CHAPITRE III - LA GESTION DES RÉSIDUS ISSUS DE L'EXTRACTION ET DU TRAITEMENT DES MINERAIS D'URANIUM

Quarante années d'extraction de minerai en France. Un peu plus de 200 chantiers miniers sur 170 sites principaux d'extraction couvrant des superficies qui s'étagent de 1 à 100 hectares. 33 stockages de résidus de traitement regroupés en 22 sites dont la surface unitaire varie entre 1 et 82 hectares. 50 millions de tonnes de résidus, qui contiennent des radioéléments à vie longue comme le thorium 230 (75 000 ans) et le radium 226 (1600 ans). Ces quelques chiffres ne prétendent pas donner une vue complète des problèmes posés par la gestion des résidus miniers. Ils n'ont d'autre but que de camper le paysage et situer les lieux de débat et (parfois) de conflit.

Si l'office parlementaire a été amené à examiner cette année la gestion des résidus miniers d'uranium, c'est bien du fait d'une « pression sociale » qui, montant depuis plusieurs années, a pris désormais une ampleur telle qu'une mobilisation de nature politique s'avérait nécessaire.

L'accélération par COGEMA de la fermeture des installations minières et des usines de traitement associées, la perspective d'un arrêt prochain - d'ici quelques années - de toute la production d'uranium à partir du sous-sol national, ont renforcé la sensibilité générale aux « restes » de toute nature, dont la présence est d'autant moins bien tolérée que l'activité qui les a générés a disparu. La presse nationale a donné relativement peu d'écho à ces controverses (à l'exception des impacts économiques des décisions prises COGEMA), mais la presse régionale et locale a retracé fidèlement la montée des oppositions et la cristallisation des inquiétudes. On ne pourra pas au demeurant accuser les opposants au nucléaire de s'être emparés du dossier en cherchant à provoquer « l'occlusion intestinale » du nucléaire : COGEMA ne produira plus d'uranium en France certes, mais les réacteurs français n'en continueront pas moins d'être alimentés par de l'uranium étranger, moins cher dans les conditions économiques actuelles.

Les résidus de l'extraction minière et du traitement de l'uranium cumulent trois handicaps : 1/ ce sont des déchets ; 2/ ils sont issus du secteur nucléaire ; 3/ leur durée de vie radioactive en fait une menace potentielle pendant plusieurs siècles. Circonstance atténuante cependant : leur radioactivité massique est faible, comparable à celle des déchets TFA évoqués ailleurs dans ce rapport.

C'est ce mélange subtil de faible danger intrinsèque, de volumes importants et de durée de vie plus que centenaire ou millénaire qui fait la spécificité des résidus miniers. Cette spécificité complique la tâche des ingénieurs chargés de définir les meilleures techniques disponibles ; elle complique également la tâche de l'administration chargée de contrôler l'exploitant et de protéger les intérêts de la population et de l'environnement ; elle impose que les attentes du public et des associations soient mieux intégrées aux processus habituels de décision.

À cet égard, l'impression générale que je retiens de mes nombreux déplacements) en France et à l'étranger, est que si la maîtrise des risques sanitaires semble devoir être convenablement assurée à moyen terme, l'acceptabilité des solutions retenues requiert de plus amples efforts partagés.

A. LA MAÎTRISE A MOYEN TERME DES RISQUES SANITAIRES SEMBLE DEVOIR ÊTRE CONVENABLEMENT ASSURÉE

En tant que rapporteur pour l'office parlementaire, je précise une fois encore que, en portant ce jugement au fort contenu technique, je ne prétends pas assurer des fonctions de contrôle et d'évaluation qui ne sont pas les miennes. Je ne fais qu'exprimer une conviction, acquise après de nombreux entretiens et plusieurs missions, qui s'appuie sur les avis multiples - venant au demeurant d'horizons variés - dont la relative convergence emporte l'adhésion.

