EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 juillet 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de M. Jean Pierre VOGEL, rapporteur spécial, sur la flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile.

Claude Raynal, président. - Nous entendons ce matin une communication de M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial, sur la flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile.

Jean Pierre Vogel. - Vous le savez, la flotte d'aéronefs bombardiers d'eau de la sécurité civile est un sujet qui me tient à coeur. Le rapport que je vous présente ce matin s'inscrit dans la lignée de mon travail de contrôle sur la lutte contre les feux de forêt, présenté en septembre 2019 devant notre commission, et dans lequel j'avais exposé la nécessité de renforcer nos moyens aériens de lutte anti-incendie. Les feux ravageurs de l'été 2022 ont de nouveaux rappelé l'intérêt pour un pays comme la France, dont près d'un tiers du territoire est couvert par les forêts, de disposer d'une flotte suffisante pour lutter efficacement contre les incendies.

Il me semble tout d'abord important de souligner que la France dispose d'une flotte performante. Sa doctrine d'intervention, basée notamment sur l'attaque des feux naissants et le survol des zones à risque dans le cadre du guet aérien armé (GAAr), permet de contenir près de 89,5 % de feux avant que ceux-ci ne dépassent un hectare. Toutefois, le réchauffement climatique implique une multiplication des risques de départ de feu, ce qui conduit à une sollicitation croissante de nos moyens aériens de lutte anti-incendie. Dans ce contexte, la flotte de bombardiers d'eau de la sécurité civile doit d'une part, être redimensionnée pour absorber la hausse structurelle d'activité impliquée par l'intensification et l'extension géographique du risque incendie ; et d'autre part, être renouvelée, pour éviter que le vieillissement de certains appareils, et notamment des Canadair, ne conduise à une baisse de la disponibilité des avions induite par la multiplication des opérations maintenance, voire à une immobilisation de certains appareils, comme c'est le cas en Grèce ou en Espagne.

Il est dès lors essentiel pour l'État de disposer d'une stratégie pluriannuelle d'investissement dans ses moyens aériens. Or, cette stratégie manque aujourd'hui manifestement de clarté, comme le montrent les incohérences entourant les annonces sur le renouvellement de la flotte de Canadair : le président de la République a annoncé en octobre 2022 un renouvellement complet de cette flotte ainsi que son extension à 16 appareils, contre 12 actuellement, à l'horizon 2027. Or, dans le cadre de mes auditions, le ministère de l'intérieur a en parallèle indiqué que la France ne pourrait espérer obtenir la livraison de plus de deux appareils dans les cinq prochaines années.

Cet exemple met en évidence un défaut de visibilité voire d'anticipation du Gouvernement sur les perspectives de renouvellement de notre flotte de lutte contre les feux. Il me semble en effet primordial que la stratégie d'investissement du Gouvernement dans ses moyens aériens soit clarifiée et formalisée. Cette stratégie ne doit pas se limiter au seul volet capacitaire, mais s'inscrire dans une logique plus large intégrant les implications du redimensionnement de la flotte sur des enjeux tels que les besoins de recrutement des nouveaux pilotes, l'extension du maillage de stations de ravitaillement des bombardiers en produit retardant, ou le dimensionnement des infrastructures de maintenance des appareils.

Je souhaiterais m'attarder sur la question du renouvellement de la flotte de Canadair, dont le vieillissement, déjà identifié dans mes travaux précédents, a suscité beaucoup de réactions en marge de la saison « feux de forêt » de l'été 2022.

La flotte française devrait prochainement être renforcée par deux appareils dans le cadre d'une commande mutualisée au niveau de l'Union européenne et intégralement financée par le programme RescEU. Cette commande pourrait en outre être assortie de la livraison de deux autres appareils, financés sur fonds nationaux.

Toutefois, une incertitude subsiste autour des délais de production de ces nouveaux Canadair, dont la date de livraison estimée a déjà plusieurs fois été repoussée, en raison notamment de la décision tardive du constructeur De Havilland de relancer la chaîne de production. Selon le ministère de l'intérieur, les premiers appareils ne seront pas livrés avant 2027, et il n'est pas exclu que cette date soit de nouveau repoussée. En effet, avant d'envisager la production effective de ces avions, De Havilland devra monter une nouvelle chaîne d'assemblage au Canada, recruter du personnel qualifié, et obtenir la certification des nouveaux modèles de Canadair.

