N° 302

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er février 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) ,

Par M. Philippe DOMINATI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

Philippe Dominati, rapporteur spécial des crédits de la mission « Sécurités » a présenté, le 1 er février 2023, les conclusions de son contrôle budgétaire sur la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) de la direction générale de la police nationale.

Dans le contexte du projet de réforme de l'organisation de la police nationale, la DCPJ a récemment été mise sous le feu des projecteurs. La présente mission de contrôle a cependant été lancée bien en amont de cette réforme, avec pour objectif d'appréhender globalement les missions et l'efficacité de la DCPJ. Elle sera prochainement suivie des conclusions de la mission d'information de la commission des lois du Sénat sur l'organisation de la police judiciaire 1 ( * ) .

La DCPJ est un service de police judiciaire ; à ce titre, ses services, comme ceux d'autres directions de la police nationale et d'autres administrations (gendarmerie nationale, douanes, etc .) ont une vocation répressive. Ils recherchent les infractions, en rassemblent les preuves et en livrent les auteurs aux tribunaux, du vol de vélo au trafic international de stupéfiants.

La DCPJ est chargée de traiter le « haut du spectre » de la criminalité , à savoir en particulier la criminalité organisée, le terrorisme et les crimes et délits les plus graves et les plus complexes. Les affaires confiées aux services de la DCPJ représentent ainsi une part statistiquement marginale de la criminalité, mais particulièrement préjudiciable à la société . Dotée de moyens relativement satisfaisants, la DCPJ obtient des résultats probants, notamment en termes de taux d'élucidation des affaires qu'elle traite.

Aujourd'hui, la DCPJ est concernée par un projet de réforme de l'organisation de la police nationale. Si la nécessité de réformer l'organisation de la police nationale doit être soulignée, le projet de réforme en question suscite des inquiétudes légitimes pour ce qui concerne la police judiciaire.

I. LA DCPJ OBTIENT DES RÉSULTATS PROBANTS DANS LA LUTTE CONTRE LE HAUT DU SPECTRE DE LA CRIMINALITÉ, AVEC DES MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS RELATIVEMENT SATISFAISANTS

A. AU SEIN D'UNE ORGANISATION ÉTATIQUE DES SERVICES DE POLICE JUDICIAIRE PROTÉIFORME, LA DCPJ TRAITE AVEC EFFICACITÉ DU « HAUT DU SPECTRE » DE LA CRIMINALITÉ

La DCPJ constitue l'un des différents services de l'État compétents en matière de police judiciaire. Cette dernière relève en effet de différents services et de plusieurs administrations : police nationale, gendarmerie nationale, mais également douanes, services fiscaux, etc . Dans tous les cas, les personnels habilités exercent leurs missions de police judiciaire sous l'autorité directe du procureur ou du juge d'instruction en charge de l'affaire.

Au sein de la police nationale, la DCPJ, héritière des « brigades du Tigre » créées par Georges Clemenceau en 1907, a par principe la charge du traitement des affaires de tout type les plus graves , complexes ou spécialisées, et des affaires relevant de la criminalité organisée ou du terrorisme. Elle s'appuie, pour ce faire, sur ses services centraux et territoriaux. Dans le périmètre géographique de compétence de la préfecture de police de Paris, la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ-PP) exerce les mêmes missions, bien qu'un peu plus larges, sous l'autorité directe du préfet de police, et non de la DCPJ.

Les affaires confiées aux services de la DCPJ et de la DRPJ-PP représentent ainsi une part statistiquement marginale de la criminalité, mais particulièrement préjudiciable à la société. Par ailleurs, la DCPJ exerce des missions transversales au bénéfice de l'ensemble des services de police judiciaire, aux premiers rangs desquels la gestion de la coopération opérationnelle policière internationale et de la majorité des offices centraux interministériels de police judiciaire, qui ont notamment vocation à coordonner le travail des différents services d'investigation dans leurs domaines de compétence.

D'autres services de la police nationale prennent en charge les affaires judiciaires que ne traitent pas les services de la DCPJ, soit la très grande majorité. Il s'agit en particulier de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) , dont la part des effectifs en charge de missions de police judiciaire traite l'essentiel de la délinquance relevant de la police nationale.

Pour les affaires qui lui sont confiées, les services de la DCPJ obtiennent des résultats probants. Le taux d'élucidation des affaires varie ainsi de 74 % pour les contrefaçons à 95 % pour les affaires de trafic de stupéfiants . Ces taux sont notablement plus élevés que les taux moyens d'élucidation des différents services de la police nationale.

Le fonctionnement de la DCPJ connaît toutefois certains écueils, qui touchent d'ailleurs l'ensemble des services de police judiciaire de la police nationale. Tout d'abord , ses services ne sont pas compétents dans le périmètre géographique de la préfecture de police de Paris , situation qui peine aujourd'hui à être justifiée. En outre, la répartition du traitement des affaires fait parfois l'objet d'une certaine concurrence entre services de la police nationale , tout comme le partage de l'information, ce qui est préjudiciable à toute la filière. Enfin, le système des offices centraux interministériels de police judiciaire connaît un succès variable.

B. FACE À UNE CRIMINALITÉ TOUJOURS PLUS COMPLEXE ET SOPHISTIQUÉE, LA DCPJ S'APPUIE SUR DES MOYENS RELATIVEMENT SATISFAISANTS MAIS LOIN D'ÊTRE SURDIMENSIONNÉS

Les services de la DCPJ sont aujourd'hui confrontés à des faits criminels de plus en plus complexes et sophistiqués. La criminalité organisée, en particulier, s'est « mondialisée, complexifiée et massifiée », selon les termes de la direction générale de la police nationale. En outre, le développement technologique (informatique, crypto-monnaies, téléphonie, etc .) offre de nouvelles opportunités pour les criminels.

Dans ce contexte, la DCPJ dispose de moyens certains, mais en réalité loin d'être surdimensionnés . Si ses moyens financiers sont en hausse apparente, l'analyse budgétaire se révèle difficile en raison d'une faible lisibilité de l'architecture du programme 176 « Police nationale ». En 2021, selon la DGPN, les crédits du budget opérationnel de programme (BOP) n° 9 « police judiciaire et coopération internationale » (qui correspond au périmètre de la DCPJ) étaient de 28,9 millions d'euros en crédits de paiement. Néanmoins, ce BOP ne couvre qu'une partie des crédits qui financent la DCPJ.

Ses moyens en matériels sont globalement satisfaisants, en dépit de besoins à souligner, notamment s'agissant des équipements de pointe, des véhicules et dans le domaine du numérique. Il est d'ailleurs nécessaire que les moyens supplémentaires annoncés par la très récente LOPMI 2 ( * ) , à savoir une hausse cumulée du budget du ministère de l'Intérieur de 15 milliards d'euros sur les cinq années 2023 à 2027, soient en partie orientés vers l'augmentation des moyens matériels et technologiques consacrés à la lutte contre le haut du spectre de la criminalité, plutôt que sur de nouvelles dépenses de personnel, a fortiori catégorielles.

De même, si les effectifs de la DCPJ sont peu nombreux en proportion de ceux de la police nationale, ils sont ajustés à la part de la criminalité prise en charge par la DCPJ. Les effectifs de la DCPJ sont ainsi de 5 600 personnels, présents à 70 % dans les services déconcentrés. En revanche, des difficultés de recrutement apparaissent depuis quelques années, en particulier dans certains domaines ou pour certains corps . Alors qu'en 2018, 79 % des postes ouverts par la DCPJ à la mobilité interne des policiers dans le corps de commandement avaient été pourvus, ce taux était descendu à 37,5 % en 2021. En outre, le recours aux contractuels hautement qualifiés est aujourd'hui trop faible, y compris dans des domaines très techniques comme les crypto-monnaies par exemple. En outre, le sujet des formations initiale et continue des personnels doit être priorisé.

Par ailleurs, alors que certains services de la DCPJ s'appuient sur des moyens certains pour obtenir des résultats significatifs, à l'image de l'office antistupéfiants (OFAST) depuis sa création en 2020, d'autres services semblent disposer de moyens limités , en particulier en effectifs, au regard de leurs missions. Il en va notamment ainsi de la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF) et des deux offices centraux qu'elle chapeaute.

II. LA DCPJ EST AUJOURD'HUI CONCERNÉE PAR UN PROJET DE RÉFORME D'AMPLEUR DE LA POLICE NATIONALE, DONT LES MODALITÉS SUSCITENT DES INQUIÉTUDES S'AGISSANT DE LA POLICE JUDICIAIRE

A. UN PROJET DE RÉFORME PROFONDE DE LA POLICE NATIONALE AFFECTE DE MANIÈRE SIGNIFICATIVE LA DCPJ

Le constat d'un besoin de réforme de la police nationale fait l'objet d'un consensus. La police nationale manque aujourd'hui de cohésion et d'unité, ce qui génère des pertes d'information, d'efficacité et parfois même des logiques de concurrence.

Dans ce contexte, une grande réforme organisationnelle de la police nationale a été proposée par le livre blanc de la sécurité intérieure, publié en novembre 2020, s'appuyant sur des principes de transversalité, de décloisonnement, de déconcentration et de proximité avec le terrain. C'est sur ces bases qu'a été présenté, sans être formalisé, le projet de réforme aujourd'hui envisagé, et dont la mise en oeuvre est en partie engagée.

Le projet de réforme de l'organisation de la police nationale comprend deux axes principaux . D'une part, seraient créées quatre filières « métiers » dans le but évoqué de répondre à l'éclatement de missions entre directions : la sécurité et la paix publiques, le renseignement territorial, la police judiciaire, et les frontières et l'immigration irrégulière.

D'autre part, l'organisation centrale et territoriale de la police nationale serait modifiée afin d'établir des chefs de police compétents sur l'ensemble des filières aux échelons départemental et zonal. À l'échelon central, les quatre filières seraient chapeautées par des directions « nationales » , en lieu et place des directions centrales actuelles. Ces dernières se verraient retirer leurs missions de gestion d'un budget propre et de leurs personnels déconcentrés, sur lesquels leur ancienne autorité hiérarchique serait réduite à une autorité fonctionnelle . Elles seraient recentrées sur leur rôle de pilotage stratégique de la filière. À l'échelon déconcentré, serait installé un directeur départemental de la police nationale (DDPN) ayant une autorité hiérarchique sur les directeurs de chacune des filières et leurs services. Le DDPN serait lui-même placé sous l'autorité directe du préfet. Cette organisation serait déclinée au niveau zonal, selon des modalités qui restent à préciser.

De premiers éléments de la réforme ont déjà été mis en oeuvre . Tout d'abord, une nouvelle organisation de la police nationale a été mise en place dans les outre-mer . Elle réunit au sein d'une direction territoriale de la police nationale (DTPN) les différents corps de métiers de police dans chacun de ces territoires : sécurité publique, renseignement territorial, police aux frontières et police judiciaire. En outre, cette nouvelle organisation intégrée est expérimentée, sous la forme de directions départementales de la police nationale (DDPN), dans plusieurs départements de l'Hexagone depuis 2021.

Le projet de réforme recouvre ainsi notamment la DCPJ, via ses deux grands axes. D'une part, la réforme intègrerait la DCPJ à une nouvelle filière investigation plus large regroupant en particulier les effectifs de la DCPJ et ceux de la DCSP en charge de missions de police judiciaire. La mise en place d'une telle « filière investigation » constitue une déclinaison de la volonté d'organiser la police nationale en différents métiers. Mais elle vise en réalité également à répondre à des enjeux spécifiques à l'investigation et en particulier à l'engorgement des services d'investigation de la DCSP, à son déficit d'encadrement et, surtout, à un taux d'élucidation global en baisse au sein de la police nationale.

D'autre part, dans le cadre de la création des DDPN, les services actuels de la DCPJ dépendraient, aux côtés de ceux de la DCSP compétents en matière de police judiciaire, d'un directeur local de filière, lui-même sous l'autorité hiérarchique du DDPN, à son tour soumis au préfet. Le schéma serait similaire à l'échelon zonal.

B. LE PROJET DE RÉFORME ENVISAGÉ DOIT ENCORE ÊTRE MODIFIÉ S'AGISSANT DE LA POLICE JUDICIAIRE ET DOIT S'ACCOMPAGNER D'AUTRES MESURES

S'il est nécessaire de réformer la police nationale et de répondre rapidement à l'engorgement des services de la DCSP, les modalités de la réforme aujourd'hui envisagées présentent des risques s'agissant de la police judiciaire, et en particulier de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité. Les auditions et déplacements conduits par le rapporteur spécial ont d'ailleurs été l'occasion de constater les inquiétudes fortes , pour une part tout à fait légitimes, de la majorité des personnes rencontrées, s'agissant de la police judiciaire.

Trop peu concerté et faisant l'objet d'un manque d'adhésion des personnels de la DCPJ, le projet de réforme souffre en outre notamment d'un écueil structurel s'agissant de la filière investigation : son échelon privilégié, à savoir le département. Héritiers des brigades du Tigre dont la création répondait justement au besoin d'une lutte contre certains types de criminalité dans un cadre géographique étendu, les services en charge de la lutte contre la criminalité la plus grave, complexe et spécialisée ne devront pas être corsetés par un cadre géographique trop étriqué .

