Rapport d'information n° 379 (1995-1996) de M. André DULAIT , Mme Danielle BIDARD-REYDET , MM. Marcel DEBARGE et André BOYER , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 23 mai 1996

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N° 379

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 mai 1996

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la mission effectuée au Canada du 9 au 18 avril 1996

Par M.André DULAIT,

Mme Danielle BIDARD-REYDET,

MM. Marcel DEBARGE, André BOYER

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Un territoire immense, un peuplement divers et dispersé : le Canada a su convertir en atouts ces handicaps, et forger sur ces bases une identité nationale. Mais le processus n'est pas achevé ; les pays du Vieux continent le savent : il faut des siècles pour construire une nation.

*

Un territoire immense : 10 millions de km², 5 200 km d'est en ouest, « a mari usque ad mare » comme le dit la devise latine du Canada. Pays d'eau (250 000 km de côtes, un million et demi de lacs), pays de bois, le Canada reste un pays vide.

L'homme, comme impressionné par ces vastes étendues, s'est resserré sur une petite portion du territoire. Le regard peut deviner sur une carte un triple mouvement de concentration démographique : sur les villes (où vivent 70% de la population), sur la frontière américaine, sur la pointe orientale du Canada (entre la ville de Québec et l'extrémité Ouest du lac Ontario se concentrent 60% des Canadiens).

Cette population est diverse ; elle reflète les trois grandes strates de peuplement : les premières nations d'abord (Amérindiens et Inuits) qui ne représentent guère que 512 000 personnes sur une population totale de 29 250 000 habitants ; les "deux peuples fondateurs" d'origine française (6 100 000) et britannique (6 400 000) ; à ces composantes se sont ajoutés au XIXe siècle des immigrés principalement venus d'Europe mais aussi, au cours des dernières décennies, des Antilles, d'Afrique et surtout d'Asie. Le Canada demeure encore aujourd'hui un pays d'immigration : 200 000 étrangers (dont près de la moitié viennent d'Asie) s'y installent chaque année.

Malgré l'enrichissement successif de sa population, le Canada reste fortement marqué par ses deux peuples fondateurs. Leurs apports respectifs fondent son identité. Les anglophones cherchent à cultiver leurs différences vis-à-vis du grand voisin du Sud. Mais dans un continent nord-américain, dominé par la langue anglaise, l'originalité du Canada s'enracine aussi dans la francité d'une partie de ses habitants. Les francophones, représentés dans toutes les provinces de la Fédération, ne sont majoritaires qu'au Québec.

En effet, au Québec, (« là où la rivière se rétrécit » selon la langue amérindienne), sur ce territoire de 1 667 926 km 2 , trois fois grand comme la France, ils représentent 80 % des 7 208 000 habitants, la communauté d'origine britannique d'une part, et les communautés plus récentes d'origine italienne, grecque, asiatique et haïtienne d'autre part, composant respectivement 8 % et 9 % des habitants de la Belle-Province.

Après la défaite des Français consacrée par le Traité de Paris de 1763, le Canada a su unir ses populations et faire de leurs différences le creuset de son système institutionnel fondé sur le fédéralisme et le bilinguisme.

La montée du mouvement national au Québec, dont le référendum sur la souveraineté d'octobre 1995 -malgré la courte défaite du « oui »- porte le témoignage, remet en cause aujourd'hui cet équilibre institutionnel. L'indépendance du Québec altérerait sans aucun doute l'un des fondements majeurs de l'identité canadienne.

*

Les quelques années qui viennent apparaissent dès lors décisives pour l'avenir du Canada. C'est dans ce contexte, afin de mieux comprendre les enjeux des débats actuels, qu'une délégation de votre commission composée de M. André Dulait, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Marcel Debarge et André Boyer, s'est rendue du 9 au 18 avril dernier au Canada.

Au cours d'un séjour qui l'a conduite successivement à Ottawa, Toronto, Québec et Montréal, la mission a pu mieux cerner la portée du débat institutionnel. Elle a également pris la mesure de la situation économique et de l'effort sans précédent d'assainissement des finances publiques entrepris par le gouvernement fédéral mais aussi par les provinces. Enfin, elle s'est intéressée aux orientations de la politique étrangère et de la défense canadienne.

Votre délégation n'a certes pas la présomption, au terme d'une mission brève, et limitée à l'est du Canada, de livrer un pronostic assuré sur l'évolution du Canada, alors même que la complexité de la situation présente se prête mal aux simplifications hâtives.

Il lui a paru cependant que les nombreux et fructueux entretiens avec les personnalités du monde politique et économique soulevaient, en filigrane, une même interrogation portant sur l'identité du Canada. C'est, certes, évident pour la question institutionnelle où s'opposent en fait deux aspirations identitaires, canadienne et québécoise. Cependant le thème paraît également présent dans le débat économique, où le modèle canadien fait l'objet d'une remise en cause, et enfin dans les relations internationales où le Canada tente de faire entendre une voix propre.

