C. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR JEAN-PIERRE ZALTA, PROFESSEUR DE BIOLOGIE GÉNÉTIQUE ET MOLÉCULAIRE À TOULOUSE, PRESIDENT DE LA COMMISSION DE GÉNIE GÉNÉTIQUE

M. Claude HURIET - Nous accueillons maintenant monsieur le professeur Zalta de la commission de génie génétique. Vous nous direz, monsieur, quelles sont vos expériences et vos attentes en matière de thérapie génique.

M. Jean-Pierre ZALTA - Je suis donc professeur en biologie génétique et moléculaires à Toulouse et président de la commission de génie génétique. Schématiquement, la thérapie génique consiste à rechercher un gène pour obvier à un défaut de l'organisme humain, en l'introduisant par un vecteur. Pour cela, il faut plusieurs conditions :

- une première étape pour isoler le gène et définir le système vecteur,

- une deuxième étape pour utiliser le gène transporté par un vecteur à des fins de thérapeutique somatique.

Les problèmes sont de plusieurs ordres :

- Pour le vecteur : la génétique moléculaire est relativement « simple » et relève d'une expérimentation en milieu confiné c'est-à-dire en laboratoire. Isoler un gène reste donc assez facile.

La production du vecteur dans le laboratoire est encore expérimentale et l'industrialisation n'est, pour l'heure, qu'envisagée.

Le troisième problème est l'utilisation en milieu hospitalier, par le biais d'introduction du gène voulu.

Nous nous trouvons ici à la croisée des chemins des différents types de difficultés à résoudre notamment celle du confinement. En effet, le patient traité doit être isolé, confiné afin de ne pas laisser le système vecteur se propager, ne pas être disséminateur.

Les règles de fabrication et la mise en oeuvre des procédés relèvent de deux commissions distinctes qui ont toujours collaboré ensembles : la Commission de Génie Génétique et la commission de Génie Biomoléculaire. Ce que nous souhaitons, c'est un assouplissement administratif dans la procédure d'habilitation en matière de recherche. Il serait préférable qu'un regroupement des commissions soit opéré dans un organisme unique.

Nous disposons sans doute d'un arsenal de contrôle efficace, mais celui-ci est beaucoup trop dispersé.

Nous avons un arsenal efficace mais beaucoup trop dispersé.

- La thérapie génique :

* Dans le cas de cancer en phase terminale, il est tout à fait envisageable de procéder à des essais compassionnels.

* En France, il faut environ dix ans pour expérimenter l'efficacité et la sûreté d'un médicament. Pour la thérapie génique, je pense que ce délai est beaucoup trop long, voire même une perte de temps. Les recherches progressent très vite et ne doivent pas être ralenties. Ainsi le temps qu'une demande d'habilitation soit engagée et acceptée, la recherche sur le gène proposé dans la demande d'habilitation sera dépassée et une nouvelle procédure administrative sera à refaire. Ce qui n'est pas souhaitable.

La thérapie génique repose sur un jeu de construction moléculaire qui sera de plus en plus performant.

La commission de génie génétique s'intéresse à la phase fabrication, construction du vecteur, à sa mise en oeuvre en confinement adéquat.

M. Claude HURIET - Nous vous remercions de votre exposé très clair. Vous insistez sur la rapidité du progrès et surtout sur la nécessité de réduire le temps d'obtention d'une approbation. Est-ce la méthologie et la manière qui progressent aussi vite ou n'est-ce que la méthodologie ?

M. Jean-Pierre ZALTA - Aujourd'hui, très peu d'essais ont abouti à une conclusion entièrement positive, pour être franc. Je me souviens d'un rapport du professeur François Gros dans les années 78/79 qui prévoyait à tort déjà une explosion du génie génétique. Par contre depuis sept, huit ans, nous assistons réellement à une explosion.

Nous commençons à construire des outils propres au génie génétique. Les essais mondiaux sont en progression constante et concernent presque tous des systèmes homologues.

M. Claude HURIET - Nous sommes déjà dans un rythme explosif. Les outils et les méthodes sont assez au point et c'est donc l'utilisation de ces derniers qui risque de faire évoluer rapidement la recherche.

M. Jean-Pierre ZALTA - Nous sommes à la veille de créer des outils encore plus performants.

M. Claude HURIET - Les relations à établir entre le concept de drogue orpheline et la thérapie génique, vont-elles à l'encontre de ce que vous dites ?

M. Jean-Pierre ZALTA - Il est évident que l'investissement en matière de recherche est actuellement supporté par des laboratoires publics en majorité et quelques laboratoires privés. Cela représente des investissements considérables. Certains laboratoires sont au stade des études de développement, voire de production. Aujourd'hui, la thérapie génique est un mode de traitement très onéreux (nécessité d'un confinement...) tout comme il y a quelques années les transplantations cardiaques.

Comment réduire les coûts ?

- en précisant les moyens de ciblage du gène,

- en créant de meilleures conditions en milieu hospitalier.

Les conditions de sécurité pour la construction et l'utilisation de ces systèmes vecteurs sont banales et connues, identiques ou voisines à d'autres cas.

Ainsi pour l'industrialisation, nous avons un savoir très performant en ce domaine. Par exemple, l'Institut Mérieux maîtrise très bien les conditions opératoires de production des vaccins contre le virus de la fièvre aphteuse (maladie très dangereuse pour les bovins) dont la manipulation est de risque élevé.

