C. AUDITION DE M. JEAN-HUGUES TROUVIN, CHARGE DE L'UNITE DE BIOTECHNOLOGIE DE LA DIRECTION DE L'EVALUATION A L'AGENCE DU MEDICAMENT

M. Claude HURIET - Nous accueillons maintenant M. Trouvin, de l'Agence du médicament.

M. Jean-Hugues TROUVIN - Je suis enseignant à l'université de pharmacie de Chatenay Malabry, je suis aussi en charge, à l'Agence du médicament, de l'unité de biotechnologie de la direction de l'évaluation. Dans cette unité, nous avons essentiellement à gérer tous les problèmes de qualité de production de produits biologiques ou biotechnologiques qui concernent la reproductibilité d'un produit parfois mal défini et tous les aspects de sécurité virale liés à l'emploi de ce type de produits.

Cette unité est constituée de cinq personnes, qui ont en charge d'organiser des réunions avec des groupes d'experts, pour émettre et transmettre par la suite un avis au directeur de l'Agence du médicament pour décision finale. Ces experts appartiennent à tous les domaines de la biologie et de la biotechnologie. L'unité arrête son activité lorsqu'il s'agit d'évaluer l'intérêt clinique des produits, ce qui est la compétence des unités thérapeutiques de l'Agence.

Très brièvement :

* l'unité de biologie a réfléchi sur les aspects de thérapie génique et de thérapie cellulaire, pour plusieurs raisons :

- dans le cadre d'essais cliniques, l'Agence du médicament est saisie de lettres d'intention. Pour les produits biologiques qui sont utilisés dans ces essais, le groupe de sécurité virale qui travaille auprès de notre unité doit se prononcer sur la qualité microbiologique de ces produits en essais cliniques. Depuis 1992/1993, nous avons déjà géré un certain nombre d'essais cliniques (environ 200) ;

- au plan européen, il y a déjà eu des réflexions sur la qualité des produits de thérapie génique. Le groupe de travail biologie-biotechnologie auprès du comité des spécialités pharmaceutiques, siégeant maintenant à Londres auprès de l'Agence européenne du médicament, a déjà publié une note explicative sur les critères de qualité que doivent respecter les produits de thérapie génique. Nous avons donc un élément qui montre que la même démarche de qualité -comprenant la sécurité virale- doit s'appliquer aux produits de thérapie génique, comme elle s'applique à tout médicament et à toute substance administrée à l'homme dans un but curatif.

* y-a-t-il adéquation entre le cadre du médicament et les produits de thérapie génique ? La question est plus délicate car nous sommes au début des produits de thérapie génique et cellulaire et nous avons parfois du mal à saisir ce que sera le produit dans l'avenir. Il est évident que nous avons besoin d'une certaine adaptabilité des structures pour aider au développement de ces produits. Mais je pense que, si les produits doivent se développer c'est parce qu'il y a un plus grand marché pour les accueillir. Nous allons arriver à des définitions de produits de plus en plus préparés à l'avance, qui peuvent franchir les frontières, pour lesquels il faudra des réglementations de type européen... Donc, pour cela nous nous orientons de plus en plus dans le cadre du médicament.

Dans la période actuelle, on a du mal à situer ces produits. Les qualifier de médicament peut donner l'impression que l'on veut d'emblée les faire rentrer dans un cadre rigide de ce qu'on appellerait peut-être le monopole pharmaceutique, avec des difficultés quelquefois de mise en place pour certains produits peu développés comme sont les produits de thérapie génique.

A l'inverse, je crois que ce qui est l'élément moteur de tous ces produits administrés à l'homme, ce sont trois critères clés : qualité, sécurité et efficacité, c'est-à-dire les trois critères d'un médicament au sens où nous l'entendons aujourd'hui.

M. Claude HURIET - Le critère de stabilité vous paraît pouvoir être retenu pour la thérapie génique ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - C'est un des critères de la qualité. Nous connaissons des produits dont l'instabilité au sens physico-chimique du terme est notoire ; cependant, l'évaluation de qualité pour ces produits en tient compte, notamment pour fixer des conditions de stockage et manipulation.

On peut prendre actuellement les vaccins, produits biologiques complexes. Ils sont définis depuis longtemps comme des médicaments avec des adaptations dans l'évaluation de la qualité et des règles particulières d'utilisation ont été posées pour se plier à leurs contraintes, c'est-à-dire à leur instabilité potentielle.

