32 2

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996


Annexe au procès-verbal de la séance du 23 avril 1996.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation(1), sur l' audiovisuel en Europe centrale et orientale ,

Par M Jean CLUZEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de MM Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, René Régnault, Alain Richard, François Trucy, secrétaires : Alain Lambert, rapporteur général : Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre René Trégouët.

Audiovisuel. Pays d'Europe centrale et orientale - Rapports d'information.

INTRODUCTION

Adversaires hier, partenaires demain, les pays d'Europe centrale et orientale ont emprunté la voie difficile de la démocratisation et de l'économie de marché.

La perspective d'une adhésion des pays associés d'Europe centrale et orientale a été tracée par le Conseil européen qui s'est tenu à Copenhague en juin 1993. L'impact macroéconomique de cette adhésion vient de faire l'objet d'un récent rapport d'information de la délégation sénatoriale pour l'Union européenne, présenté par notre collègue, M. Denis Badré 1 ( * ) .

Mais l'Union européenne ne peut pas se contenter de proposer à ces pays l'ouverture de son marché. Elle doit aussi les inviter a partager à nouveau ses valeurs et sa culture.

Dans l'immédiat l'Europe centrale et orientale a surtout soif d'images nouvelles.

Ici, comme ailleurs, la télévision est le miroir de la société de consommation. Les nouvelles classes moyennes s'abonnent en masse aux programmes payants du câble et du satellite. Il arrive même que les premières chaînes privées nationales connaissent un succès foudroyant, notamment en République Tchèque. Les investissements publicitaires se réorientent massivement vers la télévision.

Hélas, la France est trop discrète à l'Est, sur le plan économique comme sur le plan culturel et politique. Un engagement insuffisant dans cette région ne ferait qu'élargir la brèche dans laquelle s'engouffre déjà l'influence prépondérante d'autres États, comme l'Allemagne et les États-Unis.

Et pourtant, une politique active pourrait être menée par la France en Europe centrale et orientale, grâce à la forte tradition francophile de ces pays.

Dans quel domaine ?

La culture, et particulièrement l'audiovisuel, pourraient constituer le vecteur et le support de l'influence française à l'Est.

La coopération culturelle représente en effet le supplément d'âme dont la construction européenne a besoin.

L'audiovisuel pourrait être le support privilégié de cette politique de coopération active.

Les chaînes publiques d'Europe centrale et orientale partagent les mêmes aspirations que celles de notre secteur public. Elles pourraient, si nous les y aidions, faire contrepoids au libéralisme anglo-saxon. La contribution des télévisions publiques à la culture, à l'information et au soutien des productions audiovisuelles et cinématographiques d'Europe ne saurait donc être ignorée par la France.

Ces orientations m'ont conduit - dans le cadre de mon rapport spécial sur la communication audiovisuelle - à étudier la situation de l'audiovisuel en Europe centrale et orientale et à présenter quelques suggestions.

*

* *

De façons arbitraires, seules les paysages audiovisuels de quelques États sont étudiés dans le présent rapport d'information, Pologne, République Tchèque, Hongrie, Roumanie et Bulgarie. Ils constituent néanmoins un échantillon représentatif de cette vaste région de l'Europe.

L'Autriche a été ajoutée à cette étude en raison de son passé et du particularisme de l'audiovisuel autrichien. Ce pays entretient avec ses voisins des liens particuliers, issus d'une longue histoire qui fut souvent commune Membre de l'Union européenne depuis le 1 er janvier 1995, l'Autriche présente par ailleurs la particularité d'avoir conservé son monopole juridique de l'audiovisuel public, il est vrai quelque peu malmené en raison de l'existence de réseaux câblés et de chaînes satellitaires qui contribuent à garantir un réel pluralisme.

Ce rapport d'information résulte, notamment, d'une mission faite du 23 août au 6 septembre 1995 et qui, depuis lors, fut suivie de longs et multiples échanges.

Cette mission n'aurait pu se réaliser sans l'accueil compréhensif et chaleureux des Ambassadeurs et de leurs collaborateurs au sein des quatre pays où j'ai pu me rendre :

S.E. M. André LEWIN, Ambassadeur de France en Autriche,

S.E. M. François NICOULLAUD, Ambassadeur de France en Hongrie,

S.E. M. Daniel CONTENAY, Ambassadeur de France en Pologne.

