C. INTENSIFIER L'EFFORT DE RECHERCHE SUR L'INDUSTRIE CELLULAIRE, MAIS MISER EN PRIORITÉ SUR L'ÉLEVAGE ET LES PROTÉINES VÉGÉTALES POUR RELEVER LE DÉFI DE L'AUTONOMIE PROTÉIQUE

C'était l'un des enseignements majeurs de l'audition plénière du 8 février dernier : chez les plus sceptiques, dont les sénateurs étaient pour la plupart, comme chez les promoteurs des aliments cellulaires, un consensus s'est dessiné pour accroître nos connaissances sur le sujet, tant les inconnues restent nombreuses.

Un effort doit d'abord être mené dans la compréhension du produit et des procédés en tant que tels.

Sans nécessairement reproduire l'ensemble des travaux des entreprises, une unité mixte de recherche au sein de l'INRAE et du CNRS pourrait être dédiée à la maîtrise des techniques de l'industrie cellulaire et à une plus large diffusion des aspects les plus méconnus de ses procédés de fabrication.

Cela devrait permettre en particulier de mettre la lumière sur la fermentation de précision, une technique, moins médiatique mais beaucoup plus avancée que la production d'aliments cellulaires, pour produire, par exemple, la caséine du lait ou le blanc de l'oeuf, en lien, déjà, avec de grands groupes laitiers tels que Bel.

Sur le modèle d'Israël et des Pays-Bas, cette infrastructure publique constituerait, du reste, un avantage compétitif pour les entreprises françaises, renforçant nos chances de ne pas perdre pied dans la compétition mondiale pour la maîtrise de la technologie, et limitant le risque de tomber dans la dépendance à de grandes entreprises étrangères.

Recommandation n° 13 : créer une unité mixte de recherche, au sein de l'INRAE et du CNRS, dédiée à une meilleure appréhension des techniques de l'industrie cellulaire.

Face aux nombreuses incertitudes qui demeurent au sujet des aliments cellulaires et de leurs conséquences sur la société, il n'en demeure pas moins essentiel de procéder à une évaluation socio-économique, environnementale et éthique de la diffusion des aliments cellulaires.

C'est pourquoi, comme l'a proposé le chercheur Jean-François Hocquette, nous demandons formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour, au-delà de la question du comment, se poser la question du pourquoi.

Recommandation n° 14 : demander formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour évaluer les impacts socio-économiques, environnementaux et pour anticiper les effets sur la santé humaine à long terme de la consommation d'aliments cellulaires.

Cet effort de recherche serait toutefois vain si les plus de cent entreprises qui développent ce produit dans le monde ne jouaient pas le jeu de la transparence. Principe qui paraît d'autant plus justifié que ce secteur, dont on a parfois l'impression qu'il veut laver plus blanc que blanc, fait des préoccupations écologiques un argument commercial majeur.

En matière de sécurité sanitaire, l'EFSA oblige désormais les entreprises opérant en Europe à l'informer lors du lancement de toute nouvelle étude relative aux risques sanitaires, afin d'éviter la rétention d'informations et la sélection des données les plus favorables. Nous proposons de transposer cet impératif de transparence de la santé à l'environnement, en imposant la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales - en France, à l'ADEME -, dès le stade des ateliers-pilotes, et surtout lors des premières étapes de l'industrialisation.

Recommandation n° 15 : sur le modèle de la transparence en matière de sécurité sanitaire vis-à-vis de l'EFSA, imposer la transparence en matière environnementale aux entreprises de ce secteur, en obligeant à la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales.

Enfin, la mission a pu mesurer que ses travaux intervenaient encore un peu tôt dans le développement des aliments cellulaires.

C'est pourquoi elle propose de réaliser un « droit de suite » à ce rapport d'information, un an après les éventuelles premières demandes d'autorisation déposées sur le bureau de l'EFSA, c'est-à-dire peu avant le moment où les pouvoirs publics seraient amenés à se prononcer.

Recommandation n° 16 : dans l'éventualité où des demandes d'autorisation seraient déposées en Europe, faire, un an plus tard, un droit de suite au Sénat.

Comparée à d'autres moyens plus directs et efficaces, les aliments cellulaires ne seront pas indispensables pour nourrir le monde en 2050.

Dans les pays développés, la diversification des régimes alimentaires par un rééquilibrage des sources de protéines végétales (légumineuses...) ou animales permettrait d'atteindre les mêmes objectifs plus rapidement et de façon plus simple.

En outre, les limites présentées comme indépassables des autres familles de protéines alternatives (analogues végétaux à partir de soja ou de pois) ne semblent pas insurmontables.

Surtout, le rééquilibrage des régimes alimentaires par un redressement de la consommation, en chute libre, de produits naturels tels que les légumineuses et les fruits et légumes, paraît de bon sens.

Les financements aux protéines végétales semblent insuffisants dans la PAC. Il semble nécessaire de les compléter, dans le cadre des stratégies protéines végétales nationales et dans celui de la stratégie en cours d'élaboration au niveau de la Commission.

Recommandation n° 17 : pour faire face au défi de l'autonomie protéique, prioriser l'accélération de la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés, plutôt que le financement d'alternatives lointaines et plus incertaines.

Par ailleurs, la contribution des aliments cellulaires à la sécurité alimentaire des pays en développement semble très hypothétique.

Il ne faut donc pas entretenir l'illusion que les aliments cellulaires pourraient constituer une solution à court ou même à moyen terme pour les apports protéiniques de ces pays. En ne voyant l'élevage qu'au prisme de l'élevage en feed-lot brésilien ou américain et de ses externalités, on risquerait même de jeter le discrédit sur l'élevage extensif et l'agriculture vivrière.

Or, l'élevage paysan demeure dans ces pays une ressource importante pour la subsistance des ménages, revêtant en outre une grande importance sociale et culturelle.

Recommandation n° 18 : maintenir voire rehausser les soutiens à l'agriculture vivrière et à l'élevage dans l'aide publique et privée à destination des pays en développement.