Cette incertitude sur les délais de livraison est préoccupante : dans la mesure où De Havilland bénéficie d'une situation de monopole sur le marché du bombardier d'eau amphibie, la France et ses partenaires européens se trouvent aujourd'hui en situation de dépendance vis-à-vis de ce constructeur, alors que le renouvellement de leurs moyens aériens est une priorité. Il n'existe en effet à ce jour aucun autre industriel susceptible de produire un avion amphibie bombardier d'eau dans les prochaines années et de concurrencer les Canadair à court terme. La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a certes identifié plusieurs projets intéressants, mais ceux-ci sont pour la plupart à un stade embryonnaire et ne peuvent espérer voir le jour avant plusieurs années.

Il est donc essentiel que la France et ses partenaires de l'Union européenne engagent une réflexion pour se doter d'une véritable capacité de production d'un appareil bombardier d'eau en Europe. La constitution d'un « champion » européen du bombardier d'eau me semble en effet présenter un double enjeu de concurrence et d'indépendance.

Dans ce contexte d'incertitude sur les perspectives de livraison des Canadair, la DGSCGC est contrainte d'identifier d'autres pistes pour augmenter la force de frappe de sa flotte de lutte contre les feux.

À cet égard, le ministre de l'intérieur a annoncé en avril dernier le renforcement de la flotte pour l'été 2023, par la location de plusieurs appareils, qui seront essentiellement prépositionnés dans le Sud-Ouest du pays. Le recours à la location peut en effet constituer une piste intéressante de renforcement de la flotte pour répondre à une forte activité à court terme, mais elle ne peut selon moi représenter une solution pérenne. Tout d'abord, la location d'aéronefs peut susciter des difficultés d'intégration des équipages mis à disposition par les sociétés de location dans le dispositif opérationnel. Ces pilotes ne sont souvent pas francophones, ce qui peut impliquer des difficultés de communication avec les équipages de la flotte permanente, qui auraient par exemple conduit lors de l'été 2022 à plusieurs largages non autorisés. Par ailleurs, la location de ces appareils est coûteuse : la DGSCGC a en effet consacré, pour la seule année 2022, 14 millions d'euros à la location d'hélicoptères lourds bombardiers d'eau, alors que le coût unitaire d'acquisition de cet appareil est estimé à 25 millions d'euros.

La DGSCGC a en effet recours depuis 2020 à la location de ce type d'appareils, dont l'efficacité fait aujourd'hui l'unanimité auprès de l'ensemble des acteurs de la sécurité civile. Il serait désormais intéressant que la DGSCGC puisse acquérir des hélicoptères lourds bombardiers d'eau en propre. À cet égard France devrait bénéficier de la commande d'un appareil de ce type, dans le cadre d'une commande mutualisée au niveau européen, qui pourrait se concrétiser dès cette année, pour une livraison envisagée en 2026. Je m'en félicite, d'autant plus que la France pourrait ensuite bénéficier, d'après la Commission européenne, d'une autre livraison dans le cadre d'une deuxième vague de commandes. Je précise toutefois que ces hélicoptères sont complémentaires des avions bombardiers d'eau et n'ont dès lors pas vocation à s'y substituer, ou à compenser les éventuels retards de livraison des Canadair.

Dans l'attente de l'acquisition de nouveaux aéronefs, la DGSCGC doit identifier des moyens d'optimiser la gestion de la flotte existante, à travers deux vecteurs principaux : le recrutement des pilotes et une meilleure couverture du territoire par les moyens aériens existants.

Le recrutement des pilotes constitue en effet un prérequis à l'extension de la flotte. Or, le recrutement et la fidélisation de ces pilotes suscitent des difficultés. La profession de personnel navigant de la sécurité civile souffre d'un manque d'attractivité, lié à des conditions de travail particulièrement contraignantes, mais aussi, à des rémunérations environ trois fois inférieures à celles des pilotes de l'aviation commerciale. Par ailleurs, la DGSCGC souffre d'un déficit d'instructeurs chargés de la formation des commandants de bord, lié aux rigidités des conditions d'accès à cette fonction. La signature d'un protocole entre le ministre de l'intérieur et les représentants des pilotes le 11 avril dernier a permis d'apporter des solutions encourageantes, qui se seraient déjà traduites par une augmentation du nombre de candidatures.