Certaines modalités de la réforme initialement évoquées ont d'ailleurs été précisées ou ont fait l'objet de tempéraments. En outre, la vigilance du Parlement a permis d'inscrire, notamment à l'initiative des rapporteurs de la commission des lois du Sénat 3 ( * ) , dans le rapport annexé à la très récente loi LOPMI 4 ( * ) des mesures de sauvegarde importantes concernant la police judiciaire.

Il n'en demeure pas moins que le projet de réforme pose des difficultés s'agissant de la police judiciaire et doit être modifié.

En outre, la réforme devra être complétée par d'autres mesures , concernant notamment la dichotomie au sein de la police judiciaire entre la préfecture de police et le reste de la police nationale et s'agissant de certains besoins en matériels et en termes de compétences des services en charge de la lutte contre le haut du spectre de la criminalité. De plus, il est nécessaire de répondre à l'engorgement des services de la DCSP, sans déshabiller la DCPJ.

I. LA DCPJ OBTIENT DES RÉSULTATS PROBANTS DANS LA LUTTE CONTRE LE HAUT DU SPECTRE DE LA CRIMINALITÉ, AVEC DES MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS RELATIVEMENT SATISFAISANTS

A. AU SEIN D'UNE ORGANISATION ÉTATIQUE DES SERVICES DE POLICE JUDICIAIRE PROTÉIFORME, LA DCPJ TRAITE AVEC EFFICACITÉ DU « HAUT DU SPECTRE » DE LA CRIMINALITÉ

La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) de la police nationale constitue l'un des services de l'État compétents en matière de police judiciaire. Elle traite, tant à l'échelon central que dans ses services déconcentrés, du « haut du spectre » de la criminalité, c'est-à-dire une part de la criminalité statistiquement relativement marginale mais particulièrement préjudiciable à la société. Elle obtient en la matière des résultats très probants. En revanche, la répartition entre services de police judiciaire du traitement de la délinquance et le partage de l'information entre eux, y compris concernant la DCPJ, apparaissent encore insatisfaisants.

1. La DCPJ constitue l'un des nombreux services de l'État compétents en matière de police judiciaire
a) La définition, les acteurs et les procédures de la police judiciaire
(1) La police judiciaire, un terme polysémique

La notion de police judiciaire renvoie à différentes définitions , qu'il convient de distinguer 5 ( * ) .

Des points de vue juridique et fonctionnel , la police judiciaire se définit par rapport à la notion de police administrative. Cette dernière a une vocation préventive : elle vise à maintenir l'ordre public et à prévenir la commission d'infractions. À l'inverse, la police judiciaire a une vocation répressive : comme l'indiquait l'article 20 du code des délits et des peines du 3 brumaire, an IV, elle « recherche les délits que la police administrative n'a pu empêcher de commettre, en rassemble les preuves et en livre les auteurs aux tribunaux chargés par la loi de les punir ». Cette définition fonctionnelle, qui renvoie à la mission centrale d'investigation, est aujourd'hui reprise, sous réserve de différences rédactionnelles, par l'article 14 du code de procédure pénale qui énonce que la police judiciaire « est chargée (...) de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs (...) ». Lors de son audition, le directeur central de la police judiciaire, M. Jérôme Bonet, a ainsi résumé le rôle de la police judiciaire : « administrer la preuve et déférer les personnes en cause devant les tribunaux ».

La police judiciaire répond également à une définition organique et renvoie alors à l'ensemble des services de police judiciaire de l'État, qu'ils relèvent du ministère de l'Intérieur (police nationale et gendarmerie nationale) ou d'autres ministères, parmi lesquels ceux en charge des finances ou de l'environnement 6 ( * ) .

Enfin, dans les terminologies courante et policière , le terme de « police judiciaire » ou « PJ » fait le plus souvent référence à la direction centrale de la police judiciaire ( DCPJ ) et à ses services territoriaux, ainsi qu'à la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris ( DRPJ-PP ), le « 36 » 7 ( * ) , autonome de la DCPJ et répondant à l'autorité du préfet de police de Paris.

Le présent rapport s'appuie principalement sur cette dernière définition, puisqu'il porte sur la DCPJ. Néanmoins, l'action de cette dernière s'inscrivant dans les cadres juridique, fonctionnel et organique de la police judiciaire, les relations croisées entre ces différentes définitions le nourrissent également.

(2) Les acteurs et les procédures de la police judiciaire

La police judiciaire est, par définition, « judiciaire ». C'est donc fort logiquement qu'elle constitue avant tout une prérogative de l'autorité judiciaire . Comme l'énonce l'article 12 du code de procédure pénale « La police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre ». Lorsqu'un juge d'instruction a été désigné, c'est lui qui exerce cette autorité. Plus largement, le procureur de la République ou le juge d'instruction dirigent l'action et l'accomplissement des procédures par les personnels de police judiciaire . En revanche, d'un point de vue administratif, ces derniers ne relèvent pas du pouvoir judiciaire mais du pouvoir exécutif . Il est donc possible de considérer schématiquement que les personnels en charge des missions de police judiciaire relèvent hiérarchiquement, notamment pour leur affectation et leur carrière, du pouvoir exécutif et fonctionnellement de l'autorité judiciaire, dans le déroulé des enquêtes.

L'article 15 du code de procédure pénale instaure quatre capacités de police judiciaire : officier de police judiciaire (OPJ), agent de police judiciaire (APJ), agent de police judiciaire adjoint (APJA) ainsi que fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées certaines fonctions de police judiciaire. Comme le rappelle le Conseil d'État 8 ( * ) , pour chacune de ces capacités, l'étendue et la nature des prérogatives de police judiciaire exercées sont fonction des exigences qui conditionnent l'attribution aux agents de la qualité correspondante. Elles sont donc décroissantes pour les OPJ, APJ et, enfin, les APJA. Ainsi, les garanties exigées pour avoir la qualité d'OPJ, définies par l'article 16 du code de procédure pénale, justifient que les OPJ disposent des prérogatives de police judiciaire les plus étendues et de pouvoirs propres, notamment celui de décider du placement d'une personne en garde à vue et des actes d'enquête les plus coercitifs ou les plus intrusifs. Pour les fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées certaines fonctions de police judiciaire, leurs prérogatives peuvent être importantes mais sont limitées à un domaine particulier.

Les conditions d'acquisition de la qualité et d'exercice
des missions d'OPJ, d'APJ et d'APJA

L'acquisition de la qualité d'OPJ résulte de la réussite à un examen, comportant des épreuves théoriques et techniques 9 ( * ) . Néanmoins la qualité d'OPJ ne suffit pas pour exercer les fonctions correspondantes. En effet, l'intéressé doit être affecté à un emploi comportant l'exercice des fonctions d'OPJ et recevoir une habilitation personnelle de la part de l'autorité judiciaire. Cette habilitation peut, selon les services d'affectation, présenter un périmètre géographiquement plus ou moins étendu, variant de l'échelon départemental à l'échelon national. Les OPJ de la DCPJ sont par exemple le plus souvent dotés d'une compétence nationale s'agissant des services centraux et interrégionale s'agissant des services territoriaux.

Les conditions d'acquisition de la qualité d'APJ sont moins strictes : disposent de cette qualité notamment les élèves-gendarmes affectés en unité opérationnelle et les gendarmes n'ayant pas la qualité d'OPJ, ainsi que les fonctionnaires des services actifs de la police nationale, titulaires et stagiaires n'ayant pas la qualité d'OPJ. Peuvent exercer les attributions attachées à la qualité d'APJ les personnels affectés à un emploi comportant cet exercice, sans besoin d'une habilitation judiciaire préalable.

Enfin, sont APJA notamment les fonctionnaires des services actifs de la police nationale qui ne sont ni APJ ni OPJ, les agents de police municipale et les gardes champêtres. L'habilitation judiciaire préalable n'est pas nécessaire pour l'exercice des missions d'APJA. 10 ( * )

Il convient par ailleurs de noter que les différents personnels habilités en matière de police judiciaire n'exercent pas tous des missions de police judiciaire à titre exclusif. Ainsi, un certain nombre d'entre eux, notamment au sein des services de la direction centrale de la sécurité publique de la police nationale, exercent également des missions de police administrative, comme le maintien de la paix publique via les patrouilles. C'est d'ailleurs parfois à cette occasion qu'ils constatent une infraction et entrent alors dans le cadre juridique du traitement de la délinquance, et donc de la police judiciaire.

Les personnels en charge de missions de police judiciaire s'appuient pour mener leurs enquêtes, sous l'autorité et la direction du procureur de la République ou du juge d'instruction, sur le droit applicable et en particulier le code de procédure pénale. Différents cadres d'enquête sont ainsi prévus. Certaines enquêtes s'appuient ainsi sur une initiative policière, qu'il s'agisse soit d'une enquête de flagrance en cas de délit ou crime flagrant, soit d'une enquête préliminaire, lorsque les conditions de la flagrance ne sont pas réunies. D'autres enquêtes sont déléguées aux personnels de police judiciaire par un magistrat, sur commission rogatoire ou dans le cadre d'enquêtes spécifiques de mort suspecte, de recherche des causes de la mort, de recherche des causes des blessures graves, de disparition inquiétante ou de localisation d'un fugitif. Chaque cadre d'enquête prévoit des prérogatives spécifiques pour les personnels de police judiciaire et des procédures particulières, une certaine complexité en résultant 11 ( * ) .

b) La police judiciaire vise à réprimer une délinquance qui peut être catégorisée en plusieurs types

La police judiciaire traite de l'ensemble de la délinquance, « du vol de vélo au trafic international de stupéfiants », selon les termes utilisés par le procureur de la République de Rennes, M. Philippe Astruc, lors de son audition. Elle traite de l'ensemble du champ infractionnel.

La délinquance peut ainsi être ventilée en trois strates 12 ( * ) , de gravité et/ou de complexité croissante.

La délinquance du quotidien renvoie au premier niveau ; elle correspond notamment aux atteintes aux biens de gravité limitée (vols à la tire, vols à l'étalage, dégradations, etc .) et aux atteintes aux personnes sans préjudice physique (menaces, incivilités, etc .). Ce type de délinquance constitue, numériquement, la masse la plus importante des faits enregistrés par les forces de sécurité intérieure.

La délinquance de complexité ou de gravité intermédiaire correspond au deuxième niveau ; elle renvoie notamment aux atteintes aux biens à caractère sériel (cambriolages, vols à main armée, vols d'automobiles, etc .) sans toutefois relever d'organisations criminelles structurées, aux atteintes graves aux personnes (certaines infractions à caractère sexuel, certaines formes de proxénétisme, certains homicides, etc .) ou encore au trafic de stupéfiants de rue ou à certaines escroqueries.

Le troisième et dernier niveau correspond à la délinquance spécialisée, à la criminalité organisée et au terrorisme . Numériquement, les faits relevant de la criminalité organisée ou du terrorisme sont peu nombreux sur le territoire national, mais ils représentent une menace significative et nécessitent la mise en oeuvre de moyens spécialisés. De même, la délinquance spécialisée, comme par exemple en matière d'infractions économiques et financières complexes, cause des dommages élevés et nécessite un traitement spécifique et spécialisé.

Cette ventilation de la délinquance par strate est schématique. En effet, certaines infractions se situent entre deux strates de délinquance, tandis que certains délinquants recourent à plusieurs niveaux de délinquance simultanément. Elle permet toutefois notamment d'éclairer l'organisation du traitement de la délinquance par les services de police judiciaire.

Enfin, d'un point de vue géographique , les actes infractionnels peuvent intervenir soit en « zone police », soit en « zone gendarmerie ».

c) Une délinquance dont la localisation, le type et le niveau de gravité appellent la compétence de principe de différents services de police judiciaire, sans préjudice du choix souverain de l'autorité judiciaire

Les services de l'État compétents en matière de police judiciaire relèvent de plusieurs ministères et de plusieurs directions générales et centrales. Si le procureur de la République ou le juge d'instruction dispose in fine d'une autorité souveraine dans le choix du service d'investigation, des critères de répartition entre services s'appliquent concrètement.

(1) Le choix souverain du service d'investigation par l'autorité judiciaire

L'article 12-1 du code de procédure pénale précise que « le procureur de la République et le juge d'instruction ont le libre choix des formations auxquelles appartiennent les officiers de police judiciaire », tandis que l'article D2 du même code énonce, dans le même sens, en son avant-dernier alinéa, que « Le procureur de la République et le juge d'instruction ont le libre choix des formations auxquelles appartiennent les officiers de police judiciaire territorialement compétents qui seront chargés de l'exécution de leurs réquisitions ou commissions rogatoires ».

Il en résulte qu' il est loisible aux procureurs de la République et aux juges d'instruction de confier tous types d'enquêtes à un ou plusieurs services compétents de leur choix , et notamment aux différents services de la police et de la gendarmerie nationales.

(2) Des services d'investigation nombreux, dont la compétence fait l'objet de principes de répartition

Les services de l'État compétents en matière de police judiciaire sont relativement nombreux et relèvent de plusieurs ministères et de plusieurs directions générales.

