II. QUELLE ACTION COMMUNAUTAIRE POUR LES PROCHAINES ANNEES ?

La directive adoptée en 1991 constituait un compromis entre la volonté de faire évoluer en profondeur l'organisation du transport ferroviaire en Europe et la nécessité de mener des réformes difficiles avec prudence. En juillet 1995, la Commission européenne a publié une nouvelle proposition de directive (5 ( * )) visant à compléter le texte de 1991. On peut se demander si cette nouvelle proposition peut à elle seule favoriser le développement du transport ferroviaire en Europe, objectif affiché des institutions communautaires.

A. UNE VOLONTE PREMATURÉE D'ACCENTUER L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE

1. La nouvelle proposition de directive

La nouvelle proposition soumise par la Commission européenne au Conseil des ministres vise exclusivement à modifier les dispositions de la directive 91/440 relatives aux droits d'accès à l'infrastructure afin de les élargir :

l'accès au réseau serait accordé à toute entreprise ferroviaire souhaitant offrir des services de transport de marchandises . Cela concernerait donc non seulement le transport international, mais également le cabotage (c'est-à-dire la possibilité pour une entreprise de chemin de fer d'offrir un service national dans un autre Etat membre que celui dans lequel elle est établie) ;

l'accès à l'infrastructure ferroviaire serait également accordé aux entreprises souhaitant offrir des services internationaux de transport de voyageurs , avec la possibilité pour ces entreprises d'accepter et de transporter des voyageurs de et vers tout point intermédiaire entre ceux de départ et d'arrivée.

Il s'agit donc d'étendre de manière importante et en une seule étape les droits d'accès à l'infrastructure. Pour justifier cette nouvelle proposition, la Commission européenne fait notamment valoir que « l'heure est désormais venue pour la Communauté d'accomplir un nouveau pas en avant en établissant la liberté de fournir des services ferroviaires, pour les deux raisons suivantes : la première est l'obligation d'appliquer les principes fondamentaux du traité aux secteurs des transports, notamment aux chemins de fer. Cette évolution doit se poursuivre, même si ce n'est que progressivement. La deuxième raison est la poursuite de la diminution de la part des chemins de fer sur le marché et la poursuite de la dégradation de leur situation financière ».

Compte tenu de la grande généralité des justifications proposées, on ne peut qu'être perplexe face à la nouvelle proposition de la Commission européenne.

2. Une évolution prématurée

a) L'absence de réel bilan de la directive 91/440

La directive du 29 juillet 1991 prévoyait que la Commission européenne présenterait un bilan de son application avant de formuler de nouvelles propositions pour le développement du transport ferroviaire.

Certes, la nouvelle proposition de directive est accompagnée d'un texte intitulé « Mise en oeuvre de la directive 91/440 sur le développement des chemins de fer communautaires ». Toutefois, il faut noter que ce document comporte en tout et pour tout trois pages et est composé d'une série de réflexions extrêmement générales qui ne permettent en aucun cas de se faire une idée des conséquences de la directive de 1991.

A la lecture du document de la Commission européenne, il apparaît que la directive 91/440 est loin d'avoir été transposée dans chacun des Etats membres, alors que cette transposition auraît dû intervenir avant le 1 er janvier 1993. La Grèce et le Portugal n'ont ainsi transposé aucune des dispositions de la directive, tandis que la Belgique, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg et l'Espagne n'ont pas transposé les dispositions relatives aux droits d'accès à l'infrastructure. La France a, pour sa part, transposé la directive par un décret du 9 mai 1995.

Naturellement, le bilan de la Commission européenne était très attendu en ce qui concerne les droits d'accès. Il est en effet très intéressant de savoir combien de nouveaux entrants ont pu bénéficier des dispositions de la directive, et à quelles branches d'activité appartiennent ces nouveaux entrants. Le tableau présenté par la Commission européenne ne peut, à cet égard, que décevoir : « les droits d'accès à l'infrastructure ferroviaire ont éveillé l'intérêt et suscité des controverses. Certains Etats n'ont pas mis en oeuvre ces dispositions. Pour ces raisons, notamment, certains nouveaux venus potentiels ont rencontré des problèmes lorsqu'ils ont voulu se lancer dans des activités : ils ont par exemple éprouvé des difficultés à obtenir en temps utile des informations sur la disponibilité et le coût d'itinéraires ferroviaires et du matériel de traction. Un petit nombre seulement de nouveaux exploitants ont commencé à travailler, bien que les entreprises nationales actuelles se soient employées à créer de nouveaux regroupements » .

A la lecture d'expressions telles que « certains Etats membres », « certains nouveaux venus potentiels », « un petit nombre seulement de nouveaux exploitants », il est singulièrement difficile d'évaluer les conséquences de la directive de 1991 . Il est certes compréhensible que la Commission européenne souhaite préserver la confidentialité de certaines informations relatives aux litiges entre entreprises ; mais peut-on sérieusement envisager un élargissement important des droits d'accès à l'infrastructure sur ces seules bases ?

