INTRODUCTION

« La concurrence est un alcaloïde ; à dose modérée, c'est un excitant ; à dose massive, un poison »

Auguste DETOEUF

Propos de O.L. Barenton, confiseur

Le transport ferroviaire a connu en France, comme dans les autres pays européens, un déclin important au cours des dernières décennies. Ses parts de marché se sont réduites de manière continue au profit du transport routier. Ainsi, sur l'ensemble de la Communauté européenne, le chemin de fer assurait en 1970 31,7 % du transport de marchandises et 10,4 % du transport de voyageurs. En 1993, ces chiffres sont respectivement de 15,4 % et de 6,6 %. Le transport ferroviaire n'est donc plus le mode de transport dominant qu'il a été pendant longtemps.

Dans ce contexte, la prise en compte progressive de la dimension européenne peut être une chance de renouveau pour le chemin de fer. Les marchés sur lesquels le rail conserve une pertinence incontestable sont en effet les distances transeuropéennes, pour le transport à grande vitesse, mais aussi pour le transport de marchandises et pour les transports régionaux dans les zones à forte densité de population. En un an d'exploitation, les services d'Eurostar ont acquis une part importante du marché sur deux des lignes européennes où le trafic aérien est le plus dense (environ 40 % du marché pour la liaison Paris-Londres et 35 % pour la liaison Londres-Bruxelles).

Les institutions communautaires sont conscientes de ce que peut apporter l'Europe au chemin de fer et affirment clairement leur volonté de voir se développer ce mode de transport, qui présente de multiples avantages, en termes de sécurité et d'environnement notamment. Ainsi dans une résolution du 19 juin 1995, le Conseil de l'Union européenne a exprimé sa volonté « de créer les conditions adéquates pour permettre de développer la place du transport ferroviaire et du transport combiné dans le système de transport de la Communauté ».

Cette volonté affirmée depuis longtemps s'est concrétisée par l'adoption en 1991 d'une directive importante sur le développement des chemins de fer communautaires. La Commission européenne propose aujourd'hui d'aller de l'avant en accentuant l'ouverture à la concurrence amorcée en 1991.

Votre rapporteur a donc souhaité se pencher sur la politique menée par l'Union européenne dans le domaine du transport ferroviaire, et notamment sur l'équilibre délicat qu'il est nécessaire de trouver entre le développement d'une concurrence stimulante et la prise en compte des particularités d'un secteur tel que celui des chemins de fer. Un processus probablement irréversible est en cours, qui peut apporter beaucoup aux citoyens des Etats membres de l'Union européenne comme aux entreprises ferroviaires, à condition d'être maîtrisé.

Dans ce cadre, on ne peut que constater que la France, qui dispose d'atouts, du fait notamment de sa situation géographique, ne peut plus attendre pour entreprendre des réformes déjà engagées par beaucoup de ses partenaires européens.

I. LA DIMENSION COMMUNAUTAIRE DU TRANSPORT FERROVIAIRE : UNE LENTE EMERGENCE

L'action communautaire dans le domaine du transport ferroviaire est restée relativement limitée jusque dans les années 1980. Certes, dès 1961, un mémorandum sur les transports insistait sur l'importance de l'harmonisation et de la libéralisation nécessaire à la mise en oeuvre de la libre circulation. Cependant, les démarches entreprises n'ont eu qu'une portée restreinte sur l'organisation des chemins de fer européens.

Dans les années 1980, cette situation s'est trouvée modifiée, du fait notamment de la signature de l'Acte unique et de la préparation du grand marché intérieur. La Commission européenne a alors entrepris de nombreuses actions visant à réaliser le marché intérieur, notamment dans les secteurs caractérisés par l'existence de missions de service public. Le transport ferroviaire, marqué par un très fort cloisonnement entre les Etats membres de l'Union européenne, ne pouvait échapper à mouvement, qui a conduit à l'adoption d'un texte fondamental pour l'avenir des chemins de fer européens : la directive du 29 juillet 1991. Certains Etats membres ont entrepris, dans ce contexte, parfois avant même l'adoption de la directive, de profondes réformes structurelles visant à restaurer la compétitivité de leurs chemins de fer.