Aussi la question de l'identité canadienne restera-t-elle le fil directeur qui nous permettra d'éclairer la situation politique et économique de ce pays ainsi que sa place dans les relations internationales.

Votre délégation ne pouvait enfin manquer de s'interroger sur la relation franco-canadienne soumise à l'exercice, nécessaire mais difficile, de l'équilibre entre les trois pôles qui la constituent : Paris, Ottawa et Québec.

*

Votre délégation exprime sa plus vive reconnaissance aux personnalités et à tous leurs collaborateurs qui ont bien voulu prêter leur concours à l'organisation et au déroulement de cette mission :

- A Paris, M. Alain Rouquié, directeur d'Amérique au ministère des Affaires étrangères ; M. Benoît Bouchard, ambassadeur du Canada en France ; M. Marcel Masse, délégué général du Québec en France.

- Au Canada, M. Alfred Siefer-Gaillardin, ambassadeur de France ; M. Dominique de Combles de Nayves, consul général de France à Québec ; M. Pierre -Jean Vandoorne, consul général de France à Toronto ; M. Gérard Leroux, consul général de France à Montréal.

Votre délégation exprime également sa gratitude au gouvernement fédéral et au autorités québecoises pour l'accueil chaleureux qu'ils ont su lui réserver.

I. L'UNITÉ CANADIENNE, ENJEU DU DÉBAT POLITIQUE

Les enjeux du débat politique canadien se sont dramatisés au cours des dernières années : ils portent en effet sur l'unité du pays. Comment en est-on arrivé là ? Le Canada n'avait-il pas su se doter d'un système politique original qui tienne compte de la diversité de ses populations, tout en garantissant la paix civile -le Canada n'a pas connu dans son histoire un traumatisme comparable à la guerre de Sécession- et la prospérité ? Les changements considérables que le Canada a connus au cours de la deuxième moitié de ce siècle (immigration asiatique, dynamisme économique de la côte Pacifique) ont toutefois remis en cause l'équilibre politique sur lequel reposait cette architecture institutionnelle : un contrat entre deux nations fondatrices. Aujourd'hui le fédéralisme traverse une crise grave dont l'issue apparaît incertaine.

A. LA DIFFICILE RÉFORME DU MODÈLE FÉDÉRAL : UNE SUCCESSION DE RENDEZ-VOUS MANQUÉS

1. Un système institutionnel original

a) A l'origine du fédéralisme canadien : un pacte entre les « deux nations fondatrices »

* Les « deux nations fondatrices »

Ignorer l'histoire du Canada c'est renoncer à prendre la mesure d'une dimension décisive du débat institutionnel contemporain. Le retour au pacte initial passé entre les deux nations française et anglaise n'est-il pas en effet au coeur des préoccupations du Québec ? Aussi convient-il de tracer, même brièvement, les grandes lignes d'une relation, conflictuelle puis apaisée, entre les conquérants.

Deux puissances en quête d'une même terre : les Français d'abord qui ne s'installent vraiment en Nouvelle France qu'en 1608 (création par Samuel Champlain d'un établissement à Québec), les Anglais ensuite, qui s'imposent une première fois au Québec en 1629 et prennent pied au nord-ouest avec la fondation de la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1670. On sait que la rivalité entre les deux nations se soldera par la défaite des Français : le traité de Paris (10 février 1763) place l'ensemble du Canada sous l'autorité de Londres.

L'indépendance américaine n'allait pas par la suite rester sans influence sur les relations entre les deux peuples. En premier lieu, la Couronne confrontée à la révolte de sa colonie américaine, cherche à se concilier ses nouveaux sujets français. L'Acte de Québec (1774) reconnaît ainsi la langue, la religion et le droit civil des français du Canada.

Autre conséquence décisive sur l'avenir des rapports entre Français et Anglais : l'afflux, sur le territoire canadien, des loyalistes -les Américains demeurés fidèles à la Couronne britannique- dont le nombre (quelque 50 000 au départ) permettra de faire contrepoids à la population canadienne française.

Par ailleurs par leur refus de souscrire à l'indépendance américaine, les Anglais canadiens se distinguent de leurs cousins américains ; ils auront ainsi le sentiment d'une identité propre et le souci de la protéger ; cette préoccupation les rapprochera en quelque manière des Français. L'histoire du Canada sera marquée par la reconnaissance de cette double spécificité.

La loi du 10 juin 1791 marque à cet égard une étape importante. Elle consacre le dualisme canadien en instituant deux provinces : le Bas-Canada majoritairement francophone et le Haut-Canada majoritairement anglophone. Elle jette aussi les premiers fondements d'un régime représentatif. En effet dans chacune des deux provinces, le gouverneur, certes responsable devant la seule couronne, doit composer avec une assemblée élue pour quatre ans par tous les citoyens âgés de plus de 21 ans.

