IV. FAIRE ÉVOLUER LES « 3D » (DIPLOMATIE, DÉFENSE, DÉVELOPPEMENT) POUR RÉPONDRE AUX ENJEUX DU GOLFE DE GUINÉE

La région du golfe de Guinée constitue un foyer de développement essentiel pour l'Afrique de l'Ouest et la France a intérêt à la stabilité et à la prospérité de cette région. Celle-ci est toutefois prise en étau entre plusieurs menaces majeures, auxquelles il convient de faire face, tout en tirant les leçons des écueils rencontrés au Sahel.

1. Vers une diplomatie d'influence plus offensive

Il a été récemment démontré qu'une société israélienne avait non seulement mis en place de faux influenceurs au Burkina Faso, mais avait aussi utilisé un hebdomadaire français pour diffuser une information visant à discréditer le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en alléguant une collusion avec des groupes djihadistes. Par ailleurs, des courants de pensée locaux sont instrumentalisés par les régimes autoritaires comme la Russie, dans le cadre d'une offensive idéologique globale prônant le retour à des valeurs autoritaires contre les valeurs prétendument « dépravées » de l'Occident.

Dans ce contexte, la prise de conscience française de la nécessité de développer les actions d'influence est réelle . La France dispose désormais d'un ambassadeur dédié à la diplomatie publique en Afrique et d'un ambassadeur pour le numérique chargé notamment de promouvoir les droits humains, les valeurs démocratiques et la langue française dans le monde numérique ainsi que de renforcer l'influence et l'attractivité des acteurs français du numérique. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères travaille également à la création d'un media vidéo en ligne inspiré de Brut pour promouvoir les actions de la diplomatie française sur le continent. L'État-major des Armées a créé quant à lui une cellule Anticipation, stratégie et orientation (ASO).

Au-delà de ces réformes nécessaires, il est indispensable de trouver des relais non institutionnels pour mettre à profit les réseaux sociaux d'une manière plus offensive afin de contrer une désinformation de plus en plus inventive , et ainsi de mettre en oeuvre des moyens qui, il y a peu encore, ne relevaient pas de la diplomatie, notamment à destination de la jeunesse.

Il ne s'agit pas de diffuser des contre-vérités, mais au contraire d'illustrer davantage, preuves à l'appui, deux réalités : l'équipe France mène de nombreuses actions en faveur des populations locales ; certains de ses compétiteurs stratégiques ont un agenda caché et des groupes qui leur sont étroitement liés comme les mercenaires de Wagner commettent de nombreuses exactions et mettent les pays qu'ils investissent en coupe réglée . Il est donc plus que jamais nécessaire de trouver des relais, des influenceurs qui soient sensibles à ces messages.

Par ailleurs, il est parallèlement nécessaire de montrer que la France est prête à s'engager dans des partenariats renouvelés avec les pays de la région, dans une optique d'intérêts partagés et en se tournant vers un avenir commun, plutôt qu'en faisant référence à une histoire commune. Alors que les autres pays engagés dans le golfe de Guinée, notamment les pays européens mais aussi les États-Unis, proposent eux aussi des projets de coopération pertinents et attractifs, il est plus que jamais nécessaire de mobiliser l'ensemble de l' « équipe France » dans cet esprit, notamment à destination de la jeunesse.

2. Une aide au développement qui doit prendre davantage en compte les enjeux d'influence

De manière complémentaire, il est nécessaire d'ajuster le modèle français d'aide au développement pour prendre en compte ces nouvelles réalités. Au total, l'AFD a investi 5,15 milliards d'euros entre 2016 et 2020 au sein des pays du golfe de Guinée, soit 23% de ses engagements totaux en Afrique . Rien qu'au Nigeria, l'AFD a engagé 2,5 milliards d'euros depuis 2008, soit le deuxième engagement de l'agence sur le continent derrière le Maroc. De même, la Côte d'Ivoire était la première bénéficiaire de l'APD française en 2018 et encore la troisième en 2021 avec 251 millions d'euros. Un troisième « Contrat de désendettement et de développement » (C2D), dont l'AFD assurera la mise en oeuvre, a été récemment signé avec ce pays pour un montant de 1,144 milliard d'euros.

Montant investi par l'AFD dans le golfe de Guinée entre 2016 et 2020

Montant investi par l'AFD au Nigeria

Soit 23% des engagements de l'agence en Afrique

Soit le 2 ème engagement de l'agence en Afrique

Deux évolutions sont nécessaires dans ce domaine. Puisque ces pays ont pris conscience de la menace djihadiste, il est nécessaire de les soutenir en même temps sur le plan sécuritaire et dans leurs efforts de développement socio-économique des régions du Nord. C'est déjà en partie le cas : la stratégie « golfe de Guinée » de l'AFD prend explicitement en compte le risque de développement du terrorisme . Il est nécessaire de poursuivre dans cette direction : les projets en matière de conciliation des usages du sol, d'emploi des jeunes et d'éducation dans le nord des pays concernés doivent être multipliés, ce qui suppose de maintenir des moyens importants en dons au profit de l'AFD .

En second lieu, l'aide au développement ne peut rester à l'écart de l'effort d'influence mené par l'équipe France. Il paraît ainsi nécessaire de mettre l'accent sur les actions ayant de fortes retombées médiatiques et « réputationnelles » et qui permettent d'obtenir des résultats rapides. Les projets structurants sont nécessaires, mais n'offrent que peu de retombées à court terme sur ce terrain . Il semble donc nécessaire de ré-augmenter les moyens dont disposent les services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades, car ils ont la réactivité et la culture nécessaire pour ce genre d'actions . Or, malgré une légère augmentation de leurs financements dans la période récente, ces services restent très peu pourvus.

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