B. QUELQUES REFORMES D'ENVERGURE EN EUROPE

Parallèlement, à la mise en oeuvre d'une action communautaire dans le domaine du transport ferroviaire, certains Etats membres de la Communauté ont entrepris des réformes globales au cours des dernières années, qui méritent d'être brièvement expliquées, dans la mesure où elles offrent des éléments de comparaison précieux au moment où s'imposent des choix cruciaux pour l'avenir de la SNCF.

1. La Grande-Bretagne

En 1993, dans le cadre du Railway Act, les autorités britanniques ont décidé une privatisation par fragmentation des chemins de fer.

Cette réforme a tout d'abord conduit à l'établissement d'un directeur des licences des services voyageurs, d'un régulateur et au maintien d'un organisme de réglementation de la sécurité distinct. En outre, l'infrastructure et les activités de service ont fait l'objet d'une séparation institutionnelle. Ainsi, l'infrastructure a été confiée à l'entreprise Railtrack, qui facture aux exploitants des droits d'accès pour l'utilisation des voies. Railtrack est en principe destinée à être vendue au secteur privé. Les activités voyageurs font quant à elles l'objet de franchises attribuées par le directeur des franchises. Railtrack (qui gère les infrastructures) ne recevant aucune subvention, les péages facturés aux entreprises de transport sont fixés à un niveau élevé, de sorte que le gouvernement britannique subventionne les entreprises titulaires d'une franchise pour l'exploitation de lignes ferroviaires.

Il convient de signaler que, dans le cadre des attributions de franchises pour le transport de voyageurs, la CGEA (Compagnie générale d'entreprises automobiles), filiale de la Compagnie générale des eaux, a été retenue pour gérer le réseau Network South Central qui dessert la région du sud de Londres.

Le modèle britannique suscite de très fortes réticences en France et, d'une manière plus générale, dans les pays d'Europe continentale.

De fait, il est davantage le fruit d'une idéologie que de considérations pratiques . Il faut prendre en compte le fait que le transport ferroviaire n'a pas la même importance au Royaume-Uni qu'en France ou en Allemagne. Comme a pu l'écrire M. Christian Stoffaës dans un rapport publié en 1995 (3 ( * )) : « Même si elle est remarquable par son caractère audacieux et extrêmement radical, la réforme britannique ne saurait plaider pour l'ensemble de l'Europe. La position géographique des îles britanniques, insulaire et périphérique, ses performances modestes dans les comparaisons ferroviaires internationales, la part réduite du transport ferroviaire sur le marché des transports ne font pas du Royaume-Uni un modèle de référence, ni un exemple déterminant au sein de la profession européenne des cheminots ».

Il faut cependant noter que ce système, qui impose des décisions douloureuses, en matière de réduction d'effectifs notamment, peut permettre à l'Etat de faire des économies substantielles susceptibles de conduire à des investissements dans des secteurs créateurs d'emplois. Les effets de la réforme sur le montant des subventions accordées par l'Etat aux entreprises ferroviaires font l'objet d'analyses très contrastées et mériteraient une étude approfondie.

Quoi qu'il en soit, ce modèle doit être examiné avec prudence et ne pourra faire l'objet d'un vrai bilan qu'après plusieurs années de fonctionnement.

2. L'Allemagne

La réforme entreprise en Allemagne est intéressante dans la mesure ou l'entreprise nationale, la Deutsche Bahn (DB), se trouvait, avant cette réforme, dans une situation peut être plus difficile encore que celle de la SNCF avec une dette de 70 milliards de marks. L'Etat fédéral a procédé au désendettement de l'entreprise nationale, a pris en charge les surcoûts liés aux statuts des personnels et a accepté les charges écologiques du passé.

En outre, l'Etat s'est engagé à financer les investissements futurs dans le cadre d'un « préfinancement », ce qui signifie que la DB doit rembourser les investissements rentables. L'entreprise doit assumer les coûts liés à l'entretien de l'infrastructure.

Les autorités allemandes ont en outre prévu un programme d'investissements très important dans le transport ferroviaire pour les années à venir, 120 milliards de marks devant être affectés à ce secteur d'ici 2010.

Les transports ferroviaires de proximité (transports urbains, de banlieue ou régions de moins d'une heure ou de moins de cinquante kilomètres) ont été confiés, pour leur organisation et leur financement, aux Länder. Ceux-ci déterminent donc les principaux éléments du service offert sur chaque ligne et ont la possibilité de fermer une ligne. Pour exercer ces compétences, les Länder bénéficient d'une subvention permettant d'assurer le maintien des services régionaux au niveau atteint en 1993-1994. Les Länder doivent donc prendre en charge d'éventuelles améliorations.