J'en viens maintenant à la couverture du territoire par la flotte existante, qui constitue une source de préoccupation majeure dans un contexte où des zones historiquement épargnées par les départs de feux, tels que le Sud-Ouest, sont aujourd'hui de plus en plus exposées à ce phénomène. J'insisterai sur la question de l'ouverture d'une deuxième base aérienne, qui a suscité de nombreux débats en marge des incendies qui ont frappé le pays l'été dernier. Il ressort de mes auditions que l'ouverture d'une nouvelle base au dimensionnement comparable à celle de Nîmes ne serait pas pertinente, au regard de la multiplication des coûts de maintenance et de ressources humaines qu'elle impliquerait. En revanche l'organisation de détachements systématiques d'appareils pendant l'été sur des bases aériennes préexistantes me semble être une solution plus efficiente, et devrait selon moi être privilégiée.

Enfin, je conclurai mon propos en soulignant l'importance de la coopération entre les services départementaux d'incendies et de secours (SDIS) et les moyens aériens nationaux. Les SDIS de territoires historiquement exposés au risque incendie ont aujourd'hui recours à la location de moyens aériens propres. Ces aéronefs, souvent équipés de petites capacités de largage, sont particulièrement utiles pour attaquer les feux naissants, et leur articulation avec les moyens nationaux est satisfaisante. Toutefois, le recours à des moyens aériens par les SDIS ne doit évidemment pas inciter l'État à réduire son investissement dans les moyens aériens nationaux.

Il me semble également important de rappeler que les avions ne peuvent éteindre les feux à eux seuls. L'action des pilotes de bombardiers d'eau doit en effet s'articuler efficacement avec celle des sapeurs-pompiers mobilisés au sol. J'avais relevé dans mon rapport de 2016 sur le réseau Antares l'absence d'interopérabilité entre ce réseau de communication utilisé par les SDIS et le système de radiocommunication des pilotes de la flotte aérienne. Il en résulte des difficultés opérationnelles auxquelles le réseau Radio du Futur (RFF), dont le déploiement est attendu en 2024, apportera, je l'espère, des solutions.

Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'agit d'un sujet de spécialiste, mais qui nous a donné l'occasion, dans les derniers débats budgétaires, au regard des incendies plus nombreux et plus intenses depuis quelques années, de constater un problème d'inadéquation des moyens, notamment pour ce qui concernent la lutte contre les incendies par voie aérienne. J'ai été surpris, récemment, d'entendre des annonces ministérielles faisant état d'accélération d'investissements à court terme, puisque dans le cadre du dernier budget, j'avais bien en tête l'horizon de l'année 2027 pour franchir un pas nouveau, comme le rappelait Jean Pierre Vogel.

Merci d'avoir mis sur la table la question d'une approche européenne et, dans ce cadre, le sujet de la souveraineté. Quelles sont les chances d'aboutir à un résultat viable, à quelle échéance et avec quelle augmentation de moyens ?

J'ai une deuxième question. J'avais été frappé, il y a quelques temps, en allant en Corse, de voir un déploiement de la surveillance en zone montagneuse, avec des pompiers prépositionnés un peu partout, avec des camions, en situation d'observation tout au long de la journée. La question qui se pose est celle de l'intervention, une fois que les incendies sont déclarés. Avant d'avoir des flottes avec de bonnes capacités, et je le demande car je connais notre capacité d'initiative en matière de sécurité civile et de protection des biens, y a-t-il un accroissement des moyens des SDIS sur la surveillance en permanence ? Je devine que cela supposerait une mobilisation nouvelle : les effectifs le permettent-ils ? Les services départementaux peuvent-ils le financer facilement ? J'avais noté que des colonnes de renfort viennent désormais souvent du nord de la Loire pour prêter main forte à leurs départements voisins dans la lutte contre les incendies de forêt.

Michel Canévet. - Merci et félicitations au rapporteur spécial pour nous avoir livré ces informations sur un sujet qui nous préoccupe toujours sur la période estivale. Malgré une vétusté assez forte, le taux de disponibilité des avions semble assez bon. Pouvez-vous le confirmer ? Un taux de 90 % sur des avions qui ont en général 25 ans est tout à fait remarquable !