A. UN TEXTE FONDAMENTAL : LA DIRECTIVE DU 29 JUILLET 1991

Parmi les objectifs de ce texte adopté par le Conseil de l'Union européenne après des négociations difficiles, figure la nécessité de « rendre les transports par chemins de fer efficaces et compétitifs par rapport aux autres modes de transport ». La directive contient, malgré son caractère modéré, plusieurs dispositions impliquant des changements importants dans l'organisation des transports ferroviaires en Europe.

1. La mise en place de droits d'accès au réseau

La disposition la plus controversée de la directive est son article 10, qui prévoit l'octroi à certaines entités de droits d'accès au réseau ferroviaire. Ce type de disposition a naturellement pour objectif de faciliter la réalisation du marché intérieur, en contraignant les entreprises monopolistiques à ouvrir leur réseau à d'autres entités.

Il convient de noter que le texte adopté fait preuve d'une certaine prudence dans ce domaine. En effet, l'article 10 de la directive prévoit que « les regroupements internationaux se voient reconnaître des droits d'accès et de transit dans les Etats membres où sont établies les entreprises ferroviaires qui les instituent, ainsi que des droits de transit dans les autres Etats membres pour les prestations des services de transport internationaux entre les Etats membres où sont établies les entreprises constituant lesdits regroupements.

Les entreprises ferroviaires se voient accorder un droit d'accès, à des conditions équitables, à l'infrastructure des autres Etats membres aux fins de l'exploitation de services de transport combiné internationaux de marchandises ».

Pour pouvoir accéder au réseau d'un Etat membre autre que celui auquel elle appartient, une entreprise doit donc constituer un groupement international ou exercer une activité de transport combiné. En outre, en cas de regroupement international, les droits d'accès sont limités aux Etats dans lesquels sont établies les entreprises participant au regroupement ; dans les autres Etats, ce dernier ne bénéficie que de droits de transit.

La directive dite 91/440 tend donc à introduire la concurrence dans le secteur ferroviaire, mais de manière modérée ; elle prend en compte les spécificités de ce secteur, et notamment les risques de désorganisation qu'aurait pu susciter une ouverture plus large.

2. Autonomie, transparence, assainissement

Les autres dispositions de la directive de 1991 sont parfois passées plus inaperçues, mais présentent néanmoins une grande importance.

Les articles 4 et 5 de la directive prévoient que les Etats membres doivent prendre les mesures nécessaires afin que les entreprises ferroviaires soient dotées d'un statut d'indépendance en matière de direction, de gestion et de contrôle administratif, économique et comptable interne. La directive dispose en particulier que « les entreprises ferroviaires doivent être gérées selon les principes qui s'appliquent aux sociétés commerciales, y compris en ce qui concerne les obligations de service public imposées par l'Etat à l'entreprise et les contrats de service public conclus par l'entreprise avec les autorités compétentes de l'Etat membre ».

L'article 6 prévoit la séparation, au moins comptable, des activités relatives à l'exploitation des services de transport de celles relatives à la gestion de l'infrastructure ferroviaire. Cette séparation peut également prendre la forme de divisions organiques distinctes au sein d'une même entreprise ; elle peut enfin conduire à la mise en place d'entreprises totalement distinctes.

L'article 7 de la directive dispose que les Etats membres « prennent les mesures nécessaires au développement de l'infrastructure ferroviaire nationale en prenant, le cas échéant, en compte les besoins globaux de la Communauté ». En revanche, les Etats peuvent charger les entreprises ferroviaires ou tout autre gestionnaire de la gestion de l'infrastructure ferroviaire, et notamment de la responsabilité des investissements, de l'entretien et du financement que comporte cette gestion sur le plan technique, commercial et financier.

Enfin l'article 9 est relatif à l'endettement des entreprises ferroviaires et prévoit notamment que « les Etats membres mettent en place, conjointement avec les entreprises ferroviaires publiques existantes, des mécanismes adéquats pour contribuer à réduire l'endettement de ces entreprises jusqu'à un niveau qui n'entrave pas une gestion financière saine et pour réaliser l'harmonisation de la situation financière de celles-ci ». Votre rapporteur reviendra sur cette disposition qui laisse aux Etats une marge de manoeuvre non négligeable quant aux modalités d'un éventuel désendettement.