S.E. M. Benoît d'ABOVILLE, Ambassadeur de France en République Tchèque ;

et sans l'aide efficace et compétente des attachés audiovisuels ou des conseillers culturels de ces pays :

Madame Françoise ALLAIRE. Conseiller culturel, scientifique et de coopération, Ambassade de France en Hongrie,

Monsieur Olivier WOTLING, attaché audiovisuel, Ambassade de France en Hongrie,

Monsieur Daniel OLLIVIER, conseiller culturel, scientifique et de coopération en Pologne,

Monsieur Didier TALPAIN, attaché audiovisuel, Ambassade de France en Pologne,

Madame BARILLOT, Conseiller culturel. Ambassade de France en Autriche,

Monsieur Jean BACOT, Conseiller culturel. Ambassade de France en Roumanie,

Monsieur Serge MORAND, attaché audiovisuel, Ambassade de France en Roumanie,

Monsieur Fernand TEXIER, Conseiller culturel, Ambassade de France en Bulgarie ;

Monsieur Frédéric JUGEAU, attaché audiovisuel, Ambassade de France en Bulgarie,

Madame Sylvie DARGNIES, attaché audiovisuel, Ambassade de France en République Tchèque

que je tiens à remercier.

PREMIÈRE PARTIE : DE « L'EUROPE DE L'EST » À « L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE »

I. LES NOUVELLES DÉMOCRATIES D'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE

A. LE CHEMIN DIFFICILE DE LA DÉMOCRATIE

1. Des atouts inégaux

Les pays d'Europe centrale et orientale disposent d'atouts inégaux Pour surmonter avec succès le triple défi que représentent la démocratisation, l'instauration de l'économie de marché et la mutation sociale, nécessaires à leur intégration au sein de l'Union européenne.

La Pologne, la Hongrie et la République tchèque bénéficient, malgré leurs difficultés, d'un incontestable avantage de départ pour la réussite de leur mutation post-communiste. Leurs sociétés civiles, relativement autonomes et qui furent toujours très actives, ont su résister pendant la période communiste, grâce à l'enracinement profond des valeurs humanistes. Elles s'adaptent rapidement aux perspectives de développement ouvertes par l'entrée dans l'économie de marché, telle que celle-ci se présente à la fin du XX e siècle. Leur classe politique, issue de la dissidence anti-communiste, est constituée d'intellectuels de haut niveau n'ayant jamais complètement rompu leurs liens avec la culture européenne. Ces pays se distinguent en conséquence par le degré d'avancement des changements politiques et institutionnels et par un rapprochement rapide avec l'Union européenne.

La situation est différente dans les pays de l'Europe orientale, ou balkanique, comme la Roumanie et la Bulgarie. Ces pays portent encore les marques profondes des régimes communistes qui ont exercé une emprise beaucoup plus forte sur une société civile rapidement atomisée après-guerre. Cette emprise fut du reste facilitée par une tradition multiséculaire de soumission. La modernisation politique en est freinée et la consolidation des pratiques démocratiques, ralentie. Sur le plan économique, ces pays souffrent d'un retard de développement dont les origines sont antérieures à l'instauration du communisme.

2. Une évolution politique en « dents de scie »

L'évolution de la politique intérieure des pays d'Europe centrale et orientale suit une évolution qui est loin d'être linéaire.

En effet, six ans après la chute du mur de Berlin, les anciens communistes sont partout associés au pouvoir, à l'exception notable de la République Tchèque. Il est vrai que, comme a coutume de le rappeler le journaliste polonais Adam Michnik : « toute révolution engendre sa restauration ».

Il est nécessaire d'en rappeler les grandes lignes pour comprendre pourquoi la libéralisation des média et l'adoption d'un cadre juridique établissant clairement les relations entre l'audiovisuel public et l'État marquent encore le pas, et semblent parfois être remises en question.

a) La stabilité tchèque

Nonobstant la partition entre la République Tchèque et la Slovaquie, entrée en vigueur le 1 er janvier 1993, la coalition de centre-droit au pouvoir à Prague de M. Vaclav Klaus dispose d'une marge de manoeuvre relativement large. Cette situation tient tant à la personnalité du premier ministre qu'à la faiblesse de l'opposition, divisée.

b) Les retournements polonais et hongrois

Dans ces deux pays, les ex-communistes sont revenus au pouvoir.