La DB a été scindée en plusieurs activités destinées à devenir des sociétés anonymes sous l'égide d'une holding, puis éventuellement, des sociétés indépendantes. Le principe d'une concurrence généralisée a été accepté.

Cette réforme, qui conduira à de très fortes réductions d'effectifs, du fait notamment des sureffectifs de l'ancienne compagnie d'Allemagne de l'Est, a néanmoins été acceptée par le personnel, qui a obtenu des garanties quant au maintien de son statut (4 ( * )) .

Il est encore difficile de dresser un bilan de cette réforme qui est entrée en vigueur en 1994. Cependant, il est clair que ces profondes modifications ont mis la DB en situation psychologique de prendre un nouveau départ. Celle-ci a dégagé en 1994 un bénéfice après impôt de 180 millions de marks.

Il semble que la structure du bilan de la DB se soit cependant déjà quelque peu dégradée avec une diminution de ses fonds propres. En outre, le Gouvernement allemand, dans la situation économique actuelle, éprouve de grandes difficultés à tenir le programme d'investissement qu'il avait envisagé au moment de la réforme. Il est donc trop tôt pour estimer que la DB est sauvée. Reconnaissons au moins l'importance de cette réforme négociée qui va bien au-delà des prescriptions de la directive de 1991 et qui place l'Allemagne en position favorable dans le cadre de l'ouverture progressive du transport ferroviaire à la concurrence.

3. Deux autres exemples importants : la Suède et les Pays-Bas

La Suède a entrepris une grande réforme de son système ferroviaire dès 1988, c'est-à-dire avant l'adoption de la directive de 1991 et bien avant son adhésion à l'Union européenne. Cette réforme s'est d'abord caractérisée par la division de la compagnie publique avec d'un côté l'administration nationale des voies ferrées suédoises (Bankverkert ou BV) et de l'autre la société des chemins de fer de l'Etat (Statens Järnvägar ou SJ). L'entreprise SJ est considérée comme l'opérateur ferroviaire voyageurs principal et détient le monopole du fret ferroviaire. Elle doit assurer la gestion du fret et des voyageurs sur le réseau principal selon les principes de la rentabilité commerciale.

L'entreprise chargée des infrastructures, BV, peut attribuer des droits de transport à d'autres opérateurs que SJ lorsque des capacités ne sont pas utilisées. Ainsi, une société privée, BK Trains, exploite 600 km de lignes régionales sur trois provinces du Sud et du Nord-Ouest de Stockholm.

Enfin, il faut noter que la société commerciale a été poussée à améliorer ses résultats financiers et que son organisation interne a été profondément modifiée avec la création de quatre grands centres de profit pour les voyageurs, le fret, les matériels roulants et le patrimoine foncier ; les effectifs ont été fortement diminués.

Dans le récent rapport sur l'application de la directive de 1991 qu'elle a publié, la Commission européenne se montre assez convaincue du bien-fondé de cette réforme : « il importe de remarquer que la situation des chemins de fer suédois, cas quasiment unique en Europe, s'est sensiblement améliorée depuis qu'infrastructure et opérateurs ont été séparés (1988) et qu'un système de redevances équitable pour l'utilisation des infrastructures a été introduit ».

Les Pays-Bas ont également entrepris une réforme importante de leur organisation du transport ferroviaire. L'entreprise nationale NS a été divisée en deux secteurs, l'un consacré aux activités commerciales, l'autre aux infrastructures.

La holding NS Groep NV est chargée de l'exploitation commerciale et a trois filiales : Markt BV (voyageurs, gares, matériels roulant et sûreté) ; NS Cargo NV (fret), Vastgoed BV (gestion immobilière). Par ailleurs, deux sociétés se partagent la gestion de l'infrastructure.

La réforme a également conduit à une séparation nette des responsabilités de l'Etat et de l'entreprise nationale ; l'Etat est clairement responsable des infrastructures et de leur financement, de la compensation des obligations de service public et de l'harmonisation des modes de transport.

Votre rapporteur a souhaité évoquer ces exemples, non pour dresser un catalogue exhaustif de l'état de l'Europe ferroviaire, mais parce que ces réformes présentent un certain nombre de caractéristiques communes que la France ne peut ignorer dans ses propres réflexions : clarification des relations entre l'Etat et l'entreprise nationale, clarification aussi entre les différentes activités participant du transport ferroviaire, assainissement financier, reconnaissance d'un rôle accru pour les entités régionales.

* (3) L'Europe : avenir du ferroviaire, rapport au ministre des transports, ASPE, 1995.

* (4) Pour une analyse plus détaillée de la réforme allemande, voir le rapport de M. Paul Chollet : « Les Chemins de fer : à la recherche du temps perdu », délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, 13 février 1996, n° 2566.

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