B. L'ENSEIGNEMENT DES LANGUES AU COLLÈGE : LE MOMENT PROPICE POUR ENGAGER UNE POLITIQUE RÉNOVÉE

En dépit d'une offre théorique apparemment très diversifiée, le choix des langues étrangères effectivement étudiées au collège, selon une organisation complexe, tend à consacrer également une véritable hégémonie de l'anglais en première langue et une offre des plus limitées pour la deuxième langue, notamment dans les petits établissements et dans les classes qui conduisent aux filières professionnelles.

1. Le dispositif existant

a) Un éventail théoriquement très ouvert

Douze langues sont en effet proposées au choix des élèves : allemand, anglais, arabe, chinois, espagnol, hébreu, italien, japonais, néerlandais, polonais, portugais et russe.

Cette richesse apparente de l'offre place sans doute notre système éducatif en tête des pays développés quant à la diversification linguistique, y compris pour les langues rares, proposée aux élèves du premier cycle de l'enseignement secondaire.

Un tel éventail théorique peut être proposé en raison de la richesse de notre système éducatif en locuteurs de langues rares, ce potentiel étant malheureusement sous-utilisé et risquant même de disparaître, si la demande n'évoluant pas, la relève des enseignants n'est plus assurée.

b) La distinction entre les langues vivantes étudiées

L'organisation de l'étude des langues au collège est commandée par la distinction traditionnelle entre première et deuxième langue.

- La langue vivante 1(LV1) fait l'objet de trois heures hebdomadaires d'enseignement.

- Les options portent sur le renforcement de la LV1 (2 heures par semaine) et sur la langue vivante 2 (LV2) qui bénéficie de 3 heures d'enseignement hebdomadaire.

La LV2 est actuellement étudiée par 97 % des élèves de collège et dans le cadre du nouveau contrat pour l'école, l'enseignement d'une deuxième langue vivante deviendra obligatoire en classe de 4 ème à la rentrée 1997, dans la perspective notamment d'une meilleure préparation des élèves à l'enseignement des langues au lycée.

2. Une réalité plus sombre : vers un monopole de l'anglais en première langue et une hégémonie de l'espagnol en deuxième langue

En dépit d'une diversification théorique, certaines langues minoritaires apparaissent menacées de disparition et leurs enseignants se trouvent quasiment transformés depuis le début des années 1980 en démarcheurs auprès des élèves du primaire et surtout des collèges.

L'évolution récente fait par ailleurs apparaître une poursuite de la dégradation de la situation des langues minoritaires au cours des années récentes, aboutissant à faire de l'anglais la première langue obligatoire et de l'espagnol une deuxième langue choisie par la majorité des élèves.

a) Vers un quasi monopole de l anglais en première langue

Les chiffres ci-après témoignent de cette évolution préoccupante :

Langue vivante 1 - Classe de 6 e

Allemand

Anglais

Espagnol

1991-1992

13,65 %

85,88 %

0,78 %

1993-1994

11,97 %

86,86 %

0,73 %

Outre l'anglais, l'allemand et l'espagnol, les effectifs des élèves des autres langues s'établissent ainsi qu'il suit en classe de 6 ème :

Italien

Arabe littéral

Portugais

Russe

LV par correspondance

1991-1992

321

234

652

816

34

1993-1994

288

172

431

671

1545

La place de l'anglais, qui représente près de 87 % des choix effectués en classe de 6 e en première langue, a donc encore tendance à augmenter au cours des années récentes tandis que l'allemand régresse, même si ce mouvement est relativement freiné par les choix qu'effectuent les familles en sa faveur pour des motivations de type sélectif, cette langue réputée à tort difficile ayant tendance à remplacer le rôle du latin comme instrument de sélection.

b) Vers une hégémonie de l'espagnol en deuxième langue

Une évolution similaire peut être observée dans le choix de l'espagnol qui est désormais majoritaire en classe de 4 ème en deuxième langue :

Allemand

Anglais

Espagnol

Italien

Arabe littéral

Portugais

Russe

LV par correspondance

1991-1992

25,03 %

16,7 %

51,95 %

5,62 %

0,16 %

0,08 %

0,28 %

194

1993-1994

21,87 %

15,47 %

56,38 %

5,55 %

0,11 %

0,14 %

0,19 %

1083

L'espagnol, en raison de sa prétendue facilité, est donc majoritairement choisi en deuxième langue, et sa part a même tendance à progresser au cours des dernières années.