Les élections d'octobre 1991 en Pologne ayant amené au Parlement 29 formations, le Gouvernement de coalition de Waldemar Pawlak (PSL, Parti paysan polonais) n'a duré que huit mois.

Lui ont succédé le ministère de M. Jan Olszewski (5 juin - 11 juillet 1992 ) puis le Cabinet de Mme Hanna Suchocka. Ce dernier ne put faire voter la loi générale de privatisation qu'avec le concours des députés de l'Alliance de la gauche démocratique (SLD), ex-communiste. Il succomba finalement à une motion de censure émanant de Solidarité, le 27 mai 1993. Le Président Walesa décida alors la dissolution de l'Assemblée. L'instauration d'un seuil de 5 % pour les partis présentant des listes individuelles et de 8 % pour des regroupements de partis aux élections du 19 septembre 1993 a réduit fortement le nombre des partis représentés à la Diète tout en donnant une confortable majorité aux ex-communistes du SLD alliés au Parti paysan polonais. Le Gouvernement de Waldemar Pawlack a toutefois réuni des libéraux et des partisans d'un interventionnisme étatique plus fort.

L'élection à la présidence de la République de M. Alexandre Kwasniewski le 19 novembre 1995, chef de la gauche post-communiste, qui a battu Lech Walesa, a constitué une nouvelle étape dans la reconquête du pouvoir par les ex-communistes. Le Gouvernement de coalition du nouveau premier ministre post-communiste M. Cimoszewicz, porté au pouvoir en février 1996, semble avoir mis fin à la période de transition.

En Hongrie, le Gouvernement de coalition de centre-droit - le Forum démocratique hongrois (MDF) - de Josef Antall, formé en mai 1990 a perdu les élections législatives des 8 et 29 mai 1994. Celles-ci ont vu la victoire du Parti socialiste hongrois (PSH), ex-communiste, qui a réuni 54 % des suffrages.

Le premier ministre actuel, M. Gyula Horn, avait été ministre des Affaires étrangères en 1989 et a été le principal auteur de la décision d'ouvrir la frontière hungaro-autrichienne aux réfugiés est-allemands. Bien que disposant de la majorité absolue, le PSH a conclu, le 24 juin 1994, un « compromis historique » avec les anciens dissidents des Démocrates libres (SzDsz), dont trois de ses représentants sont devenus ministres.

c) Les ambiguïtés roumaines et bulgares

Parmi les pays balkaniques anciennement communistes, la Bulgarie semblait, de loin, offrir la transition démocratique la plus prometteuse.

Entamée dès le 10 novembre 1989 avec la chute de Todor Jikov, au pouvoir pendant presque quarante ans, le processus démocratique s'est accéléré en juin 1990 avec les premières élections libres. Celles-ci furent toutefois remportées par le parti socialiste, ancien parti communiste bulgare. L'aggravation de la crise économique le contraignit cependant à organiser des élections législatives anticipées dès octobre 1991, qui furent gagnées par l'opposition démocratique regroupée autour de l'Union des forces démocratiques, l'UFD. Ces élections permirent également au Mouvement pour les droits et les libertés, le MDL, représentant les minorités turque et pomaque, de peser, avec 7,5 % des voix, pour la première fois, sur la vie politique nationale. Le 8 novembre 1991, la Bulgarie se dota du premier Gouvernement non-communiste depuis l'après-guerre, composé de responsables de l'UFD, avec le soutien, indispensable, du MDL, et présidé par M. Filip Dimpitrov.

Toutefois, l'UFD voulant administrer une thérapie de choc à l'économie bulgare - qui entraîna une chute de la production industrielle de 23 % et une aggravation du chômage, dont le taux était monté à 14 % -, ce fut la minorité turque, implantée dans les régions les moins développées qui fut la principale victime. Outre un exode massif, pour des raisons économiques, cette politique eut pour conséquence, dès l'automne 1992, la rupture entre l'UFD et le MDL. De plus, le Gouvernement se heurta à l'hostilité des syndicats et du chef de l'État. M. Jeliou Jelev, élu en janvier 1992 grâce au soutien de l'UFD mais hostile à des réformes trop radicalement libérales. Mis en minorité le 28 octobre 1992, le Gouvernement ne fut remplacé que le 30 décembre 1992 par un cabinet composé de technocrates, dirigé par un professeur d'économie sans affiliation politique. M. Lyuben Berov, soutenu par le MDL, le Parti socialiste et par la Nouvelle union pour la démocratie, issue d'une scission de l'UFD. Cette formation politique ne s'était pas privée de critiquer la « recommunisation rampante » du Gouvernement, l'inefficacité de la politique économique, telle qu'elle était conduite, en réclamant des élections législatives anticipées.