Cela ne fait pas obstacle à l'application de la définition du médicament.

M. Claude HURIET - Considérez-vous que dans la méthodologie des essais, il n'y a pas de différence fondamentale ? Par exemple, on a attiré mon attention sur la nature des pré-requis que l'on peut difficilement exiger pour la thérapie génique en tant que médicament.

M. Jean-Hugues TROUVIN - Les pré-requis pour l'ensemble des médicaments chimiques sont bien établis aujourd'hui, sous la responsabilité d'un industriel qui lance un essai. Pour les produits biologiques, il faut associer à la qualité physico-chimique du produit sa sécurité virale. Cette qualité en termes de sécurité virale est certainement un critère qu'il faut d'emblée inclure dans les pré-requis des essais cliniques d'un produit biologique.

C'est vrai que ces critères sont beaucoup plus difficiles à atteindre et nécessitent des études longues, coûteuses. Mais peut-on, sous le prétexte d'essai clinique faire l'impasse de certaines de ces études de sécurité ? Pour moi, c'est évidemment non.

Par contre, et c'est l'approche du groupe de travail sécurité virale que l'on a développé à l'Agence depuis deux ans, pour un produit en essai clinique, la sécurité virale que l'on va demander va être basée sur un nombre limité d'exigences qui ne seront pas identiques aux exigences demandées pour un produit à diffusion large, voire pour une autorisation de mise sur le marché.

Nous aurons des exigences sur lesquelles nous ne pourrons transiger : bonne connaissance de la lignée cellulaire, de la construction virale... il faut à ce moment-là, avec des experts, fixer une évaluation minimale de la sécurité que l'on doit proposer à un patient qui accepte d'entrer dans un essai clinique.

M. Claude HURIET - Savez-vous si on s'oriente vers une réglementation européenne sur la thérapie génique ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - La première réglementation à laquelle on pourra se référer, c'est celle du médicament, dans l'hypothèse où certains produits de la thérapie génique peuvent prendre la forme de produits préparés à l'avance, qui peuvent franchir les frontières, avec éventuellement échanges commerciaux.

Actuellement, je crois que c'est un peu tôt pour dire si cette réglementation sera très adaptée à tous les types de produits de thérapie génique.

Nous sommes dans tous les états européens, à ce jour, à la phase des essais cliniques qui ne sont pas soumis à une réglementation européenne commune parce qu'il n'y a pas d'échange. Chaque état prend ses propres dispositions.

Par contre, il est évident que si on devait, pendant plusieurs années, rester au stade des essais cliniques, il serait intéressant que dans chacun des Etats, il n'y ait pas de structures bien identifiées qui se mettent en place, permettant une harmonisation et des possibilités de rapprochement.

M. Alain FISCHER - Votre position est claire, mais en matière de thérapie génique et cellulaire, les essais cliniques risquent de perdurer et regrouperont des petits nombres de patients (moins de dix personnes) avec à chaque fois l'objectif d'une adaptation ou d'une modification d'un produit. C'est en relative contradiction avec la notion de médicament. De même, un certain nombre de maladies traitées par la thérapie génique sont rares et ne répondent pas à la loi du marché.

Ces deux considérations m'amènent à vous poser une question : vous avez évoqué des aménagements au niveau de la sécurité virale, ne faut-il pas envisager d'aller au-delà dans la mesure où, si on suit votre raisonnement, cela veut dire que pour tout essai clinique qui ne dépend pas d'un développement industriel, il faudra que la structure qui produit le vecteur mais aussi celle qui modifie les cellules soit d'un établissement pharmaceutique. Cela veut dire que les établissements publics hospitaliers de recherche devront devenir des établissements pharmaceutiques, ce qui n'est pas simple.

D'autre part, des critères de sécurité, même relativement minimaux, coûtent extrêmement cher pour des petits essais cliniques.

Par exemple : un essai sur six malades atteints de la maladie de Eurler, pour le strict développement des vecteurs et la mise en place des choses, en dehors des essais précliniques, a déjà coûté 1,5 million de francs.

A partir de cette deuxième difficulté, ne pouvez-vous pas aller plus loin dans les aménagements ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - Je ne vois pas de contradiction. Quand je parle des trois critères, ce sont ceux définissant le produit fini, c'est-à-dire le médicament utilisé après l'obtention de la mise en exploitation ou autorisation d'exploitation.

