les questions soulevées par la stratégie indopacifique française

Lorsque la Chine a lancé sa politique dite des nouvelles routes de la soie, en 2013, nombreux ont été les commentateurs à considérer -et cette analyse n'était pas fausse- que la Chine amalgamait sous un nouvel étendard de nombreux projets déjà existants, recyclait des politiques dans tous les secteurs y compris culturels, et d'un ensemble composé de bric et de broc tentait de faire émerger un nouveau narratif.

Dix ans plus tard, force est de constater qu'elle y est parvenue. Les nouvelles routes de la soie existent dans l'imaginaire collectif, dans les enceintes internationales telles que l'ONU, dans le passif de nombreux États pris au piège d'une spirale de la dette dénoncée par le FMI, dans les stratégies de tous les États de la zone indopacifique entendue au sens le plus large qui soit, comprenant l'Afrique, l'Arctique et l'Amérique latine36(*). Certes, les investissements promis n'ont pas tous été au rendez-vous, bon nombre de ces investissements étaient en fait des prêts supérieurs au taux libor, formulés en partie en yuans, et garantis sur les infrastructures37(*). L'utilité publique et économique des investissements ne se vérifie pas forcément dans le temps, et leur bilan environnemental est souvent négatif. Mais l'influence chinoise a crû, la croissance économique chinoise a été tirée par cette politique, qui a aussi bénéficié à l'aménagement du territoire chinois. La Chine avait tout d'abord les moyens, tant en termes de croissance que de réserves de change et de possession de la dette américaine, de mettre ou d'annoncer des moyens à la hauteur des ambitions affichées. Les montants annoncés par la Chine étaient ainsi compris entre 5 000 et 8 000 milliards de dollars. Les besoins de financement pour tous les projets rattachés aux nouvelles routes de la soie dépassaient le trillion (le milliard de milliard) annuel. La Chine a su également convaincre de la cohérence de sa politique des nouvelles routes de la soie, alors même que la multiplication de ses champs géographiques de déploiement, comme de ses champs thématiques, pouvait donner l'impression d'un pilotage opportuniste, à vue.

Ni le volet économique de la stratégie indopacifique, ni la stratégie de la France dans l'Indopacifique ne comprennent de moyens financiers face aux objectifs ambitieux affichés. Pour mémoire l'annonce par le Canada de sa stratégie indopacifique comprend le montant de 2,3 milliards de dollars sur 5 ans dédiés à sa réalisation.

La France a-t-elle les moyens des ambitions qu'elle affiche dans sa stratégie indopacifique et parvient-elle à convaincre de la cohérence de cette stratégie ?

La stratégie française pour l'Indopacifique affiche des ambitions extrêmement élevées, qui relèvent souvent du soft power : il s'agit ainsi d'agir dans les instances multilatérales, internationales ou régionales. Le pilier sécurité et défense prévoit notamment le « renforcement de la présence française dans les enceintes de sécurité de l'Asean (ADMM et Asean Defence Ministers' Meeting, Aseanpol) et projet d'une adhésion à l'accord ReCAAP de lutte contre la piraterie (Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia) » et la « coopération avec les partenaires de la zone (Australie, Inde, Japon) en matière de partage d'information maritime et contribution au développement de capacités régionales dans ce domaine (centres de fusion de l'information maritime de Madagascar, New Delhi et Singapour) ». Les moyens humains nécessaires ne sont pas précisés, les ressources allouées non plus.

De nombreux objectifs sont la poursuite de la politique menée par la France en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies : il en est ainsi du « renforcement des échanges en matière de lutte contre la prolifération, en particulier nucléaire. La France participe de manière active aux opérations de surveillance du respect des sanctions internationales contre la Corée du Nord. ». Cet objectif essentiel n'est pas nouveau. Aucun moyen ni aucune action supplémentaire ne permettent de faciliter sa réalisation.

