B. UN CADRE JURIDIQUE QUI PEINE À SE CRISTALLISER À L'ÉCHELLE DE L'UNION EUROPÉENNE

1. Des cadres progressivement ajustés au regard des contraintes extérieures : une vision stabilisée ?
a) La stratégie hydrogène de l'Union européenne

En juillet 2020, la Commission européenne a présenté une communication intitulée « Une stratégie de l'hydrogène pour une Europe climatiquement neutre », qui prévoit une trajectoire progressive pour accélérer le développement de l'hydrogène propre en trois phases entre 2020 et 2050 :

- une première phase, jusqu'à 2024, dédiée au déploiement initial à proximité des centres de demande ;

- une deuxième, allant jusqu'en 2030, visant à réduire les coûts et assurer l'expansion des infrastructures ;

- une troisième, à partir de 2030, visant un déploiement et une demande à grande échelle, en considérant que les technologies de l'hydrogène renouvelable auront atteint leur maturité.

Parallèlement s'est constituée l'Alliance européenne pour un hydrogène propre, un forum rassemblant les acteurs industriels, les autorités publiques et les représentants de la société civile et vise à coordonner les investissements.

La communication souligne que l'hydrogène constitue une priorité pour l'Union européenne, notamment pour pallier les manques des énergies renouvelables. L'hydrogène peut ainsi « permettre de pallier les variations saisonnières et de relier les sites de production à des centres de demande plus éloignés. Selon les projections figurant dans la vision stratégique pour une UE neutre pour le climat, publiée en novembre 2018, la part de l'hydrogène dans le bouquet énergétique européen devrait passer de moins de 2 % actuellement à 13-14 % d'ici à 2050 ». La Commission estimait alors que l'Union européenne pourrait faire de l'hydrogène propre « une solution viable pour décarboner progressivement différents secteurs, en atteignant une capacité installée d'au moins 6 GW d'électrolyseurs pour la production d'hydrogène renouvelable dans l'UE d'ici à 2024, qui passera à 40 GW d'ici à 2030 ».

b) « Ajustement à l'objectif 55 » : un paquet interdépendant et complexe qui influe largement sur la décarbonation des transports

Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », présenté par la Commission européenne le 14 juillet 2021, est un ensemble de treize propositions visant à réviser et à actualiser la législation de l'Union ainsi qu'à mettre en place de nouvelles initiatives pour veiller à ce que les politiques de l'Union soient conformes aux objectifs climatiques arrêtés par le Conseil et le Parlement européen (réduire d'ici 2030 les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % par rapport à 1990 et atteindre la neutralité climatique d'ici 2050). La stratégie de l'Union européenne pour les forêts à l'horizon 2030 a été présentée en même temps que le train de mesures.

Le graphique suivant présente l'architecture d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Vue d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55 »

Source : Commission européenne

Ce paquet a été complété en décembre 2021 par un « paquet gazier » comprenant en particulier :

- une proposition de directive concernant des règles communes pour les marchés intérieurs des gaz renouvelables, des gaz naturels et des gaz à effet de serre et de l'hydrogène ;

- une proposition de directive sur les marchés intérieurs des gaz renouvelables et naturels et de l'hydrogène ;

- une proposition de règlement relatif à la réduction des émissions de méthane dans le secteur de l'énergie.

Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » comprend trois pièces maîtresses, déjà révisées en 2018, qui donnent le cadre général. Il s'agit de :

- la révision du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) de l'UE, y compris son extension au transport maritime, la révision des règles relatives aux émissions de l'aviation et la mise en place d'un système distinct d'échange de quotas d'émission pour le transport routier et les bâtiments ;

- la révision du règlement sur la répartition de l'effort en ce qui concerne les objectifs de réduction des émissions des États membres dans les secteurs ne relevant pas du SEQE de l'UE, même si le paquet introduit des zones de recouvrement pour le transport et les bâtiments ;

- la révision du règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (UTCATF).

Deux textes totalement nouveaux apparaissent comme des « boucliers » destinés à protéger les ménages et les acteurs économiques européens du choc induit par ce paquet. Il s'agit du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et du fonds social pour le climat.

Les autres textes sont plus ciblés et apparaissent comme des déclinaisons sectorielles destinées à permettre l'atteinte des objectifs assignés par les trois règlements posant le cadre. Il s'agit de :

- la révision de la directive sur les énergies renouvelables ;

- la refonte de la directive sur l'efficacité énergétique ;

- la révision de la directive sur la taxation de l'énergie ;

- la révision de la directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs ;

- la modification du règlement établissant des normes d'émission de COpour les voitures et les camionnettes ;

- l'initiative ReFuelEU Aviation pour l'utilisation de carburants durables dans l'aviation ;

- l'initiative FuelEU Maritime, pour un espace maritime européen vert.

Le plan RepowerEU, présenté à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, a renforcé les objectifs du plan « Ajustement à l'objectif 55 » en portant de 40 % à 42,5 % la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie de l'Union à l'horizon 2030, avec l'ambition d'atteindre 45 %.

La quasi-totalité des propositions du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », à l'exception notable de la directive sur la taxation de l'énergie qui requiert l'unanimité au Conseil, a donné lieu à des accords, notamment sous la présidence française du Conseil.