Afin de permettre la bonne organisation, l'efficacité et, le cas échéant, la spécialisation des services d'investigation, des principes de répartition des types d'affaires ont donc été posés tant entre administrations qu'entre services d'investigation au sein de celles-ci. Des protocoles ont également été dans certains cas conclus en leur sein et avec le ministère de la Justice pour en assurer, autant que faire se peut, le respect effectif. Le procureur de la République ou le juge d'instruction compétent peut toujours décider de faire exception à ces critères ; mais concrètement, il ne le fait que pour une faible part des dossiers.

(a) Les différents services de l'État compétents en matière de police judiciaire
(i) Les services du ministère de l'Intérieur et de la préfecture de police de Paris compétents en matière de police judiciaire

Les services du ministère de l'Intérieur, y compris ceux de la préfecture de police de Paris, sont chargés de l'essentiel de la mission globale de police judiciaire.

D'une part, la direction générale de la police nationale (DGPN) et les services de police de la préfecture de police de Paris traitent, pour la zone géographique relevant de la police, des missions de police judiciaire au sein de plusieurs directions compétentes en la matière, selon le cas, à titre principal ou subsidiaire. Au total, sont concernés par des missions de police judiciaire au sein de la police nationale 46 161 personnels, selon les documents budgétaires 13 ( * ) .

La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) , présentée en détails infra , constitue un service de la police nationale spécialisé dans les missions de police judiciaire, compétent en particulier en ce qui concerne la délinquance grave, complexe, spécialisée, organisée, transnationale ou terroriste . Ses activités, aux niveaux central et déconcentré, sont ainsi centrées à titre quasi-exclusif sur des missions de police judiciaire pour le haut du spectre , voire le très haut du spectre, de la criminalité . Ses compétences recouvrent une partie du troisième niveau de délinquance mais également une faible partie du deuxième niveau 14 ( * ) . Ses effectifs sont de 5 673 personnels, dont 3 800 enquêteurs. Au sein de l'organisation autonome de la préfecture de police de Paris, la direction régionale de police judiciaire de la préfecture de police de Paris ( DRPJ-PP ), qui ne relève pas de l'autorité de la DCPJ, effectue des missions quasiment identiques dans son périmètre géographique de compétence . Ses effectifs sont d'un peu plus de 2 200 personnels.

La direction centrale de la sécurité publique (DCSP) constitue la direction généraliste de la police nationale . Ses missions sont très diverses, s'étalant notamment de la sécurité de proximité et du maintien de la paix publique à la police judiciaire, en passant par le renseignement territorial. Près de 30 % des personnels de la DCSP sont dédiés à des missions de police judiciaire, soit environ 17 400 sur un total de 65 000 personnels, répartis notamment dans les sûretés départementales et sûretés urbaines des circonscriptions de sécurité publique et dans les directions départementales de la sécurité publique. La DCSP traite, avec la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne de la préfecture de police de Paris ( DSPAP ), de la masse des missions de police judiciaire au sein de la police nationale : s'occupant de la quasi-totalité de la délinquance de premier niveau en zone police, elle traite également de l'essentiel de la masse des infractions de deuxième niveau et d'une partie des infractions de troisième niveau, lorsqu'elles ne sont pas attribuées à la DCPJ.

Le service national de police scientifique (SNPS) , créé par un décret n° 2020-1779 du 30 décembre 2020 15 ( * ) , est rattaché directement au DGPN . Jusqu'en 2017, il s'agissait d'une sous-direction de la DCPJ. Ce service réunit et pilote au sein d'une structure unique l'ensemble des acteurs de la police scientifique de la police nationale et de la préfecture de police de Paris, quelles que soient les directions d'appartenance, au sein de 622 sites d'implantation répartis sur l'ensemble du territoire national. Ses 1 245 personnels concourent directement aux missions de police judiciaire sous ses angles scientifiques et techniques (examens, constatations, expertises, recherches, analyses scientifiques, etc .).

Enfin, d'autres directions centrales, et leurs services déconcentrés, de la DGPN traitent, à titre plus ou moins subsidiaire de missions de police judiciaire . La direction centrale de la police aux frontières ( DCPAF ), dont la mission centrale est de lutter contre l'immigration clandestine et de faire respecter la règlementation sur le droit au séjour en France, exerce ainsi des missions nombreuses de police judiciaire pour les infractions associées. La direction centrale des compagnies républicaines de sécurité ( DCCRS ), dont la mission principale est de maintenir et de rétablir l'ordre (violences urbaines, mouvements sociaux, diverses manifestations, etc .), exerce également des missions de police judiciaire s'agissant des infractions autoroutières. Par ailleurs, la direction générale de la sécurité intérieure ( DGSI ), qui ne relève pas de l'autorité de la DGPN mais constitue toutefois un service actif de la police nationale, dispose de compétences spécifiques de police judiciaire, notamment en matière d'enquête sur les infractions liées au terrorisme.

D'autre part, si le terme de « police » judiciaire pourrait induire en erreur de ce point de vue, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) dispose bien évidemment d'une compétence de même nature que la police nationale en matière de police judiciaire.

Les personnels de la gendarmerie nationale compétents en matière de police judiciaire traitent ainsi par principe de l'ensemble des infractions commises en « zone gendarmerie », qu'ils relèvent du premier, du deuxième ou du troisième niveau de délinquance.

La mission de police judiciaire s'exerce au sein de la gendarmerie nationale conformément à son organisation pyramidale hiérarchisée et à ses principes de complémentarité et de subsidiarité. Ainsi, en fonction de leur gravité et de leur technicité croissantes, les affaires relèvent :

- soit, par principe, de la compétence des personnels généralistes de la brigade ou de la compagnie ;

- soit, pour les affaires les plus graves ou complexes, des formations spécialisées de police judiciaire : les brigades de recherche (au niveau du groupement départemental) ou les sections de recherche (au niveau de la région de gendarmerie).

Organisation des formations spécialisées de police judiciaire
dans la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes 16 ( * )

Source : région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes

Au niveau central, la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) de la DGGN suit, appuie et coordonne l'activité de police judiciaire des différentes unités de gendarmerie.

(ii) Les autres services compétents en matière de police judiciaire

Si l'essentiel de la fonction de police judiciaire est effectué par les personnels du ministère de l'Intérieur compétents en la matière, d'autres fonctionnaires dépendant d'autres ministères sont également compétents dans des domaines spécifiques.

En premier lieu, certains fonctionnaires dépendant de différentes administrations sont spécialement habilités à exercer certaines missions de police judiciaire . L'article 28 du code de procédure pénale précise ainsi que « les fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire exercent ces pouvoirs dans les conditions et dans les limites fixées par ces lois ». Ils disposent souvent de prérogatives importantes, parfois plus larges que celles des OPJ ou APJ, mais dans des domaines limités. Ces fonctionnaires relèvent notamment des ministères compétents en matière de travail, de transports, de santé, d'économie, etc .

En deuxième lieu, certains personnels relevant du ministère en charge des finances 17 ( * ) ont des compétences de police judiciaire . Ainsi, en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale, des agents des douanes, spécialement désignés, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires pour les infractions prévues par le code des douanes. L'article 28-2 du même code prévoit des dispositions similaires pour les agents des services fiscaux pour certaines infractions au code général des impôts et le blanchiment de ces infractions. Surtout, en application du décret n° 2019-460 du 16 mai 2019 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « service d'enquêtes judiciaires des finances » ( SEJF ), rattaché conjointement au directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI) et au directeur général des finances publiques (DGFIP), ses personnels composés d'officiers de douane judiciaire et d'officiers fiscaux judiciaires sont compétents pour rechercher et constater certaines infractions prévues par le code des douanes et le code général des impôts.

En dernier lieu, en application de l'article 28-3 du code de procédure pénale, des inspecteurs de l'environnement compétents pour la recherche et la constatation des infractions portant atteinte à l'environnement affectés à l'Office français de la biodiversité, spécialement désignés, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires. En outre, en application des articles 22 à 24 du même code, les agents des services de l'État chargés des forêts, les agents de l'Office national des forêts et les gardes champêtres peuvent également se voir conférer des missions de police judiciaire dans leurs domaines de compétences.

(b) Des principes de répartition des compétences entre services s'appliquent

La répartition des affaires entre les différents services répond finalement à plusieurs critères :

- le domaine de l'infraction dans certains cas (code des douanes, forêts, fiscalité, etc .) ;

- la localisation de l'infraction (en particulier entre zone gendarmerie et zone police et au sein de cette dernière entre le périmètre géographique de la préfecture de police et le reste du territoire) ;

- la gravité, la complexité et la spécialisation de l'infraction (en particulier pour distinguer la compétence des services généralistes de la DCSP, de la DSPAP de la préfecture de police de Paris ou des brigades de gendarmerie et celle des services spécialisés de police judiciaire de la DCPJ de la police nationale ou des brigades de recherche ou sections de recherche de la gendarmerie nationale).

La répartition des compétences a dans certains cas été précisée et formalisée par différents protocoles .

Sur le même principe que le protocole conclu le 25 avril 2006 entre la DGGN et le ministère de la Justice, un protocole cadre a ainsi été signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice concernant les missions de police judiciaire. Ce dernier, qui est en vigueur, vise à définir le cadre d'une répartition des compétences judiciaires entre les services de la DCPJ et de la DCSP « en favorisant une adaptation des moyens humains, matériels et techniques des services en charge de ces missions conformément aux principes de répartition qu'il fixe ». Le protocole prévoit en outre qu'il soit prolongé localement et adapté aux spécificités de chaque ressort géographique, par l'élaboration de protocoles locaux. Après avoir rappelé le principe du libre choix du service d'enquête par l'autorité judiciaire, ce protocole précise, dans un tempérament concret bien que non contraignant à ce principe, la « nécessité de la parfaite information des procureurs de la République et magistrats instructeurs quant aux missions incombant aux services de la DCPJ et de la DCSP et à leur organisation. En effet, la saisine d'un service d'enquête ne saurait être décidée au seul regard de la nature de l'infraction mais doit également tenir compte des moyens dont dispose le service enquêteur dont la saisine est envisagée ». Le protocole énonce enfin la répartition concrète des compétences entre DCPJ et DCSP par catégorie et type d'infractions, comme présenté infra .

2. La DCPJ traite, aux niveaux central et déconcentré, le « haut du spectre » de la criminalité et constitue un acteur central de la coopération policière internationale et du fonctionnement des offices centraux de police judiciaire
a) Héritière des brigades du Tigre, la DCPJ a principalement la charge de la criminalité organisée, grave et complexe et s'occupe de la coopération policière internationale
(1) La DCPJ, souvent présentée comme une police d'élite, est héritière des « brigades du Tigre »

La direction centrale de la police judiciaire est née, sous d'autres formes, à la Belle Époque, sous la III e République, de la volonté de Georges Clemenceau de doter la France d'une « police chargée de seconder l'autorité judiciaire dans la répression des crimes et des délits » 18 ( * ) .

La France se trouve alors confrontée à des bandes organisées de malfaiteurs opérant à main armée sur plusieurs départements, avec des moyens de locomotion rapides, parmi lesquels l'on retient souvent les « bandits d'Hazebrouck », les « chauffeurs de la Drôme » ou la « Caravane à Pépère ».

Face à cette situation, sur proposition de Célestin Hennion, directeur de la Sûreté générale, Georges Clemenceau, alors président du Conseil et ministre de l'intérieur, fonde en 1907 par deux textes réglementaires, les structures qui sont à l'origine de la DCPJ d'aujourd'hui. Par un premier décret, il crée un contrôle général des services de recherches judiciaires placé sous le commandement du commissaire Jules Sébille, qui peut ainsi être considéré comme le premier « patron » de la police judiciaire française. En outre, par un second décret, il instaure douze brigades régionales de police mobile, les « brigades du Tigre » , surnom de Georges Clemenceau, chargées de combattre le crime organisé sur tout le territoire selon des périmètres géographiques de compétence étendus.

Leur création et leur vocation sont expliquées en ces termes par Georges Clemenceau, dans sa circulaire du 4 avril 1908 adressée aux préfets : « En procédant à une telle innovation, le Gouvernement a eu pour but unique de doter notre pays d'un organisme devenu indispensable de préservation sociale . Il a voulu faire rechercher et poursuivre par des agents expérimentés, se déplaçant rapidement, investis d'une compétence étendue, les malfaiteurs de toutes catégories, auxquels l'extension et le perfectionnement des moyens de communication offrent de jour en jour des facilités plus grandes d'évasion et que trop souvent ne peuvent atteindre les polices locales, indépendantes les unes des autres, sans contact de commune à commune, enfermées dans d'étroites et d'infranchissables juridictions » .

Ces brigades, dont la mission exclusive est la police judiciaire, obtiennent rapidement des résultats significatifs. Elles voient leur nombre s'accroître rapidement et atteindre 19 en 1920. En 1947, elles deviennent les services régionaux de police judiciaire, rattachés à compter de la création de la police nationale en 1966 à la DCPJ.

Logo actuel de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ)

Source : ministère de l'Intérieur

Aujourd'hui, le profil de Georges Clemenceau, associé à l'image d'un tigre, figure toujours sur le logo de la DCPJ.