Tandis que la révolution de 1789 contribue à détacher de la France les habitants du Bas-Canada, l'essor de la jeune démocratie américaine persuade progressivement Anglais et Français du Canada, de l'intérêt de maintenir leur union pour préserver leurs droits et spécificités.

Il était nécessaire toutefois que cette union tînt compte de trois aspirations qui s'étaient renforcées au cours de la première moitié du XIXe siècle : une plus grande autonomie à l'égard de la Couronne britannique, une meilleure reconnaissance des particularités des peuples fondateurs, une démocratisation des institutions enfin 1 ( * ) .

L'Acte de l'Amérique du Nord britannique voté par le Parlement de Westminster en mars 1867 à partir d'une proposition adoptée par la majorité des parlementaires canadiens (Anglais et Français), permet de donner satisfaction à cette triple préoccupation.

* La naissance de la fédération

L'acte de l'Amérique du Nord institue, sous le vocable de « confédération », un véritable système fédéral entre les quatre provinces (la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, l'Ontario, le Québec) et assure de façon plus générale la protection du fait francophone en permettant notamment l'usage du bilinguisme au sein des institutions publiques (article 133). La garantie ainsi donnée à la reconnaissance de sa spécificité engageait le Québec à adhérer à l'Acte constitutionnel 2 ( * ) .

Par ailleurs le texte de 1867 confirmait le parlementarisme institutionnel sur le modèle britannique.

Quant à l'autonomie du Canada à l'égard de la puissance tutélaire, elle s'inscrit dans un processus plus long dont l'Acte de l'Amérique du Nord britannique n'est qu'une étape. Cette évolution se trouvera consacrée par le Statut de Westminster de 1931 3 ( * ) ; elle connaîtra ensuite des développements symboliques : adoption d'un drapeau national en 1964, « rapatriement » de la Constitution le 17 avril 1982.

b) L'Alliance d'un parlementarisme à la britannique et du fédéralisme

L'acte de l'Amérique-du-Nord demeure encore aujourd'hui le fondement de la fédération canadienne.

Les institutions canadiennes empruntent à la fois au système parlementaire britannique et au fédéralisme américain. Cette double inspiration confère au modèle canadien son caractère propre.

* Une démocratie parlementaire de type britannique

. Une monarchie constitutionnelle

L'héritage britannique reste, aujourd'hui encore, déterminant dans l'organisation institutionnelle. Le Canada demeure une monarchie constitutionnelle dont le souverain est la reine Elizabeth II. Le Chef de l'Etat est représenté au Canada par un gouverneur général nommé pour cinq ans sur la proposition du Premier ministre canadien. La désignation du Gouverneur général observe le principe d'une alternance entre francophones et anglophones : ainsi M. Roméo Le Blanc a succédé en 1995 à M. Ramon Hnatyshyn.

Même si toute loi doit être promulguée par le Gouverneur général, la réalité du pouvoir appartient au Premier ministre, chef du parti majoritaire à la Chambre des communes.

En effet, et c'est le second témoignage de l'influence de l'ancienne puissance coloniale, la démocratie canadienne présente les trois traits caractéristiques du parlementarisme britannique.

. Le bicamérisme

En premier lieu le Parlement se compose de deux Chambres : la Chambre des communes et le Sénat. Les 104 sénateurs sont nommés par le gouvernement et exercent en principe leurs fonctions jusqu'à l'âge de 75 ans. Le Sénat bénéficie de pouvoirs comparables à ceux de la Chambre des communes, à trois exceptions près : l'engagement de la responsabilité gouvernementale se fait devant la seule Chambre des communes qui dispose par ailleurs de l'exclusivité de l'initiative en matière financière, enfin le Sénat ne peut opposer de veto suspensif à certaines modifications constitutionnelles qui requièrent le consentement des provinces.

La Chambre des communes se compose de 295 députés élus pour 5 ans au scrutin uninominal à un tour 4 ( * ) . La pratique institutionnelle canadienne , à l'instar des usages britanniques, laisse au Premier ministre fédéral l'initiative d'organiser des élections législatives au moment opportun, le plus souvent dans la quatrième année de la législature.

Les dernières élections ont eu lieu en octobre 1993, les prochaines pourraient se tenir au cours de l'année 1997.

. Le bipartisme

Second trait caractéristique du parlementarisme à la britannique, la vie politique s'est longtemps articulée autour du bipartisme . Le parti conservateur et le parti libéral ont ainsi dominé pendant près d'un siècle la scène politique. Le premier le plus souvent dans l'opposition, le second régulièrement au pouvoir. Le débat politique ne donne pas lieu à des affrontements idéologiques mais confronte plutôt des sensibilités différentes plus centralisatrices pour les conservateurs, plus soucieuses de la diversité ethnique et culturelle pour les libéraux. En définitive l'exercice du pouvoir et la tentation, éprouvée par tous les gouvernements, de conforter les compétences fédérales ont contribué, dans la pratique, à effacer ces distinctions 5 ( * ) .