De fait, trois mois après leur retour au pouvoir, après la victoire sans partage des ex-communistes, qui ont obtenu 43,5 % des voix et 125 des 240 sièges du Parlement aux élections du 18 décembre 1994, le Gouvernement de M. Jean Videnov semblait, à de nombreux observateurs, faire marche arrière sur le plan économique, voire politique. La nouvelle politique économique, censée réduire le coût social de l'éprouvante transition vers l'économie de marché s'est traduite par une limitation des investissements étrangers. Un an après ce changement de cap, le pouvoir a tenté de reprendre en main les média.

En Roumanie en revanche, la transition politique fut plus difficile, tandis que des réformes économiques audacieuses étaient lancées.

Après la chute des époux Ceaucescu, les premières élections présidentielles et législatives de mars 1990 virent le triomphe de M. Ion Iliescu et de son parti, le Front de salut national. L'opposition, divisée entre libéraux et monarchistes, a souffert d'une hostilité marquée du Gouvernement, qui devait, du reste, chuter en septembre 1991 à la suite de manifestations antigouvernementales violentes. Il fut remplacé par un économiste, M. Theodor Stolojan. L'influence du président Iliescu paraissait augmenter à nouveau, jusqu'aux élections locales de février 1992, qui furent néanmoins perdues par le Front de salut national en raison de la scission en mars 1992 entre fidèles du président Iliescu et partisans de M. Roman. Malgré la réélection de M. Iliescu en octobre 1992, le Front démocratique de salut national, nouvelle appellation du FSN, ne parvint pas à gagner les élections de septembre 1992. Un Gouvernement minoritaire, dirigé par M. Nicolae Vacaroiu, fut formé. Son existence dépendant de l'extrême-droite (12 % des voix), de l'ancien parti communiste (3,2 % des voix) et du parti de la minorité hongroise (7,5 % des voix), il se trouve depuis lors en situation délicate.

Sur le plan économique, la Roumanie s'est engagée très tôt sur la voie des réformes économiques : libération progressive des prix dès octobre 1990, convertibilité de la monnaie en novembre 1991.

Comme l'a noté le rapport de notre collègue, M. Hubert Durand Chastel, consacré à l'examen de l'accord franco-roumain sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements 2 ( * ) , la Roumanie hésite entre le repli sur soi et l'ouverture vers l'Europe ; c'est pourquoi les réformes de structure marquent le pas. Les difficultés pratiques rencontrées, comme la lenteur du processus de privatisation, entravent le développement des investissements, notamment français.

B. LA QUESTION DES NATIONALITÉS N'A TOUJOURS PAS ÉTÉ RÉSOLUE

La non-coïncidence des frontières étatiques et ethnico-linguistiques a pour conséquence l'existence de fortes minorités, dans chacun des pays de la région.

1. Une mosaïque culturelle

L'Europe centrale et orientale est un ensemble d'environ 200 millions d'habitants que se partagent dix-huit États, compte tenu de l'éclatement de la Yougoslavie, et où se côtoient dix-neuf peuples, si l'on fait de la langue le seul critère de différenciation.

La tragédie yougoslave nous enseigne en effet que la religion et - Surtout - l'histoire peuvent se charger de séparer Serbes, Croates et Bosniaques musulmans.

Les États de la région peuvent donc être tous considérés comme des État s multinationaux, ou plus précisément d'États de minorités nationales formés d'une nation dominante et d'une ou plusieurs nations existant en tant que communautés différentes, chacune ayant conscience de sa spécificité et manifestant le désir ardent de la conserver.

