N° 829

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) par la mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

Tome II - Comptes rendus

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

COMPTE RENDU DE LA RÉUNION CONSTITUTIVE

(Mercredi 3 mai 2023)

M. Claude Raynal, président. - La presse s'est fait largement l'écho, ces dernières semaines, d'interrogations sur la manière dont les crédits du fonds Marianne, créé après l'assassinat de Samuel Paty afin de promouvoir les valeurs républicaines et de combattre les discours séparatistes, ont été utilisés, mettant en valeur un possible détournement de leur objet.

Conformément aux dispositions de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), j'ai donc demandé au Gouvernement communication d'un certain nombre de documents permettant de comprendre les conditions dans lesquelles les subventions de ce fonds ont pu être octroyées et leur utilisation. Les services de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, ont répondu à mes demandes dans les délais fixés, mais les documents qui m'ont été transmis ne me permettent pas à ce jour de faire toute la lumière sur ce sujet, loin de là - certains sont indigents. En particulier, aucun élément concret ne porte sur les critères de sélection des principaux bénéficiaires du fonds ni sur le contrôle effectif de leurs actions.

Afin d'aller plus loin, il me semble nécessaire de formaliser notre contrôle sous la forme d'une mission d'information, dont l'ensemble des membres de la commission des finances seraient membres. Des auditions devraient permettre de compléter notre information et d'éclairer le processus politico-administratif ayant conduit à l'octroi des subventions. À ce titre, Mme Marlène Schiappa, ancienne ministre déléguée chargée de la citoyenneté, m'a fait savoir qu'elle se tenait à la disposition de la commission.

Par ailleurs, compte tenu de l'importance des auditions nécessaires, il me semble utile de demander, pour une durée limitée de trois mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. En effet, les commissions d'enquête disposent d'un droit de citation au titre duquel toute personne dont une commission juge l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée. Elle est également tenue de prêter serment et de déposer, ces obligations étant assorties de sanctions pénales. Compte tenu du caractère limité du sujet, nous devrions pouvoir terminer sans difficulté nos travaux dans le délai des trois mois.

La création de la mission d'information et la demande d'octroi des prérogatives de commission d'enquête porteraient sur « la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds ». Cette demande serait formulée en application de l'article 22 ter du règlement du Sénat et de l'article 5 ter de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Elle serait transmise au Président du Sénat et, sur proposition de la Conférence des Présidents, inscrite à l'ordre du jour du Sénat le mercredi 10 mai prochain, ce qui permettra de démarrer nos travaux.

La commission des lois sera appelée à émettre son avis sur la conformité de cette demande avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance précitée. Cet article dispose notamment que les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. Il ne peut être créé de commission d'enquête sur un objet sur lequel une commission d'enquête aurait déjà achevé ses travaux depuis moins de douze mois ou sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie, monsieur le président, pour cette démarche. Vous avez relevé le caractère lacunaire des éléments qui vous ont été communiqués et vous proposez que notre commission se transforme en mission d'information tout en étant dotée provisoirement des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.

Ces prérogatives sont importantes selon moi. Les personnes sollicitées ont, en effet, l'obligation de répondre à la convocation et doivent, par ailleurs, prêter serment. Je me souviens que, en 2015, alors que je présidais la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, l'une des personnes qui avaient témoigné s'était rendue coupable d'un parjure et que nous étions allés au bout de la démarche judiciaire. C'est dire la force de ces témoignages.

Je souhaite que la mission s'en tienne aux faits quant à l'allocation et à l'exécution d'une enveloppe budgétaire. Il ne faudrait pas qu'il y ait une carence dans le fonctionnement du fonds et dans l'allocation de moyens qui ont été accordés, à la suite d'un acte odieux, à une cause importante, les valeurs de la République. On ne peut pas transiger sur nos valeurs. Vérifions rigoureusement les faits et l'utilisation des fonds par ces associations.

M. Albéric de Montgolfier. - Monsieur le président, vous avez demandé des documents. De deux choses l'une : soit vous considérez que les réponses qu'ils apportent sont satisfaisantes et, dans ce cas, il faut s'arrêter là ; soit vous considérez qu'elles ne le sont pas, et je suis alors favorable à ce que nous allions plus loin en demandant à ce que nous soient octroyées les compétences d'une commission d'enquête.

