B. LES PAYS DE LA PÉNINSULE BALKANIQUE DEMEURENT PROFONDÉMENT MARQUÉS PAR LES GUERRES DE SÉCESSION YOUGOSLAVES QUI SE SONT DÉROULÉES PENDANT LES ANNÉES 1990

1. Les accords dits « de Dayton », signés à Paris le 14 décembre 1995, ont permis de pacifier les territoires de la Slovénie, de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine où des combats armés se sont déroulés entre 1991 et 1995

À la date de la mort de Tito, le 4 mai 1980, la Yougoslavie dispose d'institutions fédérales dans le cadre desquelles le pouvoir est largement décentralisé entre les six républiques et les deux provinces autonomes yougoslaves (Voïvodine et Kosovo-Métochie) conformément à la constitution du 21 février 1974.

En mars 1989, Slobodan Milosevic devient président de la république serbe et engage une réforme ayant pour objet de limiter l'autonomie du Kosovo et de la Voïvodine. Dans ce contexte, les premières élections libres et pluralistes organisées dans les six républiques dans le courant de l'année 1990 aboutissent à des résultats différentiés.

En Serbie, les élections sont remportées par le parti socialiste serbe (SPS) et Milosevic est élu, pour la première fois au suffrage universel, président de la république dès le premier tour le 9 décembre 1990 avec 65% des suffrages exprimés.

En Slovénie, les élections des 8 et 22 avril 1990 se traduisent par une majorité pour la coalition d'opposition démocratique aux héritiers de l'ancien pouvoir communiste et le chrétien-démocrate Alojz Peterle est nommé premier ministre.

En Croatie, les élections des 22-23 avril et 6-7 mai 1990 aboutissent à l'élection d'une majorité absolue pour le parti nationaliste de l'union démocratique croate (HDZ) puis par l'élection par le parlement croate à la présidence de la république croate de l'ancien général yougoslave Franjo Tudjman.

En Bosnie-Herzégovine, à l'issue des élections du 12 novembre et 9 décembre 1990, le bosniaque musulman Alija Izetbegovic est élu président par une coalition qui réunit trois formations nationalistes respectivement croato-bosniaque, serbo-bosniaque et musulmane bosniaque.

La victoire des nationalistes dans toutes les républiques yougoslaves à l'issue du cycle électoral de 1990 se traduit par la dislocation de la fédération yougoslave dans le courant des années 1990 et 2000.

En premier lieu, la Slovénie proclame son indépendance le 25 juin 1991. Les forces armées yougoslaves interviennent militairement sur le territoire slovène à partir du 27 juin mais les combats cessent au mois de juillet 1991, au regard du fait que la Slovénie est un pays culturellement homogène qui n'accueille pas une importante minorité serbe.

En second lieu, la Croatie proclame son indépendance le 25 juin 1991, en même temps que la Slovénie. La Serbie s'engage alors dans un conflit armé avec la Croatie pour défendre les intérêts de la minorité serbe qui réside sur le territoire croate qui représente environ 600 000 personnes soit 12% de la population. Par surcroît, la population serbe n'est pas répartie de manière homogène sur le territoire : elle se concentre dans les krajinas (marches) et représente dans certaines régions 75% de la population. La guerre entre les forces serbes et croates dure de juillet 1991 à janvier 1992 et aboutit à l'occupation par la Serbie de l'équivalent de 30% du territoire croate. La stabilisation de la situation miliaire au début de l'année 1992 est assurée sous la supervision de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU), qui a reçu mandat7(*) du Conseil de sécurité des Nations unies pour créer les conditions de paix et de sécurité nécessaire à un règlement diplomatique du conflit.

En troisième lieu, en Bosnie-Herzégovine, un référendum sur l'indépendance est organisé sur l'indépendance le 1er mars 1992 en dépit de l'opposition de la communauté serbe qui boycotte le scrutin qui aboutit à une victoire du « oui » à l'indépendance par 98% des voix exprimées, l'abstention atteignant 37%.