La détermination exacte de l'impact sanitaire des résidus semble soulever quelques difficultés pratiques. Cependant la similarité des réponses apportées par les exploitants pour la gestion de leurs divers résidus dénote une certaine confiance dans les dispositions techniques qu'il convient de prendre.

1. L'ÉVALUATION DE L'IMPACT SANITAIRE DES RÉSIDUS APPARAÎT SOULEVER DES DIFFICULTÉS GÊNANTES

1.1 L'extraction et le traitement de l'uranium génèrent des résidus variés

L'activité d'extraction peut prendre deux formes : celle, traditionnelle, d'une mine à ciel ouvert (MCO) ou en travaux souterrains (MTS) ; celle, moins fréquente, d'une installation de lixiviation in situ.

1.1.1 Les mines génèrent des stériles... et du radon

L'écorce terrestre contient en moyenne trois grammes d'uranium par tonne. À l'état massif pur, c'est un métal gris, dur, très dense. Mais dans la nature, où il est assez répandu, on le trouve seulement sous forme de minéraux complexes, souvent noirs (pechblende), jaune (autunite), vert (chalcolite), orange (gummite)... Il se rencontre aussi bien dans les terrains granitiques que dans les terrains sédimentaires. Ainsi en France on peut trouver des concentrations uranifères dans les zones suivantes :

- massifs anciens : Massif armoricain (Vendée) et Massif central (Limousin, Millevaches, Marche, Forez, Morvan) ;

- bassins sédimentaires proches de ces massifs : bassin de Lodève, bassin aquitain (Coutras), bassins d'effondrement de Gouzon, Saint Pierre du Cantal, etc.

Les accumulations de quantités exploitables d'uranium sont assez rares : la prospection est un travail de longue haleine. Elle repose sur la détection de la radioactivité associée au minerai (« anomalies » radioactives). En général l'accumulation d'uranium résulte de l'action successive de :

- divers phénomènes chimiques entraînant la mise en solution dans les eaux souterraines de l'uranium contenu dans certains types de roches (par exemple le granite) ;

- la circulation des eaux souterraines, parfois sur de très longues distances ;

- le dépôt dans un nouveau milieu de cet uranium dissous, du fait de conditions chimiques favorables.

Lorsque la concentration de minerai est suffisamment proche de la surface, on peut envisager une exploitation à ciel ouvert. L'art du mineur consiste alors à déterminer, compte tenu de la conformation du gisement, de la qualité des roches et de l'état de la technique disponible, le meilleur compromis entre l'accès le plus direct au minerai, la sécurité minière, la circulation des engins lourds de manutention, etc.

J'ai visité en juin 1995 la MCO du Bemardan (Haute Vienne), exploitée par la Société des Mines de Jouac, filiale de COGEMA. Appartenant à la concession minière de Mailhac sur Benaize, d'une superficie de 97 km 2 , le gisement du Bernardan se situe sur la bordure nord-ouest du Massif central (entre les villes de Limoges, Poitiers et Châteauroux). Son âge géologique est estimé à 170 millions d'années. Sa teneur moyenne de 5,7 kg d'uranium par tonne de minerai et ses 8000 tonnes de réserves en uranium métal en font l'un des plus importants gisements français. La MCO en elle même procède d'un vaste entonnoir dont la surface au sol est d'environ 6,9 hectares et la profondeur d'environ 115 m. Une piste s'enroule autour de cet entonnoir, qui a nécessité l'extraction de 6,2 millions de tonnes de roches pour une production de 1900 tonnes d'uranium métal. La mine a été exploitée de 1978 à 1987.