La notion de nationalité est aujourd'hui fréquemment définie par la langue maternelle, qui constituait également le critère administratif de la nationalité dans l'empire habsbourgeois. Il faut se souvenir qu'il avait privilégié la religion, - le catholicisme -, sur la langue, - l'allemand -, comme instrument d'homogénéisation de l'empire. Sans omettre toutefois la politique d'établissement de Roumains, d'Allemands et de Serbes en Hongrie pour affaiblir l'unité ethnico-linguistique de ce pays dont la langue officielle était le latin.

La minorité hongroise de Roumanie est sans nul doute la plus importante de celle des pays d'Europe centrale et orientale. Elle compte en effet deux millions de personnes sur 22 millions. La question des droits de cette minorité rend toujours difficiles les relations entre les deux pays. La Hongrie demande la reconnaissance, dans le cadre d'un traité bilatéral, des droits de la minorité hongroise mais refuse de reconnaître l'intangibilité de la frontière roumano-hongroise. Or, sans cette reconnaissance, la Roumanie n'est pas disposée à garantir les droits de cette minorité et l'extrême-droite roumaine s'y oppose farouchement.

En Bulgarie, les minorités ethniques représentent 12 % de la population. Il s'agit de Turcs (près d'un million de personnes) et de la communauté tsigane (600 000 personnes). La communauté pomaque, forte de 250 à 300 000 membres, ne constitue pas une minorité nationale : il s'agit de Bulgares convertis à l'Islam entre le XVII e et le XIX e siècle. Pendant les années quatre-vingt, la communauté turque fit l'objet d'une politique de slavisation forcée de la part du régime communiste. Les villages au nom turc créés par les Ottomans furent débaptisés et les personnes au nom à consonance turque, invités à y substituer des patronymes à consonance slave.

La Hongrie connaît une situation à fronts renversés. Les minorités vivant sur son territoire sont peu nombreuses. On estime toutefois le nombre de Hongrois d'origine allemande à 200 000. C'est une conséquence du Traité de Trianon de 1920 qui amputa son territoire des deux tiers et d'un tiers 1a population magyarophone, le nombre de Hongrois habitant en Slovaquie, en Roumanie ou en Voïvodine étant évalué à trois millions. Ces minorités soutenues par Budapest, revendiquent un enseignement et des inscriptions publiques bilingues.

La République Tchèque abrite deux minorités d'inégale importance : les Hongrois, au sud, et les Allemands des Sudètes.

L'Autriche compte également une petite population hongroise à l'Est, et une importante minorité s lovène au Sud.

La Pologne, enfin, - depuis les bouleversements de l'immédiat après-guerre - ne comprend pas de minorité à proprement parler, hormis quelques Allemands dans l'ancienne Silésie.

Les minorités ethniques d'aujourd'hui ont parfois constitué les majorités d'hier. L'histoire heurtée de cette région d'Europe a toujours été caractérisée par une instabilité des frontières. Ce passé explique aujourd'hui le multilinguisme d'un nombre important d'habitants des pays d'Europe centrale et orientale. Selon un récent atlas d'histoire politique 3 ( * ) :

« L'appartenance d'un individu, au cours de sa vie, à plusieurs États distincts est l'une des causes des multiculturalismes régionaux, directement perceptibles au niveau linguistique. L'aptitude à pouvoir s exprimer en trois ou quatre langues est, en Europe médiane, un phénomène courant. À la maîtrise de la langue maternelle s'ajoute celle d'une ou de deux langues d'usage, parfois distinctes de la langue officielle. Si cette «exception culturelle» est moins vivace chez les jeunes que chez leurs aînés, elle reste, dans certains États, particulièrement entretenue par des enseignements bilingues. La Roumanie, par exemple, annonce huit langues principales d'enseignement, ainsi distinguées des neuf autres langues maternelles encore pratiquées sur son territoire ».

2. Le statut des minorités

Les constitutions des pays d'Europe centrale et orientale reconnaissent, en règle générale, l'existence des minorités nationales et ethniques.

Le statut des minorités est un élément important pour l'équilibre politique interne de ces pays autant que pour garantir la sécurité de la région. Il s'agit également d'une question qui doit être prise en compte prioritairement dans toute politique de la communication.

Les constitutions des pays d'Europe centrale et orientale consacrent le principe de non discrimination. Elles reconnaissent par ailleurs aux minorités nationales et ethniques un degré d'autonomie variable selon chaque pays.