Il est évident que dans le cadre d'un essai clinique, on ne demande pas que la sécurité et l'efficacité aient déjà été démontrées. L'élément fondateur de l'essai clinique doit avant tout être la qualité du produit sachant que l'on prend un risque en l'administrant à un patient pour un bénéfice qui n'est pas encore établi. La qualité reste un élément essentiel du démarrage de l'essai, avec une possibilité d'adaptation des exigences en fonction du produit.

Il faut une exigence minimale de qualité pour commencer, mais elle progresse en parallèle de l'essai clinique qui, lui, va tenter de démontrer la sécurité et l'erfficacité du produit. Nous allons être pendant de nombreuses années, dans une structure du type essai clinique.

M. Claude HURIET - Cela signifie que pendant ces nombreuses années, on ne pourra pas considérer que les produits de la thérapie génique sont des médicaments ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - C'est un candidat médicament tant que les essais cliniques ne sont pas finis.

M. Dominique MARANINCHI - En thérapie cellulaire, 2.000 personnes sont traitées en 1994 en France, dont plus de 500 qui ont reçu des cellules manipulées par des médicaments ex vivo. J'aimerais savoir si votre agence a fait une étude sur ces médicaments ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - La réponse est claire : les produits utilisés ex vivo n'ont actuellement aucun statut réglementaire et ce n'est qu'au hasard de lettres d'intention adressées à l'Agence que l'on sait que tel ou tel produit peut être utilisé, ex vivo, pour une manipulation cellulaire. Dans ce cas, nous appliquons les mêmes critères de contrôle de la qualité "microbiologique". Cependant, cette approche n'est pas systématique et encore beaucoup de produits, utilisés ex vivo, sont considérés comme des réactifs dont la qualité n'est absolument pas contrôlée. Il y a là un vrai problème sur lequel il est urgent de se pencher ; mais, au niveau de l'Agence, nous n'avons aucun cadre réglementaire pour le faire, même si techniquement nous avons les experts pour mener à bien cette évaluation.

M. Dominique MARANINCHI - Ces produits sont commercialisés et vendus en France.

M. Jean-Hugues TROUVIN - Soit ils sont commercialisés dans le cadre de médicaments pour une utilisation ex vivo (facteurs de croissance), soit à titre de réactifs, mais pas à titre de médicaments.

M. Dominique MARANINCHI - Je m'excuse, mais vous oubliez que ce sont des dispositifs médicaux qui contiennent des médicaments et des produits biologiques. La question que je vous pose, pour assurer la sécurité, l'efficacité, avez-vous eu à faire une expertise sur leur qualité, l'efficacité du service rendu. Je pense que la réponse est non.

M. Jean-Hugues TROUVIN - La réponse est clairement non.

M. Dominique MARANINCHI - Ils ont pourtant reçu l'autorisation de commercialisation.

M. Jean-Hugues TROUVIN - Je ne pense pas que cette autorisation soit délivrée par l'Agence du médicament. Par contre, on peut donner un élément complémentaire : compte tenu d'une espèce de vide juridique ou d'un manque de définition actuel, certains produits et notamment je pense à des trieurs de cellules qui contiennent des anticorps monoclonaux animaux, sont passés devant notre groupe de sécurité virale à l'Agence du médicament, dans le cadre d'une demande d'un essai clinique. Mais, une fois encore, le passage devant le groupe est quasi fortuit ou parfois un souhait du fabricant qui souhaite pouvoir utiliser l'avis du groupe comme un "label". Il est évident que quelqu'un qui veut développer un produit peut passer à travers les mailles de ce large filet.

M. Philippe LAMOUREUX - Aujourd'hui, ce sont des mécanismes qui ne sont pas vus systématiquement par l'Agence du médicament, ce sont des produits qui sont homologués par la direction des hôpitaux.

M. Dominique MARANINCHI - Dans ce domaine, ce sont de très bons produits qui ont été expertisés par la Food and Drug administration et donc nous n'avons pas d'inquiétude à avoir, monsieur le sénateur.

