N° 838

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la flotte d'aéronefs
bombardiers
d'eau de la sécurité civile,

Par M. Jean Pierre VOGEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné, le mercredi 5 juillet 2023, le rapport de M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial du programme « Sécurité civile », suite à son contrôle budgétaire sur la flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile.

I. LES AÉRONEFS BOMBARDIERS D'EAU DE LA SÉCURITÉ CIVILE : UNE FLOTTE DIVERSE DONT LA DOCTRINE D'EMPLOI A FAIT SES PREUVES

A. UNE FLOTTE AÉRIENNE DE LUTTE CONTRE LES FEUX DIVERSIFIÉE

La flotte d'aéronefs de la sécurité civile destinée à la lutte contre les feux de forêt est actuellement composée de 12 avions Canadair CL415, 8 avions Dash, et 3 avions Beechcraft King 200.

Les Canadair sont des avions dits « amphibies », dans la mesure où ils disposent d'une capacité à écoper sur des plans d'eau et de s'y ravitailler. Leur capacité de largage de 6 000 litres d'eau, couplée à une doctrine d'intervention reposant sur un engagement massif des moyens sur un même feu, les rend particulièrement efficaces en matière de lutte contre les incendies d'ampleur.

Les Dash ont pour mission principale d'effectuer des opérations de guet aérien armé (GAAr), qui consiste à survoler préventivement les zones exposées au risque de départs de feu, dans le but de repérer ces-derniers et les attaquer dès leur déclenchement. Les Dash sont équipés de produit retardant, qui leur permet notamment de ralentir la progression des flammes sur des secteurs difficiles d'accès pour les sapeurs-pompiers mobilisés au sol. Les Beechcraft King 200 ne disposent pas de capacité de largage d'eau, mais contribuent activement à la lutte contre les feux, par leur rôle de coordination des opérations aériennes et leur participation à des opérations de surveillance et de GAAr.

Composition de la flotte de la sécurité civile consacrée à la lutte contre les feux

Type d'appareils

Quantité

Caractéristiques techniques

Coût d'acquisition

Estimation du coût actuel

Avions Canadair C415

12

- Avion amphibie

- Capacité d'emport de 6 000 litres

- Largage d'eau et, marginalement, de produit retardant courte durée

- Vitesse de projection : 330 km/h

20 millions d'euros

Entre 60 et 64 millions d'euros

Avions Dash 8 MRBet

6

- Avion « multi rôle » (transport de passagers et lutte contre les feux)

- Capacité d'emport de 10 000 litres

- Largage de produit retardant et d'eau

- Vitesse de projection : 650 km/h

60 millions d'euros

40 millions d'euros

Avions Dash 8 MR

2

22 millions d'euros, achat d'occasion

S.O.

Avions Beechcraft B 200

3

- Avion de reconnaissance et de commandement

- Vitesse de projection : 445 km/h

1,5 million d'euros, achat d'occasion

9 millions d'euros

Source : commission des finances, d'après la DGSCGC

B. UNE FLOTTE PERFORMANTE, MAIS DONT LA MOBILISATION CROISSANTE ET LE VIEILLISSEMENT CONSTITUENT DES FACTEURS DE PRÉOCCUPATION

1. L'efficacité de la flotte repose sur la doctrine d'attaque des feux naissants

La doctrine d'intervention des aéronefs de la sécurité civile repose sur une stratégie d'attaque des feux naissants. L'efficacité de cette doctrine fait aujourd'hui l'unanimité auprès de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile, et permettrait de maitriser près de 89,5 % des départs de feu. Cette stratégie, qui implique de disposer d'une capacité de projection sur l'ensemble des territoires à risque, impliquera forcément à l'avenir, dans un contexte d'extension du risque incendie à l'ensemble du pays, un redimensionnement de la flotte.

2. La flotte de bombardiers d'eau est de plus en plus sollicitée en raison notamment de l'extension et de l'intensification du risque incendie

Les conséquences du changement climatique impliquent aujourd'hui un risque accru de départ de feux, et par conséquent, une sollicitation croissante de la flotte. Cette situation est susceptible d'engendrer des surcoûts importants, liés mécaniquement à une augmentation des heures de vols et du nombre de largages réalisés, ainsi qu'à la multiplication des opérations de maintenance. En 2022, les dépenses supplémentaires induites par la saison « feux de forêts » ont par exemple entrainé un surcoût estimé à 33 millions d'euros.