S'agissant de l'implantation des bases aériennes, je remercie le rapporteur spécial d'avoir pris une position très claire visant à conserver à Nîmes la seule base permanente sur le territoire national. Je pense qu'on doit pouvoir orienter les décisions du ministère de l'Intérieur sur le sujet par une analyse parlementaire.

On peut compléter les moyens avioniques du Sud par des hélicoptères. Ainsi, le conseil départemental du Finistère a décidé de louer pendant l'été un hélicoptère bombardier d'eau pour faire face à d'éventuels besoins en Bretagne. D'autres initiatives ont-elles été menées en ce sens sur le territoire national ?

Philippe Dominati. - Je souhaitais profiter de l'expertise de notre rapporteur, qui nous alimente chaque année sur cette problématique pour lui faire part d'une inquiétude, soulevée par le Rapporteur général, concernant le monopole du Canadair. Le constructeur De Havilland devrait lancer une chaine de fabrication, mais les délais apparaissent relativement longs, sans que l'on sache vraiment si ce projet va aboutir.

Dans l'intervalle, les pays européens n'ont pas de solution alternative, et je souhaiterais savoir si les autres entreprises, comme ATR, Airbus ou autre travaillaient à des projets alternatifs sérieux ? Des réflexions sont-elles engagées ?

Deuxièmement, concernant les hélicoptères, j'ai eu l'occasion de voir en Grèce l'efficacité des hélicoptères bombardiers d'eau. N'est-ce pas le moyen de substitution en attendant le nouveau Canadair qui, même s'il est très efficace, pourrait n'être pas remplacé immédiatement.

Jean-Michel Arnaud. - Je tiens à rappeler l'urgence au regard de la situation dramatique que nous avons connue l'an dernier. Vous avez défendu l'idée de consolider la base de Nîmes dans votre réflexion. D'après les directeurs de SDIS, notamment dans le Sud-ouest, il y a un vrai débat sur le sujet de la capacité de projection des bombardiers à partir de cette base. Il s'agit de pouvoir se projeter rapidement, tant du point de vue logistique qu'humain, pour prévenir et résorber les départs de feu. Quelles sont les orientations de la DGSCGC ? Des garanties ont-elles été apportées pour ne pas réduire les dotations du Sud-est de la France, au profit d'autres secteurs ?

Par ailleurs, beaucoup de discours et d'intentions ont été entendus sur la stratégie européenne sur les bombardiers d'eau. Où en est-on dans la coordination entre États membres de l'Union européenne ? Les négociations avancent-elles ou sommes-nous dans les palabres de la coordination intergouvernementale ?

Enfin, je souhaiterais interroger le rapporteur sur l'analyse et l'inventaire des moyens disponibles dans les pays du sud de l'Union européenne, et singulièrement en France, en Italie et en Grèce. Des moyens peuvent-ils être aiguillés vers la France en cas de problèmes urgents ? A-t-on progressé dans la coordination ?

Claude Raynal, président. - Je me demande si l'idée d'avoir un bombardier d'eau européen a du sens car, au-delà du concept de souveraineté, très populaire aujourd'hui, la question réside dans le nombre d'avions par rapport au prix de ces appareils. Je me souviens de la création de l'A400M sur lequel Airbus est parti d'une base militaire faible et où la question de la rentabilité a toujours été très complexe. Au regard des besoins des différentes armées, la rentabilité de ces appareils est nulle. Je me demande donc s'il y a un marché pour plus d'un avionneur. Il serait intéressant de disposer d'un programme de commandes au niveau mondial, en incluant l'Amérique du Nord, l'Europe voire l'Inde, pour avoir la certitude d'avoir toujours des avions actualisés, avec un vrai suivi dans le temps. Je le formule comme une interrogation pour notre rapporteur spécial.