La deuxième question que je souhaite poser est importante : pour la thérapie génique et la thérapie cellulaire, nous parlons des trois critères du produit. Je voudrais rappeler que ces produits sont issus d'un malade contaminé : qu'est-ce qui est le médicament ? est-ce la cellule qui est de ce malade pour y retourner ou les procédés et les médicaments qui ont été mis en action pour modifier cette cellule, ce que je trouverais tout à fait légitime ?

Vous aviez parlé, monsieur le sénateur, des problèmes de contraintes de temps. Là ce sont des problèmes de contraintes de temps qui sont majeurs pour la fabrication du procédé. C'est-à-dire que le malade n'aura aucun bénéfice si on lui redonne ses cellules dans six mois, il faut lui redonner dans quatorze jours. J'aimerais que vous tranchiez pour savoir s'il peut y avoir des médicaments ex vivo qui modifient des cellules. Est-ce que c'est la cellule qu'il faut considérer comme un médicament, avec tous les problèmes philosophiques que cela pose ?

Le troisième point : j'aimerais que vous nous fassiez une analyse de la prospective. Le plus souvent, ces cellules modifiées vont partir d'un patient pour y retourner.

Les experts me confirment que nous allons rester dans cette situation pendant encore très longtemps.

Est-il réaliste de penser qu'il va y avoir des cellules qui vont être distribuées à plusieurs types d'individus ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - La dernière question, je ne vais pas y répondre. M. Maraninchi est plus qualifié que moi pour répondre aux perspectives d'avenir à la thérapie cellulaire autologue puis allogénique et peut-être un jour xénogénique. Il est toutefois évident que plus nous nous rapprocherons de la possibilité de collecter les cellules chez des individus soins (donneurs), de les trier, amplifier, modifier, etc. à l'avance pour pouvoir les réadministrer à un grand nombre de receveurs (patients), plus nous nous rapprocherons de la définition d'un médicament.

M. Dominique MARANINCHI - Ce qui pour moi était la définition du médicament telle que vous m'aviez suggérée.

M. Jean-Hugues TROUVIN - La dernière question, en terme de faisabilité, je ne vais pas y répondre car c'est un domaine extraordinairement scientifique. Il faut pouvoir définir ce qui sera possible dans les dix ans à venir et personnellement, je ne suis pas compétent scientifiquement.

Il est évident que ce schéma sera le schéma idéal de réflexion car il nous rappelle des produits sur lesquels nous avons déjà tranché (dérivés du sang...). Pour les produits cellulaires, actuellement, nous ne sommes pas dans ce schéma car nous sommes dans 95 % des cas en situation autologue.

M. Dominique MARANINCHI - Il ne faut donc pas légiférer sur une planète inconnue.

M. Jean-Hugues TROUVIN - Je suis tout à fait de votre avis. Je reviens sur la notion de médicament ex vivo et de process. Il est vrai que ce qui importe c'est ce qui va traiter le patient. Moi, je préférerais que l'on raisonne plutôt en matière d'acte qui va être réalisé pour le patient. Il faudra que cet acte réponde aux trois critères, même si ce n'est pas un médicament.

C'est ensuite un habillage de type réglementaire qu'il faut essayer de proposer. Mais je crois qu'il ne faut pas sortir de cette même démarche. La qualité "pharmaceutique" ou la qualité d'un produit n'est pas obligatoirement le monopole des pharmaciens.

D'autre part, je n'ai absolument pas parlé d'établissement pharmaceutique quand j'ai parlé de thérapie génique ou autre. Pour moi c'est clair, je dis qu'il faut des adaptations, mais en revanche, je reprends à nouveau le terme de qualité et je dis qu'à partir du moment où il y aura un traitement même ex vivo, il faut que tous les produits qui rentrent en contact avec le matériel humain que l'on a prélevé et qui va être réadministré, soient de qualité suffisante.

La notion de qualité comprend notamment l'analyse de la sécurité virale du produit utilisé.

Pour assurer la qualité du ou des produits utilisés, faut-il une structure de type établissement pharmaceutique ? Je n'en sais rien et ce n'est pas mon rôle de le dire.

Par contre, je pense qu'il ne faut pas qu'il y ait 36 structures réglementaires qui aient à statuer sur ces produits. Au contraire, je serais plutôt partisan qu'il y ait une structure en charge de ces produits. Elle aurait notamment dans ses missions de vérifier la qualité du service rendu en tant qu'essai clinique pourquoi pas, ou en terme de développement.