La sur-sollicitation de la flotte et la multiplication des opérations de maintenance qui en résulte sont également susceptibles d'entrainer une immobilisation plus importante des appareils, alors même que l'intensification du risque incendie requiert des besoins d'intervention plus importants. Si le taux de disponibilité de la flotte d'avions de la sécurité civile demeure aujourd'hui satisfaisant, le rapporteur constate qu'il a tendance à baisser significativement en période de forte tension opérationnelle, comme cela fut le cas en 2017 et en 2022

Taux de disponibilité des avions de la sécurité civile

 

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Canadair

83,0 %

88,9 %

100,0 %

95,2 %

97,4 %

96,6 %

89,2 %

Dash

87,2 %

81,7 %

90,7 %

85,6 %

91,7 %

91,9 %

87,9 %

Beechcraft

93,7 %

84,0 %

93,7 %

90,9 %

94,6 %

96,4 %

95,7 %

Le risque d'immobilisation des aéronefs est amplifié par la dynamique de vieillissement de la flotte, qui engendre des visites de maintien en condition opérationnelle (MCO) plus régulières.

Vieillissement des appareils de la flotte de lutte contre les feux de la DGSCGC

Type

Age moyen

Observations

Canadair C415

25 ans et 4 mois

Premier appareil livré en 1994, dernier appareil livré le 15 mai 2007

Dash 8 MR

22 ans

Appareils achetés d'occasion et livrés le 9 juillet 2005, la DGSCGC envisage actuellement d'engager la rénovation avionique
de ces appareils

Dash 8 MRBet

2 ans et 5mois

Appareils livrés entre 2019 et 2023

Beechcraft
King 200

38 ans et 6 mois

Appareils achetés d'occasion, premier appareil livré le 18 mars 1991 et dernier livré le 25 juillet 2001,
rénovation avionique réalisée en 2019

Source : commission des finances, d'après la DGSCGC

II. LE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE BOMBARDIERS D'EAU SOUFFRE D'UN DÉFAUT D'ANTICIPATION, ET SE HEURTE AUX DIFFICULTÉS DE PRODUCTION DES NOUVEAUX APPAREILS

A. UN MANQUE D'ANTICIPATION ET DE VISIBILITÉ SUR LA STRATÉGIE DE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE BOMBARDIERS D'EAU

Le rapporteur spécial a constaté au cours de ses travaux un défaut d'anticipation et de visibilité sur la stratégie d'investissement du ministère d'intérieur dans ses moyens aériens de lutte contre les feux. Il a plus particulièrement relevé un décalage important entre d'une part, les annonces présidentielles d'un redimensionnement et d'un renouvellement complet de la flotte de Canadair à l'horizon 2027, et d'autre part, les informations transmises par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) selon lesquelles la France ne pourrait espérer bénéficier de la livraison que de deux appareils dans les cinq prochaines années.

Il semble aujourd'hui nécessaire, afin d'assurer une certaine continuité dans la dynamique de renouvellement de la flotte aérienne, qu'une stratégie d'investissement pluriannuelle et séquencée soit clairement définie et formalisée au sein d'un document unique. Cette stratégie ne doit pas se limiter au seul volet capacitaire, mais doit également prendre en considération l'implication de l'extension de la flotte en matière de ressources humaines, de coût de maintenance et de dimensionnement des infrastructures susceptibles d'accueillir ces nouveaux aéronefs.

B. LE RENOUVELLEMENT DES AVIONS BOMBARDIERS D'EAU FAIT L'OBJET DE BLOCAGES LIÉS À UN NOMBRE INSUFFISANT D'ACTEURS INDUSTRIELS SUR LE MARCHÉ

1. Le vieillissement des plus anciens Dash pose la question de leur rénovation à court-terme

Le rapporteur spécial se félicite de l'acquisition entre 2019 et 2023, pour un montant total de 354 millions d'euros, de six nouveaux avions Dash venus renforcer la flotte dans un contexte de forte activité opérationnelle. Toutefois, le vieillissement des deux plus anciens Dash implique aujourd'hui des difficultés pour le prestataire de maintenance pour l'obtention de certaines pièces détachées nécessaires au fonctionnement du système de largage de ces avions. Cette situation fait peser à court-terme un risque d'indisponibilité de ces appareils.