Le premier parti d'opposition en nombre de sièges forme l' opposition dite officielle .

Le bipartisme reste toutefois soumis aux aléas d'un scrutin uninominal dont les effets peuvent se révéler dévastateurs pour le parti dominant. Ainsi le parti conservateur victorieux en 1984 et en 1988 sous la conduite de M. Brian Mulroney, a connu après la désignation à sa tête de Mme Kim Campbell, éphémère Premier ministre du Canada en 1993, une sévère défaite aux élections d'octobre 1993. Il n'a, en effet, conservé que 2 de ses 155 élus. Le parti libéral obtenait pour sa part 41,6 % des voix et la majorité absolue à Ottawa (177 sièges sur 295).

. L'exécutif

Enfin l'exécutif, sous la forme du cabinet aujourd'hui dirigé par M. Jean Chrétien, le Premier ministre, apparaît l'émanation directe de la majorité de la Chambre des Communes.

Du reste, ministres et secrétaires d'Etat conservent, le cas échéant, leurs mandats parlementaires.

. L'organisation institutionnelle des provinces

L'emprise du système britannique se retrouve dans l'organisation institutionnelle de chaque province. Le Chef de l'Etat canadien est ainsi représenté dans les dix provinces constituant la fédération canadienne par des Lieutenants Gouverneurs nommés pour cinq ans par le Gouverneur général sur la proposition du Premier ministre canadien. En outre, le système provincial reproduit, à l'exception notable du bicamérisme, l'organisation et le fonctionnement des institutions fédérales : le Premier ministre et les membres du gouvernement provincial appartiennent au parti majoritaire à l'Assemblée. Ils conservent, le cas échéant, leur mandat parlementaire. Le parti politique le mieux représenté après le parti gouvernemental dispose du statut d'opposition officielle.

Les institutions québécoises elles-mêmes ne se démarquent guère de ce dispositif d'inspiration britannique, sinon dans la désignation retenue pour le parlement provincial appelé « assemblée nationale ».

La vie politique du Québec s'inscrit d'ailleurs dans le cadre du bipartisme. Le parti libéral du Québec (PLQ) revenu au pouvoir en 1960, sous la conduite de Jean Lesage, a formé depuis cette date cinq des huit gouvernements québécois. Proche des milieux d'affaires, il défend le maintien du Québec au sein de la fédération même s'il plaide pour la reconnaissance du « caractère distinct » de la Belle-Province.

Le parti québécois créé en 1968 par René Levesque a remporté à trois reprises les élections provinciales (1976, 1981, 1994). De tendance social-démocrate, le parti québécois a repris, sous la direction de Jacques Parizeau (1989-1996) l'objectif de conduire le Québec à la souveraineté.

Le scrutin uninominal dont les effets radicaux ne jouent pas moins au niveau provincial qu'au niveau fédéral, ne laisse guère de place à l'émergence d'un tiers parti. Ainsi aux dernières élections de septembre 1994, le parti québécois, fort de 44,7 % des voix, remportait 77 sièges tandis que le parti libéral du Québec, avec 44,4 % des voix n'en obtenait que 47, le parti d'Action démocratique de Mario Dumont (formé de dissidents du PLQ et de tendance « confédérationniste ») disposant d'un siège (13 % des voix).

Le modèle institutionnel britannique, s'il satisfaisait les aspirations démocratiques des Canadiens, ne pouvait prendre en compte la spécificité d'un Canada unissant une population francophone et anglophone. Aussi les élites politiques canadiennes devaient-elles nécessairement regarder vers l'exemple du fédéralisme américain.

* Le fédéralisme

Le modèle fédéral garantissait en effet que la spécificité des peuples fondateurs fût protégée. Mais au moment où les Canadiens s'interrogeaient sur leur devenir institutionnel, le fédéralisme américain connaissait, avec la guerre civile, la crise majeure de son histoire. Ces événements ne pouvaient être sans retentissement sur les choix institutionnels du Canada.

. La représentation des provinces au sein de la fédération

C'est ainsi que le Canada fut conduit à mettre en place un système fédéral original. Cette originalité se manifeste d'abord par le dispositif institutionnel retenu pour représenter les provinces au niveau fédéral. Alors qu'aux Etats-Unis chaque Etat désigne deux sénateurs, les provinces canadiennes sont représentées par un nombre différent de sénateurs en fonction de leur population. Ce principe souffre cependant d'une exception significative.

Le Québec est en effet représenté par 24 sénateurs, à parité avec l'Ontario pourtant plus peuplé. Cette particularité souligne combien à l'origine la fédération s'inscrit dans le cadre d'un pacte entre deux nations et presque deux provinces : l'Ontario où se concentrait alors la quasi-totalité des anglophones, et le Québec majoritairement francophone 6 ( * ) .