(2) La DCPJ a principalement la charge de la criminalité organisée, grave et complexe et s'occupe de la coopération policière internationale
(a) Les principales missions de la DCPJ

La DCPJ a pour missions principales :

- de mener les enquêtes contre la criminalité la plus grave, complexe et spécialisée, contre la criminalité organisée et le terrorisme et dans les domaines nécessitant une grande technicité tant en matière financière que criminelle, ou d'importants moyens opérationnels ;

- au niveau opérationnel et au plan national, de centraliser les informations ainsi que de conduire et de coordonner les investigations et les recherches , avec les autres services français concernés de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la DGDDI, en liaison avec la justice et en s'appuyant notamment sur le rôle des offices centraux de la DCPJ 19 ( * ) ;

- de concevoir et de gérer des outils modernes d'enquête ;

- d'analyser la délinquance et la criminalité et de proposer aux autorités, si nécessaire après concertation avec les autres administrations et avec les professionnels du secteur privé (banques, transporteurs de fonds, fournisseurs d'accès à internet, etc .), les améliorations techniques ou juridiques utiles.

Concrètement, s'agissant de son rôle d'investigation opérationnelle, les compétences de la DCPJ et de ses services centraux et déconcentrés sont énoncées par le protocole cadre mentionné supra signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice concernant les missions de police judiciaire. Ce dernier précise que la DCPJ a pour mission, au sein de la police nationale, « la prévention et la répression des formes spécialisées, organisées ou transnationales de la criminalité et du terrorisme » (recoupant une partie du troisième niveau ainsi qu'une faible partie du deuxième niveau de délinquance), alors que la DCSP se charge de « la lutte contre la moyenne et petite délinquance et plus particulièrement la délinquance de voie publique, les violences contre les personnes, les violences urbaines ainsi que la lutte contre le trafic local de stupéfiants ».

La répartition de principe des compétences de police judiciaire au sein de la police nationale entre la DCPJ et la DCSP, par type d'infraction

Le protocole cadre précité signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la DACG du ministère de la Justice concernant les missions de police judiciaire prévoit une répartition de principe des affaires criminelles entre la DCPJ et la DCSP par type d'infractions.

Au sein des atteintes aux personnes , sont, sauf exceptions, de la compétence des services de la DCPJ : les homicides et tentatives d'homicides, les enlèvements et séquestrations de personnes, le proxénétisme organisé au niveau régional, national ou international, la pédopornographie lorsqu'un réseau est impliqué, les viols présentant une particulière gravité (caractère sériel, pluralité de victimes, actes de tortures et de barbarie) et les atteintes à la santé publique ou à la sécurité alimentaire présentant une particulière gravité. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

S'agissant des trafics de stupéfiants , les services de la DCPJ sont compétents lorsqu'est avérée l'existence d'un réseau structuré d'ampleur supra-départementale. Les autres dossiers (en particulier l'usage, la revente et le trafic local) relèvent de la compétence des services de la DCSP.

Concernant les atteintes aux biens , sont de la compétence des services de la DCPJ : les vols à main armée avec arme à feu dirigés contre les établissements bancaires, les transports de fonds et de valeurs, les commerces et établissements exerçant dans un domaine sensible (bijouterie, casino, PMU, etc .), et quelques autres types d'établissements ; les extorsions de fonds lorsqu'ils relèvent de la criminalité organisée ou que l'enquête nécessite d'importants moyens ; les vols et trafics d'oeuvres et objets d'art relevant d'un trafic organisé au niveau au moins régional ou portant sur un objet à forte valeur patrimoniale ou intervenus dans un musée ; certains vols spéciaux, certains réseaux de trafics de véhicules volés et certaines destructions, dégradations et détériorations de biens immobiliers. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

S'agissant des affaires économiques et financières , elles relèvent de la compétence des services de la DCPJ quand elles sont d'une envergure excédant le cadre local, génèrent un préjudice important, demandent des investigations longues ou complexes ou requièrent l'intervention d'enquêteurs spécialisés. Les affaires de faux monnayage relèvent par principe des services de la DCPJ, sauf notamment lorsque le receleur opère de manière occasionnelle et en faible quantité. La DCPJ est également compétence pour les affaires de faux moyens de paiement, sauf lorsqu'elles ne nécessitent pas d'investigations lourdes et complexes. Les affaires de contrefaçons industrielles ou artistiques sont de la compétence de la DCPJ lorsqu'elles relèvent d'une structure organisée. Les affaires de fraude informatique et télématique sont également de la compétence de la DCPJ, sauf lorsqu'elles ne nécessitent pas d'investigations lourdes et complexes. Enfin, les affaires de blanchiment des produits du crime organisé sont de la compétence de la DCPJ. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

Pour ce qui concerne les atteintes à la paix publique , sont de la compétence des services de la DCPJ : les actes de terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ; les trafics d'armes et de matières nucléaires, biologiques et chimiques ; les évasions d'établissement pénitencier relevant d'une organisation particulière ou concernant un individu dangereux ou relevant du grand banditisme ; les infractions graves commises dans les établissements pénitentiaires, dont les homicides ; les affaires de fabrication ou de trafic organisé de faux documents administratifs dont l'enquête est complexe ou d'envergure nationale ou internationale. Les autres infractions relèvent des services de la DCSP.

S'agissant des violences urbaines , qui recouvrent des atteintes aux personnes ou aux biens, leur traitement obéit à une logique de gestion territoriale de la délinquance et relève donc de la compétence des services de la DCSP. Néanmoins, il peut être sollicité de la DCPJ un soutien technique, logistique ou opérationnel.

Enfin, des co-saisines des services de la DCPJ et de la DCSP sont possibles , tandis que l'autorité judiciaire dispose toujours de la possibilité de faire exception à l'application des critères du protocole , sans avoir légalement à en justifier. Par ailleurs, la répartition des compétences doit s'appuyer, comme le rappelle le protocole, sur un partage d'information efficace entre les services de la DCPJ et de la DCSP, condition pour effectuer des analyses et recoupements notamment.

La doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire publiée le 12 avril 2016 et co-signée par le DGGN, le DCSP et le DCPJ précise quant à elle en particulier les modalités d'échange d'informations entre les services de ces deux directions et les modalités générales d'une coordination locale stratégique de l'action judiciaire des services.

(b) La DCPJ, un acteur majeur de la coopération opérationnelle policière internationale

La DCPJ constitue un acteur majeur de la coopération opérationnelle policière internationale.

Face à une criminalité qui s'internationalise toujours davantage, l'apport de la coopération policière internationale est devenu un atout majeur et incontournable - de l'enrichissement à la résolution des enquêtes - pour l'efficacité de l'action des forces de sécurité. En charge de l'administration des trois canaux de coopération policière opérationnelle multilatérale que sont Interpol, Europol et Sirene (dans le cadre du système d'information Schengen, « SIS »), la DCPJ oeuvre au quotidien dans ce domaine pour l'ensemble des forces de sécurité (police, gendarmerie, DGSI, DGDDI, etc .) et les autorités judiciaires .

En 2021, la division des relations internationales (DRI) de la DCPJ a ainsi prêté son concours dans plus de 11 000 enquêtes françaises pour obtenir des informations auprès des pays étrangers et des institutions de coopération policière, soit un niveau jamais atteint jusqu'ici. En 2021, la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL) de la DRI a ainsi échangé près de 430 000 messages avec nos partenaires étrangers, couvrant 194 pays via Interpol, 45 pays via Europol et 30 via Schengen, soit une hausse du volume des échanges de 15 % en un an. Cela représente en moyenne 1 200 messages traités par jour dans le cadre d'échanges d'informations alphanumériques ou biométriques.

Ce partage d'information a des effets concrets, qui se manifestent notamment - mais pas seulement - dans les arrestations de fugitifs. En 2021, 775 fugitifs ont été arrêtés à l'étranger sur la base de mandats d'arrêts européens français diffusés dans le « SIS » et 90 sur la base de notices rouges 20 ( * ) françaises diffusées par Interpol dans le monde ; en outre, 805 l'ont été en France sur le fondement de mandats d'arrêts européens étrangers diffusés dans le SIS et 80 dans le cadre de notices rouges étrangères.

b) La DCPJ s'appuie sur des services centraux et sur un maillage territorial

La DCPJ constitue l'une des directions actives de la direction générale de la police nationale (DGPN), aux côtés notamment de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) et de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS) 21 ( * ) .

Organigramme général de la Direction générale de la police nationale

Source : ministère de l'Intérieur

L'organisation de la DCPJ est notamment fixée par l'arrêté du 5 août 2009 relatif aux missions et à l'organisation de la direction centrale de la police judiciaire.

À l'échelon central, la DCPJ comprend , pour un total de 1 687 personnels en 2022 (s'y ajoutent des personnels en services déconcentrés) :

- l'état-major , chargé notamment de la centralisation et de la diffusion de l'information opérationnelle ainsi que des relations avec le service d'information et de communication de la police nationale pour les actions de communication de la direction centrale. Il est également chargé de l'élaboration de la doctrine et de la stratégie de la DCPJ et coordonne les travaux menés par cette dernière en matière juridique ou technique ainsi qu'en matière d'organisation et de prospective (« EM », 53 personnels) ;

- la division des relations internationales (« DRI », 138 personnels), notamment en charge des canaux officiels de coopération internationale (Interpol, Europol, Schengen) ;

- l'Office anti-stupéfiants (« OFAST », 180 personnels) ;

- le service central des courses et jeux , qui a la particularité d'exercer également, outre ses missions de police judiciaire, des missions de police administrative en matière de surveillance de l'application de la réglementation dans les casinos, les cercles, les hippodromes et cynodromes, notamment (« SCCJ », 56 personnels) ;

- le département des technologies appliquées à l'investigation (« D@TA-i », 199 personnels) ;

- la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée (SDLCO, 471 personnels), comprenant notamment l'office central de la lutte contre le crime organisé (OCLCO), l'office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), l'office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), l'office central pour la répression du faux monnayage (OCRFM) et l'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) ;

- la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité (SDLC, 152 personnels) ;

- la sous-direction antiterroriste (SDAT, 168 personnels) ;

- la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière (SDLCF, 189 personnels), comprenant notamment l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) ;

- la sous-direction du pilotage et des ressources (SDPR, 81 personnels).

Organigramme général de la direction centrale de la police judiciaire

Source : direction générale de la police nationale

Au niveau déconcentré , une réforme de l'organisation est intervenue au 1 er janvier 2021 en application du décret n° 2020-1776 du 30 décembre 2020 22 ( * ) .

Cette réforme vise, selon le ministère de l'Intérieur, par la création de directions zonales , à mettre davantage en adéquation l'organisation territoriale de la DCPJ avec les ressorts territoriaux du ministère de l'intérieur (zone de défense et de sécurité) et du ministère de la justice (ressorts des cours d'appel), à prendre en compte l'évolution des bassins de criminalité pour améliorer la réponse opérationnelle et à optimiser le pilotage administratif, budgétaire et logistique des services territoriaux en mutualisant la gestion des ressources et des moyens au niveau des DZPJ.

Elle repose sur les évolutions suivantes :

- 7 directions zonales ont été créées , remplaçant les directions interrégionales de police judiciaires (DIPJ) et les directions régionales de police judiciaire (DRPJ). Seules les DRPJ de Versailles et de Paris (cette dernière étant par ailleurs autonome de la DCPJ 23 ( * ) ) ont conservé leur appellation et leur compétence territoriale ;

- les services régionaux de police judiciaire (SRPJ) ont été rebaptisés « directions territoriales de police judiciaire » (DTPJ) et sont au nombre de 18 ;

- les antennes de police judiciaire ont été transformées en « services de police judiciaire » (SPJ) et sont au nombre de 39.

Organisation déconcentrée de la direction centrale de la police judiciaire

Source : ministère de l'Intérieur

Le rapporteur spécial constate que les modalités de découpage zonal du territoire s'appuient notamment sur une direction zonale « sud » au poids particulièrement significatif. S'étendant de Tarbes à Bonifacio, elle couvre 3 régions (Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse), quatre des sept plus grandes villes françaises (Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier) et des territoires marqués par de forts enjeux de criminalité. À elle seule, cette zone représente d'ailleurs 32 % des effectifs déconcentrés de la DCPJ 24 ( * ) .

c) La DCPJ, un acteur central du fonctionnement des offices centraux interministériels de police judiciaire

Face à la multiplicité de services compétents en matière de police judiciaire, des offices centraux ont été mis en place. Structures interministérielles placées au niveau des administrations centrales, ces offices ont la charge, dans leur domaine de compétence :

- de réaliser les enquêtes à forts enjeux, d'assurer la coordination des enquêtes judiciaires au niveau national et d'apporter un soutien aux enquêteurs dans les différents services déconcentrés ;

- d'élaborer les états de la menace dans leurs domaines de compétences ;

- de contribuer, de manière plus ou moins prononcée, à la définition des politiques publiques et à la mise en oeuvre d'une doctrine d'investigation.

Ces offices sont institués soit en tant que service au sein d'une sous-direction nationale d'une administration centrale, soit sous la forme juridique d'un service à compétence nationale qui, rattaché à un directeur d'administration centrale ou de direction générale, est amené à assurer un rôle de coordination et d'animation dans un domaine plus large.