En raison de l'homogénéité culturelle et « ethnique » de la population de la Pologne - ce qui n'a pas toujours été historiquement le cas -, la constitution polonaise ignore les minorités ethniques.

Les autres constitutions reconnaissent en revanche le droit de conserver, de développer et d'exprimer l'identité culturelle, linguistique et religieuse des minorités.

La Roumanie préfère cependant l'accorder aux personnes appartenant à des minorités nationales plutôt qu'à ces minorités nationales elles-mêmes. Dans ce pays, où la minorité hongroise est importante, la constitution fait de l'unité du peuple roumain le fondement de l'État (article 4).

La constitution bulgare consacre son article 36 à l'utilisation des autres langues que le bulgare. Mais son article 2-1 fait de la Bulgarie un État unitaire et interdit les formations territoriales autonomes, même si elle reconnaît autoadministration locale.

Le droit à l'instruction dans la langue, son utilisation dans les rapports avec l'administration, à la création d'associations nationales, est reconnu par la constitution tchèque (article 25).

Enfin, la Hongrie est toujours marquée par les conséquences du traité de 1920 ; c'est-à-dire par le tracé de ses frontières ! Ses minorités sont numériquement peu importantes, mais elle demeure sensible au statut des Hongrois en Roumanie, en Slovaquie et en Serbie, et reconnaît aux minorités nationales et ethniques le droit de créer des organes d'autogestion locaux et nationaux, ainsi que le droit à l'utilisation de leur langue maternelle (article 68).

La loi du 7 juillet 1993 sur les droits des minorités nationales et ethniques, dont l'objet affiché est de doter les minorités allogènes de Hongrie d'un statut d'autonomie étendu -, se propose notamment de faciliter l'accès des minorités aux programmes de radio et de télévision en provenance de la mère-patrie. Ce statut constitue, selon un spécialiste de la question des minorités « une incitation, pour les Hongrois de l'étranger à revendiquer sur ces bases un véritable irrédentisme culturel, un droit à la culture nationale d'origine » 4 ( * ) .

Aucun État de la région n'est en effet insensible au statut des minorités avec lesquelles il aspire à entretenir des liens au moins culturels.

Les frontières entre ces États sont sans doute plus « poreuses » et perméables que partout ailleurs. Toujours selon l'atlas de l'Europe centrale et balkanique :

« L'histoire des peuples de l'Europe centrale et balkanique est caractérisée par un rapport particulier aux frontières. Celui-ci découle des souverainetés que les tous premiers royaumes de la région, aux relations souvent antagonistes, ont successivement exercées sur les mêmes populations, de l'intégration de ces dernières dans des empires multinationaux et de leur constitution tardive en États-nations aux limites sitôt contestées puis bouleversées par des guerres. La spécificité de cette histoire politique, source d'un décalage entre de lointaines frontières historiques devenues mythiques et les frontières actuelles, a suscité un scepticisme quant aux notions de pérennité des frontières et une interrogation sur des possibilités, pour l'individu, de s'enraciner dans un ensemble national.

« Une illustration de cette attitude, parfois énigmatique pour un esprit occidental, est fournie par l'exemple des populations de l'actuelle Ukraine subcarpatique. Nées au début du siècle, dans l'empire des Habsbourg, elles devinrent tchécoslovaques en 1919, hongroises en 1939 avant d'être intégrées, en 1945, à l'Union soviétique, puis, en 1991, à l'Ukraine indépendante. Ces destins à citoyennetés successives, courants en Europe centrale, le sont aussi dans les Balkans. On peut évoquer, le cas des habitants de la Slovénie méridionale, qui, pendant ce siècle ont, tour à tour, été autrichiens, italiens, yougoslaves et Slovènes ».

Cela explique pourquoi les États de la région ne peuvent être indifférents, dès lors qu'il s'agit du respect des droits linguistiques des minorités.

En quelque sorte, il existerait entre ces pays un droit de regard mutuel sur le traitement dont bénéficient leurs minorités, notamment sur le plan culturel et, plus particulièrement, audiovisuel.