. La répartition des compétences

La spécificité du fédéralisme canadien se manifeste en second lieu dans une répartition des compétences plutôt favorable au pouvoir central. En effet aux termes de l'article 91 de l'acte constitutionnel, le parlement d'Ottawa a pour mission de "faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada ne tombant pas dans la catégorie de sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatures des provinces".

La fédération se trouve ainsi dotée d'une compétence générale ; elle s'étend aux questions concernant l'ensemble du Canada (défense, monnaie, commerce, douane, régime bancaire, communications, transports interprovinciaux ...). Les attributions des provinces relèvent d'une définition certes large mais limitative (article 92) : elles couvrent le droit de propriété, les institutions municipales, l'éducation ...

Il existe cependant des domaines de compétence partagées (santé et bien-être social, voirie, agriculture, environnement, tourisme et immigration). Par ailleurs, la protection des minorités qui incombe à la fédération la conduit à jouer un rôle d'arbitre dans des domaines de compétences provinciales. Ainsi le pouvoir fédéral doit protéger les minorités qui fréquentent les écoles confessionnelles séparées ou dissidentes. De même elle reste compétente pour les questions qui touchent aux Indiens et à leurs terres.

L'arbitrage des différends liés à la répartition des compétences entre les provinces et la fédération relèvent en dernier ressort d'une Cour suprême composée de neuf juges, appelée également à se prononcer dans le domaine des droits et libertés.

L'évolution institutionnelle, à la faveur surtout des transferts financiers d'Ottawa aux provinces, a confirmé la place éminente que le texte constitutionnel lui-même assignait à la fédération.

Ainsi le Canada a su se doter d'un système institutionnel original qui répondait aux besoins propres d'un grand territoire investi par les deux nations francophones et anglophones.

Cependant le fédéralisme canadien connaît aujourd'hui une grave crise qui menace jusqu'à ses fondements.

2. La remise en cause du modèle canadien

Cette crise trouve son origine dans la montée des revendications souverainistes au Québec et dans les difficultés rencontrées par les autorités d'Ottawa pour élaborer des solutions de compromis qui satisfassent les aspirations des Québécois sans remettre en cause la fédération.

a) La montée des aspirations nationales au Québec

* Le réveil québécois

. Une société immobile

Encore une fois, pour mieux comprendre le présent, il faut replonger dans l'histoire, histoire guère lointaine puisqu'elle nous conduit à l'aube des années soixante. La société québécoise demeurait encore à l'écart du courant de modernisation qui emportait l'Amérique du Nord et paraissait figée dans des structures héritées du XIXe siècle. Trois traits la distinguaient particulièrement : le poids d'une population rurale au niveau d'éducation plus faible que dans les autres provinces, une démographie exceptionnelle dont témoignait la fréquence des familles de dix enfants, enfin l'emprise de l'église catholique, notamment sur le système scolaire.

Le gouvernement continu de Maurice Duplessis, fondateur de l'Union nationale, de 1936 à 1959 (avec une brève interruption de 1939 à 1944) a longtemps symbolisé ces années de stagnation. Le dynamisme des anglophones avait su tirer parti du repli québécois pour dominer sans partage la vie économique de la Belle Province.

Le début des années soixante allait toutefois ouvrir la voie de la « révolution tranquille » qui, en moins de dix ans, devait transformer complètement le visage de la société québécoise.

. La « révolution tranquille » des années 60

L'élection en 1960 du premier ministre libéral, Jean Lesage, marque une rupture décisive avec le régime politique et économique des années passées. La volonté de modernisation se manifeste d'abord dans l'ordre économique. La nationalisation des ressources hydroélectriques en 1962, suivie de la création de la société Hydro-Québec, constitue la première étape de la réappropriation, par le Québec, de ses structures économiques. La puissance des institutions financières telles que la Caisse des dépôts et des placements (chargée du réinvestissement des cotisations de retraite), cinquième groupe d'investissement d'Amérique du Nord, ou encore la Caisse Desjardins, caisse d'épargne coopérative, traduit l'essor des milieux économiques francophones, dont le dynamisme se manifeste par ailleurs à travers le développement des grands groupes industriels comme Bombardier, fabricant de matériel de transports publics.

Si décisive fut-elle, la reconquête économique ne devait pas épuiser le souci de modernisation qui allait affecter tous les aspects de la vie québécoise et notamment l'éducation. La création d'un ministère de l'Education en 1964 et, partant, la fin du monopole de l'Eglise sur l'enseignement ouvrait ainsi la voie à une laïcisation qui deviendrait irréversible.

Enfin, les années soixante se caractérisent par un climat d'effervescence culturelle où s'illustrèrent le cinéma, la littérature et la chanson.