Un projet de rénovation avionique de ces plus anciens Dash serait actuellement envisagé, mais le rapporteur spécial estime nécessaire de réaliser, au préalable, un bilan coût-avantage sur l'intérêt de privilégier ce projet de rénovation à l'achat d'appareils neufs.

2. Une situation de monopole du constructeur des Canadair qui nécessite d'engager une réflexion au niveau national et européen sur la constitution d'une capacité de production d'un bombardier d'eau

Le président de la République, dans un discours du 28 octobre 2022, a annoncé que la flotte vieillissante de 12 Canadair serait intégralement renouvelée, et portée à 16 appareils. La France devrait notamment bénéficier de la livraison de deux nouveaux Canadair dans le cadre d'une commande mutualisée au niveau européen et intégralement financée par le programme RescEU. Cette commande pourrait être assortie d'une livraison de deux appareils supplémentaires pour la France, qui seraient en revanche financés exclusivement sur fonds nationaux. Le coût unitaire de ces nouveaux modèles de Canadair est actuellement estimé entre 60 et 64 millions d'euros.

Une incertitude majeure réside toutefois sur la date de livraison de ces appareils, aujourd'hui estimée à 2027, mais qui a déjà plusieurs fois été repoussée compte tenu de la décision tardive du constructeur De Havilland Canada (DHC) de relancer la chaîne de production. En outre, de nombreux doutes subsistent quant à la capacité de ce producteur à livrer les appareils à l'horizon 2027, dans la mesure où de nombreuses étapes, telles la certification des appareils, le recrutement de personnels qualifiés, ou la reconstruction d'une chaîne d'assemblage, sont préalablement nécessaires à la relance de la production.

Or, la situation de monopole dont bénéficie DHC sur le marché du bombardier d'eau place la France et ses partenaires européens dans une situation de dépendance vis-à-vis de ce constructeur pour renouveler leur flotte. Il n'existe en effet à ce jour, aucun autre industriel susceptible de produire un bombardier d'eau susceptible de concurrencer les Canadair à court terme. Si plusieurs projets d'aéronefs suscitent aujourd'hui l'intérêt de la DGSCGC, ceux-ci ne sont actuellement qu'à un stade embryonnaire, et ne peuvent espérer voir le jour à court terme.

Il est désormais nécessaire que les pouvoirs publics, tant au niveau national qu'au niveau européen, donnent une impulsion pour doter l'Europe d'une véritable capacité de production de bombardiers d'eau, afin de s'affranchir de la dépendance vis-à-vis des Canadair.

C. DES PISTES DE RENFORCEMENT DES MOYENS AÉRIENS DE LUTTE CONTRE LES FEUX À COURT-TERME, ENTRE LOCATION D'APPAREILS, DIVERSIFICATION DE LA FLOTTE ET APPROFONDISSEMENT DE LA COOPÉRATION EUROPÉENNE

1. Si la location d'aéronefs permet de renforcer la flotte à court-terme, cette pratique apparait coûteuse et crée des difficultés opérationnelles

La DGSCGC a été amenée, depuis 2020, à recourir à la location de plusieurs appareils, qui ont certes permis de renforcer la flotte à court terme pour répondre la forte activité opérationnelle, mais qui ne peuvent constituer une solution d'extension des capacités de la flotte à long terme.

Le recours à la location représente tout d'abord un coût budgétaire important. Pour l'été 2023, le recours à la location de quatre avions Air Tractor, représenterait par exemple un coût de 6,2 millions d'euros pour la DGSCGC, alors que la loi de finances pour 2023 avait également prévu un montant de 10 millions d'euros destinés à la location de dix hélicoptères bombardiers d'eau (HBE) lourds. Par ailleurs, dans la mesure où les équipages mis à disposition par les sociétés de location ne sont le plus souvent pas francophones, leur intégration dans le dispositif opérationnel peut s'avérer difficile.