Selon le volume, la teneur du gisement et les conditions économiques du moment, les excavations peuvent être beaucoup plus importantes. En terrains sédimentaires, j'ai pu visiter des installations minières auprès desquelles le Bernardan fait presque figure d'installation expérimentale :

- en Thüringe orientale (Allemagne), la MCO de Lichtenberg a été exploitée de 1958 à 1977 ; elle atteint une profondeur maximale de plus de 240 mètres, entraînant la manipulation de 160 millions de m 3 de roches extraits par couches d'environ 10 m d'épaisseur ; des bouleaux, arbres appréciant particulièrement les terrains acides, peuplent désormais les « gradins » constituant les parois de la mine ;

- au Wyoming, la mine de Lucky Mac a été découverte en 1953 et exploitée partir de 1954 ; l'extraction s'est arrêtée en 1988 après la manipulation de 218 millions de m 3 de terrains ;

- au Wyoming également, la mine de Shirley Basin a été exploitée d'abord en travaux souterrains (1959-1964) ; cette solution a été abandonnée en 1964 du fait de la trop grande instabilité des terrains, au profit de la technique de lixiviation in situ qui sera présentée ci-dessous ; en 1969 l'exploitant décide de réaliser une MCO ; au total 238 millions de m 3 ont été déplacés sur le site.

La comparaison entre le sort de Lucky Mac et de Shirley Basin est instructive. Les deux sites ont recueilli au fil des temps géologiques les particules arrachées par l'érosion à un massif granitique proche, qui répond d'ailleurs fort logiquement à la dénomination de Granite Mountains. Le site de Lucky Mac est très proche de ce massif (quelques kilomètres à peine), ce qui a limité l'action de l'érosion sur ces particules sédimentaires. Leur caractère assez anguleux favorise une bonne tenue des terrains. Au contraire, à Shirley Basin, l'éloignement du massif granitique est d'environ 65 km au minimum. Les particules sédimentaires ont ainsi été soumises à une action de polissage plus importante tout au long du trajet qui les a menées vers le bassin de sédimentation. Les matériaux accumulés étaient alors beaucoup moins stables, ce qui a causé les difficultés constatées dès le début des travaux dans la MTS et la réorientation vers une exploitation à ciel ouvert.

Dans le cas d'une exploitation en MCO, le tonnage des stériles par rapport au tonnage total extrait peut atteindre 90 % voire 95 %. Cette proportion est naturellement plus réduite pour une exploitation souterraine : 40 % à 50 % environ.

Dans une telle exploitation, on n'extrait évidemment en sus du minerai que les matériaux occupant l'emplacement des galeries nécessaires pour accéder aux formations uranifères. La recherche du meilleur compromis (cf. supra) conduit à creuser des descenderies pentées à environ 15 % : une descenderie principale conduit à proximité des formations uranifères, des descenderies secondaires s'en éloignent pour se diriger vers chaque formation. Au Bernardan, une mine souterraine a pris le relais de la MCO évoquée dans les paragraphes précédents. Le gisement a été découvert en 1980, son exploitation a commencé en septembre 1983 et la production en novembre 1985. Le gisement est formé d'une dizaine de « colonnes » minéralisées ; leur taille est très variable avec des sections horizontales allant de 50 à 1000 m 2 , sur une hauteur de plus de 700 mètres. L'exploitation est actuellement au niveau -400 m environ ; des points positifs de prospection ont été repérés vers 600-650 m de profondeur. Deux méthodes d'abattage à l'explosif sont utilisées :

- la méthode descendant sous remblai cimenté consiste, à partir d'une descenderie secondaire serpentant autour d'une colonne, à entrer dans le minerai à la hauteur jugée la plus propice, à découper une section puis à remplir le vide par du béton ; le rendement au poste est assez faible et le coût du béton incite COGEMA à rechercher diverses améliorations (diminution du nombre d'allées remblayées, nature du ciment...) en collaboration avec l'École des Mines ;

- la méthode de soutirage consiste à vider par le bas certaines minéralisations ayant une configuration particulière (10 m de diamètre, 20 mètres de hauteur environ) ; cette opération délicate (effondrement de la colonne) nécessite l'emploi de matériel télécommandé pour vider la colonne abattue.