Les autres langues sont en régression, qu'il s'agisse de l'allemand, de l'italien, du russe, alors que le portugais enregistre une timide remontée. Les autres langues non visées par le tableau (chinois, japonais, néerlandais, polonais,...) ne regroupent que 268 élèves.

c) Les conséquences : un enseignement « sinistré » des langues minoritaires.

- Une menace de disparition des langues minoritaires :

En l'absence d'une politique volontariste depuis plusieurs années, certaines langues étrangères, qui ne peuvent pourtant être considérées comme des langues rares, grandes langues européennes, ou langues à vocation mondiale, sont menacées de disparition dans notre enseignement secondaire, du fait d'une sous-information des familles et de choix commandés par un souci utilitaire au détriment du contenu culturel et du rôle formateur de l'enseignement des langues dans le développement de la personnalité des élèves.

Cette régression a également des répercussions sur la situation de personnels particulièrement compétents, qui doivent être reconvertis dans d'autres disciplines et dont la relève ne sera pas assurée, faute de demandes et de postes aux concours.

Les tableaux ci-après ventilent la répartition des enseignants selon les langues et selon leur qualification, et récapitulent le nombre de postes proposés pour chaque langue à l'agrégation et au CAPES à la session de 1994.

Les tableaux ci-après retracent, pour leur part, l'évolution du nombre de lauréats de l'agrégation et du CAPES pour l'ensemble des langues vivantes, et des lauréats du concours d'accès au 2 ème grade du corps des professeurs de lycée professionnel (CAPLP2) en lettres et langues vivantes, depuis 1985 :

- Un resserrement de l'offre réelle de langues

Ce resserrement de l'offre des langues effectivement proposées apparaît particulièrement évident dans les petits collèges notamment en milieu rural où ces derniers ne peuvent proposer que deux à trois langues sur un éventail théorique de douze.

- Des effectifs pléthoriques et le recul d'une pédagogie de l'oral

Cette uniformisation linguistique autour de l'anglais en première langue, et de l'espagnol en deuxième langue, se traduit également par des effectifs pléthoriques dans ces deux disciplines.

Ce phénomène constitue un obstacle au développement d'une pédagogie privilégiant l'oral et à l'expression des élèves, et tend à pénaliser les élèves timides et inhibés qui ne peuvent bénéficier d'une pédagogie plus active.

Cette évolution est d'autant plus désastreuse que le collège constitue le moment de la scolarité le plus efficace pour développer une pédagogie active des langues vivantes.

d) Un exemple de langue négligée : l'arabe

L'importance de la population arabe étrangère ou d'origine étrangère qui vit en France imposerait un large enseignement de la langue arabe, en dehors de toute dérive communautaire.

Notre système éducatif permet de choisir cette langue en 6 ème (LVl), en 4 ème (LV2) ou en seconde.

Force est cependant de constater les ruptures de suivi de l'enseignement de l'arabe entre le collège et le lycée et la quasi inexistence de son enseignement dans les établissements techniques et professionnels 2 ( * ) .

- La diminution alarmante du nombre des élèves en langue arabe :

au collège : 500 élèves en 6 ème et en 5 ème ;

530 élèves en 4 ème et 3 ème (LV1) ; 1200 élèves en LV2.

en 2 ème cycle professionnel : une centaine d'élèves.

en 2 ème cycle d'enseignement général et technologique :

LV1 : 976 élèves

LV2 : 1553 élèves

LV3 : 1505 élèves.