Pour un spécialiste du droit des minorités 5 ( * ) dans cette région :

« Les manifestations constitutionnelles du droit de regard de la mère patrie sur l'ensemble de la nation partagée ne sont pas le fruit du hasard ou une simple clause de style. Elles correspondent à une situation bien réelle depuis 1918, où aucun État centre-européen ne peut prétendre établir son imperium sur une population nationalement homogène. Il en résulte un véritable cercle vicieux où, pour mieux affermir son autorité et promouvoir l'unité de sa base sociale, l'État s'efforcera de circonscrire le droit à la différence, avivant l'inquiétude du voisin, qui fera alors du sort de ses minorités nationales d'outre-frontière une préoccupation légitime, parce qu'instituée par sa Constitution.

« Car il s agit bien là d'une innovation du droit constitutionnel, où l'État dont la nation se prolonge au-delà de la frontière, tout en acceptant comme un fait objectif que les individus minoritaires participent d'une autre citoyenneté étatique, entend aussi signifier qu'ils appartiennent à une communauté nationale différente : les Hongrois de Roumanie sont bien citoyens roumains, mais d'appartenance nationale hongroise. Ainsi se profile l'idée d'une dissociation de la nationalité et de la citoyenneté au profit d'une identité minoritaire dédoublée. Si cette idée présente l'immense avantage de respecter la souveraineté territoriale exclusive de l'État limitrophe, elle suppose aussi que ce dernier puisse consentir à ce que l'individu minoritaire lui oppose son propre droit à l'appartenance nationale. Précisément, de nombreux États refusent de s'engager sur la voie d'un tel rapprochement transfrontière, craignant alors d'encourager l'irrédentisme. Il reste que ce droit de regard, qui peut s'apparenter à une sorte de protection diplomatique à l'usage exclusif des minorités nationales, n'a d'autre objet que de démontrer que l'État n est plus tout à fait maître du destin de ses propres citoyens appartenant à une minorité de nation partagée. Une telle considération peut ouvrir d'intéressantes perspectives, mais elle peut aussi provoquer, de la part de I État où s exerce le droit de regard, une violente réaction de rejet ».

L'instrument de ce « droit de regard » n'est-il pas - à notre époque - l'audiovisuel ?

C'est sur ce fondement qu'a été créé Duna TV, chaîne destinée aux minorités hongroises des États périphériques de la Hongrie.

3. Vers des télévisions transnationales ?

La connaissance des cultures, le rapprochement entre les nations empruntent aujourd'hui les voies de la communication audiovisuelle.

Se fondant sur ce présupposé, des projets de chaînes multinationales diffusées par voie satellitaire ont été lancés.

Ainsi, la Fondation pour la coopération en Europe centrale et orientale, présidée par M. Fernc Köhalmi, par ailleurs fondateur de la télévision hongroise diffusée par satellite Duna TV, a-t-elle lancé, à Budapest, les 20 et 21 juin 1995, une initiative originale. La fondation a pour but de préparer le lancement d'une chaîne satellite culturelle et d'information multilingue Alpha TV, qui regrouperait les programmes de 23 pays de la région. La chaîne diffuserait des images communes, mais présentées dans les langues de chaque pays participant, ainsi qu'en anglais, en allemand et en français. Les moyens technologiques mis en oeuvre devraient permettre le sous-titrage sur télétexte des programmes. Le satellite israélo-hongrois Magyarsat, qui devrait être lancé en 1997, pourrait diffuser cette chaîne.

Cette initiative est très intéressante, car elle oppose a la fragmentation des espaces audiovisuels nationaux une fenêtre commune sur des cultures nationales qui partagent le même héritage.

Mais la viabilité financière de ce projet reste à démontrer.

En outre, les voisins de la Hongrie n'accueillent pas les projets de chaînes transnationales avec un enthousiasme débordant : le Conseil national de l'audiovisuel roumain a par exemple suspendu, le 8 novembre 1995, l'autorisation de la chaîne publique hongroise Duna TV de diffuser ses programmes par câble depuis Budapest à l'intention des Hongrois de l'étranger, dont 1,7 million vivent en Roumanie, le Conseil ayant estimé que ces émissions avaient « des accents alimentant la suspicion ethnique »...

C. DES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES PERSISTANTS

Depuis 1989, les réformes économiques semblent avoir imprimé au processus de transition un caractère d'irréversibilité. Les alternances politiques survenues dans certains de ces pays - quand bien même elles ont abouti à un retour au pouvoir des anciennes équipes dirigeantes - n'ont pu infirmer cette évolution.