Avec une seule structure, cette dernière pourrait avoir sa propre adaptabilité. Alors que si vous mettez plusieurs structures, à chaque fois vous aurez des problèmes de frontières de compétences.

A l'inverse, avec une seule structure, on peut répondre, en terme de santé publique aux impératifs que l'on a vis-à-vis des patients que l'on traite, aussi bien dans le cadre d'un essai clinique que d'un traitement validé. Ce traitement doit-il se terminer par une autorisation de mise sur le marché ? Je ne suis pas tout à fait sûr que cela soit la réponse absolue pour tous les produits.

La mission importante des prochaines années c'est d'encadrer très correctement les essais cliniques. Il en va de la crédibilité des protocles en cours aujourd'hui. Le mondre accident qui pourrait se produire avec un essai de thérapie génique ou cellulaire dont les causes seraient le mauvais encadrement, pourrait avoir des effets désastreux sur le développement de la recherche future.

Est-ce que cela passe par imposer aux développeurs de projets des structures de type établissement pharmaceutique ? Probablement pas ; il faut adopter ici la réglementation du médicament, dans sa forme, sans en perdre l'esprit.

Mme Marie-Paule SERRE - Vous venez de parler de l'encadrement des essais cliniques. Une des différences entre les pays européens et la France en matière de procédure relative au médicament, c'est l'existence ou non d'une autorisation des essais cliniques. Pensez-vous que l'encadrement des expérimentations en matière de thérapie génique peut amener à se réinterroger sur l'existence d'une autorisation préalable aux essais cliniques ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - C'est effectivement une question qui viendra spontanément à partir du moment où vous commencerez à encadrer des essais cliniques avec des autorisations préalables. Si on le fait pour la thérapie génique ou cellulaire, on pourra se poser la question : pourquoi ne pas le faire pour les produits chimiques "classiques" ? Il faut savoir gérer les choses en fonction des urgences. Il est apparu que la première urgence, c'est un encadrement de ce type d'essais parce que ce sont des produits complexes, difficiles, qui nécessitent certainement ce type d'accompagnement. Je ne veux pas dire que ceux qui font de la thérapie génique actuellement n'ont pas les compétences, mais c'est au contraire, apporter à ces chercheurs un cadre -non pas réglementaire- mais de sécurité sur lequel ils peuvent s'appuyer.

Après, pourquoi ne pas rouvrir la question pour les autres dispositifs cliniques ? Pour l'instant, parce que c'est entre les mains d'industriels pharmaceutiques qui ont une batterie de compétences à leur disposition, je crois que la sécurité est assurée.

M. Olivier AMEDEE-MANESME - Pour chacun des interlocuteurs, nous avons entendu le terme de médicament orphelin. Parce que rien n'a été fait en la matière, lorsque nous parlons de médicament orphelin, on se place en amont. C'est-à-dire que l'on parle d'un statut du médicament orphelin, qui n'est pas encore un médicament et qui va avoir un stade de développement permettant un statut de médicament (conditions d'acceptation des essais cliniques, d'accompagnement par une structure X ou Y, d'incitation fiscale), pour aboutir à une autorisation de mise sur le marché pleine et entière avec des adaptations.

C'est une petite suggestion : j'avais tendance à imaginer que dans les recommandations qui pouvaient ressortir de votre travail, qu'il apparaisse quelque part la nécessité de faire, au moins en France, le début d'une amorce d'un statut du médicament orphelin : la thérapie génique s'y adapte parfaitement.

M. Dominique MARANINCHI - Sur le plan sanitaire, nous avons besoin de médicaments nouveaux que j'appelle personnellement ex vivo, c'est-à-dire qu'ils ne seront jamais administrés qu'en milligrammes chez l'homme, mais qui sont des clés essentielles pour modifier une cellule ex vivo. Ces médicaments n'ont pas de marché. S'ils ont un statut orphelin, c'est-à-dire si l'industriel peut les produire sans y perdre, cela a un sens parce qu'il y a une extrême diversité de ces médicaments ex vivo du fait de la complexité de la biologie.

