EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 juin 2023, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, la commission a entendu une communication de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la politique de conventionnement avec les associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

Mme Sylvie Vermeillet, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec la présentation, par Éric Bocquet, des conclusions du contrôle budgétaire qu'il a mené avec Arnaud Bazin sur la politique de conventionnement avec les associations intervenant dans le champ de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Je vais m'exprimer à la première personne du pluriel, non pas par effet d'emphase, mais simplement parce que mon collègue Arnaud Bazin ne peut pas être présent ce matin et que je présente ce rapport en notre nom à tous les deux.

La mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » finance des subventions en faveur d'associations intervenant dans des domaines aussi variés que l'aide alimentaire, la lutte contre les violences faites aux femmes ou la défense des droits des personnes handicapées. Lorsque l'État - c'est-à-dire, à la fois, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), le service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE), mais également les administrations déconcentrées - subventionne une de ces associations, il signe le plus souvent avec elle une convention, fixant le montant de la somme versée, les contours du projet financé et les modalités de contrôle de l'administration.

Au cours de nos précédents travaux, Arnaud Bazin et moi-même avons entendu des associations signaler l'existence de difficultés, dont certaines étaient directement ou indirectement liées aux modalités de conventionnement avec l'État. Nous sommes dès lors convenus de profiter du présent contrôle budgétaire pour donner la parole aux associations, recueillir leurs témoignages et tenter de leur apporter des solutions.

Nous constatons tout d'abord une tendance haussière du soutien de l'État aux associations par le biais de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » au cours du dernier quinquennat. Les subventions sont passées de 61 millions d'euros en 2017 à 201 millions d'euros en 2022. S'il s'agit de sommes modestes - moins de 1 % des crédits d'une mission dotée d'environ 30 milliards d'euros - nous sommes du moins satisfaits qu'elles progressent.

La majorité de ces crédits concerne les associations relevant du programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes ». Il s'agit principalement d'un soutien aux associations d'aide alimentaire, lequel croît au rythme des crises sanitaires et sociales. Le pic a été atteint en 2020 avec un montant de 179 millions d'euros de subventions versées, un nouveau pic ayant été enregistré en 2022.

Une part croissante de ces crédits va également aux associations financées au titre du programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes ». Cette hausse progressive est liée à la montrée en puissance, trop lente à notre goût, de la politique en faveur des droits des femmes.

En outre, une part importante de ces crédits - 80,7 % en 2022 - est allouée à l'échelon déconcentré.

Les chiffres suggèrent un engagement renouvelé de l'État en faveur des associations. Mais le recours aux associations n'est-il pas le symptôme d'une forme de désengagement de l'État, qui fait faire à la société civile ce qu'il ne peut plus - ou ne veut plus - faire lui-même ? Cette question a suivi en filigrane tous nos travaux.

S'agissant des modalités concrètes de conventionnement, il convient de distinguer deux types de conventions : les conventions annuelles permettant le financement de projets ponctuels et les conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO) ayant vocation à financer des projets structurants ou l'activité des grandes associations « têtes de réseaux ». Le recours à ces CPO s'est accru avec la circulaire « Valls » du 29 septembre 2015 car elles assurent aux associations une certaine visibilité sur leurs financements, le soutien de l'État étant inscrit dans la durée.

La procédure d'instruction des demandes de subvention demeure marquée par une très grande complexité, avec des retards parfois importants dans le versement des fonds. Certaines associations ont mentionné des subventions versées au mieux en juillet, au pire en décembre de l'exercice de référence, ce qui fragilise évidemment les structures. Pour y remédier, la DGCS a élaboré un nouveau calendrier de programmation, applicable à partir de cette année, avec l'objectif de parvenir à un paiement des subventions entre avril et juin. Si cet effort traduit une prise de conscience de l'administration, il faudrait a minima que ce calendrier soit respecté. On pourrait également prévoir un calendrier encore plus ambitieux.

Le recours aux CPO limiterait ces inconvénients dans la mesure où, une fois la convention signée, les versements sont prévus pour les années suivantes et réalisés aux dates définies : un acompte en mars et le solde en août. On pourrait envisager par ailleurs que ces conventions soient signées pour une durée de quatre ans, au lieu de trois, ce qui conforterait la visibilité des associations.