La minorité bosno-serbe, qui représente 31% de la population bosniaque, refuse de reconnaitre l'indépendance et elle est soutenue par l'armée serbe qui s'engage dans une guerre entre avril 1992 et novembre 1995 contre les forces bosniaques non-serbes. Parallèlement, pendant les années 1993 et 1994, les combats en Bosnie-Herzégovine sont aggravés par des affrontements croato-bosniaques liés à la volonté de la Croatie de s'approprier une partie du territoire bosniaque.

Cette phase de guerre dans la péninsule balkanique est en outre marquée par de nombreuses exactions et violences interethniques ayant pour objet d'aboutir à un « nettoyage ethnique » des régions conquises en procédant à des tueries, des expulsions de population et des viols collectifs. La guerre serbo-bosniaque entre 1992 et 1995 se traduit à ce titre par 2 à 3 millions de personnes déplacées.

L'accession de Bill Clinton à la présidence des États-Unis en 1993 va accélérer le règlement des conflits yougoslaves. En août 1995, les forces armées croates reconquièrent en quatre jours, avec le soutien des États-Unis, les territoires occupés par la Serbie depuis 1992. Pour mettre fin au conflit en Bosnie-Herzégovine, et pour assurer la sécurité des zones protégées exigée par le Conseil de sécurité des Nations unies8(*), l'OTAN engage une campagne de frappes aériennes du 29 août au 14 septembre 1995, l'opération Deliberate Force, contre les forces bosno-serbes ce qui aboutit à la signature d'un cessez-le-feu le 5 octobre 1995. Le secrétaire d'État américain adjoint Richard Holbrooke engage alors le 1er novembre 1995 une négociation entre les différentes parties9(*) sur la base militaire de Dayton qui aboutissent à des accords conclus le 21 novembre 1995 et signé à Paris le 14 décembre 1995.

Les accords de Dayton, qui permettent de pacifier la péninsule balkanique, prévoient le rétablissement des frontières de la Croatie et consacre l'existence d'un État autonome en Bosnie-Herzégovine, dont la division en deux entités est placée sous le contrôle des Nations unies.

2. Les Balkans ont connu un nouveau conflit armé en 1999 avec la guerre du Kosovo

En réaction à la limitation de son autonomie au sein de la Yougoslavie à partir de 1989, le Kosovo, province serbe majoritairement peuplés d'albanophones, revendique de manière croissante son indépendance dans le courant des années 1990.

Du 26 au 30 septembre 1991, le référendum clandestin sur l'indépendance du Kosovo résulte en une victoire revendiquée des partisans de l'indépendance. L'année suivante, les albanophones du Kosovo boycottent largement les élections fédérales yougoslaves du printemps 1992 et organise des élections parallèles le 24 mai 1992 à l'issues desquelles la majorité parlementaire est détenue par la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), dont l'un des fondateurs, l'universitaire Ibrahim Rugova, est élu président de la république.

En réponse au régime administratif discriminatoire institué par la Serbie qui exclut les albanophones du Kosovo des postes de responsabilité, le LDK institue une « société parallèle » au Kosovo financé par un impôt volontaire, les contributions de la diaspora et l'aide internationale. Pour l'instruction, les professeurs albanophones évincés du système contrôlé par les Serbes créent un système concurrent où sont scolarisés 266 000 élèves du primaire en 1998.

Alors que la question du Kosovo n'est pas abordée dans le cadre des négociations de Dayton, en 1996, les dirigeants serbes et kosovars acceptent, sans qu'elle aboutisse, la mise en place d'une médiation de la Communauté Sant'Egidio ayant pour objet la réunification du système d'enseignement.

Par surcroît, dans la communauté albanophone du Kosovo, la légitimité de Rugova est affaiblie par l'émergence du groupe armé de « l'Armée nationale du Kosovo » (UÇK) qui revendique à partir de 1996 des attentats, dirigés notamment contre les albanophones travaillant avec les autorités serbes. L'UÇK est en outre renforcée par le pillage des arsenaux albanais en mars 1997 qui met en circulation 200 000 armes dans la région et par les liens qu'il entretien avec des organisations de trafic d'armes, de cigarettes et d'héroïne.