La première méthode est meilleure que la seconde car elle garantit une plus grande propreté du minerai (94 ( * )) et elle permet une meilleure récupération des matières, ce qui est Portant lorsqu'on travaille dans du minerai à 5 %o ou 7 %o. Le minerai est remonté au jour avec des camions de 20 à 30 tonnes de charge utile. En 1995, le rythme de production conduisait à remonter 400 à 500 tonnes par jour. 60 000 tonnes de minerai sont extraites chaque année, accompagnées de 40 000 tonnes de stériles.

Les stériles ne sont pas nécessairement dépourvus de tout élément radioactif. D'une part les roches ou sédiments peuvent receler des concentrations résiduelles en uranium ou éléments radioactifs associés ; au Bernardan par exemple, les zones de forte concentration sont fréquemment interconnectées par des zones à plus faible teneur, ou comme l'indique COGEMA dans un document technique qui m'a été communiqué, "par de simples « fumées » le long du réseau structural. " D'autre part la méthode d'abattage à l'explosif entraîne nécessairement un certain mélange entre des blocs de matériaux qui relèveraient normalement d'un traitement mais se retrouvent « égarés » parmi les blocs de stériles ; il est de l'intérêt de l'exploitant de limiter au maximum de ce genre de pertes, mais la perfection est évidemment impossible. D'où parfois ces découvertes de blocs à forte teneur dans les verses à stériles, qui ont conduit à jeter l'opprobe sur l'exploitant de façon peut-être un peu rapide...

Il ne faut pas négliger non plus les eaux d'exhaure, qui proviennent du pompage des eaux souterraines circulant dans les galeries de mine. Celles-ci fonctionnent en effet comme des drains extrêmement efficaces : l'exploitation minière, souterraine ou à ciel ouvert, exige d'abaisser localement le niveau des nappes phréatiques. Les eaux d'exhaure sont chargées d'éléments chimiques divers car elles recueillent les produits des réactions d'oxydation qui peuvent se développer lorsque les matériaux des roches sont placés au contact de l'oxygène de l'air. L'ensemble des réactions induites peut solubiliser des éléments normalement insolubles. Dans les mines d'uranium comme dans les mines autres, les eaux d'exhaure doivent être traitées par l'exploitant. Leur qualité est soumise au contrôle de l'administration compétente.

Par ailleurs le radon est également un sous-produit non négligeable de l'extraction minière. Dans un document publié en 1991 à l'occasion des investigations de la Commission DESGRAUPES, COGEMA indique par exemple que "Dans mille tonnes de minerai à 3 kg d'uranium par tonne, on trouve un gramme de radium et 0,7 mm 3 de radon qui se dégage lorsque l'on remue cette tonne de minerai. " Cette phrase n'est pas vraiment très claire : faut-il 1 000 tonnes ou 1 tonne pour dégager 0,7 mm 3 de radon ? De plus c'est la première fois que je vois exprimée en mm 3 une grandeur relative à un radioélément, même gazeux... Il faut se tourner vers les rapports de l'UNSCEAR pour avoir des indications quantitatives plus affirmées. Le radon est le principal « effluent » provenant de l'activité minière. Dans son rapport 1988, l'UNSCEAR estimait que les relâchements de radon, normalisés par le tonnage d'oxyde d'uranium contenu dans le minerai extrait s'élevait à 100 GBq.t -1 en moyenne. Normalisés par la quantité d'électricité produite en aval, ils s'élevaient à environ 20 TBq par GW et par an (TBq.GW -1 .an -1 ).

Ces estimations ont été pratiquement quadruplées dans le rapport 1993. L'UNSCEAR a complété ses sources d'information, en particulier avec des données canadiennes, allemandes et australiennes. Les relâchements de radon sont désormais estimés à 300 GBq.t -1 d'U 3 O 8 extrait en moyenne (assortie d'une forte variabilité puisque la fourchette s'étale de 1 GBq.t -1 à 2000 GBq.t -1 ) et à 75 TBq.GW -1 .an -1 en moyenne si on les rapporte à l'électricité produite. Comme les précédentes, ces valeurs ne concernent que l'activité d'extraction proprement dite et non les relâchements ultérieurs du fait de la présence à l'air libre des stériles divers.