La directive du 29 juillet 1991 constitue donc un ensemble important reposant sur quatre piliers : l'indépendance des entreprises ferroviaires à l'égard des Etats, l'assainissement financier, la séparation entre activité de transport et gestion de l'infrastructure, enfin les droits d'accès au réseau.

3. Deux directives d'application

En 1995, le Conseil de l'Union européenne a adopté deux directives d'application de la directive de 1991 afin de faciliter la mise en oeuvre des dispositions relatives aux droits d'accès :

- une directive concernant les licences des entreprises ferroviaires (1 ( * )) ;

- une directive concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la perception de redevances d'utilisation de l'infrastructure (2 ( * )) .

En vertu de la directive sur les licences, une entreprise qui souhaite accéder au réseau d'un Etat membre dans le cadre des dispositions de la directive de 1991, doit bénéficier d'une licence lui reconnaissant la qualité d'entreprise ferroviaire. Les Etats sont appelés à délivrer ces licences en prenant en compte certaines exigences en matière d'honorabilité, de capacité financière et de capacité professionnelle ainsi que de couverture par l'entreprise concernée de sa responsabilité civile.

L'article 8 de la directive dispose que les exigences en matière de capacité professionnelle sont satisfaites lorsque :

« a) l'entreprise ferroviaire qui demande la licence a ou aura une organisation de gestion et possède les connaissances et/ou l'expérience nécessaires pour exercer un contrôle opérationnel et une surveillance sûrs et efficaces en ce qui concerne le type d'opérations spécifiées dans la licence ;

b) le personnel responsable de la sécurité, notamment les conducteurs, possède une qualification pleinement adaptée à son domaine d'activité ;

c) le personnel, le matériel roulant et l'organisation sont de nature à assurer aux services effectués un haut niveau de sécurité ».

Naturellement, ces dispositions sont en principe satisfaites par les opérateurs nationaux traditionnels de chemins de fer et ont surtout vocation à s'appliquer à des entreprises souhaitant entrer dans ce secteur pour offrir un service précis.

La directive sur la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire dite « directive sillons » définit la manière dont seront attribuées les capacités entre les différents opérateurs souhaitant intervenir sur le réseau.

L'article 3 prévoit que chaque Etat membre désigne un organisme de répartition et que la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire doit se faire sur une base équitable et non discriminatoire.

La directive dispose également qu'une priorité pourra être accordée aux services fournis dans l'intérêt du public et aux services qui sont effectués sur une infrastructure spécifiquement construite ou aménagée pour ces services (lignes spéciales à grande vitesse ou spécialisées dans le fret).

L'article 6 de la directive prévoit que « les comptes du gestionnaire d'une infrastructure doivent, dans des conditions normales d'activité, présenter au moins un équilibre considéré sur une période de temps raisonnable entre, d'une part, les recettes tirées des redevances d'utilisation de l'infrastructure et des contributions de l'Etat et, d'autre part, les dépenses d'infrastructure ».

La directive contient, en outre, des dispositions relatives aux redevances d'infrastructure, qui doivent être fixées de manière non discriminatoire et prendre en compte notamment la nature du service, la période du service, la situation du marché ainsi que la nature et l'usure de l'infrastructure.

Le gestionnaire de l'infrastructure peut lui-même être exploitant de services de transport, mais dans ce cas, un recours contre les décisions prises par le gestionnaire doit être possible devant une instance indépendante.

Avec l'adoption par le Conseil de ces deux directives en juin 1995, plus rien ne s'oppose en théorie à l'arrivée de nouvelles entreprises dans le secteur ferroviaire, à condition qu'elles répondent aux conditions prévues par la directive de 1991.

* (1) Directive 95/18/CE du Conseil du 19 juin 1995.

* (2) Directive 95/19/CE du Conseil du 19 juin 1995.

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