Pendant l'année 1998, le mouvement de guérilla des albanophones du Kosovo prend le contrôle d'un tiers du Kosovo avant que les forces armées yougoslaves ne soient engagées pour reprendre le contrôle du territoire. Cet engagement militaire yougoslave, qui s'appuie largement sur des groupes paramilitaires dont la milice des Tigres d'Arkan, provoque le déplacement de plus de 200 000 albanophones du Kosovo.

Une conférence de négociations est organisée en février 1999 à Rambouillet en présence des représentants de la Serbie, de l'UÇK et de la LDK mais elle ne permet pas d'aboutir à un règlement pacifique de la situation.

L'OTAN engage alors, sans mandat international étant donné l'opposition de la Chine et de la Russie, une campagne de frappes aériennes contre les forces armées serbes qui couvrent l'ensemble du territoire Serbe et une partie du Monténégro, l'opération Allied Force qui se déroule du 24 mars au 9 juin 1999. L'armée américaine fournit 70% des avions engagés dans l'opération, 80% des personnels et 90% des munitions. L'organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch estime le nombre de victimes des frappes à 500. Simultanément, les forces serbes intensifient la répression exercée au Kosovo contre les albanophones et provoquent l'expulsions de 800 000 albanophones du Kosovo, soit environ 50% de l'ensemble des albanophones présents dans la province.

Après la signature du cessez-le-feu du 9 juin 1999 à Kumanovo, le Conseil de sécurité des Nations unies adopte le 10 juin 1999 une résolution10(*) qui prévoit la création d'un contrôle international civil assuré par l'ONU au Kosovo et la création d'une force militaire, la Kosovo Force (KFOR), comprenant « une participation substantielle » de l'OTAN.

Si la résolution du 10 juin 1999 ne permet pas de régler les problèmes politiques subsistants soulevés par la dislocation de la Yougoslavie, elle marque une période de pacification durable des Balkans après les guerres des années 1990.

Les guerres de sécession yougoslaves constituent un choc durable pour les pays de la péninsule balkanique sur les plans humains et économiques. Le nombre de victimes globales des guerres successives est estimé entre 150 000 et 200 000, principalement au cours de la guerre de Bosnie, dont au moins 40% de victimes civiles. Parallèlement aux victimes directes des guerres successives, les combats ont provoqués des mouvements très importants de déplacement de population. En Bosnie-Herzégovine, on estime que le nombre de personnes déplacées atteint 2,2 millions, dont 1 million de déplacés à l'intérieur du territoire du pays.

Sur le plan économique, les combats et les sanctions internationales ont concouru à l'appauvrissement des anciennes républiques yougoslaves et à l'affaiblissement de leur appareil productif. Les guerres provoquent une inflation non-contrôlée qui atteint 300 000 000% en 1993. La même année la production recule de 40% et la Yougoslavie connait des problèmes de pénuries alimentaires.

Le lourd bilan humain et économique des guerres des années 1990 est un facteur déterminant de l'évolution de la péninsule balkanique depuis le début des années 2000.

3. La perception de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique dans les Balkans depuis le début du XXIe siècle a été influencée par les interventions contrastées de ces deux organisations dans les guerres de sécession yougoslaves

L'incapacité de l'Union européenne à pacifier la situation dans les Balkans au début des années 1990 a eu des conséquences de long terme sur la crédibilité de l'Union dans la région. En premier lieu, alors que les États membres des communautés européennes affichent, depuis la création en octobre 1970 de la coopération politique européenne (CPE), leur volonté d'adopter une stratégie commune en matière de politique extérieure, la crise des Balkans, qui constituent l'une des principales crises géopolitiques en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, illustre la persistance des divergences d'analyse et d'action entre les diplomaties des différents pays européens.