À l'inverse, « l'affirmation du respect du droit international et de la liberté de navigation au travers des déploiements de moyens aériens et navals depuis les territoires d'outre-mer et de la métropole, à l'instar de la mission Marianne (déploiement d'un sous-marin nucléaire d'attaque dans l'ensemble de l'Indopacifique), de la mission Jeanne d'Arc (déploiement d'un groupe amphibie jusqu'au Japon), des transits en mer de Chine méridionale (au moins deux fois par an depuis 2014) ou des missions Pégase et Skyros de l'armée de l'Air et de l'Espace » correspondent à des missions ambitieuses, qui pèsent sur le budget des armées, qui doivent faire face à l'hypothèse d'engagement majeur et rehausser leur préparation opérationnelle en conséquence. Le document stratégique dresse un bilan mais ne sanctuarise pas la priorité donnée à ces engagements des armées dans l'Indopacifique. Il faudra que ces ambitions se traduisent dans la prochaine loi de programmation militaire (LPM) attendue en 2023.

Ces observations peuvent se décliner pour les trois autres piliers de la stratégie. Elle est très déclarative, énumère des actions déjà engagées, qui bien sûr doivent être poursuivies, et des priorités et objectifs louables qui relèvent du soft power sans que les moyens de réalisation, humains et financiers, ne soient énoncés. Lorsque l'action ou l'objectif engage des moyens, leur pérennisation n'est pas garantie.

Sans calendrier, sans rendez-vous d'évaluation et d'ajustement, sans moyens humains ou financiers annoncés, comment l'ambition d'être une puissance stabilisatrice peut-elle s'incarner et convaincre ?

La délimitation de la stratégie indopacifique française pose également des questions. La convergence de la définition géographique pourrait amplifier le potentiel d'actions conjointes en IP. La France a choisi une conception de l'Indopacifique qui englobe tous ses territoires dans un IP qui intègre l'océan Indien jusqu'aux rives de l'Afrique orientale, sans s'aventurer pour l'océan Pacifique jusqu'aux côtes orientales de l'Amérique du Sud38(*). L'Amérique du Sud, dans la partie orientale de l'océan Pacifique ne doit pas être négligée. Elle représente de réelles opportunités d'insertion de la Polynésie française dans une zone économique que la Chine ne néglige pas.

Cette conception est partagée par le Japon, l'Inde et l'Union européenne, mais pas par l'Australie et les États-Unis. La politique des nouvelles routes de la soie chinoise inclut, pour sa part l'Afrique, l'Amérique latine mais aussi l'Arctique. L'influence économique et politique prises par la Chine et la Russie, notamment par le biais du groupe Wagner, dans certains pays africains pourrait déstabiliser la région, voire favoriser sa militarisation.

Il est évident que la partie occidentale de l'océan Indien est une région stratégique au regard des risques susceptibles de menacer la sécurité des voies maritimes, essentielle pour le transit du tiers du trafic pétrolier mondial par le canal du Mozambique.

La zone maritime sous la responsabilité d'ALINDIEN englobe l'Ouest de l'océan Indien qui est apparu lors des auditions menées dans le cadre de la préparation de ce rapport comme faisant partie de l'action indopacifique de la France. Traditionnellement d'ailleurs, les FFEAU et les FFDj sont énumérées dans les recensements des forces françaises en IP. Or l'inclusion du nord-ouest de l'océan Indien dans l'Indopacifique apparaît comme une exception française qui ne facilite pas toujours le dialogue avec les pays partenaires de l'Indopacifique.

L'immensité de l'Indopacifique et le flou de ses contours ont été soulignés, leurs conséquences ne peuvent être négligées. Il est difficile de coopérer sans unité d'action.

Sans vision commune de l'IP, les acteurs de l'Indopacifique peuvent-ils démultiplier leurs coopérations ? Basée sur la conception la plus large de l'Indopacifique, qui correspond à ses implantations et intérêts, la stratégie française ne perd-elle pas en lisibilité pour les acteurs de la zone qu'elle entend fédérer ? N'est-elle pas affaiblie par la multiplicité de ses orientations ? Peut-elle répondre aux attentes de chaque partenaire stratégique, demandeur de sécurité pour les uns, de développement économique pour les autres, d'actions de protection de l'environnement pour les derniers ?

La stratégie française ne choisit pas : ni l'espace géographique qu'elle conçoit comme maximaliste, ni les secteurs d'action qu'elle souhaite tous embrasser. Elle ne sélectionne pas plus ses partenaires, souhaitant collaborer avec tous. Si un temps un triangle de grands partenaires stratégiques s'était dessiné avec le Japon, l'Australie et l'Inde, Aukus, la relance du format QUAD, le souhait de rapprochement de l'OTAN du Japon, et la non-condamnation de la Russie par l'Inde ont fragilisé cette architecture. Les partenariats se multiplient, au gré des exportations d'armement, ou d'autres opportunités. S'il n'en faut refuser aucune tant qu'elle est favorable aux intérêts français, l'éparpillement qui en résulte ne nuit-il pas à la lisibilité de la stratégie française ?