La Révolution tranquille a métamorphosé le visage de la société québécoise : le taux de natalité apparaît aujourd'hui l'un des plus bas du monde, le niveau d'éducation n'a quant à lui rien à envier aux sociétés les plus avancées, la population a abandonné, dans sa majorité, le chemin régulier de l'Eglise. Enfin une tradition politique plutôt autoritaire a laissé place au débat public, familier à toutes les grandes démocraties occidentales.

En un mot, le Québec a su combler en quelques années le retard qui s'était creusé avec la société nord-américaine.

. La naissance du mouvement nationaliste

La modernisation du Québec, dans la mesure où elle avait pu être entreprise et couronnée de succès au sein de la fédération canadienne, n'enlevait-elle pas tout argument à la revendication indépendantiste ?

La question apparaît au coeur du débat politique québécois dans les années 70. Les libéraux au pouvoir à Québec en 1970 défendent, dans le droit fil des positions de Pierre Elliott Trudeau, Premier ministre fédéral pour la première fois en 1968, la poursuite de la modernisation du Canada français au sein de la confédération canadienne. A l'inverse le parti québécois conduit par René Levesque (premier ministre provincial en 1976) conçoit l'indépendance comme l'aboutissement logique de la politique entreprise depuis 1960. Ainsi pour les nationalistes, la cause de l'indépendance s'identifie à la promotion de la modernité et de l'esprit de réforme et non à un repli sur la terre des aïeux.

Si les succès du parti québécois à l'échelle provinciale, et du Bloc québécois à l'échelle fédérale, ne traduisent pas nécessairement une adhésion de la majorité des Québécois à l'indépendance de leur province, ils manifestent cependant la vigueur d'un sentiment national qui n'avait certes jamais disparu mais a paru trouver ces dernières années, un nouvel élan. Le référendum du 30 octobre dernier en a donné le meilleur témoignage.

Ce phénomène ne se laisse pas réduire à des explications simples. Au coeur du réveil national se trouve cependant une inquiétude : le sentiment que l'identité québécoise est menacée.

* Les facteurs de la prise de conscience identitaire

. Les évolutions propres au Québec

Cette préoccupation trouve prise, peut-être d'abord, dans l'évolution propre au Québec : l'alignement du mode de vie sur le modèle nord-américain au terme de la Révolution tranquille suscite en effet de nouvelles interrogations sur les composantes de la spécificité du Canada français.

Cette préoccupation explique l'attention portée à la langue française , trait majeur de cette spécificité menacée.

Depuis 1974, le français constitue la langue officielle du Québec. Mais l'inquiétude récurrente sur la place réservée au français a conduit à adopter en 1977 la charte de la langue française , ou loi 101 ; ce texte généralise l'usage du français dans l'administration, la justice, l'enseignement, le travail et le commerce. Il réserve l'enseignement dispensé en anglais aux seuls anglophones d'origine tandis que les immigrants reçoivent une formation en français.

. La place du Québec dans un Canada qui change

Mais les inquiétudes québécoises ne sont pas seulement liées à la transformation de la Belle Province, elles peuvent également se nourrir des évolutions d'ordre économique ou politique dont le Canada, dans son ensemble, est le théâtre. Au début de l'histoire de la confédération, le Québec avait pu faire valoir sa spécificité parce qu'il occupait de par sa démographie et son économie une place éminente au sein de la Fédération. Aujourd'hui sa démographie décline, tandis que son économie lourdement endettée a tardé à prendre le virage de la rigueur. Première par sa superficie, la province du Québec se classe au 2e rang, derrière l'Ontario, pour sa population (7,3 millions d'habitants, soit 25 % de la population totale du Canada, contre 28,2 % en 1970). Elle représente 22,3 % du PIB canadien (25,4 % en 1970). Le revenu par habitant au Québec est inférieur de 10 % à la moyenne canadienne. Le taux de chômage s'élève à 12,2 % de la population active, soit deux points de plus que dans le Canada dans son ensemble. Encore le Québec pourrait-il se targuer du passé glorieux des premiers colons, mais cette dimension historique échappe résolument aux immigrants, en majorité asiatiques, auxquels les provinces de l'Ouest doivent une bonne part de leur dynamisme économique.

Ainsi le statut du Québec s'est banalisé au sein de la Fédération. Les souverainistes considèrent que le Québec n'est plus en mesure d'assurer la protection de son identité au sein du Canada. Certains vont plus loin : non seulement la fédération ne garantit plus la spécificité québécoise, mais elle en entrave même l'expression par une politique excessivement centralisatrice.

b) L'insuffisante réponse du système fédéral aux revendications exprimées

* Les tentatives de réforme constitutionnelle

Les représentants de la fédération se sont employés à mieux prendre en compte les aspirations québécoises et à leur donner un contenu dans le cadre de la fédération. Force est de constater que ces tentatives se sont soldées à trois reprises par un échec et ont conduit paradoxalement à une radicalisation de l'opposition au sein des instances fédérales.