En France, les dispositions de la directive 91/440 relatives aux droits d'accès semblent n'avoir donné lieu qu'à une seule demande, formulée par une société allemande (Georg GmbH) ayant reçu une licence du Land de Hesse. Toutefois, cette entreprise ne répondant pas aux critères posés par la directive (regroupement international ou activité de transport combiné), sa demande n'a pour l'instant pu aboutir. Néanmoins, d'autres projets pourraient prochainement voir le jour, principalement dans le secteur du fret.

En ce qui concerne l'assainissement financier des enreprises ferroviaires, le bilan présenté par la Commission européenne est également très imprécis. La Commission annonce d'ailleurs son intention de lancer une étude générale de la situation financière actuelle des chemins de fer et des aides qu'ils reçoivent de l'Etat. Peut-on valablement se prononcer sur une proposition de large ouverture à la concurrence sans disposer de ces éléments ?

D'après les renseignements que votre rapporteur a pu obtenir, certains Etats ont entrepris d'alléger les dettes des compagnies ferroviaires. Ainsi, à la fin de 1994 les dettes de British Rail (sans prise en compte de l'entreprise chargé de l'infrastructure) s'élevaient à 0,51 milliard de livres, celles de l'opérateur néerlandais à 4,4 milliards de florins (13 milliards de francs), celles de l'opérateur suédois à 4,7 milliards de couronnes (3,5 milliards de francs). Des mesures de désendettement ont également profité à la compagnie nationale en Belgique, en Espagne et en Italie. En Belgique, l'Etat prend désormais en charge les intérêts des dettes de la SNCB, tandis qu'une société financière s'occupera particulièrement de ce qui a trait au réseau à grande vitesse (grâce à des fonds apportés par l'Etat, par la SNCB et par des institutions privées).

Compte tenu de la grande imprécision du bilan de la directive 91/440 présenté par la Commission européenne, compte tenu de l'incomplète transposition de cette directive, il semblerait préférable de poursuivre la mise en oeuvre de ce premier texte, de veiller à son application complète par l'ensemble des Etats membres avant d'en envisager une extension. En outre, il serait souhaitable qu'un véritable bilan puisse être présenté par la Commission européenne, permettant de disposer d'éléments réellement utilisables pour déterminer les priorités futures.

b) Des conséquences difficiles à prévoir

La nouvelle proposition de directive ne contient que peu d'indications sur les conséquences qu'elle pourrait avoir sur l'organisation du transport ferroviaire. Ainsi, la Commission estime que la libéralisation du transport international de voyageurs ne créera « pas de problèmes significatifs de perte des aspects de synergie dues à l'existence d'une structure de réseau, ni de risque d'écrémage des services les plus rentables ».

On voudrait être convaincu par ces propos optimistes, mais il est cependant difficile d'ignorer que les nouveaux entrants souhaiteront à l'évidence offrir des services sur les lignes les plus rentables. Dans ces conditions, les entreprises ferroviaires verront probablement leurs recettes diminuer, ce qui ne facilitera sans doute pas leur redressement. De la même manière, la question des économies d'échelle, qui deviendront pour les compagnies ferroviaires plus difficiles à obtenir, ne peut être ignorée.

D'autres problèmes devraient être résolus dans la perspective d'une libéralisation accrue du transport ferroviaire. Ne faudrait-il pas envisager des dispositions très strictes en ce qui concerne les normes de sécurité ? De même, la formation du personnel ne devrait-elle pas faire l'objet de dispositions spécifiques de manière à garantir un haut niveau de qualification ?

En ce qui concerne le fret, la Commission européenne évoque le fort développement de cette activité aux Etats-Unis dans le cadre d'une déréglementation très poussée. Cela démontre les limites de l'exercice de comparaison dans ces matières. En effet, quelques paragraphes plus loin, la Commission démonte elle-même cet argument en faisant valoir que « par rapport aux Etats-Unis ou au Canada, les chemins de fer de l'Union européenne font beaucoup de transports de voyageurs. Cela augmente le coût du transport de marchandises, à cause des mesures de sécurité nécessaires, et peut accroître la difficulté de trouver des capacités de transport de marchandises ». Ce qui est exact, c'est que le fret ferroviaire ne peut être rentable que sur des distances assez importantes, ce qui est le cas aux Etats-Unis, et que la dimension européenne peut modifier sensiblement les perspectives de ce mode de transport de marchandises.

Votre rapporteur ne partage pas la vision catastrophiste de certaines organisations professionnelles à l'égard de la libéralisation. Compte tenu des multiples contraintes qu'impose ce mode de transport, on peut penser que le nombre de nouveaux entrants demeurera relativement limité, notamment dans le domaine du transport de voyageurs. En outre, une ouverture à la concurrence maîtrisée permettra aux entreprises ferroviaires de gagner en efficacité, de renforcer leur compétitivité.

Cependant, il semble aujourd'hui souhaitable de poursuivre la mise en oeuvre de la directive de 1991, de veiller à son application complète par l'ensemble des Etats membres, avant de réfléchir à un éventuel élargissement des droits d'accès qui devra faire l'objet d'une réflexion approfondie sur ses conséquences éventuelles. D'autres chantiers méritent de retenir l'attention de l'Union européenne.

* (5) Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires, COM (95) 337 final.

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