Cela est nécessaire, car leur situation est trop souvent précaire. En particulier, elles sont soumises à un effet ciseau lié à l'inflation, à l'image des Restos du coeur, qui ont vu le nombre des personnes accueillies s'accroître de 22 % tandis que le coût des achats de denrées augmente, passant de 56 millions d'euros à 110 millions d'euros entre 2022 et 2023. Leurs emplois sont en outre peu attractifs, du fait des faibles rémunérations.

Il convient donc de faire du conventionnement un instrument permettant de conforter le modèle économique des associations. Lorsqu'elles portent, comme ici, de véritables politiques publiques, on ne peut pas admettre de les laisser dans la précarité. L'État doit compenser régulièrement l'impact de l'inflation et accepter de financer une partie de leurs dépenses de personnel - il ne l'a jusqu'ici que ponctuellement fait.

L'enjeu de ce contrôle aura été, en dernière analyse, de trouver les voies d'un rééquilibrage des relations, les associations se trouvant dans une dépendance parfois aiguë envers l'État, ce qui permet à ce dernier de contrôler l'action associative, phénomène que des universitaires ont qualifié de « gouvernement à distance ».

Je prendrai l'exemple des appels à projets (AAP), pratique consistant à réserver une partie limitée des crédits pour verser des subventions à des projets innovants ou ponctuels fournis par les associations selon un cadre déterminé par l'administration. Même si, en principe, l'initiative du projet revient toujours à l'association, le développement de ces appels à projets brouille les lignes : les associations ont tout intérêt à se conformer aux attentes de l'État, car elles bénéficieront ainsi d'un renforcement de leurs moyens. Nous recommandons donc de recourir à ces dispositifs avec parcimonie, toujours en complément et jamais en substitution des financements socles.

Le contrôle de l'administration sur les associations se traduit également par une évaluation des actions menées dans le cadre d'un dialogue de gestion. De qualité discutable pour les projets ponctuels, ce dialogue est globalement regardé comme satisfaisant par les parties prenantes s'agissant des conventions pluriannuelles.

Quelques points d'amélioration ont néanmoins été identifiés : l'administration doit recourir plus régulièrement à la notion d'« excédent raisonnable » ; les indicateurs retenus pour évaluer les actions, pas toujours pertinents, sont parfois même porteurs d'effets pervers ; enfin, le rééquilibrage des rapports entre l'État et les associations pourrait passer par une moindre dépendance des secondes aux financements du premier, par exemple en faisant appel aux collectivités locales. Nous recommandons donc de faciliter le développement de cofinancements locaux.

En conclusion, c'est dans les modalités concrètes du conventionnement que réside la réponse cherchée. À la question de savoir si le recours aux associations traduit un désengagement ou un réengagement de l'État, nous répondons qu'un État qui s'engage est un État permettant aux associations, via les conventions, de faire correctement leur travail.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie les rapporteurs spéciaux. Le sujet que nous examinons est sérieux et d'une actualité brûlante, puisqu'un autre fonds fait parler de lui en ce moment, et ce également sous l'angle de la rigueur de gestion. Le schéma consistant à conserver un socle et, pour certaines actions ponctuelles ou nouvelles, passer par des appels à projets peut s'entendre. Mais, à nouveau, il faut une gestion rigoureuse de nos finances publiques et une façon de faire permettant aux associations de piloter correctement leur budget. Je partage donc les préoccupations exprimées dans ce rapport et l'esprit des recommandations des rapporteurs.

M. Philippe Dominati. - Le périmètre des associations concernées évolue-t-il assez fortement d'année budgétaire en année budgétaire ? Pourrait-on avoir une vision sur plusieurs exercices ?

M. Rémi Féraud. - Le recours aux associations présente des intérêts manifestes - nous le savons tous en tant qu'élus locaux -, mais aussi de nombreux dangers. Il y a cette forme de « sous-traitance » précédemment évoquée, mais il est aussi très facile, en période d'économies budgétaires, de commencer par réduire les crédits aux associations. Est-ce un risque élevé aujourd'hui ?