1.1.2 Les installations de traitement génèrent des blocs, des sables et des boues

L'extraction de l'uranium hors du minerai repose toujours sur la dissolution de l'uranium par attaque chimique (solutions acides la plupart du temps). Selon la teneur du minerai deux méthodes sont employées : la lixiviation en tas ou la lixiviation dynamique.

1. Les faibles teneurs (0,15%o à 0,6%o) justifient d'une lixiviation en tas : le minerai est concassé en blocs calibrés ou non, entassé sur une aire dont le sol a été rendu étanche, et arrosé par la solution acide. Celle-ci percole à travers les blocs pour être recueillie par le système de drainage. Elle peut ensuite soit être dirigée à nouveau vers les tas de lixiviation, de façon à augmenter la concentration en uranium, soit être dirigée vers les dispositifs de traitement. Les résidus in fine sont constitués de ces blocs lixivités ; leur volume est égal à celui du minerai initial.

2. Les plus fortes teneurs (0,6%o à 1 % et plus) justifient d'une installation plus sophistiquée, conduisant à une lixiviation dynamique. Le minerai est concassé puis broyé jusqu'à une granulométrie de 0,5 mm au maximum. Il est ensuite mélangé à de l'eau pour former une pulpe. L'extraction de l'uranium elle même se fait par attaque acide en milieu oxydant (95 ( * )) , à une température de 60-65 °C environ :

- dans la nature l'uranium existe lié à l'oxygène sous deux formes complexes dont l'une (U0 3 ) est soluble, l'autre (UO 2 ) est insoluble (96 ( * )) ; pour améliorer le rendement de l'extraction, il convient de transformer le maximum de ce composé insoluble en composé soluble : c'est l'objet du traitement oxydant ;

- l'acide dissout l'uranium soluble ;

Les liqueurs contenant l'uranium sont alors séparées des résidus solides par une filtration :

- les résidus sont dirigés vers un stockage après neutralisation ; parfois ces résidus sont séparés selon leur granulométrie : les sables peuvent être utilisés pour le remblayage des mines, les particules fines sont stockées ;

- les liqueurs sont traitées de façon à séparer sélectivement l'uranium des autres éléments (fer, aluminium, silice, arsenic... selon la nature du minerai) qui doivent être considérés comme des impuretés et dont la présence ruine la qualité du produit final ; la solution aqueuse issue de ce traitement n'est plus chargée que d'uranium.

Il ne reste plus qu'à précipiter celui-ci avec de l'ammoniaque pour obtenir le diuranate d'ammonium, ou de la magnésie pour obtenir de l'uranate de magnésium, ces deux composés étant mieux connus sous le nom de yellow cake. Ils renferment environ 75 % d'uranium. Par ailleurs l'eau résiduelle subit un traitement destiné à réduire son acidité et à éliminer le radium dissous. Les boues résultant du traitement des eaux sont mélangées aux résidus solides précédemment isolés ; l'ensemble est déposé sur une zone de stockage. Les effluents traités sont rejetés dans le milieu naturel.

