II. LA DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE : UNE RÉORGANISATION PROMETTEUSE MAIS DONT LE DÉPLOIEMENT PRÉCIPITÉ A PROVOQUÉ DE NOMBREUSES INQUIÉTUDES

A. UNE DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE, SELON UNE ORGANISATION PAR FILIÈRE

Dans le prolongement des recommandations du livre blanc de la sécurité intérieure, le ministère de l'intérieur a engagé à partir de la fin 2019 un projet d'unification des différents silos de la police nationale à l'échelle départementale, autour d'une logique de filière métier .

En substance, il s'agit de rassembler dans de nouvelles « directions départementales de la police nationale » (DDPN) la plupart des services opérationnels de la police nationale, à savoir les services de la sécurité publique, de la police judiciaire, de la police aux frontières et du renseignement.

À l'échelle de la police nationale, cette réforme vise à mettre fin au cloisonnement entre les filières et à assurer une meilleure circulation de l'information au niveau local entre les différents métiers de la police nationale.

À l'échelle de la police judiciaire, cette réforme vise à créer une nouvelle filière investigation unifiée , rassemblant au sein d'une même direction l'ensemble des services exerçant des missions de police judiciaire.

B. UNE CONDUITE À VUE DU PROJET DE RÉORGANISATION

La première étape de cette réforme a consisté en une expérimentation de ce nouveau schéma organisationnel dans plusieurs territoires d'outre-mer ainsi que dans huit départements hexagonaux.

Chronologie des expérimentations dans les départements
de l'Hexagone et des outre-mer

Source : commission des lois du Sénat

Si trois années se sont écoulées depuis le lancement des premières expérimentations, il demeure extrêmement délicat d'établir un bilan. Quelques points de satisfaction émergent indéniablement s'agissant des directions territoriales de la police nationale (DTPN) mises en place dans les territoires ultramarins. Compte tenu de la forte spécificité de ces territoires, il serait néanmoins imprudent de déduire de ces seuls retours d'expérience la pertinence de la réforme à l'échelle nationale. Les premiers éléments d'évaluation des huit directions départementales de la police nationale (DDPN) hexagonales laissent quant à eux transparaître des résultats hétérogènes et à la portée concrète réduite, voire inexistante dans plusieurs cas . La conduite à droit constant de ces expérimentations faisant obstacle à toute modification d'ampleur des organigrammes ou réaffectation de personnels, leur succès repose de fait sur la bonne volonté des parties prenantes. Si de véritables gains organisationnels et opérationnels peuvent être décelés dans certains départements, en particulier en Savoie, nombre de DDPN s'apparentent davantage à des « coquilles vides » dont la mise en place n'a eu aucun effet sur les pratiques existantes .

Ces expérimentations ne sont cependant pas dépourvues d'enseignements, en ce qu'elles permettent, d'une part, d' entrevoir les gains potentiels de la réorganisation et, d'autre part, de mettre en évidence les nombreux défis qui devront être surmontés pour mener à son terme une éventuelle généralisation des DDPN.

L'insuffisance de la préparation du projet de généralisation porté par le ministère de l'intérieur est à cet égard manifeste. Le manque de concertation et le caractère erratique de la communication ont directement alimenté les doutes autour d'un projet lui-même inabouti, aux contours flous et changeants . Le projet a ainsi suscité dans les rangs de la police judiciaire une levée de boucliers d'autant plus notable que cette institution est réputée pour sa discrétion. Les principaux points de crispation tiennent à la crainte des enquêteurs de la DCPJ de se voir éloignés de leur coeur de métier pour traiter du flot de « la délinquance du quotidien » et à la pertinence du choix du département comme échelon de référence.

Par ailleurs, force est de constater que la conduite du projet de réorganisation a souffert d'un défaut de lisibilité et de transparence. De fait, celle-ci a plus ressemblé à une succession d'ajustements en réaction aux contestations qu'au déroulé d'une stratégie claire suivant un calendrier prédéterminée. Ces défaillances en cascade ont inévitablement généré une forte incompréhension chez des enquêteurs qui ne disposaient pas d'un niveau d'information suffisant pour apprécier les effets de la réforme sur leur situation individuelle.

Il doit par ailleurs être relevé que ce conflit qui s'est cristallisé au cours de l'été 2022 s'étend également au monde judiciaire. Les magistrats du parquet ont notamment exprimé de vives inquiétudes quant aux conséquences de la réforme sur leurs prérogatives en matière de libre-choix du service instructeur ou de direction et de contrôle des investigations. Cette opposition est la conséquence directe d'une association trop timide du ministère de la justice aux travaux, et ce alors que les conséquences de la création de la filière investigation sur l'activité du parquet auraient justifié un dialogue renforcé.

Ce faisant, le projet de départementalisation de la police nationale s'est progressivement imposé comme un sujet incontournable dans l'agenda politique et médiatique.

Chronologie du projet de réorganisation de la police nationale

Source : commission des lois du Sénat

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