M. Claude Raynal, président. - L'objectif est, en effet, de disposer d'une information suffisante et objective pour bien comprendre les faits et mettre au jour d'éventuels dysfonctionnements. Les documents transmis ne suffisent pas à répondre. Il s'agit également de couper court aux rumeurs de toutes sortes.

M. Roger Karoutchi. - Je suis sur la même ligne qu'Albéric de Montgolfier. Si vous estimez que la convocation de Mme Schiappa devant la commission des finances est insuffisante pour permettre d'obtenir les éclaircissements attendus et que la transformation de la commission des finances en commission d'enquête - tout de même plus lourde symboliquement et politiquement - est nécessaire, alors nous vous suivrons.

En particulier, si vous considérez qu'il peut être utile d'auditionner également les responsables des associations, par exemple, autant aller vers la commission d'enquête.

M. Jean-Michel Arnaud. - Je m'interroge également sur l'opportunité d'agir en deux temps, en conviant dans un premier temps Mme Schiappa pour entendre ses explications, afin de décider, dans un second temps, et en fonction de ces explications, de l'utilité de créer une commission d'enquête. Compte tenu de la nature des faits qui ont présidé à la création du fonds Marianne, à savoir l'assassinat d'un professeur de l'éducation nationale, il me paraît judicieux de procéder ainsi.

M. Arnaud Bazin. - Le président Raynal a souligné l'indigence du contenu des documents qui nous ont été communiqués. Or une commission d'enquête a la prérogative d'obtenir la communication de tous les documents qu'elle demande.

Du reste, j'ai pu apprécier la méthode employée dans ce genre de situation par le Gouvernement : les documents sont généralement communiqués tardivement à la veille de l'audition, si bien que, pour pouvoir poser les questions pertinentes, les sénateurs et les fonctionnaires concernés doivent travailler toute la nuit.

Au regard de cette méthode et de la nécessité d'accéder à l'ensemble des documents, je suis favorable à la création d'une commission d'enquête.

M. Jérôme Bascher. - J'ajoute que, sans la création d'une commission d'enquête, nous ne pourrons pas, me semble-t-il, interroger Mme Schiappa sur ses fonctions passées.

M. Claude Raynal, président. - À ce stade, convier Mme Schiappa à une audition reviendrait à pointer d'emblée sa responsabilité propre dans cette affaire. Dans la conférence de presse que j'ai donnée, je n'ai cité Mme Schiappa que pour indiquer qu'elle n'était, à ce stade, en responsabilité qu'en tant que ministre déléguée au moment des faits.

J'estime qu'il ne faut pas inverser les sujets. Il convient tout d'abord de comprendre ce qui s'est passé. Il nous faudra donc auditionner en premier lieu le secrétaire général du comité interministériel chargé de ce dossier.

Je rappelle que la question posée est la suivante : pourquoi le comité de sélection a-t-il attribué les sommes les plus importantes à deux associations, l'une dont l'objet social n'a rien à voir avec le sujet, et la seconde créée spécialement pour l'occasion ? Il nous faut d'abord entendre les personnes qui ont pris ces décisions, c'est-à-dire le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation et les conseillers ministériels qui étaient membres du comité de sélection - comité qui ne comprenait a priori aucun spécialiste de la communication sur internet.

La commission d'enquête permettra de déterminer les faits. Pourquoi les associations concernées n'ont-elles pas été poursuivies dans des délais courts ? Pourquoi certaines prestations non effectuées ont-elles été payées ?

Dans un deuxième temps, nous interrogerons les ministres - je dis bien les ministres - sur les éléments que nous aurons réunis.

Tel est, mes chers collègues, le déroulé des travaux que je vous propose pour comprendre la manière dont des fonds ont été attribués parmi les dix-sept projets retenus, qui n'ont, semble-t-il, fait l'objet d'aucune notation. Nous pourrons ainsi faire la lumière, non pas sur les agissements de tel ou tel, mais sur la manière dont on est parvenu à un résultat qui remet en cause l'esprit même de la création du fonds.

La commission décide, à l'unanimité, de créer une mission d'information sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets et l'attribution des subventions, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds, et de demander au Sénat l'octroi pour celle-ci, pour une durée de trois mois, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.

La commission désigne M. Jean-François Husson rapporteur.

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