. Le rapatriement de la constitution : une occasion manquée

La volonté de réformer la Constitution ne s'est réellement concrétisée qu'au lendemain du premier référendum organisé au Québec le 20 mai 1980 portant sur la souveraineté du Québec assorti d'une association économique et monétaire avec le Canada. La consultation se solda par l'échec de l'option souverainiste, rejetée par 59,56 % des suffrages. Or, pendant la campagne référendaire, le Premier ministre fédéral, M. Trudeau, s'était engagé à « renouveler » le fédéralisme canadien dans l'hypothèse où le non l'emporterait.

Cependant, aux termes de l'Acte de l'Amérique du Nord de 1867, la modification de la constitution canadienne relevait du Parlement britannique. Le « rapatriement » de la constitution apparaissait tout à la fois la condition mais aussi l'occasion d'une réforme constitutionnelle.

Ainsi, au cours des négociations engagées avec les provinces, le Québec avait donné son accord au rapatriement de la constitution à condition que deux modifications de la charte fondamentale fussent adoptées : d'une part, un réaménagement des pouvoirs fédéraux et, d'autre part, l'octroi au seul Québec d'un droit de veto à tout amendement constitutionnel affectant le statut particulier de la province.

Les autres provinces ne purent s'accorder sur cette double requête. Elles consentirent pour leur part au rapatriement de la Constitution et à l'inclusion dans le texte fondamental d'une charte des droits et libertés à laquelle elles se réservaient toutefois le droit de déroger sur certains articles. Au terme d'un accord conclu le 5 novembre 1981 entre Ottawa et les neuf provinces anglophones, la Constitution était « rapatriée » malgré l'opposition du Québec. Ainsi, le 17 avril 1982 la Reine pouvait proclamer à Ottawa « la loi constitutionnelle de 1982 » dont le contenu ne diffère guère de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, sinon que s'y ajoute une « Charte canadienne des Droits et Libertés ».

La Cour constitutionnelle reconnut la validité de la procédure dans un arrêt du 6 décembre 1982 en déniant au Québec le droit de s'opposer, seul, à la nouvelle Constitution qui s'appliquerait désormais à l'ensemble du Canada.

Ainsi non seulement le rapatriement de la Constitution n'avait pas permis de donner satisfaction au Québec mais il remettait en cause l'esprit initial du pacte entre les deux nations fondatrices.

. L'échec de l'accord du lac Meech : une blessure infligée au Québec

Après la victoire des libéraux aux élections provinciales du Québec en 1985 sous la conduite de M. Bourassa, un contexte plus favorable se présentait pour reprendre les négociations constitutionnelles. Le Premier ministre fédéral et les dix Premiers ministres provinciaux acceptent dans le cadre de l'accord du lac Meech (30 avril 1987) les cinq conditions posées par le Québec pour réintégrer l'ordre constitutionnel canadien (reconnaissance du Québec comme « société distincte », pouvoirs accrus dans le domaine de l'immigration, limitation du pouvoir de dépenses de la fédération dans les domaines ressortissant des provinces, droit de veto sur toute modification constitutionnelle affectant le statut particulier du Québec, participation à la nomination des juges à la Cour Suprême). L'accord dont les dispositions avaient été étendues à toutes les provinces (à l'exception du « caractère distinct » réservé au Québec) devait être ratifié par le Parlement d'Ottawa et les dix assemblées provinciales avant le 23 juin 1990.

Toutefois dans ce délai, les débats organisés dans chaque province allaient alimenter la polémique sur la notion de « société distincte » et surtout ouvrir la boîte de Pandore des revendications constitutionnelles.

Les provinces de l'ouest réclamaient une meilleure représentation au sein du Sénat. Les populations autochtones aspiraient au droit à l'autonomie gouvernementale. Ainsi, faute d'une ratification par les assemblées du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve, l'accord devenait caduc en juin 1990.

- L'entente de Charlottetown : une classe politique discréditée

Le compromis de Charlottetown tente de mieux prendre en compte la diversité des aspirations qui s'étaient exprimées lors des débats sur la ratification de l'accord du lac Meech. Ainsi les peuples autochtones bénéficient d'un « droit inhérent » à l'autonomie gouvernementale, sans nouveaux territoires. De même le nombre de sénateurs est limité : 6 par province ; en contrepartie le Québec obtient la garantie de détenir au moins 25 % des sièges de la Chambre des Communes. Pour le reste l'entente de Charlottetown reprend et précise certains des points contenus dans l'accord du lac Meech : le caractère de « société distincte » reconnu au Québec recouvre la langue et la culture françaises ainsi que le code civil d'inspiration napoléonienne ; le partage des pouvoirs confie de façon exclusive aux provinces, la culture et la formation professionnelle, mais aussi, à condition que les provinces en manifestent le souhait, d'autres secteurs (forêts, mines, tourisme, logement, loisirs, affaires urbaines ou municipales). La fédération peut cependant assigner des « objectifs nationaux dans tous les champs de compétence ».