Les offices centraux sont à ce jour au nombre de 14 et sont listés par l'article D8-1 du code de procédure pénale. Leur gestion est assurée pour dix d'entre eux par la police nationale, les quatre autres relevant de la gendarmerie nationale 25 ( * ) .

La DCPJ joue un rôle central dans le fonctionnement des offices centraux tant par le nombre d'entre eux dont la gestion lui est confiée que par le caractère stratégique de ceux-ci dans la lutte contre la criminalité . Au sein des 10 offices centraux relevant de la police nationale, 9 sont ainsi rattachés à la DCPJ 26 ( * ) :

- l'Office anti-stupéfiants (OFAST), qui a la particularité d'être un service à compétence nationale et d'être directement rattaché au directeur central de la police judiciaire, au même niveau que les sous-directions ;

- l'Office central pour la répression du faux-monnayage (OCRFM), l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) et l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), tous rattachés à la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée de la DCPJ (SDLCO) ;

- l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC), rattaché à la sous-direction de la lutte contre la cybercriminalité (SDLC) de la DCPJ ;

- l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), tous deux rattachés à la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière de la DCPJ (SDLCF).

Ces offices sont composés de personnels provenant de différents services et administrations . Ils comprennent des personnels de la police nationale et de la gendarmerie nationale et certains prévoient que le chef adjoint et un nombre significatif d'enquêteurs proviennent de l'autre force. En outre, pour certains d'entre eux, y sont également affectés des effectifs d'autres services et ministères, parmi lesquels le ministère de la Justice et le ministère des Finances. Les enquêteurs y disposent d'une compétence nationale.

Toutefois, l'efficacité des différents offices apparaît au final assez variable, en particulier s'agissant de leur capacité à piloter la filière au niveau national pour l'ensemble des services 27 ( * ) .

3. La DCPJ obtient des résultats probants sur la partie de la délinquance qu'elle prend en charge, quantitativement marginale mais particulièrement préjudiciable à la société
a) La délinquance prise en charge par la DCPJ, grave, complexe ou spécialisée est quantitativement marginale mais particulièrement nocive

Au sein des dossiers relevant de la police nationale au niveau national, la DCPJ prend à sa charge aux niveaux central et déconcentré les faits criminels les plus graves, complexes ou spécialisés. Il en va de même de la DRPJ-PP dans le périmètre géographique de compétence de la préfecture de police de Paris 28 ( * ) .

Les faits infractionnels relevant de la zone police pris en charge par la DCPJ et la DRPJ-PP, qu'il s'agisse de délits ou de crimes, sont les plus nocifs pour la société. Ce caractère socialement très préjudiciable peut notamment naître de la gravité de l'infraction, notamment s'agissant des atteintes aux personnes, de son coût économique, de l'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, de son caractère international ou organisé ou encore de ses ramifications nombreuses et complexes. Plus largement, l'ensemble des plus grandes affaires criminelles des soixante dernières années, voire davantage, ont ainsi été traitées soit par la DCPJ soit par la DRPJ-PP.

Il n'en demeure pas moins que si le nombre de faits criminels et délictuels traités par la DCPJ sont importants, ils représentent une part marginale de l'ensemble de la délinquance .

Infractions enregistrées par les services de police et de gendarmerie nationales
en 2020 et 2021

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

En 2021, environ 11,4 millions d'infractions (contraventions, délits et crimes) ont été enregistrés par l'ensemble des services étatiques de sécurité, dont environ 4,5 millions de crimes et délits. Pour les crimes et délits, 45 % du total a été enregistré par la DCSP, 15 % par la préfecture de police de Paris (dont la très grande majorité par des directions autres que la DRPJ-PP) et moins de 1 % par la DCPJ (pour un total de 62 % du nombre total d'infractions enregistrées par la police nationale et 38 % par la gendarmerie nationale).

Parts des infractions pour les crimes et délits enregistrées par les directions
de la police et de la gendarmerie nationales de 2016 à 2021

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'essentiel de la délinquance relevant de la compétence de la police nationale est ainsi traité par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) et la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne de la préfecture de police de Paris (DSPAP , équivalent de la DCSP au niveau national). À titre d'exemple, la DCPJ traite 0,1 % des atteintes aux biens (28 % pour la préfecture de police, dont l'essentiel pour la DSPAP, et 72 % pour la DCSP), 0,3% des atteintes aux personnes (23 % pour la préfecture de police, dont l'essentiel pour la DSPAP, et 76 % pour la DCSP) et 0,9 % des infractions économiques et financières (28 % pour la préfecture de police, dont l'essentiel pour la DSPAP, et 69 % pour la DCSP).

Même au sein de la grande criminalité 29 ( * ) , que l'on pourrait croire revenir naturellement à la DCPJ, la DCPJ et la DRPJ-PP ne traitent qu'une minorité de dossiers . Ainsi, 59 % de l'agrégat relève de la DCSP, contre 8 % pour la DCPJ et 29 % pour la préfecture de police (dont la majorité relève de directions autres que la DRPJ-PP).

b) La DCPJ obtient des résultats probants

L'efficacité des services de police judiciaire peut notamment être mesurée par le taux d'élucidation des affaires traitées . Ce taux met en rapport le nombre de dossiers pour lesquels le ou les auteurs du fait infractionnel ont été identifiés par rapport au nombre total de dossiers transmis aux services concernés, à la suite d'une plainte, d'un signalement ou d'un flagrant délit, notamment.

Ce taux s'étend pour la DCPJ, en fonction du type d'infractions, de 74 % à 96 %. En 2021 30 ( * ) , il était de :

- 74 % pour les contrefaçons ;

- 76 % pour le grand banditisme (dont les vols à main armée et le proxénétisme) ;

- 79 % pour les attentats, le terrorisme et les infractions à la législation sur les armes et explosifs ;

- 81 % pour les atteintes aux personnes et aux biens (dont les homicides volontaires et les affaires de moeurs) ;

- 84 % pour les infractions liées aux faux, aux escroqueries et à l'informatique ;

- 95 % pour le trafic de stupéfiants, international et national ;

- 96 % pour les infractions à la législation sur les sociétés, aux règles de la commande publique, la prise illégale d'intérêt et le trafic d'influence.

Ces taux apparaissent relativement élevés, d'autant qu'ils sont globalement en hausse depuis 2012. En effet, en comparaison, les taux d'élucidation pour l'ensemble des services de police nationale et de gendarmerie nationale étaient beaucoup plus faibles en 2021, par exemple 31 ( * ) :

- 18 % pour les vols avec violence ;

- 10,5 % pour les cambriolages ;

- 67 % pour les homicides.

L'efficacité de la DCPJ , reflétée par les taux d'élucidation doit être interprétée au regard de plusieurs éléments. Elle apparaît d'autant plus remarquable qu'elle concerne des infractions souvent complexes ou spécialisées et relevant de la criminalité organisée, commis par des criminels pour certains aguerris aux techniques policières d'investigation et s'appuyant parfois sur des relais internationaux. En outre, elle illustre la qualité et la spécialisation des personnels de la DCPJ.

Les services de la DCPJ mènent une lutte quotidienne, souvent avec succès, contre le haut du spectre de la criminalité : exemples récents

Exposés à des personnes souvent aguerries et s'appuyant sur des moyens toujours plus importants et organisés, les services de la DCPJ et de la DRPJ-PP sont lancés dans une lutte quotidienne afin d'identifier et d'interpeller les criminels. Ces services connaissent d'importants succès, dont on peut citer quelques exemples récents.

Ces services sont par exemple parvenus début 2021, notamment avec la participation active et déterminante de la police belge, à infiltrer l'application de communication « Sky Ecc », réputée inviolable et qui garantissait à ses usagers la discrétion des échanges. Cette application était utilisée par des trafiquants de stupéfiants du monde entier pour échanger, a priori sans s'exposer aux écoutes policières. Ce succès des polices française, belge et hollandaise a permis d'accéder à l'ensemble des échanges, en temps réel, permettant d'établir une cartographie complète des différents projets criminels et de révéler, au passage, les rapports de force entre les groupes de trafiquants. Sur la base de ces informations, plusieurs opérations policières d'ampleur ont été déployées, aboutissant à la mise en examen de 111 personnes pour ce qui concerne la France. Concernant les saisies, 795 kilogrammes de cocaïne ont été découverts à la suite d'enquêtes ouvertes grâce aux révélations de la messagerie cryptée, tandis que les dossiers mis au jour par ces informations portent le volume de saisies de cocaïne à 11,15 tonnes. Pour le cannabis, ces chiffres s'élèvent respectivement à 1 300 kg et 4,8 tonnes 32 ( * ) .

À l'échelle déconcentrée, les services de la DCPJ mènent également quotidiennement des enquêtes et opérations d'ampleur. À titre d'exemple, en 2021 et 2022, les services de la direction zonale de la police judiciaire « Sud » ont traité avec succès, parmi bien d'autres, des affaires d'homicides et d'assassinats, d'enlèvements et de séquestration et des règlements de compte sur fond de trafic de stupéfiants, de trafics d'armes, d'association de malfaiteurs en vue de commettre des crimes (notamment un projet d'assassinat en Corse), et le démantèlement d'un réseau de voleurs de montres de luxe.

En sens inverse, cette efficacité doit néanmoins être mise en regard avec la faible proportion de dossiers pris en charge par la DCPJ et de la plus grande probabilité de pouvoir élucider des faits graves - mêmes complexes - que des délits de masse, souvent de faible envergure, commis par des délinquants pour une part occasionnels, que traitent la DCSP.

4. Le cas de la lutte contre le trafic de stupéfiants, fléau majeur pour la France : la DCPJ, un acteur central et efficace via le rôle et l'action de l'OFAST
a) Le fléau des trafics de stupéfiants internationaux, nationaux et locaux frappe fortement la France

Le trafic de stupéfiants constitue l'un des fléaux majeurs de la criminalité, si ce n'est le plus central . Il s'étend du trafic international de matière première au point de deal local et touche l'ensemble des pays. Le marché des stupéfiants constitue ainsi le premier marché criminel au monde et en Europe . En outre, il génère pour les trafiquants des profits cumulés considérables qui nourrissent d'autres formes de criminalité , de toutes sortes, tandis qu'il suscite des effets sanitaires délétères pour les consommateurs et, dans certains cas, des enjeux de paix publique, comme l'illustre l'exemple du crack à Paris.

Malheureusement, la France n'échappe pas au phénomène, loin de là. L'offre de stupéfiants y est importante , la France étant située géographiquement à un carrefour du trafic. Plusieurs pays voisins connaissent en effet une production importante de drogues, parmi lesquels le Maroc et l'Espagne (cannabis), les Pays-Bas et la Belgique (drogues de synthèse), et la Colombie (en ce qui concerne la Guyane, pour la cocaïne). En outre, l'Espagne, les Pays-Bas (port de Rotterdam) et la Belgique (port d'Anvers) servent pour les trafiquants de point d'entrée en Europe, de même que le port du Havre notamment en France. Enfin, la France constitue une zone de transit (pour le cannabis et les drogues de synthèse) et de rebond (pour la cocaïne) vers d'autres pays d'Europe et du monde.

D'autre part, la consommation et donc la demande de stupéfiants est significative en France.

Favorisée par la disponibilité des produits, la consommation est diffusée sur l'ensemble du territoire et concerne toutes les catégories socio-économiques. La consommation s'est progressivement développée, outre les centres urbains, dans les zones périurbaines et rurales de l'hexagone. L'on estime ainsi à 900 000 le nombre d'usagers quotidiens de cannabis et à 600 000 celui d'usagers annuels de cocaïne.

Les territoires ultramarins sont quant à eux touchés pour certains en outre par des enjeux spécifiques , parmi lesquels la diffusion de la drogue « ice » en Polynésie française, la drogue « chimique » à Mayotte et le crack dans les Antilles françaises. En Guyane , s'ajoute le problème majeur, qui va en s'aggravant, du trafic de cocaïne en provenance des pays voisins vers l'hexagone (comme point final ou point de rebond vers d'autres pays), notamment par le système des « mules » 33 ( * ) . Ainsi, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, l'on estime que 15 % à 20 % de la cocaïne qui entre en France a été transporté par une « mule » en provenance de Guyane. Ce vecteur s'est fortement développé ces dernières années. Plusieurs contrôles systématiques organisés en 2022 à l'aéroport Felix Éboué de Cayenne pour l'ensemble des passagers - qui avaient été prévenus la veille par la compagnie aérienne de ce contrôle - de vols à destination de Paris ont ainsi été l'occasion d'intercepter un nombre important de mules mais également de constater l'absence d'un nombre tout à fait anormal de passagers, pouvant atteindre jusqu'à 30 %.

Par ailleurs, de nouvelles menaces apparaissent , parmi lesquelles la consommation de nouveaux produits de synthèse (NPS) et de protoxyde d'azote. Les utilisateurs tendent en outre de plus en plus à consommer plusieurs stupéfiants différents . Par ailleurs, le niveau de concentration moyen de certaines drogues explose, notamment s'agissant du THC 34 ( * ) dans le cannabis ; pour la résine de cannabis, la concentration en THC, qui était de 16 % en 2012, atteint 28 % en 2021.