Jean Pierre Vogel. - Le marché mondial est estimé à un besoin de 300 appareils dont une centaine en Europe. Il s'agit donc d'un marché de niche qui, d'après certains constructeurs, est peu intéressant, sauf à adapter des avions existants avec des kits de largage d'eau, comme ce que propose Airbus avec l'A400M. Concernant De Havilland, les prix annoncés représentent plus d'un milliard d'euros pour relancer la chaîne de production, qui implique par ailleurs le recrutement de personnel spécialisé et la certification des nouveaux modèles d'appareils. Il faut rappeler que De Havilland n'a jamais construit de Canadair, dans la mesure où il a en racheté les plans après les dernières livraisons d'appareils, ce qui suscite des interrogations sur sa capacité à livrer les appareils rapidement. Le président de la République n'a pas été prudent en affirmant qu'ils seraient livrés pour 2027 et en annonçant un accroissement de la flotte de douze à seize avions. De Havilland attendait d'avoir vingt commandes pour pouvoir relancer la chaine de fabrication. Il y en a aujourd'hui vingt-deux, mais on ne sait à quel moment la chaîne de fabrication sera effectivement relancée. Si l'on dispose d'un ou deux avions avant 2030, ce sera, selon moi, le grand maximum.

Pour répondre au rapporteur général, l'échéance de renouvellement ne sera sans doute pas avant 2027, peut-être même 2030. Le prépositionnement des moyens et le GAAr permettent effectivement de détecter les départs de feu. La stratégie de la France en matière de départ de feu s'appuie sur l'intervention sur les feux naissants pour éviter qu'ils se propagent. Une nouvelle météo a été mise en place, la « météo des forêts », et permet la veille ou l'avant-veille de prépositionner non seulement les moyens aériens, mais aussi des moyens de détection de départ de feu. Je précise par ailleurs que le GAAr consiste à survoler des zones à risque, avec des avions équipés de produit retardant pour intervenir en cas de départ de feu.

Certains départements utilisent également des drones. Il sera peut-être possible, compte tenu des évolutions technologiques, d'avoir à l'avenir des drones porteurs d'eau, mais cela poserait des problématiques de législation aérienne, avec des contraintes importantes. Dans un département que je connais bien, la Sarthe, département le plus boisé des Pays-de-la-Loire, des caméras de vidéo-détection de départs de feux de forêt ont été installées sur des points hauts qui surveillent l'ensemble du département, avec un système d'intelligence artificielle capable de détecter les départs de feu. Elles sont complétées par des caméras de levée de doute, plus performantes, qui ont la faculté de zoomer et déterminer exactement la localisation du départ de feu. Ce type d'équipement permet, de plus, de dissuader d'éventuels départs de feu volontaires en identifiant des plaques d'immatriculations.

Concernant la question de Michel Canévet sur le taux de disponibilité, les taux annoncés doivent être nuancés, dans la mesure où ils ne prennent pas en compte les immobilisations du fait d'une dégradation survenue en opération. Dans cette situation, les avions ne sont pas opérationnels mais ne sont pas comptés dans le taux d'indisponibilité. Il y a donc un taux de disponibilité contractuelle, avec la société de maintenance, Sabena Technics, mais le taux de disponibilité réel est en deçà de celui qui est annoncé.

Concernant la location d'hélicoptères, les SDIS de certains départementaux du Sud louent des avions Air Tractor et des hélicoptères légers, qui leur permettent d'attaquer les feux naissants. Une fois que le feu se propage, les moyens aériens des SDIS ne sont plus suffisants. Cela fonctionne plutôt bien, mais il y a un risque que l'État se décharge sur les SDIS, en réduisant son investissement dans ses moyens nationaux. Les moyens mobilisés par les SDIS sont toutefois indispensables en attendant le renforcement de la flotte nationale.