Après le déclenchement des premières guerres de sécession en Slovénie et en Croatie, les ministres de la Communauté européenne parviennent à adopter à l'unanimité le 16 décembre 1991 des critères au respect desquels est subordonnée « la reconnaissance de nouveaux États en Europe orientale »11(*). Pour apprécier le respect par les anciennes républiques yougoslaves des lignes directrices arrêtées en commun, il est prévu que les nouveaux États doivent saisir pour avis de leur demande de reconnaissance, avant le 23 décembre 1991, la commission d'arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie présidée par le président du Conseil constitutionnel français Robert Badinter12(*).

Cependant, le 23 décembre 1991, sept jours après l'adoption des lignes directrices européennes et avant que la commission d'arbitrage ait pu rendre ses avis, l'Allemagne fait le choix de reconnaître unilatéralement l'indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Ce précédent est aggravé en 1992 par le refus de la Grèce de reconnaître la Macédoine du Nord en dépit de l'avis positif rendu par la commission d'arbitrage. Le défaut d'unité de la Communauté européenne se manifeste donc pendant le déroulement des guerres de sécession yougoslave et affaiblit la capacité d'influence collective des pays européens.

Parallèlement, alors que le Royaume-Uni s'est opposé à une intervention militaire de l'Union de l'Europe occidentale (UEO) proposée par la France et l'Allemagne, la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie13(*) réunit le 7 septembre sous la présidence de Lord Carrington, ancien secrétaire britannique au Foreign Office, ne permet pas d'aboutir à un règlement pacifique de la situation et à l'arrêt des combats. L'absence d'efficacité des médiations diplomatiques organisées par l'Union européenne renforce par contraste l'image d'efficacité de l'intervention diplomatique et militaire des États-Unis et de l'OTAN à partir de 1995.

L'implication directe et intensive de la diplomatie américaine à partir de 1994 va accélérer la cessation des combats et la signature d'un accord de paix. Les États-Unis obtiennent dans un premier temps la cessation des combats entre les forces bosno-croates et les forces bosno-musulmanes par l'accord de Washington du 1er mars 1994 qui prévoit la création d'une fédération croato-musulmane de Bosnie-Herzégovine.

L'opération de l'OTAN Deliberate Force, menée pendant l'été 1995, permet en outre aux États-Unis et à leur secrétaire d'État adjoint Richard Holbrooke d'imposer une négociation entre les parties en présence sur la base militaire américaine de Dayton qui aboutit à la signature des accords de paix de Paris du 14 décembre 1995.

Enfin, si les interventions militaires de l'OTAN dans les Balkans pendant les années 1990 ont renforcés la crédibilité de l'Alliance atlantique au regard des pays de la zone, les bombardements aériens sur les territoires serbes et monténégrins pendant l'opération Allied Force entre mars et juin 1999 constituent un facteur de dégradation durable de l'image l'OTAN dans l'opinion publique serbe, mais également roumaine, bulgare et grecque. Ainsi à l'occasion de commémorations organisées en mars 2019 vingt ans après le déclenchement des bombardements, le président serbe Vucic a déclaré publiquement que l'opération serait « toujours considérée comme un crime » par la Serbie.


* 7 v. résolutions 721 (1991) du 27 novembre 1991 et 743 (1992) du 21 février 1992 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 8 v. résolution 998 (1995) du 16 juin 1995 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 9 Slobodan Milosevic y représente les Serbes et les Bosno-Serbes, Franjo Tudjman y représente les Croates et les Bosno-Croates et Alija Izetbegovic y représente les Bosno-Musulmans.

* 10 v. résolution 1244 (1999) du 10 juin 1999 du Conseil de sécurité des Nations unies

* 11 Déclaration des pays de la Communauté économique européenne (CEE) sur les lignes directrices sur la reconnaissance de nouveaux États en Europe centrale et en Union soviétique, 16 décembre 1991

* 12 A. Pellet, « Note sur la commission d'arbitrage de la Conférence européenne pour la paix en Yougoslavie », Annuaire français de droit international, XXXVII, 1991

* 13 La Conférence réunit la présidence fédérale yougoslave, le gouvernement fédéral yougoslave, les présidents des républiques yougoslaves et les représentants des Communautés européennes et des États membres.