Dans ce contexte, une multitude de groupes criminels français et étrangers se livrent au trafic de stupéfiants sur l'ensemble du territoire français. Peuvent être distingués trois types de trafic. Tout d'abord, les micro-réseaux autonomes, peu structurés, opérant au niveau local et générant des bénéfices modérés. Ensuite, les réseaux professionnalisés, structurés et cloisonnés, issus d'autres formes de délinquance ou des quartiers dits « sensibles », aux capacités financières parfois importantes. Enfin, les réseaux étrangers de type mafieux (par exemple, des groupes albanais) ou communautaires (par exemple des filières surinamaises ou sénégalaises) 35 ( * ) .

En 2021, ont ainsi été saisis des quantités très importantes de stupéfiants :

- 112 tonnes de cannabis (+ 16 % par rapport à 2020) ;

- 102 000 pieds de cannabis (- 12 % par rapport à 2020) ;

- 26,5 tonnes de cocaïne (+ 102 % par rapport à 2020), avec la double difficulté du vecteur maritime (notamment Le Havre et Dunkerque) et des passeurs ( in corpore et extra corpore , et dans les bagages) ;

- 1,3 tonne d'héroïne (+ 16 % par rapport à 2020) ;

- 1,5 million de comprimés d'ecstasy / MDMA (+ 18 % par rapport à 2020) et 226 kg d'amphétamines / méthamphétamines (- 68 % par rapport à 2020).

b) La DCPJ a su se faire, via la création de l'OFAST, un acteur central et efficace de la lutte contre le trafic de stupéfiants en France, qui doit continuer de constituer une priorité majeure des forces de sécurité

La lutte contre le trafic de stupéfiants mobilise, par sa nature, un nombre important de services de l'État . Sont principalement concernées la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la direction générale de la police nationale (DGPN). Au sein de cette dernière, plusieurs services sont compétents, aux premiers rangs desquels la DCSP, la DCPJ et les services de la préfecture de police de Paris, la DCPJ et la DRPJ-PP ayant vocation à traiter des dossiers les plus lourds et à forts enjeux, parmi lesquels le trafic international de stupéfiants.

Dans un contexte d'une présence et d'une consommation importante de stupéfiants sur l'ensemble du territoire, d'une forte mobilité des trafiquants et de la multiplicité des services de l'État compétents pour traiter le phénomène, une coordination et une gouvernance solides de la lutte contre le trafic de stupéfiants sont indispensables et demeuraient jusqu'à récemment lacunaires.

C'est à ce besoin qu'a su répondre efficacement la DCPJ, via la création de l'Office anti-stupéfiants (OFAST), afin de répondre aux écueils de l'ancien Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS), sous sa forme et ses missions d'alors, face à des trafics en pleine expansion et devenus une menace mondiale.

(1) La création de l'OFAST

Décidée au Conseil de défense et de sécurité nationale du 25 juin 2019, la création de l'OFAST a été formalisée par le décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 36 ( * ) , précisé par un arrêté du 27 décembre 2019 38 ( * ) . Entré officiellement en fonction le 1 er janvier 2020, l'OFAST répond à une volonté de mieux organiser et structurer la lutte contre le trafic de stupéfiants en France . Sa création constitue l'une des mesures du plan national de lutte contre les stupéfiants adopté en septembre 2019.

Logo actuel de l'Office anti-stupéfiants (OFAST)

Source : ministère de l'Intérieur

Sur le modèle de l'organisation mise en place en matière de lutte contre le terrorisme autour du rôle central de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), l'OFAST a été désigné comme chef de file de la lutte contre les trafics de stupéfiants. À ce titre, il porte la politique publique de lutte en la matière, en s'appuyant sur le plan national de lutte contre les trafics de stupéfiants, pour l'ensemble des services de sécurité.

Contrairement à l'ancien OCRTIS, l'OFAST est un service à compétence nationale et est directement rattaché au directeur central de la police judiciaire (DCPJ). Cette forme juridique a été choisie pour favoriser l'interministérialité et permettre un meilleur pilotage des politiques publiques. L'interministérialité irrigue également sa composition et son fonctionnement, par la présence de personnels issus des différentes administrations parties prenantes de la lutte contre le trafic de stupéfiants (policiers, gendarmes, magistrats, agents de la DGDDI, de la DGFIP et de l'administration pénitentiaire). En outre, alors que les missions de l'OCRTIS étaient principalement opérationnelles, celles de l'OFAST s'articulent autour de plusieurs axes : la conduite d'enquêtes judiciaires à forts enjeux, le renseignement et le recueil et le partage d'informations et les actions stratégiques et de coordination.

(2) L'organisation de l'OFAST au niveau central

À l'échelon central , l'OFAST, dirigé par une contrôleuse générale de la police nationale secondée par un magistrat de l'ordre judiciaire détaché, est organisé en trois pôles qui répondent aux objectifs assignés par son décret constitutif.

Les effectifs centraux, d'environ 80 personnes à la création de l'OFAST, s'établissent en 2022 à environ 180 personnels et devraient à terme atteindre 235 , soit un triplement des effectifs initiaux. En comparaison, les effectifs de l'OCRTIS n'ont jamais dépassé 105 personnels, ce qui témoigne des efforts fournis par la police nationale et par les autres administrations en faveur de l'OFAST et de la lutte contre les trafics de stupéfiants, ce dont le rapporteur spécial se félicite.

Organigramme général de l'OFAST

Source : ministère de l'Intérieur

Le Pôle stratégie, dirigé par une administratrice des douanes, est notamment chargé :

- de diffuser la connaissance en matière de produits, de trafics et de routes et d'établir, tous les ans, un état de la menace sur la base de ses travaux ;

- d'assurer la production statistique en matière de saisies de stupéfiants, du suivi du plan national de lutte contre les stupéfiants et du plan de lutte contre les addictions ;

- d'engager les actions internationales de coopération stratégique, institutionnelle ou technique nécessaires à l'OFAST. Dans cette optique, il produit, en lien avec les structures dédiées de formation, des outils de formation adaptés au bénéfice des différents acteurs chargés de la lutte contre les stupéfiants.

Le Pôle renseignement, dirigé par un colonel de la gendarmerie nationale, s'inscrit dans le cadre du rôle de l'OFAST comme service de renseignement dit du « second cercle ». À ce titre, il met en oeuvre des techniques de renseignement, dans le cadre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Ce pôle est notamment chargé de :

- recueillir les renseignements opérationnels relatifs aux trafics de stupéfiants susceptibles de concerner le territoire national ou impliquant des ressortissants français ;

- analyser et enrichir les renseignements par des investigations administratives à l'étranger comme sur le territoire national ;

- diffuser, selon les règles de protection du secret en vigueur, le renseignement élaboré au profit de l'OFAST, des services et unités d'enquête nationaux et étrangers et des services nationaux de renseignement.

En sa qualité de chef de file, l'OFAST anime la participation des services de renseignement à la lutte contre les trafics de stupéfiants. Ainsi, dans le cadre du plan national d'orientation du renseignement (PNOR), il anime et coordonne la fiche d'orientation stratégique (FOS) « stupéfiants », en lien avec le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).

Enfin, le Pôle opérationnel , dirigé par un commissaire divisionnaire de police, est notamment chargé d'assurer la conduite des enquêtes judiciaires à forts enjeux, et leur coordination lorsque plusieurs autres services y prennent part.

(3) L'organisation territoriale de l'OFAST

L'OFAST est en outre chargé d'animer son réseau de 14 antennes et de 10 détachements, qui couvre l'ensemble du territoire national . Il exerce une autorité fonctionnelle - mais non hiérarchique - sur ses personnels déconcentrés, qui sont rattachés aux échelons territoriaux de la police nationale ou de la gendarmerie nationale. Au total, ces effectifs déconcentrés atteignent environ 500 personnels.

L'OFAST compte 14 antennes rattachées pour 12 d'entre elles à des services de la police nationale (Ajaccio, Bordeaux, Cayenne, Fort de France, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Orléans, Rennes, Strasbourg, Versailles). Les antennes de Papeete et de Saint-Denis de la Réunion sont pour leur part rattachées à des groupements de gendarmerie.

Organisation déconcentrée de l'OFAST

Source : ministère de l'Intérieur

Chefs de file dans les territoires, les 14 antennes sont chargées du pilotage des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) 39 ( * ) implantées dans leur ressort, mais également de la remontée centralisée de l'information opérationnelle et de l'élaboration d'un état de la menace au niveau territorial. Outre la conduite de leurs propres enquêtes, les antennes exercent des missions de conseil et d'appui opérationnel au profit de l'ensemble des services territoriaux concernés par la lutte contre les trafics.

Les 10 détachements de l'OFAST (Bayonne, Grenoble, Le Havre, Montpellier, Mulhouse, Nantes, Perpignan, Pointe-à-Pitre, Toulouse, Saint-Martin) sont quant à eux placés sous l'autorité des antennes, dont ils dépendent. Les détachements ont une vocation exclusivement opérationnelle ; ils pilotent la CROSS du chef-lieu de leur implantation et s'assurent de la bonne transmission des informations et du renseignement à destination de leur antenne.

Par ailleurs, l'OFAST compte 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) , soit environ une par département. Leur action est centrée sur le recueil et l'analyse du renseignement, afin d'organiser et d'animer l'échange d'informations entre les services territoriaux concernés par la lutte contre les trafics (police judiciaire, sécurité publique, gendarmerie nationale, douane, renseignement territorial). Elles n'ont pas vocation à réaliser des enquêtes administratives ou judiciaires, mais peuvent communiquer aux acteurs concernés toute information utile pour diligenter une enquête ou mettre en oeuvre des techniques de renseignement.

En outre, l'OFAST comprend une entité implantée dans les deux grands aéroports parisiens, la brigade des plateformes aéroportuaires (BPA), laquelle comprend 3 groupes d'enquêtes judiciaires : 2 groupes implantés à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et un groupe à l'aéroport d'Orly, pour un total de 22 effectifs. Cette brigade vise notamment à lutter contre les groupes criminels chargés de l'importation de stupéfiants opérée par des passeurs.

De plus, l'OFAST central est par ailleurs doté d'une CROSS nationale, qui coordonne la remontée du renseignement produit par 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) implantées dans les départements.

Enfin, deux CROSS thématiques, la CROSS portuaire et la CROSS aéroportuaire, ont été créées en septembre 2021 pour renforcer le partage de renseignement opérationnel entre les services concernés par les trafics de stupéfiants par voie maritime, aérienne et postale. Co-pilotées par l'OFAST et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), ces CROSS thématiques ont également pour objectifs d'analyser les caractéristiques de ce phénomène (groupes criminels, personnels compromis, routes, modes opératoires, etc .) et d'élaborer des stratégies conjointes de démantèlement des réseaux.

(4) Une organisation, un fonctionnement et une efficacité de l'OFAST salués

Les auditions et déplacements menés par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater qu'en seulement 3 ans d'existence, l'OFAST a su démontrer le bien-fondé de son organisation et de son fonctionnement et faire la preuve de son efficacité.

Là où le rôle de coordination et de gouvernance des forces de sécurité intérieure n'est pas toujours mis en oeuvre avec succès par les différents offices centraux de police judiciaire 40 ( * ) , l'OFAST semble parvenir à exercer pleinement le sien. Son rôle officiel de chef de file , qui n'est pas reconnu aux autres offices, assoit sa légitimité auprès des différents services concernés. De même, alors que l'interministérialité et le mélange de personnels de différents services demeurent parfois marginaux pour certains offices, l'OFAST s'appuie effectivement sur la force de cette diversité de personnels , de la direction de l'office à ses services territoriaux. Enfin, la dimension opérationnelle de l'OFAST, qui prend à son compte les dossiers à forts enjeux, ne semble pas s'opérer dans une « logique de prédation » des « beaux dossiers », selon les termes utilisés par la directrice de l'OFAST lors de son audition, mais de répartition cohérente entre les différents services compétents d'un point de vue opérationnel. En outre, la dimension opérationnelle ne semble pas prendre le pas sur les autres fonctions essentielles de l'office , à savoir le rôle stratégique et de renseignement.

Concrètement, d'un point de vue opérationnel, l'OFAST poursuit sa montée en puissance , qui se traduit par une capacité accrue de coordination et d'appui au profit des antennes et détachements de l'OFAST et des services d'investigation partenaires et par une riposte orientée vers les organisations criminelles d'envergure nationale et internationale. La brigade nationale anti-stupéfiants (BNAS) de l'OFAST s'occupait par exemple en 2021 de 85 dossiers d'enquête dont 80 conduits en co-saisine, dont 72 avec des services centraux ou territoriaux de la DCPJ, 5 avec des sections de recherches de la gendarmerie nationale et 3 avec le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF).