Le bilan matières de l'usine associée à la mine du Bernardan montre que pour 1 tonne de minerai (contenant donc 5 kg d'uranium environ), il faut utiliser 2 tonnes d'eau, 130 kg d'acide sulfurique (attaque acide) et 53 kg de chaux (neutralisation de l'acidité résiduelle). Le produit fini ( yellow cake ) a une masse de 6,7 kg ; il est accompagné de 3 tonnes de déchets : 2 tonnes d'effluents liquides et 1 tonne de résidus de traitement, qui contiennent 75 à 100 grammes d'uranium ayant échappé à l'opération. Ces résidus solides sont composés de gypse à hauteur de 96 % (produit de la neutralisation de l'acide sulfurique excédentaire par la chaux) et de divers hydroxydes de fer (à hauteur de 4 %) qui leur donnent une couleur rouge brique caractéristique. La teneur en eau est de 40 % environ, ce qui conjugué à une fine granulométrie, confère aux résidus un aspect pâteux et permet d'utiliser un système de tuyauteries et de pompage pour les déverser vers le site de stockage.

En Afrique du Sud l'uranium est considéré comme un sous-produit de la production aurifère. J `ai eu le privilège de visiter l'usine associée à la mine de Western Areas Gold Mining Ltd., société minière filiale du conglomérat JCI. Les installations d'extraction de l'uranium sont situées en aval des installations de l'or. Elles reçoivent ainsi directement la pulpe aqueuse chargée d'uranium qui doit subir l'attaque acide. Le procédé est identique à celui utilisé en France, mais les résidus solides sont dirigés vers une installation de récupération des pyrites au lieu d'être stockés en l'état.

1.2.3 La lixiviation in situ ne génère que très peu de résidus solides

Si la configuration géologique des sols est favorable, on peut éviter d'extraire du sol les matériaux uranifères : la solution acide destinée à dissoudre l'uranium est injectée directement dans le sol puis récupérée une fois chargée en uranium. Le minerai est ainsi lixivié in situ.

Cette méthode n'est possible que pour des formations sédimentaires, dans le cas où des couches perméables uranifères (généralement des grès) sont placées entre deux couches imperméables. Un réseau de puits d'injection et de pompage assure la circulation de la solution acide sur l'ensemble de la parcelle. J'ai visité les sites d'Irigaray et Christensen, dans le nord-est du Wyoming, exploités par PATHFINDER qui est une filiale américaine de COGEMA. Ces deux sites voisins sont situés dans le bassin de la Powder River. La configuration générale des sites est celle d'un « système fluvial » souterrain dans lequel une alternance de 4-5 couches perméables/imperméables est légèrement inclinée dans la direction du Nord. 12 000 puits ont été creusés sur l'ensemble de ces deux sites, dont seul Christensen reste en exploitation aujourd'hui.

Dans une phase préliminaire, l'exploitant entreprend le forage des puits : le tubage en plastique est placé dans une matrice en ciment, pour une durée de vie normalement calculée de 20 ans environ. La durée d'exploitation d'un puits est de 3 ans environ ; il y a donc peu de chance d'observer une détérioration due au vieillissement des matériaux et de la structure des puits. L'un des objectifs imposés par l'autorité de sûreté (la NRC) est en effet d'éviter tout risque de fuite hors du champ d'exploitation. Les puits restent en place après l'exploitation.

Dans la première phase d'exploitation, les couches sédimentaires à lixivier subissent un pré-conditionnement. Il s'agit de mettre en place les conditions chimiques propres au bon déroulement de la lixiviation. Les opérations consistent essentiellement à ajuster le pH (acidité) du sol et à éliminer les espèces chimiques susceptibles de précipiter (ions calcium Ca 2+ ...). Cette phase dure 1 à 3 semaines.

La lixiviation proprement dite dure 2 à 3 ans. L'exploitant commence par injecter des solutions oxygénées (de façon à augmenter la proportion d'uranium soluble : cf. supra) puis les produits lixiviants proprement dits. Le débit d'un puits est d'environ 2-4 m 3 /heure au Wyoming ; la plus grande perméabilité des terrains sur les sites exploités au Texas permet d'y porter cette valeur à 10-15 m 3 /heure. Il faut donc plus de puits et plus de temps pour extraire la même quantité d'uranium dans le Wyoming.