En dépit de la spécificité des expériences nationales, les modalités de la transition ont été, dans tous les pays, quasiment similaires. Les politiques de stabilisation macro-économiques se sont traduites par de brutales libérations des prix, par la diminution drastique des subventions budgétaires, par de coûteux efforts d'assainissement des balances des paiements, et l'irruption brutale du chômage. Il s'en est suivi une contraction impressionnante de l'activité économique et une chute sensible du pouvoir d'achat, même dans les pays qui ont préféré la graduation à la « thérapie de choc ».

L'économie de l'audiovisuel s'en est trouvée profondément affectée.

La part des ressources budgétaires des chaînes publiques a fortement diminué, avec l'effondrement des subventions d'État, même lorsque l'une des chaînes n'était pas privatisée. Cette diminution a rarement été compensée par une augmentation de la redevance, lorsque celle-ci n'était pas stabilisée, pour des raisons sociales ou politiques.

Dans le camp adverse (les chaînes commerciales), la transition vers l'économie de marché a provoqué un « appel d'air » au bénéfice de la publicité et du parrainage. Toutefois, l'irruption des nouveaux média, et surtout des chaînes privées, - leur agressivité commerciale, leur culture « entrepreunariale » --, ont pénalisé les chaînes publiques, qui ne recueillent qu'une faible part des ressources publicitaires, en forte expansion, bien qu'encore limitées.

Sur le plan économique, on retiendra deux caractéristiques de la situation de ces pays : un niveau de vie encore faible - ce qui limite le développement des télévisions à péage comme l'alignement de la redevance audiovisuelle sur des niveaux comparables à ceux connus en Europe de l'ouest -, des échanges commerciaux peu développés avec la France.

1. Un niveau de vie très en deçà de la moyenne communautaire

Malgré les efforts accomplis au cours des dernières années, le fossé entre les membres de l'Union européenne et les pays d'Europe centrale et orientale demeure important.

Le niveau de vie du pays le plus riche d'entre eux, la Hongrie, atteint à peine la moitié du niveau de vie du pays de l'Union européenne le plus pauvre, comme l'indique le tableau ci-dessous.

PNB par habitant an 1993 (an dollars)

Source : Banque Mondiale Document Sénat

2. Des échanges peu développés avec la France

L'Europe centrale et orientale n'est pas encore pleinement intégrée aux grands flux de l'économie mondiale.

Elle ne représentait en 1994 que moins de 1 % des investissements mondiaux, au premier rang desquels se placent les États-Unis (un quart du total), suivis de l'Allemagne, puis- mais beaucoup plus loin- l'Autriche, la France, l'Italie et la Grande-Bretagne.

En matière d'échanges commerciaux, l'Allemagne était le principal partenaire des pays d'Europe centrale et orientale, avec 5O % des parts de marché des pays de l'Union européenne, représentant un quart du total des échanges extérieurs de ces pays.

La France occupe une place remarquablement homogène, sauf en Roumanie, où elle atteint presque 13 %. Elle se fait néanmoins dépasser par l'Italie, presque deux fois plus présente dans ces pays.

Part de marché à l'exportation

Source : EUROSTAT. Document Sénat.
Moyenne des pays d'Europe centrale et orientale cités, y compris la Slovaquie.

Pour la France, ces pays (et ceux de l'ex-URSS) ne représentaient que 2,2 % des exportations totales en 1994 et 2,7 % des importations, soit une balance commerciale déficitaire de 5,5 milliards de francs et un taux de couverture de 84 %.

Cette faible présence de l'économie française est toutefois compensée par de bonnes relations culturelles.

* 1 Rapport d'information sur les conséquences économiques et budgétaires de l'élargissement de l'Union européenne aux pays associés d'Europe centrale et orientale, n°228, du 15 février 1996.

* 2 Sénat, session ordinaire de 1995-1996.n°125

* 3 « L'Europe centrale et balkanique », publié sous la direction de M. Philippe Lemarchand 1995.

* 4 M. Stéphane Pierré-Caps. » La multination ; l'avenir des minorité d'Europe centrale et orientale » . 1995.

* 5 M . Stéphane Pierré-Caps, ouvrage précité.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page