Concernant le renseignement et l'information, le pôle concerné a contribué directement ou indirectement, en France et à l'étranger, à interpeler 94 individus, saisir 38,2 tonnes de cannabis, 9,2 tonnes de cocaïne, 15 kilogrammes d'héroïne, 1 185 000 euros, 52 véhicules et 2 hélicoptères. Concernant l'activité de la CROSS nationale et du réseau des CROSS en 2021, 13 733 informations ont été reçues par l'ensemble des CROSS (59 % proviennent du portail de signalement accessible et utilisable par les citoyens), dont 5 394 informations ont fait l'objet d'une note de renseignement (39 %). Ces notes portaient dans la majorité des cas sur des trafics de stupéfiants (96,5 %), et dans les autres cas sur des infractions liées au blanchiment, à la recherche des fugitifs condamnés dans le cadre de trafics, ou à d'autres infractions. Elles ont été à l'origine de l'ouverture de 85 procédures douanières et 1 412 procédures judiciaires (taux de judiciarisation de 28%).

Au niveau stratégique, l'OFAST a élaboré et met en oeuvre la doctrine nationale de la lutte contre les trafics de stupéfiants, qui s'applique aux différents services de l'État qui participent à la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cette doctrine organise la remontée et le partage de l'information entre les différents acteurs, sous le pilotage et la coordination de l'OFAST. Elle prévoit également les restitutions opérées par l'OFAST au bénéfice des services contributeurs, en termes d'information, d'analyse et de renseignement opérationnel. Elle définit en outre le rôle et les missions des différents acteurs (en particulier : DCSP, DCPJ, préfecture de police, DCPAF, DGSI, gendarmerie nationale, et DGDDI) et fixe les conditions du pilotage stratégique mis en place aux niveaux central et territorial.

Assis sur une légitimité forte conférée par son rôle officiel de chef de file, son statut de service à compétence nationale et son rattachement direct au directeur central de la police judiciaire, doté de moyens humains certains et incarné par une direction volontariste, l'OFAST constitue à ce jour une réussite. Le rapporteur spécial, qui constate que tous les offices ne disposent pas ni de la même légitimité ni des mêmes moyens, considère qu'un tel modèle devrait être reproduit dans d'autres domaines de la criminalité.

5. La répartition du traitement de la délinquance, le partage d'information et la coopération entre services de police judiciaire, y compris concernant la DCPJ, apparaissent encore insatisfaisants
a) L'exception de la préfecture de police de Paris en matière de police judiciaire

Historiquement, l'organisation policière française a longtemps été caractérisée par un dualisme inégalitaire : non seulement la préfecture de police de Paris est resté indépendante de l'institution chargée de la police sur le plan national, mais elle bénéficiait également d'une forme de prééminence.

Ce dualisme inégalitaire s'expliquait avant tout par la difficile émergence d'une structure chargée de façon autonome et pérenne de la police au niveau national 41 ( * ) . Alors que l'existence de la préfecture de police n'a jamais été remise en cause depuis sa création en 1800, le ministère de la police a été supprimé à quatre reprises entre 1796 et 1853. Par la suite, si la préfecture de police et la sûreté, devenue « nationale » en 1934, demeurent indépendantes, il subsiste entre les deux institutions un écart important sur le plan des moyens matériels et humains.

À cet égard, si la loi Frey de 1966 42 ( * ) , conséquence directe de l'affaire « Ben Barka », constitue un indéniable point de rupture avec la mise en place de la police nationale, l'unification avec la préfecture de police est imparfaite : elle concerne essentiellement les statuts des personnels, et non l'organisation administrative.

De ce fait, tout en ayant perdu sa prééminence, la préfecture de police conserve aujourd'hui une place à part au sein de la police nationale, caractérisée par l'absence de lien hiérarchique entre le préfet de police et le directeur général de la police nationale. Nommé par décret du président de la République en Conseil des ministres, le préfet de police est ainsi placé sous l'autorité directe du ministre de l'intérieur, et non du directeur général de la police nationale.

Cette spécificité apparaît directement liée à la multiplicité des pouvoirs du préfet de police. Interrogée à ce sujet par le rapporteur spécial en 2016 43 ( * ) , la préfecture de police justifiait en effet l'absence de lien hiérarchique entre les deux autorités par le « large panel de compétences » du préfet de police - et plus spécifiquement par son statut de représentant de l'État. Le préfet de police étant au « même niveau que le préfet de zone de défense et de sécurité dans la zone, le préfet de région dans la région et le préfet de département dans le département », il ne saurait être placé sous l'autorité du directeur général de la police nationale, « à l'instar de tous les autres préfets territoriaux ».

Ainsi, l'ensemble des services de police de la préfecture de la police de la préfecture de police répondent de l'autorité du préfet de police et non de celle des directions centrales de la DGPN. Il en va non seulement ainsi de la direction du renseignement (DR-PP), de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) et de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP, équivalent de la DCSP de la DGPN au niveau national), mais également de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ-PP), à la différence des services déconcentrés de la DCPJ sur le reste du territoire, qui relèvent à ce jour de l'autorité de cette dernière et non de celle du préfet.

Créée en 1913 et communément appelée le « 36 » 44 ( * ) , la DRPJ-PP dispose ainsi d'une compétence géographique propre à Paris et dans les trois départements de la petite couronne : les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. Forte d' un peu plus de 2 200 personnels , elle couvre une population d'environ 6,8 millions d'habitants.

Logo de la direction régionale de la police judiciaire
de la préfecture de police de Paris (DRPJ-PP), le « 36 »

Source : ministère de l'Intérieur

Ses compétences matérielles sont similaires à celles de la DCPJ, à savoir le haut du spectre de la criminalité sur les dossiers les plus graves et complexes concernant notamment le terrorisme, la grande délinquance, la criminalité organisée, le grand banditisme, la criminalité économique et financière, la cybercriminalité, le proxénétisme ou encore le trafic de stupéfiants.

Organigramme de la direction régionale de police judiciaire
de la préfecture de police de Paris (DRPJ-PP)

Source : préfecture de police de Paris

De même que la DCPJ et ses services déconcentrés, la DRPJ-PP intervient aux côtés d'autres services également compétents en matière de police judiciaire dans son périmètre géographique de compétence . En effet, la DOPC et, surtout, la DSPAP (à l'instar de la DCSP au niveau national), s'occupent d'une proportion très significative de la délinquance, en particulier du premier et du deuxième niveaux. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial à l'occasion des déplacements et auditions menés, il convient toutefois de remarquer que la DRPJ-PP prend à sa charge un spectre d'infractions plus étendu que la DCPJ et ses services déconcentrés . En effet, si les brigades 45 ( * ) de la DRPJ-PP s'occupent très majoritairement du haut du spectre de la criminalité, les différents districts de police judiciaire de la DRPJ s'occupent également d'une partie de la délinquance intermédiaire à Paris. Il n'est en outre pas rare que l'autorité judiciaire, afin de désengorger les services de la DSPAP, saisisse la DRPJ-PP plutôt que la DSPAP sur des dossiers qui n'auraient pas forcément relevé de la DCPJ et de ses services sur le reste du territoire.

En 2017 46 ( * ) , la DRPJ-PP avait traité 9 287 infractions, pour 5 023 gardes à vue. En comparaison, la même année, la DCPJ avait traité 12 371 infractions, pour 10 028 gardes à vue. Globalement, il apparaît que la DRPJ-PP traite un flux d'infractions représentant environ 75 % de l'activité de la DCPJ, avec des effectifs représentant environ 40 % de ceux de la DCPJ. Ces chiffres s'expliquent probablement par le fait que le spectre de la criminalité traité par la DRPJ-PP est un peu plus large que celui de la DCPJ.

Le rapporteur spécial constate, comme il l'a déjà fait par le passé 47 ( * ) , que l'autonomie de la DRPJ-PP vis-à-vis de la DCPJ ne présente aujourd'hui pas de véritable justification autre qu'historique. En effet, l'enchevêtrement des compétences et des zones d'intervention apparaît en décalage avec le caractère très proche des missions et le caractère identique des personnels affectés à la DRPJ-PP ou à la DCPJ (lesquels sont le plus souvent successivement affectés au cours de leur carrière à la DCPJ et à la DRPJ-PP).

En outre, l'organisation actuelle est susceptible de se traduire non seulement par une déperdition de moyens mais également par des difficultés de coordination - voire des conflits dans la répartition des dossiers -, y compris dans le cadre des enquêtes. C'est d'ailleurs précisément pour remédier à cette dernière difficulté qu'une unification de l'organisation policière avait été envisagée en 1966 à la suite de l'affaire « Ben Barka ».

Par ailleurs, elle est source de complexité budgétaire, notamment s'agissant de la DRPJ-PP. En effet, si le préfet de police n'est pas placé sous l'autorité hiérarchique du DGPN, il dispose d'une autonomie budgétaire très limitée vis-à-vis de ce dernier dans la mesure où l'architecture budgétaire du programme « Police nationale » fait du préfet de police un simple responsable de budget opérationnel de programme (BOP), soumis en ce sens aux décisions du responsable de programme, le DGPN, qui définit les enveloppes et les modalités de gestion. La plupart des dépenses n'étant pas déconcentrées, elles relèvent ainsi directement de la DGPN, à l'instar des dépenses de personnel (le DGPN affecte ainsi à la préfecture de police un schéma d'emplois), de l'essentiel les dépenses immobilières (à l'exception des loyers et des travaux d'entretien mineurs) et de la dotation en véhicules.

Dans le schéma actuel de la police nationale, le rapporteur spécial considère qu'il serait logique d'intégrer la DRPJ-PP dans les cadres national et déconcentré de la DCPJ. Toutefois, l'organisation de la police nationale pourrait avoir vocation à évoluer à très court terme via notamment la création d'une filière investigation au niveau national regroupant les effectifs compétents en matière de police judiciaire de la DCSP et les services de la DCPJ, comme développé infra . Dans ce nouveau schéma, s'il est mis en oeuvre, il conviendrait donc également que la nouvelle organisation de la police nationale couvre le périmètre de la préfecture de Paris, ce qui n'est pourtant pas prévu par le projet de réforme actuel 48 ( * ) .

Le déménagement récent du siège de la DRPJ-PP dans le quartier Clichy-Batignolles constitue à cet égard une opportunité de renouveau de son organisation - y compris en termes d'image, comme en témoigne l'exemple du New Scotland Yard à Londres.

b) La répartition du traitement de la délinquance fait parfois l'objet d'une certaine concurrence entre services compétents, tout comme le partage de l'information
(1) Une répartition des dossiers faisant dans certains cas l'objet d'une concurrence - voire de conflits - entre les services enquêteurs

Si la règle du libre choix du service enquêteur par le procureur de la République ou le juge d'instruction, associée aux principes de répartition des affaires entre services, parfois formalisés par différents protocoles 49 ( * ) , pourrait laisser penser que les choses s'organisent de façon fluide, la réalité est régulièrement différente. Concernant certains dossiers, des logiques conflictuelles de concurrence sont parfois constatées entre directions de la police nationale et entre cette dernière et la gendarmerie nationale.

(a) Une dynamique de concurrence entre la police et la gendarmerie nationale est régulièrement constatée

S'agissant de la répartition des dossiers entre la police et la gendarmerie nationales, il n'existe pas, à la connaissance du rapporteur spécial, de protocole écrit permettant d'en clarifier les principes, à la différence de la répartition des dossiers entre la DCPJ et la DCSP par exemple. En effet, le protocole conclu le 25 avril 2006 entre la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et le ministère de la Justice ne fait pas référence aux services judiciaires de la police nationale ni à un quelconque partage fonctionnel ou territorial entre les deux forces, y compris dans les domaines où les risques de chevauchements sont forts, comme celui du trafic de stupéfiants. Le protocole se contente de ce point de vue d'énoncer la compétence judiciaire générale de la DGGN sur l'ensemble du territoire national. Il en résulte que le critère de base de la répartition des dossiers entre la police et la gendarmerie nationale repose sur le critère géographique des zones « police » et « gendarmerie ». Un tel état de fait est, selon le rapporteur spécial, triplement préjudiciable.

En premier lieu, le critère géographique des zones « police » et « gendarmerie » est peu adapté à la répartition de dossiers de police judiciaire, surtout s'agissant du haut du spectre de la criminalité, qui ignore les frontières, en particulier d'un niveau si précis.

En deuxième lieu, le caractère trop général de ce critère favorise des conflits d'interprétation et une logique de concurrence dans la répartition des dossiers, qu'ils soient sollicités par tous les services, pour les plus prestigieux, ou qu'ils fassent l'objet d'un conflit négatif de compétence, pour les moins demandés. C'est en particulier le cas lorsque les faits concernés ne relèvent pas clairement d'une zone ou de l'autre, ce qui peut arriver fréquemment. En outre, il arrive que des enquêtes d'initiative policière soient menées sur les mêmes personnes par chacune des deux forces, sans que celles-ci ne le sachent.

En dernier lieu, l'absence de répartition matérielle des dossiers, par type de délinquance, conduit à ce que tant la police nationale que la gendarmerie nationale développent des moyens matériels et des compétences dans l'ensemble des domaines infractionnels, ce qui ne peut aboutir qu'à des déperditions de moyens et d'efficience, d'autant que les effectifs de chacune des deux forces (notamment les effectifs déconcentrés de la DCPJ et des sections de recherche de la gendarmerie) semblent être affectés dans les territoires sans réelle concertation entre elles 50 ( * ) .