La Commission européenne a ensuite présenté, le 14 février 2023, une proposition de règlement renforçant les normes de performance en matière d'émission de CO2 pour les nouveaux véhicules lourds. Elles donnent désormais un cadre et des trajectoires sectorielles, en particulier dans le domaine des carburants ou vecteurs énergétiques. Pour faciliter la compréhension des implications de ces mesures sur les différentes filières industrielles et modes de transport, l'impact des textes sectoriels fait l'objet d'une présentation dans la deuxième partie du présent rapport.

c) Le paquet gazier

Présenté le 15 décembre 2021 comme un complément du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », le paquet gazier vise notamment à décarboner la consommation de gaz et à créer un marché de l'hydrogène doté d'infrastructures adaptées et coordonnées par-delà les frontières, y compris des interconnexions, dans lequel l'hydrogène peut être acheminé de façon rentable depuis les sites où il peut être facilement produit à partir de sources d'énergie renouvelables vers les clients industriels qui en ont besoin.

La Commission européenne relevait alors que « quelque 300 Mtep (350-400 milliards de m) de combustibles gazeux sont consommés chaque année dans l'UE, dont 95 % sont du gaz naturel. Ils représentent environ 25 % de la consommation totale d'énergie dans l'UE et servent pour 20 % à la production d'électricité dans l'UE et 39 % à la production de chaleur. Conformément aux scénarios stratégiques qui sous-tendent l'initiative « Ajustement à l'objectif 55 », le biogaz et le biométhane, l'hydrogène renouvelable et à faible teneur en carbone et les carburants de synthèse (gaz de synthèse) viendront progressivement remplacer le gaz naturel fossile et représenteront une part très importante des combustibles gazeux dans le bouquet énergétique à l'horizon 2050 ».

d) Le plan RepowerEU

Les objectifs et propositions présentés dans ces différents paquets ont été réévalués à la hausse par la Commission européenne, à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, dans le cadre de son plan RepowerEU, visant renforcer la résilience de l'Union et à réduire sa dépendance au gaz russe.

Comme le relevait la Commission, « le plan REPowerEU s'appuie sur la mise en oeuvre intégrale des propositions du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » présentées l'an dernier sans modifier l'ambition de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 et de parvenir à la neutralité climatique d'ici à 2050 conformément au pacte vert pour l'Europe ».

Selon l'analyse de la Commission, ce nouveau plan, qui met à nouveau l'accent sur l'importance de l'hydrogène, implique des investissements supplémentaires de 210 milliards d'euros d'investissement d'ici à 2027, qui viendront s'ajouter à ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des propositions du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

e) Le plan pour une industrie verte européenne (NZIA)

Enfin, confrontée à la fois à la concurrence chinoise, notamment pour la production de véhicules électriques, et aux conditions très favorables mises en oeuvre par les États-Unis dans le cadre, notamment, de l'Inflation Reduction Act, la Commission européenne a présenté le 1er février 2023 une communication relative au plan industriel du pacte vert, puis le 16 mars 2023 une proposition de règlement relatif à l'établissement d'un cadre de mesures en vue de renforcer l'écosystème européen de la fabrication de produits de technologie « zéro net », dit règlement pour une industrie « zéro net ».

La proposition de règlement vise ainsi à encourager les investissements dans la production de technologies « zéro net », en prévoyant :

- une simplification du cadre réglementaire ;

- une amélioration de l'investissement dans la capacité de production de l'Union en ce qui concerne les technologies essentielles à la réalisation des objectifs de neutralité climatique de l'Union et à la résilience de son système énergétique décarbonné, tout en contribuant à réduire la pollution ;

- une réduction des dépendances de l'Union, qui est fortement importatrice nette de technologies « zéro net » alors que celles-ci jouent un rôle clé dans son autonomie stratégique ouverte.

Quoique présenté comme une réponse à l'IRA, ce cadre n'est pas assorti de nouveaux financements européens. Les projets pourront toutefois bénéficier des possibilités existantes offertes par les instruments de l'Union (Fonds pour l'innovation, programme InvestEU, facilité pour la reprise et la résilience, Horizon Europe, programmes de cohésion), et bénéficier d'aides d'État dans le cadre du régime temporaire applicable jusqu'à fin 2025.

2. Une transition désordonnée ?

Dans une interview accordée au Grand Continent le 15 janvier 2023, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, observe que « le scénario par défaut de la transition climatique européenne est un scénario de transition désordonnée ».

Dans le cadre d'une contribution écrite adressée à la mission d'information, la Banque publique d'investissement relève que « le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », le plan industriel vert de l'Union européenne et le règlement « zéro émission nette » sont trois initiatives européennes successives pour accélérer la transition verte de l'économie et des entreprises. Nous pourrions ajouter l'initiative sur les semi-conducteurs (Chips Act), l'initiative sur les matières premières critiques (Critical Raw Material Act) ou encore Repower EU et ses plans d'actions sectoriels. Ce sont des plans épars qui ne sont pas conçus comme un seul et même plan, mais comme une succession de plans. Leurs jalons n'ont pas été définis pour s'emboîter les uns dans les autres. Cela peut donc conduire à un risque de transition désordonnée ».

C'est également le sentiment qu'ont pu en avoir les acteurs auditionnés par la mission d'information, qui sont souligné que les incertitudes concernant le cadre applicable et les objectifs à atteindre ne favorisaient pas l'investissement.

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