2. Les hélicoptères bombardiers d'eau : un complément utile des Canadair, qui ont fait leurs preuves depuis plusieurs années

La DGSCGC a eu recours, pour compléter la flotte de lutte contre les feux, à la location de plusieurs HBE lourds depuis 2020. Ces appareils, dont le coût unitaire d'acquisition est estimé à 25 millions d'euros, présentent l'intérêt de pouvoir accéder, contrairement aux autres bombardiers d'eau, à des zones difficiles d'accès, telles que les zones montagneuses, de réaliser des largages de nuit et de disposer de davantage de possibilités de ravitaillement que les Canadair.

La France pourrait bénéficier d'ici 2026 de la livraison d'un appareil de ce type, dans le cadre d'une commande mutualisée de trois HBE réalisée par l'intermédiaire du programme RescEU. Celle-ci devrait être complétée à terme par une deuxième commande de six appareils, dont devrait également bénéficier la France en partie. Compte tenu de l'intérêt opérationnel que représentent ces hélicoptères, il semble aujourd'hui essentiel d'accélérer la concrétisation de ces commandes. Ces HBE lourds ne doivent toutefois être envisagés que comme un complément utile à la flotte actuelle, et non comme une solution de substitution aux Canadair, malgré l'incertitude pesant sur leur délai de livraison.

Par ailleurs, les nouveaux hélicoptères « Dragons », dont le renouvellement a été annoncé dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) du 24 janvier 2023 et concrétisé par la loi de finances pour 2023, devraient être équipés d'une capacité de largage de 800 litres, ce qui leur permettra de participer ponctuellement à des missions de lutte contre les incendies.

3. La coopération européenne constitue une piste intéressante de renforcement des moyens aériens en cas de crise

La flotte nationale de lutte contre les feux peut également compter, en cas d'incendies d'ampleur exceptionnelle, sur le mécanisme de protection civile de l'Union européenne (MPCU), qui permet de mobiliser l'aide des flottes aériennes d'autres pays européens. Lors des « mégas-feux » de l'été 2022, la France a bénéficié pour la première fois du soutien aérien de partenaires européens dans le cadre de ce dispositif. Elle a ainsi bénéficié du renfort de deux Canadair italiens, deux Canadair grecs, deux Air Tractor Fire-boss suédois. L'approfondissement de ces actions de coopération sera essentiel à l'avenir, pour faire face à l'intensification des crises, leur multiplication et leur caractère transfrontalier.

III. AU-DELÀ DE LA QUESTION DU DIMENSIONNEMENT DE LA FLOTTE, UN ENJEU D'OPTIMISATION DES MOYENS EXISTANTS

A. LE RECRUTEMENT ET LA FIDÉLISATION DES PILOTES DE LA SÉCURITÉ CIVILE : UN PRÉALABLE À L'EXTENSION DE LA FLOTTE

Les personnels navigants de la sécurité civile sont une ressource rare, dans la mesure où la dangerosité de leurs missions nécessite une technicité particulière. Or, leur recrutement, leur formation et leur fidélisation suscitent aujourd'hui de nombreuses difficultés, alors que l'extension à venir de la flotte de bombardiers d'eau nécessitera pourtant le recrutement de davantage de pilotes.

La profession de personnel navigant de la sécurité civile souffre tout d'abord d'un déficit d'attractivité par rapport à l'aviation commerciale. La rémunération des pilotes d'avions de la sécurité civile, qui s'élève en moyenne à 6 786 euros bruts par mois, est en effet environ trois fois moins élevée que celle des pilotes de l'aviation commerciale.

Par ailleurs, la DGSCGC est aujourd'hui confrontée à une pénurie d'instructeurs chargés de former les commandants de bord, en raison notamment de la rigidité des conditions d'accès à cette fonction, dont l'attribution est uniquement validée par la direction générale de l'aviation civile (DGAC).