M. Philippe LAMOUREUX - Il ne faut pas s'imaginer que la réglementation pharmaceutique médicament est lourde et contraignante. On peut parler des ATU (autorisation temporaire d'utilisation) qui ont été créées par l'article L. 622 du code de la santé publique et dont le décret d'application date de quelques mois. C'est bien un mécanisme qui nous permet, dès lors qu'un effet thérapeutique est présumé et en l'absence même de recul pour apprécier l'efficacité réelle du produit, mais dès lors qu'il n'y a pas d'alternative thérapeutique, d'autoriser l'utilisation sur des cohortes, soit nominativement sur quelques patients d'un médicament. Je ne dis pas que c'est parfaitement adapté à la thérapie génique et cellulaire, mais qu'une adaptation est toujours possible.

M. Jean-Hugues TROUVIN - Médicament orphelin, il y a deux termes : médicament, c'est-à-dire produit ayant montré son efficacité. Le problème du médicament orphelin vient, je dirais, presque en deuxième temps de l'essai clinique.

En revanche, quand on prend une thérapeutique comme celle de la maladie de Heurler par exemple, nous avons en arrière-pensée que peut-être certains essais cliniques vont aussi apporter une partie de la guérison. On fait donc un peu du médicament orphelin tout en faisant aussi des essais cliniques.

Il y a une zone un peu délicate pour ce genre de maladie. Mais il est clair que le statut de médicament orphelin, on ne pourra le demander que quand on aura montré, au moins sur quelques patients, une efficacité même partielle.

Le statut du médicament orphelin doit rester dans l'esprit du développement de certains produits de thérapie génique, mais le point n° 1 reste l'encadrement des essais cliniques, quel que soit le devenir ultérieur du produit (médicament, médicament orphelin, etc.). La majorité des essais cliniques en thérapie génique actuellement sont des essais cliniques de faisabilité dont le bénéfice individuel direct était au 4e ou 5e échelon des motifs.

M. Claude HURIET - Pensez-vous que la distinction des phases, la définition qu'on leur donne en recherche pharmacologie clinique est adaptée à la recherche en thérapie génique ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - Les premiers essais de thérapie génique dans des maladies de type Heurler et autres, les phases sont difficilement identifiables, je vous l'accorde.

Les essais en thérapie génique se rapprochent de ceux réalisés en cancérologie, c'est-à-dire que les phases sont un peu bousculées, voire fusionnées. Ainsi, il n'y a pas d'essais de thérapie génique actuellement sur volontaires sains.

En revanche, une réponse inverse à celle que je viens de faire et qui est le fruit de la réflexion du groupe de travail de thérapie génique à l'Agence du médicament, c'est que dans certaines autres indications, le développement d'un produit de thérapie génique ne doit pas échapper aux règles de développement d'un produit classique. Ainsi, pour de plus grandes pathologies de type cardiovasculaire, la question que l'on peut se poser est : est-ce parce qu'on fait de la thérapie génique que l'on est en droit de brûler certaines étapes ? La communauté scientifique s'interroge.

En fonction des pathologies, des indications fournies, je pense que les réponses doivent être modulées.

M. Jean-Paul CANO - Dans les autres Etats de la communauté, que se passe-t-il ?

M. Jean-Hugues TROUVIN - Certains Etats n'ont aucune structure en matière de thérapie génique, à l'exception des comités d'éhtique qui existent, soit dans les instances scientifiques, soit dans les hôpitaux en fonction des pays :

- Angleterre, c'est le GTAC (gene therapy advisory committee) présidé par Brian Davis ;

- aux Pays-Bas, il y a la mise en place d'un comité de thérapie génique au niveau national,

- en Allemagne, le problème n'est pas réglé car il y a des problèmes de compétences fédérale ou régionale,

- en Belgique, ce sont les comités d'éthique locaux qui gèrent ces approches.

M. Alain FISCHER - Concernant la structure d'encadrement des essais cliniques que vous appelez de vos voeux : est-ce dans votre esprit une intercommission ou autre chose ?

M. Jean-Hugues TROUVIN -La question est peut-être de savoir s'il faut ou non une autorisation préalable.

Si la réponse est oui, il faudrait plutôt une structure centralisée qui aurait pour mission d'aller faire des démarches auprès de la commission de génie génétique, de génie biologie moléculaire... pour avoir les avis en terme d'environnement, en terme de recherches, de confinement puis d'intégrer ces avis dans le reste d'une évaluation bénéfice/risque du protocole clinique proposé. On aboutit donc à une structure, de type intercommission, qui serait un "guichet unique" pour tout demandeur ou promoteur d'essai clinique en thérapie génique.

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