La thérapie génique en milieu hospitalier nécessite des conditions précises de confinement, des « bonnes pratiques » tant au niveau du laboratoire, que du service hospitalier.

Ainsi pour les salles d'opération, nous savons que ces salles sont en sur-pression, alors qu'il faut être en sous-pression pour les opérations de thérapie génique afin d'éviter tout accident par dissémination..

De même, une formation du personnel est indispensable.

Il est nécessaire s'assurer impérativement chez un patient traité, du devenir du système vecteur biologique. C'est-à-dire que, par exemple, dans les fluides biologiques du malade en instance de départ de l'hôpital, il n'y ait pas circulation du vecteur utilisé.

M. Claude HURIET - La connaissance d'un moyen de destruction de ce vecteur, n'est-elle pas une condition à l'utilisation de ce vecteur ?

M. Jean-Pierre ZALTA - Il n'y a pas de système biologique sans danger.

En utilisant, par exemple l'adenovirus 5 défectif incapable de se « reproduire », l'hypothèse avancée est la possibilité du risque chez un patient contaminé par l'adénovirus sauvage d'une recombinaison conduisant à l'apparition d'un vecteur replicatif donc d'une dissémination du gène. Aussi, le personnel doit-il être contrôlé également.

Dire qu'il y ait une sécurité absolue est un non-sens, d'où la notion de danger potentiel.

Les experts en biologie cellulaire ou les autres ont pour objectif d'imaginer ce qui peut se produire dans de telles expérimentations, même si la fréquence d'une recombinaison est quasi nulle. Cette notion de risque potentiel n'existe que depuis une vingtaine d'années et a été générée par la thérapie génique.

M. Jean-Paul CANO - Quelles sont les dispositions à prendre pour favoriser le développement de la thérapie génique et pour garantir la sécurité sanitaire ?

M. Jean-Pierre ZALTA - Je me placerai tout d'abord dans une optique juridique :

Je pense qu'il faut envisager toutes les possibilités, tous les problèmes liés à la recherche dans un cadre relativement souple. La loi sur l'utilisation des organismes génétiquement modifiés préparée par le Sénateur M. Laffitte est, à mon sens, plus intelligente que la directive européenne, même si à première vue elle peut paraître plus contraignante. Si on veut élaborer une législation adéquate, il est indispensable de prendre en compte la notion d'évolution rapide de la recherche en matière de thérapie génique.

Il faut que les produits de la thérapie génique par rapport aux médicaments « classiques », bénéficient d'un allégement des contrôles innombrables c'est-à-dire tout en assurant la sécurité. En effet, le médicament risque en ce cas d'être obsolète avant même la délivrance de son autorisation de mise sur le marché.

Ne pas faire apparaître les produits de thérapie génique en tant que médicament classique ne me paraît nullement scandaleux, mais si l'on retient cette notion de médicament, il est justifié présentement que ces produits de la thérapie génique soient des médicaments d'exception.

M. Claude HURIET - C'est une question de fonds.

Mme Pascale BRIAND - Le fait de ne pas appeler « médicament », les produits de la thérapie génique, ne peut avoir pour justification de permettre d'avantage d'essais cliniques afin d'accélérer la phase industrielle. L'évolution rapide des techniques ne justifie pas de multiplier des essais cliniques quand les expérimentations préalables donnent toutes les raisons de penser que l'approche est inefficace.

M. Jean-Pierre ZALTA - Si les essais techniques sont trop discrets, l'industrialisation ne développera que très lentement et en petit nombre d'unités. Je pense aussi que les petites structures industrielles doivent être intéressées.

Aujourd'hui, déjà plusieurs industriels ont investi et font des études prospectives qui leur permet de prévoir des bénéfices différés importants d'ici environ quinze ans. Je ne plaide pas pour l'enrichissement des entreprises pharmaceutiques mais la thérapie génique a besoin d'investissements du fait des problèmes nombreux et coûteux qu'elle suscite.

M. Claude HURIET - Selon vous, il y a des raisons conceptuelles pour ne pas accepter le terme médicament, que voulez-vous dire ?

M. Jean-Pierre ZALTA - Je n'ai pas dit qu'il ne s'agissait pas de médicament mais qu'il ne fallait pas concevoir les produits de la thérapie génique comme des médicaments classiques.

M. Claude HURIET - Pourquoi y a-t-il deux commissions l'une de génie génétique et l'autre de biologie moléculaire ?

M. Jean-Pierre ZALTA - La commission de génie génétique traite des organismes génétiquement modifiés en milieu confiné. Elle évalue les dangers, les risques, les confinements en laboratoire, en serres en chambres d'hospitalisations. C'est un outil d'évaluation strictement scientifique.

La commission de génie biomoléculaire (CGB) a un rôle d'évaluation scientifique et d'ouverture vers la société civile (les industriels, les syndicats). Elle correspond un peu à ce que fut la commission de génie génétique dans les années 70. C'est-à-dire rassurer objectivement la société sur ce qu'est le génie génétique tout en faisant une évaluation.

La commission de génie biomoléculaire présidée par Axel Kahn juge des conditions de dissémination d'un produit abouti, alors que la Commission de Génie Génétique juge d'un projet (souvent confidentiel) qui arrivera à un produit abouti.

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