Un protocole signé le 11 avril 2023 entre le ministère de l'intérieur et les représentants syndicaux des personnels navigants de la sécurité civile a permis d'apporter des réponses à ces difficultés :

- par la création d'une fonction spécifique d'instructeur « bombardiers d'eau », afin de valoriser certains pilotes expérimentés et d'augmenter ainsi la capacité de formation annuelle de nouvelles recrues ;

- et par des mesures de revalorisation salariale destinées à l'ensemble des personnels navigants, et plus particulièrement, aux commandants de bord.

Le rapporteur spécial se félicite de ces avancées, et sera attentif à ce que celles-ci permettent de combler effectivement les besoins de recrutement impliqués par l'extension à venir de la flotte et la multiplication des détachements d'appareils dans les zones à risque en période estivale.

Cette dynamique positive doit désormais être exploitée par un renforcement des actions de communication à destination des pilotes de l'Armée de l'Air, qui constituent le principal vivier de recrutement de pilotes de la sécurité civile.

B. L'ENJEU DE LA COORDINATION ET DE LA RÉPARTITION OPTIMALE DES MOYENS AÉRIENS SUR LE TERRITOIRE

1. La répartition des moyens aériens de lutte contre les feux de forêt est aujourd'hui remise en cause, compte tenu de l'extension territoriale du risque

La coordination des moyens aériens est assurée par l'État-major de la sécurité civile (EMSC), et plus particulièrement par le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), qui est notamment chargé d'arbitrer les éventuelles demandes de prépositionnement d'appareils dans les zones à risques.

Cette coordination était toutefois assurée, jusqu'en 2023, par le préfet de la zone Sud en période estivale, en raison de la concentration historique du risque « feux de forêt » dans cette zone. La pertinence de cette pratique a toutefois été remise en cause lors des incendies de l'été 2022, qui ont largement touché les autres zones de défense et de sécurité, et plus particulièrement la zone Sud-Ouest.

Il a donc été acté par le ministère de l'intérieur que l'analyse et la définition de la posture de réponse seraient organisées dès l'été 2023 par l'État-Major de la sécurité civile (EMSC) pour l'ensemble du territoire national, ce qui permettra, du point de vue du rapporteur spécial, de lever les ambiguïtés sur une éventuelle priorisation de la zone Sud dans les arbitrages relatifs à l'affectation des moyens aériens de lutte contre les feux.

Le rapporteur spécial a par ailleurs constaté la nécessité de clarifier et objectiver les critères de prépositionnement des aéronefs dans tous les territoires exposés au risque de départs de feux. La méthodologie d'analyse croisée des données de Météo-France et de l'Office national des forêts, particulièrement développée dans la zone Sud, est beaucoup moins répandue dans les autres zones historiquement moins touchées par le risque « feux de forêt ». Il en résulte des divergences d'évaluation du risque selon les territoires, susceptibles de générer des tensions concernant l'arbitrage des prépositionnements des moyens aériens.

Enfin, dans un contexte d'extension géographique du risque « feux de forêt » et d'accroissement à venir de la flotte, la question du dimensionnement des infrastructures susceptibles d'accueillir les aéronefs et de les maintenir en condition opérationnelle doit être posée.

La quasi-totalité des moyens aériens de lutte contre les feux est aujourd'hui concentrée sur la base aérienne de la sécurité civile (BASC) de Nîmes. Plusieurs observateurs ont plaidé, en marge des feux de forêts de l'été 2022, pour l'ouverture d'une deuxième base afin d'assurer une meilleure couverture du territoire par les moyens aériens de lutte contre les feux. Du point de vue du rapporteur spécial, la création d'une nouvelle base dont le dimensionnement serait comparable à celle de Nîmes ne serait pas pertinente, dans la mesure où elle conduirait à démultiplier les coûts de maintenance et les dépenses en ressources humaines. Cette option apparait d'autant moins probable qu'un élargissement de la base de Nîmes, estimé à 35,5 millions d'euros sur six ans et destiné à répondre à l'extension à venir de la flotte les nouveaux aéronefs, serait envisagé par le ministère de l'intérieur.