Les implantations de LV1 sont en régression par rapport à celles de LV2, en raison de la discontinuité des cursus, de la gestion plus aisée des cursus courts, de l'attraction de l'anglais sur les arabisants virtuels en 6 ème ; certaines académies éprouvent des difficultés à trouver au baccalauréat des examinateurs pour cette langue choisie en option.

- Les établissements concernés : une régression de leur nombre

Alors qu'en 1989-1990, l'arabe était dispensé dans 196 établissements (91 lycées et 105 collèges), il ne l'est plus en 1994-1995 que dans 183 établissements (104 lycées et 79 collèges) et certaines académies celles de Clermont-Ferrand, de Corse, de Reims et de Rennes ne proposent aucun enseignement d'arabe.

- Une baisse du nombre des enseignants :

Les enseignants étaient 156 en 1994-1995 contre 171 en 1986-1987, dont 25 agrégés, 85 certifiés, 10 stagiaires en IUFM, 19 adjoints d'enseignement, 7 maîtres auxiliaires et 10 assistants étrangers.

- Le niveau d'enseignement

L'arabe est enseigné dans le cadre des langues et cultures d'origine mais ne l'était plus à l'école primaire en enseignement d'initiation aux langues étrangères. Il vient d'être rétabli dans le cadre de la mise en oeuvre de la mesure n° 7 du nouveau contrat pour l'école.

Cette langue est essentiellement enseignée dans les collèges et les lycées d'enseignement général, dans les STS en bureautique et secrétariat trilingue et en tourisme et commerce international, ainsi que dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques et littéraires.

- Les besoins de formation

La plupart des enseignants possèdent un dialecte arabe à côté du registre du littéral.

Il conviendrait que les formations futures diversifient les dialectes (maghrébins et orientaux) et s'adaptent sur le plan pédagogique à l'enseignement précoce et à l'enseignement technique et professionnel.

Sauf à envisager un enseignement exclusif de type communautaire assuré dans les écoles coraniques et risquant d'entretenir la montée de certains intégrismes, l'enseignement de la langue arabe en France ne doit pas être négligé afin de répondre aux besoins culturels et utilitaires d'une population issue de l'immigration et de participer au développement d'un plurilinguisme diversifié.

e) Les moyens d'une diversification

Comme il sera vu dans les propositions de la mission d'information, une mise en réseau des établissements, y compris des écoles primaires, un recours aux possibilités offertes par l'enseignement à distance, et le maintien de petits groupes d'élèves pouvant bénéficier d'une pédagogie axée sur l'expression orale, devraient contribuer à élargir l'offre de langues proposées par les collèges, et notamment les plus petits d'entre eux en zone rurale mais aussi en milieu urbain défavorisé.

Il reste qu'un élargissement de l'offre est commandé par une politique volontariste de l'éducation nationale en faveur de la diversification linguistique et par une information adaptée des familles dont les choix doivent être éclairés.

3. La place des langues vivantes dans les classes de 3ème et de 4ème technologiques des collèges

a) Le principe

L'implantation des classes de 4 ème et 3 ème technologiques dans les collèges s'accompagne d'un souci de rééquilibrage de l'horaire hebdomadaire des élèves de ces classes au profit de l'enseignement général, en vue d'une ouverture plus large des possibilités d'orientation.

Dans cette perspective, ces élèves ont la possibilité de choisir une deuxième langue vivante comme l'ensemble des élèves de collège.

b) Les limites de cette diversification

Il reste que la situation d'échec scolaire que connaissent nombre d'élèves des classes rend ce voeu quelque peu illusoire, alors que ceux qui pourront intégrer ultérieurement les voies technologiques ou professionnelles, notamment dans les sections tertiaires devraient posséder un solide bagage linguistique qui ne saurait se limiter à la maîtrise d'une langue unique.

* 2 Rapport de l'IGEN, décembre 1994

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