Le rapporteur spécial constate que cette situation est insatisfaisante et considère qu'une répartition plus claire des compétences doit être prévue entre les services de la gendarmerie nationale et ceux de la police nationale et faire l'objet d'un protocole cadre tripartite 51 ( * ) , décliné au niveau local, entre la DGGN, la DGPN et la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice.

(b) La répartition des dossiers entre les services de la DCPJ et de la DCSP fait également parfois l'objet d'une logique de concurrence

Au sein des dossiers revenant aux services de la police nationale, la répartition ne se fait pas non plus toujours de façon fluide entre les services de la DCPJ et ceux de la DCSP , comme l'a constaté le rapporteur spécial lors des déplacements et auditions qu'il a menés.

Les principes de répartition des dossiers entre la DCPJ et la DCSP fixés par le protocole-cadre signé le 20 décembre 2007 entre le DGPN et la DACG du ministère de la Justice , présenté supra , sont certes largement appliqués.

Néanmoins, des logiques de concurrence et de conflit apparaissent plus ou moins fréquemment au niveau local sur certains dossiers entre les services de ces directions. Là encore, les dossiers les plus prestigieux sont souvent sollicités par les différents services, tandis qu'il n'est pas rare que les services déconcentrés des deux directions cherchent à échapper à certains dossiers jugés moins intéressants. En outre, le caractère bien plus engorgé par la masse de dossiers à traiter des services de la DCSP nourrit dans certains cas des relations globalement difficiles avec les services de la DCPJ, ce qui peut compliquer encore la répartition des dossiers.

(2) Un partage de l'information entre services d'investigation qui doit encore être renforcé

Le partage de l'information disponible entre services enquêteurs constitue l'une des clés de l'efficacité de la répression policière. Il conditionne notamment les recoupements et la célérité des opérations. Il est d'autant plus indispensable que les services compétents sont multiples et que la répartition concrète des compétences n'est pas toujours fluide.

Le code de procédure pénale fait d'ailleurs du partage de l'information une obligation pour les services d'investigation. Il énonce, en son article D2-1 que « Les officiers de police judiciaire des différents corps ou services entretiennent, à tous les échelons, des relations de coopération et d'aide réciproque, dans le respect des règles administratives et des procédures hiérarchiques en vigueur. » En son article D5, il précise que « Lorsqu'ils participent à une même enquête, les officiers ou agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale collaborent constamment dans l'intérêt de la justice. Ils mettent en commun leur compétence, leurs aptitudes et les moyens complémentaires dont ils disposent. » En outre, l'ensemble des forces de police et de gendarmerie ont l'obligation de faire remonter les informations aux offices centraux, qui se chargent de les diffuser.

Ce partage d'information est en partie effectif. Des efforts ont d'ailleurs été déployés ces dernières années pour l'améliorer. La création successive de différents offices centraux y a ainsi participé et a favorisé la transversalité du partage de l'information tant au sein de la police nationale que de la gendarmerie nationale. En outre, la police nationale cherche à structurer une filière de l'information criminelle en son sein et à favoriser le partage de l'information. Ont ainsi notamment été créées dans les services déconcentrés de la DCPJ des cellules opérationnelles de rapprochement et d'analyse des infractions liée (CORAIL), qui fournissent aux enquêteurs de la DCSP des informations recoupées sur la criminalité sérielle pour favoriser l'élucidation des affaires. De même les cellules du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) informent notamment tant les services de la DCPJ que ceux de la DCSP (ainsi que ceux de la gendarmerie nationale). Par ailleurs, le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO) de la DCPJ participe à ces échanges et à la diffusion de l'information.

Il n'en demeure pas moins que le partage de l'information est encore insuffisant non seulement entre la gendarmerie nationale et la police nationale mais également entre les services de la DCPJ et ceux de la DCSP. Elle résulte tant d'une certaine logique de concurrence entre ces services que d'un manque d'outils et de temps. Trop souvent, des informations recueillies par un service ne sont pas ou ne peuvent pas - pour des raisons aussi simples parfois que des différences de droits d'accès ou de types de logiciels - être utilisées et valorisées par l'autre.

Il est d'ailleurs révélateur que la doctrine de coordination de l'investigation entre les services territoriaux de la sécurité publique et de la police judiciaire publiée le 12 avril 2016 et co-signée par le DGGN, le DCSP et le DCPJ insiste sur la nécessité et sur les modalités de partage de l'information criminelle entre ces services, qui devrait aller de soi au sein d'une même administration.

c) Le système des offices centraux de police judiciaire, communs avec la gendarmerie nationale, connaît un succès variable

Les offices centraux de police judiciaire, présentés supra , dont 9 sur 14 sont gérés par la DCPJ 52 ( * ) et dont le principe et les objectifs généraux font l'objet d'un consensus, connaissent en réalité un succès variable.

Dans leur rôle opérationnel de police judiciaire sur les dossiers à forts enjeux qui leur sont directement dévolus, leur efficacité est reconnue, quel que soit le domaine, en dépit de moyens matériels et humains différents.

En revanche, leur vocation interministérielle, et leurs rôles de coordination stratégique de l'investigation de l'ensemble des services d'investigation dans leurs domaines de compétences, de soutien aux enquêteurs dans les services déconcentrés et de partage de l'information font l'objet d'un succès variable , comme les auditions du rapporteur spécial ont été l'occasion de le constater. Si l'OFAST, qui bénéficie de moyens ambitieux et d'un statut spécifique 53 ( * ) , fait figure de modèle de réussite d'un office central de ces points de vue, il n'en va pas de même pour tous, y compris parmi ceux gérés par la DCPJ.

Comme le soulignait la Cour des comptes en 2021 54 ( * ) , leur fonctionnement est généralement en réalité fortement orienté vers leur force de rattachement , tandis que le niveau des effectifs prévus en provenance de l'autre force est rarement totalement atteint. Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, la DGPN précise ainsi que « La DCPJ constate néanmoins depuis plusieurs années un désengagement certain de la gendarmerie » au sein de certaines sous-directions et donc de certains offices centraux.

Or, l'existence d'un office central qui ne parvient pas à accomplir ses missions stratégiques et de coordination , pour des raisons qui peuvent être variables (manque de moyens, lacunes dans la stratégie de coordination, périmètre de compétences inapproprié, etc .) est pénalisant . D'une part, elle révèle un manque d'organisation dans le domaine concerné. D'autre part, elle contribue elle-même à la complexité de l'organisation administrative et à la dispersion des moyens en ajoutant un acteur supplémentaire, l'office central. Comme le soulignait le livre blanc de la sécurité intérieure publié en novembre 2020, il est nécessaire de dresser un inventaire et de réaliser une évaluation du fonctionnement de ces structures.

De ce point de vue, il convient d'être prudent quant à l'utilisation du système des offices centraux. Lorsqu'ils sont maintenus ou lors de leur création, ils doivent faire l'objet d'une ambition globale et de moyens certains, à l'image de l'OFAST.


* 1 Dont les rapporteurs sont Madame Nadine BELLUROT, sénatrice, et M. Jérôme DURAIN, sénateur. Le président de la commission des lois est M. François-Noël BUFFET, sénateur.

* 2 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 3 MM. Marc-Philippe DAUBRESSE et Loïc HERVÉ, sénateurs.

* 4 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 5 Voir notamment Droit de la police, Hervé Vlamynck, 7 e édition, 2021.

* 6 Voir infra .

* 7 En référence à l'ancienne adresse de la DRPJ-PP, le 36, quai des Orfèvres, la DRPJ-PP ayant son siège depuis 2017 au 36 - toujours -, rue du Bastion.

* 8 Avis du Conseil d'État du 10 mars 2022 sur la première version du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 9 Sont toutefois OPJ sans avoir à passer d'examen les personnes exerçant certaines fonctions, parmi lesquelles les maires et leurs adjoints, les officiers et les gradés de la gendarmerie nationale, les inspecteurs généraux, les sous-directeurs de police active, les contrôleurs généraux et les commissaires et officiers de la police nationale.

* 10 Droit de la police, Hervé Vlamynck, 7 e édition, 2021.

* 11 Voir infra .

* 12 Ventilation directement inspirée de celle proposée par le ministère de l'intérieur en réponse au questionnaire du rapporteur spécial.

* 13 Voir infra , Projet annuel de performance, Projet de loi de finances pour 2023, Mission « Sécurités ».

* 14 Voir supra pour la définition des « niveaux » de délinquance .

* 15 Décret n° 2020-1779 du 30 décembre 2020 portant création du service à compétence nationale dénommé service national de police scientifique.

* 16 Les « BR » sont les brigades de recherche et les « SR » sont les sections de recherche. Les groupes interministériels de recherches (GIR), anciennement dénommés groupes d'intervention régionaux, sont des services qui luttent contre différents types de délinquance, notamment financière. Ils peuvent être composés de gendarmes, de policiers, d'agents des douanes, des impôts, de l'URSSAF, ou encore de l'inspection du travail.

* 17 Aujourd'hui le ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

* 18 https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Organisation/Direction-Centrale-de-la-Police-Judiciaire/Histoire-de-la-police-judiciaire

* 19 Voir infra .

* 20 Une notice rouge est une demande adressée, via Interpol, aux services chargés de l'application de la loi du monde entier à l'effet de localiser une personne et de procéder à son arrestation provisoire dans l'attente de son extradition, de sa remise ou d'une mesure similaire conforme au droit. Les personnes concernées sont recherchées par le pays membre à l'origine de la notice, ou par un tribunal international. La notice rouge n'est pas un « mandat d'arrêt international » (qui n'existe d'ailleurs pas, à la différence du mandat d'arrêt européen). Les pays membres d'Interpol appliquent leur propre droit pour décider d'arrêter ou non la personne.

* 21 Article 6 du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'intérieur et du ministère des outre-mer.

* 22 Décret n° 2020-1776 du 30 décembre 2020 portant organisation des services territoriaux de police judiciaire de la police nationale.

* 23 Voir supra .

* 24 Voir infra .

* 25 L'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP), l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), l'Office central de lutte contre le travail illégal, l'exploitation par le travail et la fraude en matière sociale (OCLTI) et l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité et les crimes de haine (OCLCH).

* 26 L'Office de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM), qui s'est substitué au 1 er janvier 2023 à l'office central pour la répression de l'immigration irrégulière et de l'emploi d'étrangers sans titre (OCRIEST), est quant à lui rattaché à la Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) de la police nationale.

* 27 Voir infra .

* 28 Voir supra .

* 29 Agrégat recensant les crimes et délits les plus graves : les homicides, les règlements de compte entre malfaiteurs, les vols à main armée, les grands trafics de stupéfiants, les attentats, etc .

* 30 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 31 Projet annuel de performance, Projet de loi de finances pour 2023, Mission « Sécurités ».

* 32 https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/18/sky-ecc-l-application-prisee-des-traficants-mine-d-or-des-enquetes-sur-le-crime-organise_6150398_3224.html

* 33 Les « mules » sont des passeurs qui transportent la drogue, pour certains « in corpore », au péril parfois de leur vie.

* 34 Tétrahydrocannabinol, molécule aux effets psychotropes contenue dans le cannabis.

* 35 Réponses de la DGPN au questionnaire du rapporteur spécial et audition de la directrice de l'Ofast.

* 36 Décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 37 portant création du service à compétence nationale dénommé Office anti-stupéfiants.

* 38 Arrêté du 27 décembre 2019 portant création d'antennes et de détachements de l'Office anti-stupéfiants et diverses dispositions relatives à la création de l'office.

* 39 Voir infra .

* 40 Voir infra .

* 41 Olivier Renaudie, La préfecture de police.

* 42 Loi n° 66-492 du 9 juillet 1966 portant organisation de la police nationale.

* 43 Rapport d'information de M. Philippe DOMINATI, fait au nom de la commission des finances n° 353 (2016-2017), 1 er février 2017, La préfecture de police de Paris : qui trop embrasse mal étreint ?

* 44 En référence à l'ancienne adresse de la DRPJ-PP, le 36, quai des Orfèvres, la DRPJ-PP ayant son siège depuis 2017 au 36 - toujours -, rue du Bastion.

* 45 Voir organigramme ci-dessus.

* 46 Année la plus récente pour laquelle le rapporteur spécial dispose de données comparables pour la DRPJ-PP et la DCPJ. Il n'y a pas de raison de penser que les équilibres aient significativement évolué.

* 47 Notamment au sein de son rapport d'information, fait au nom de la commission des finances n° 353 (2016-2017), 1 er février 2017, intitulé La préfecture de police de Paris : qui trop embrasse mal étreint ?

* 48 Voir infra .

* 49 Voir supra .

* 50 Voir également sur ces sujets le rapport de la Cour des comptes, demandé par la commission des finances du Sénat, sur le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur, mai 2021.

* 51 Une telle proposition de conclusion d'un protocole tripartite fait globalement l'objet d'un consensus. Elle avait notamment déjà été formulée par la Cour des comptes dans son référé de 2015 sur la fonction de police judiciaire dans la police et la gendarmerie nationales.

* 52 Voir supra .

* 53 Voir supra .

* 54 Rapport de la Cour des comptes, demandé par la commission des finances du Sénat, sur le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur, mai 2021.

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