* 21 Les TAAF comprennent cinq districts : l'archipel Crozet, les îles Kerguelen, les îles Éparses de l'océan Indien, les îles Saint-Paul et Nouvelle-Amsterdam ainsi que la terre Adélie.

* 22 Il s'agit de l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, Marcel Escure, et de l'ambassadrice, représentante permanente de la France auprès de la communauté du Pacifique et du Programme régional océanien de l'environnement, Marine de Carné de Trécesson de Coetlogon.

* 23 Ce poste a été confié à Christophe Penot de 2020 à 2022, ancien ambassadeur de France en Australie. Depuis septembre 2022, Marc Abensour, ancien ambassadeur de France à Singapour lui a succédé.

* 24 En août 2022, la frégate de surveillance Prairial a participé à l'exercice Rimpac 2022, qui a réuni cette année près de 25 000 militaires de 26 pays différents et mobilisé plus de 40 bâtiments et 150 aéronefs.

* 25 La marine indonésienne a invité la Fédération de Russie, ainsi que les États-Unis, le Canada, la Corée du Nord, la Corée du Sud et 42 autres États à participer aux exercices militaires de Komodo.

* 26 Et en mer Méditerranée l'autre année.

* 27 Australie, France, Allemagne, Indonésie, Inde, Singapour, Japon, République de Corée, Royaume-Uni, Philippines, Thaïlande, Émirats arabes unis, Canada, Pays-Bas, Malaisie, Nouvelle-Zélande et les États-Unis. L'Allemagne, le Japon et la Corée du Sud participaient pour la première fois à l'exercice.

* 28 En février 2022, le gouvernement indonésien a conclu un accord pour l'acquisition de 42 Rafale.

* 29 Voir la note n°37/2022 de la Fondation pour la recherche stratégique « La France, une puissance d'initiatives en Indo-Pacifique », publié par Antoine Bondaz, le 15 novembre 2022 sur le site de la FRS à l'adresse suivante : https://www.frstrategie.org/publications/notes/france-une-puissance-initiatives-indo-pacifique-2022

* 30 Les développements suivants reprennent les réponses au questionnaire adressé par les rapporteurs à la Direction générale du Trésor.

* 31 Estimation qui atteint 26 000 Mds USD, soit 1 700 Mds USD par an, en prenant en compte des coûts d'adaptation engendrés par le changement climatique.

* 32 Le Fonds d'études et d'aide au secteur privé permet de financer sous forme de dons des études de faisabilité en amont de projets d'infrastructures sur lesquels les entreprises françaises pourraient se positionner, ainsi que des démonstrateurs de solutions industrielles innovantes.

* 33 Ils permettent de financer à des conditions financières très favorables (35% d'élément-don au sens de l'OCDE), des projets d'infrastructures ou de services non-rentables, avec un fort impact social et développemental, les secteurs de l'eau et de la santé étant privilégiés.

* 34 Ils permettent de financer des projets publics même rentables. Lorsque le projet est de taille importante, il peut intervenir en cofinancement de crédits bancaires garantis par l'État français. La distribution de prêts directs est conditionnée à l'existence de projets viables comportant une part française suffisante.

* 35 Y compris dans les DROM-COM de l'océan Indien et du Pacifique (Réunion, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie française) où le rôle de l'AFD correspond à celui de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) en métropole (financement du logement, etc.).

* 36 Voir le Rapport d'information n° 520 (2017-2018) de M. Pascal Allizard, Mme Gisèle Jourda, co-rapporteurs et MM. Édouard Courtial et Jean-Noël Guérini, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, intitulé « Pour la France, les nouvelles routes de la soie : simple label économique ou nouvel ordre mondial ? ».

* 37 En témoigne la cession du port d'Hambantota au Sri Lanka.

* 38 La Polynésie française est située à 7 000 km de l'Amérique du Sud, soit la même distance que l'Australie et la moitié de la distance séparant Papeete de Paris.

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