Pour répondre à Philippe Dominati sur le monopole de De Havilland, nous sommes effectivement pieds et poings liés, et il s'agit d'un marché de niche ce qui rend difficile l'émergence d'un concurrent. Il y a tout de même plusieurs projets en cours de développement. Concernant l'A400M d'Airbus, l'idée serait plutôt de les doter d'un kit de largage, pour que les appareils de l'Armée de l'Air puissent être sollicités en cas d'évènement exceptionnel. Cela avait fait polémique, car Airbus a beaucoup communiqué sur le sujet, mais on a reproché à l'appareil un effet « pulvérisation » qui serait peu opérant dans la mesure où la lutte contre les feux nécessite plutôt un largage de masse. L'effet « pulvérisation » pourrait toutefois être intéressant pour larguer du produit retardant. L'A400M disposerait d'une capacité d'intervention de nuit, contrairement aux Canadair, ce qui présente un réel intérêt. Je précise que l'A400M n'aurait de toute façon pas vocation à se substituer aux Canadair. Le Falcon 2000 de Dassault pourrait également être équipé d'un réservoir ventral de 3 500 à 4 000 litres d'eau, avec la possibilité de se poser sur des pistes très courtes et d'intervenir la nuit. Il serait utile pour effectuer des missions de GAAr, compte tenu de sa vitesse. Je mentionnerai également le Seagle de Roafour, qui est un avion amphibie qui disposerait d'une capacité de largage de 12 000 litres d'eau, soit le double des Canadair. Cet appareil serait équipé de foils, pour éviter que l'avion soit en contact avec l'eau au moment de l'écopage, ce qui faciliterait le ravitaillement sur des plans d'eau agités. Cet appareil n'est toutefois que dans une phase de conception et de recherche de financements publics. Il ne pourra donc pas être produit avant 2030, voire beaucoup plus tard. La DGSCGC s'intéresserait aussi à un projet développé par des ingénieurs d'Airbus qui évoluent au sein d'un petit consortium d'industriels européens, ainsi qu'à un projet italien de bombardier d'eau.

Tous ces projets restent toutefois à l'état embryonnaire, et il y également toutes les étapes de certification à prendre en compte dans les délais de production. On peut aussi se demander s'il y a un intérêt à une trop grande diversification la flotte pour les pilotes, qui se spécialisent sur un avion en particulier.

J'ai eu l'occasion de visiter la base aérienne de Nîmes, et on m'a expliqué qu'il n'était pas envisageable de construire une nouvelle base similaire à Bordeaux. Cela impliquerait des surcoûts de maintenance et en ressources humaines trop importants, ainsi que des difficultés d'approvisionnement en pièces détachées. L'année dernière, un Canadair avait été immobilisé pour pouvoir y prélever des pièces nécessaires au maintien en condition opérationnelle des autres appareils : il n'y avait en effet pas assez de pièces de maintenance pour l'ensemble de la flotte. Il ne me semble donc pas pertinent d'avoir une seconde base aérienne permanente.

Par contre, il serait intéressant d'avoir des détachements d'appareils pendant la période estivale, notamment d'appareils loués, comme ce sera le cas cet été. Ces aéronefs loués sont souvent pilotés par des équipages étrangers, et il est compliqué d'intégrer des avions dont les équipages ne sont pas francophones dans le dispositif aérien. C'est pourquoi les équipages d'appareils loués seront prépositionnés à la base aérienne de Bordeaux, et les appareils de la flotte permanente resteront à Nîmes. Ces détachements permanents permettent d'assurer les opérations de maintenance plus légères, qui garantissent la disponibilité opérationnelle des appareils, alors que les opérations de maintenance lourdes sont réalisées pendant l'hiver à Nîmes.

Concernant les moyens de solidarité européenne, la France a bénéficié l'année dernière du renfort de deux Canadair grecs, deux Canadair italiens et deux Air Tractor suédois. Il y a toutefois un besoin de renforcement de la flotte européenne, dans le cadre du dispositif RescEU. La France intervient aussi auprès d'autres pays en cas de besoin, mais compte tenu de la généralisation du risque, il est compliqué d'affaiblir la flotte d'un pays pour renforcer celle d'un autre. Le constat est similaire pour les colonnes de renfort du Nord ou du Centre de la France, qui doivent prêter main forte à leurs voisins du Sud ou dans des pays étrangers, alors que le risque incendie s'étend dans tout le pays.

Il faudrait donc que la DGSCGC ait une programmation très claire du renouvellement des moyens aériens, car on a l'impression que les décisions sont prises au coup par coup, en fonction des feux qui se déclarent pendant la période estivale et des annonces présidentielles ou gouvernementales. Il nous faut aussi de la visibilité sur les besoins en moyens humains, avec notamment l'enjeu de la formation de nouveaux pilotes. Il en manque actuellement une dizaine, et avec l'extension à venir de la flotte, il y aura davantage de besoins. Compte tenu du manque d'attractivité de la profession, le recrutement de ces pilotes pose des difficultés.

Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.