Échéancier d'investissement du projet d'agrandissement de la BASC de Nîmes

(en millions d'euros)

 

22024

22025

22026

22027

22028

22029

TTotal

Autorisations d'engagement

99,556

226

2/

2/

2/

2/

335,556

Crédits de paiement

00,6

66

110

110

66

22,956

335,556

Source : commission des finances, d'après les réponses de la DGSCGC au questionnaire du rapporteur spécial

Il apparaitrait plus efficace, tant sur le plan budgétaire que sur le plan opérationnel, de privilégier des détachements systématiques de moyens aériens pendant l'été sur des bases aériennes préexistantes et situées dans des territoires dont l'exposition aux feux de forêt devrait se systématiser, tels que le Sud-Ouest. La base aérienne de Bordeaux-Mérignac a été identifiée par les pilotes du groupement d'avions de la sécurité civile (GASC) comme une base secondaire potentielle, qui pourrait, moyennant des investissements complémentaires, accueillir plusieurs aéronefs dans le cadre de ces détachements.

2. Les pélicandromes : des infrastructures essentielles au ravitaillement des aéronefs, dont le maillage doit toutefois être densifié et le financement clarifié

Les pélicandromes permettent de ravitailler les aéronefs en eau et en produit retardant. Le maillage des pélicandromes sur le territoire constitue un enjeu essentiel pour limiter le délai entre deux largages de produit retardant, et augmenter ainsi l'efficacité de l'action de la flotte.

Dans un contexte d'extension géographique du risque incendie, le maillage de ces stations de pélicandrome doit être renforcé. Actuellement, la DGSCGC dispose de 22 pélicandromes sur le territoire métropolitain. Malgré l'ouverture récente de plusieurs stations, le rapporteur spécial constate que ce maillage est toujours insuffisant, plus particulièrement dans le Sud-Ouest de la France, presque cinq fois moins doté que la zone Sud.

Une remise à plat du financement des pélicandromes, aujourd'hui partagé entre l'État et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), et dont le manque de lisibilité et de cohérence a été constaté par le rapporteur spécial, doit également être envisagée.

C. L'ACTION DES MOYENS TERRESTRES ET AÉRIENS DE LUTTE CONTRE LES FEUX DES SERVICES D'INCENDIE ET DE SECOURS : UN COMPLÉMENT ESSENTIEL À L'ACTIVITÉ DE LA FLOTTE NATIONALE DE BOMBARDIERS D'EAU

La coopération entre les moyens mobilisés au sol par les SDIS et les moyens nationaux de lutte aérienne contre les feux est, du point de vue de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile, une des clefs de la « guerre du feu ». Toutefois, l'absence d'interopérabilité entre le système de communication radiophonique des pilotes et le système de radio Antares utilisé par les SDIS suscite des difficultés de communication entre les centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (CODIS) et les personnels navigants, auxquelles le réseau Radio du Futur (RRF), attendu en 2024, permettra peut-être d'apporter des solutions.

Certains SDIS particulièrement exposés au risque incendie ont par ailleurs recours à la location de moyens aériens de petites capacités, leur permettant d'intervenir sur les feux naissants, et ainsi, de les contenir avant l'intervention, si nécessaire, des moyens aériens lourds de la flotte de la DGSCGC.

Aéronefs bombardiers d'eau mobilisés par les SDIS en 2022

 

SSDIS 06

SSDIS 83

SSDIS 13

BMPM1(*)

SSDIS 30

SSDIS 26

SSDIS 84

SSDIS 66

SSDIS 2A

SSDIS 2B

SSDIS 34

Hélicoptères légers

22

24

2 2
(+1*)

11
(+1*)

22

21

21

21

21

21

SS.O.

Avions bombardiers d'eau

SS.O.

SS.O.

SS.O.

SS.O.

SS.O.

SS.O.

SS.O.

SS.O.

SS.O.

SS.O.

23

* un appareil fait l'objet d'un cofinancement entre le SDIS 13 et le BMPM.

Source : commission des finances d'après les réponses de la DGSCGC au questionnaire du rapporteur spécial

Le rapporteur spécial reconnait l'utilité du recours à des moyens aériens par les SDIS, en complément de la flotte de bombardiers d'eau de la DGSCGC. Toutefois, il est important que le développement de cette pratique ne conduise pas in fine à un désengagement de l'État dans ses propres moyens aériens.


* 1 Bataillon des marins-pompiers de Marseille.