Sécuriser et stabiliser les associations est tout de même complexe à faire. Les conventions n'empêchent pas les annualités budgétaires et la durée de trois ans est extrêmement courte. Votre proposition consistant à accroître cette durée est positive, mais, parallèlement, les appels à projets montent en puissance. Pouvez-vous nous indiquer l'évolution de leur part budgétaire dans les subventions ?

Mme Isabelle Briquet. - Il est noté dans le rapport que le renforcement de la place des associations dans l'action publique peut apparaître comme le signe d'un désengagement concomitant de l'État. N'avez-vous pas vu, dans ces évolutions, le signe d'un plus grand engagement citoyen ?

Mme Christine Lavarde. - Effectivement, la durée des conventions est un sujet. Les rapporteurs spéciaux connaissent-ils la périodicité selon laquelle ces associations sont contrôlées par la Cour des comptes ?

M. Michel Canévet. - Nous le savons, le travail mené par les associations dans le domaine social est absolument essentiel pour répondre aux besoins. Ces conventions pluriannuelles d'objectifs sont-elles une garantie véritable pour les partenaires associatifs de bénéficier d'un soutien effectif de l'État sur la durée ? Ou ne sont-ils, en définitive, jamais assurés d'un financement dans l'avenir du fait de l'annualité budgétaire ? Dans le Finistère, certaines associations liées par ces conventions rencontrent de grandes difficultés, car l'évolution des charges, notamment des salaires, est totalement déconnectée des financements obtenus .

Par ailleurs, avez-vous des éléments d'information sur le versement des subventions ? Le nouveau dispositif apporte-t-il des améliorations ?

M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. - Philippe Dominati, c'est le contexte social et économique actuel qui bouscule les associations, avec une hausse de la pauvreté, d'un côté, et, de l'autre, l'enclenchement du mouvement MeToo et du mouvement de lutte contre les violences faites aux femmes. Si le nombre des associations subventionnées suit une tendance haussière - elles sont 7 159 en 2022 - le périmètre n'évolue que peu.

Rémi Féraud, les associations sont effectivement inquiètes, notamment du fait de la fin du « quoi qu'il en coûte » et des mesures annoncées par le Gouvernement en vue de la prochaine loi de finances. On sait que les subventions peuvent être remises en question d'une année sur l'autre, au nom du nécessaire rétablissement des comptes publics, alors que l'utilité de ces associations est incontestable et incontestée. Cela explique la demande insistante de ces dernières d'avoir une visibilité à trois ou quatre ans, notamment lorsqu'elles emploient des salariés. Néanmoins la tendance actuelle, je l'ai dit, est plutôt à une augmentation du soutien de l'État aux associations.

Les évolutions marquent-elles un renouveau de l'engagement citoyen, comme l'a demandé Isabelle Briquet ? Je suis frappé depuis plusieurs années par la force de la mobilisation et de la motivation des personnes travaillant dans ces associations. Il faut absolument les soutenir.

Certains ont parlé d'une « bénévolisation » de l'action publique. Des études statistiques ont ainsi souligné la croissance soutenue du bénévolat dans le monde associatif. En 2017, les associations, tous secteurs d'activité confondus, ont bénéficié du travail de 31,272 millions de bénévoles, représentant un volume de travail de l'ordre de 1,425 million d'emplois en équivalent temps plein. On ne pourrait pas se passer de cet engagement !

Par ailleurs, Christine Lavarde, la Cour des comptes ne procède à aucun contrôle systématique, mais les administrations centrales opèrent bien un contrôle annuel.

Michel Canévet, je suis convaincu que la visibilité est essentielle pour les associations, notamment celles qui ont des salariés. Cela explique leur demande de voir la durée des conventions passer de trois à quatre ans. En principe, un avenant permet de réévaluer les montants chaque année, mais on y a difficilement recours actuellement, du fait du contexte inflationniste, et nous recommandons une réévaluation plus fréquente.

S'agissant de l'efficacité du nouveau calendrier d'attribution des subventions, nous sommes encore en attente d'éléments de la DGCS.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et a autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.