Le procédé a une excellente sélectivité vis-à-vis de l'uranium. Il permet de récupérer environ 65 % de l'uranium contenu dans le sol. Il subsiste cependant de faibles quantités d'impuretés. On relevait par exemple une concentration de 12,5 mg/l de vanadium dans les solutions extraites de l'unité n° 5 à Irigaray ; du vanadium est également présent sur le site de Christensen ; il est précipité dans 4 filtres à sac changés deux fois par jour ; les débits de dose au contact de ces filtres varient entre 0 et une bonne dizaine de ì Rg/heure. De même la concentration en radium dissous dans les solutions lixiviantes augmente au fur et à mesure de l'extraction, de 500 pCi/l (20 Bq/l) au début jusque vers 2 000 pCi/l ( 80 Bq/l) en fin de vie des puits ; en effet les solutions circulent en circuit fermé (97 ( * )) .

Les solutions sont traitées par passage dans des résines échangeuses d'ions afin de fixer l'uranium. Ces résines sont confinées et maintenues sous pression afin d'éviter les relâchements de gaz (O 2 , CO 2 , radon...). En effet le climat rigoureux du Wyoming amène les exploitants à abriter leurs installations dans des bâtiments fermés, où tout relâchement de gaz serait délicat à gérer. L'uranium fixé dans les résines est ensuite traité par élution : la circulation d'une solution de sel et de soude dans la résine extrait l'uranium et la résine est ainsi régénérée. L'éluant enrichi en uranium passe ensuite dans les circuits qui aboutissent à la formation du yellow cake.

Les résidus solides représentent un volume très limité en phase d'exploitation (moins de 40 m 3 par an) ; les volumes seront plus importants à la fermeture définitive des sites : COGEMA m'a indiqué une valeur de 2500 m 3 au maximum, fondée sur un niveau minimal de décontamination et une libération de certains matériaux comme non radioactifs. Ces déchets solides incluent bien sûr les matériels et équipements contaminés (tuyauteries, vannes, cuves d'instrumentation, pompes, réservoirs divers...), les résines usagées... ainsi que les boues de process dont la majeure partie est récupérée dans des bassins d'évaporation.

En effet la majeure partie des matières circulant sur le site sont des liquides. La majeure partie des déchets à gérer est également sous forme liquide : la purge permanente du dispositif d'extraction, les saumures diverses issues de l'élution... Certains exploitants (comme Power Resources dans le Wyoming) ont reçu l'autorisation d'évacuer (après traitement) vers des structures d'irrigation les purges de lixiviation ou les flux venant de la réhabilitation des champs épuisés. Seul le Texas autorise l'injection de certaines saumures dans des couches géologiques profondes. Pour les sites d'Irigaray et Christensen, le déversement dans le réseau des eaux de surface n'est autorisé que pour les liquides « propres » provenant du processus de réhabilitation. Les autres liquides sont dirigés vers des bassins d'évaporation. Les saumures étant saturées en sel, ces bassins se remplissent rapidement de boues diverses et doivent être curés régulièrement.

À chaque méthode ses résidus. La lixiviation in situ ayant été peu utilisée en France, je souhaite concentrer désormais mon propos sur les activités d'extraction minière et de traitement « classique » du minerai.

* 94 Elle évite en particulier de polluer du minerai riche par du minerai pauvre.

* 95 Il est également possible d'utiliser une solution ammoniaquée, mais le rendement de l'extraction est généralement inférieur à celui de l'attaque acide.

* 96 Le compose que l'on appelle traditionnellement U 3 O 8 est en fait un mélange (UO 3 , UO 3 , UO 2 ).

* 97 À l'exception d'une légère purge permanente pratiquée de façon à maintenir le champ d'exploitation en dépression et limiter ainsi la pollution extérieure des couches géologiques la purge représente environ 1 % du flux sur une base continue mais peut atteindre 5 % dans certaines conditions (soit 3 à 15 gallons par minute pour un flux global de 3 000 gpm en moyenne).

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