Le dispositif reçut en août 1992 l'accord de l'ensemble des délégations représentant la fédération, les provinces, les territoires du nord-ouest et du Yukon, et les peuples autochtones.

Le souci de satisfaire des aspirations très diverses, voire contradictoires devait susciter une hostilité générale. Aussi le texte fut-il rejeté lors du référendum du 25 octobre 1992 par plus de 54 % des Canadiens.

Ces échecs répétés ont aiguisé les divergences entre le Québec soucieux, au nom du pacte fondateur, de mettre en place un fédéralisme asymétrique et les provinces anglophones, surtout à l'ouest, qui défendent l'égalité des droits.

* La remise en cause du bipartisme

L'échiquier politique à Ottawa, au lendemain des élections législatives d'octobre 1993, illustre à travers sa configuration paradoxale, cette évolution. La déroute du parti progressiste-conservateur laisse le parti libéral 7 ( * ) face à deux partis protestataires d'inspiration régionaliste : le bloc québécois et le parti réformiste du Canada (Reform party).

. Le Bloc québécois

Le Bloc québécois, créé par M. Lucien Bouchard en 1990, à la suite de l'échec du processus du lac Meech, défend la cause souverainiste, ce « beau risque » comme aime à l'appeler M. Bouchard.

Le Bloc québécois, fort de 54 députés sur les 75 que désigne le Québec après avoir obtenu 49,5 % des suffrages de la province (la seule où il présentait des candidats), constitue l'opposition officielle au gouvernement de M. Chrétien. Institutionnellement ce parti qui prône la sortie du Québec de la fédération, représente les intérêts de toutes les provinces du Canada. M. Bouchard s'était d'ailleurs attaché à prendre position sur des sujets d'intérêt national : soutien à l'Accord du Libre échange nord-américain (ALENA), à la participation canadienne à la Force des Nations-Unies dans l'ex-Yougoslavie, et sur le plan intérieur, à une politique d'austérité budgétaire fondée sur la contraction des dépenses.

A la suite de la désignation de M. Bouchard comme président du parti québécois, et Premier ministre provincial, M. Michel Gauthier est élu à la tête du Bloc.

. Le parti réformiste

Le parti réformiste du Canada fondé par M. Preston Manning pour défendre les intérêts des 4 provinces de l'Ouest, a élargi son audience dans d'autres provinces sur les bases d'un programme dont le radicalisme tranche avec les options plus mesurées de la classe politique fédérale : rejet de l'intervention de l'Etat, remise en cause du régime d'assurance santé, condamnation de l'immigration et du multiculturalisme. Par ailleurs le Reform party défend un fédéralisme égalitaire, hostile aux revendications québécoises. M. Preston Manning a fait son lit du discrédit de la classe politique pour laquelle l'échec du référendum sur l'entente de Charlottetown a constitué un cinglant désaveu.

Aux élections fédérales du 25 octobre 1993, le Reform party a obtenu 52 élus, soit 2 de moins seulement que le Bloc québécois.

L'opposition s'est ainsi radicalisée et le parti libéral, le seul réellement attaché à la fédération, apparaît désormais isolé.

L'impasse constitutionnelle, aggravée encore par ce contexte politique difficile, a persuadé le parti québécois d'engager en priorité le processus d'autodétermination, quitte à reprendre ensuite des négociations pour définir la nature des relations entre le Québec et le Canada.

B. UNE CRISE À L'ISSUE INCERTAINE

1. Le référendum au Québec : un coup de semonce pour les fédéralistes

a) Le contexte particulier de la campagne référendaire

La campagne pour le référendum d'octobre 1995 s'est engagée dans un contexte bien différent de celui qui prévalait en 1990 au moment du premier référendum.

Les échecs répétés des tentatives de réforme du fédéralisme ont pu persuader une partie de l'opinion québécoise au-delà des seuls milieux acquis à la cause souverainiste, que la sauvegarde de l'identité de leur province passait par l'accession à la souveraineté.

Le parcours de M. Lucien Bouchard , aujourd'hui Premier ministre du Québec, symbolise assez bien cette évolution des esprits. Ancien ambassadeur à Paris (1985-1988), membre du Cabinet conservateur (1988-1990) il rompt avec le Premier ministre, M. Brian Mulroney, à la suite de l'échec du lac Meech. Il fonde le Bloc Québécois à l'été 1990 dans la perspective d'assurer à la cause souverainiste une représentation au sein des instances fédérales.

Cette ambition se trouve pleinement justifiée par le succès remporté lors des élections fédérales du 25 octobre 1993.

L'évolution de l'opinion québécoise dont témoigne ce premier succès devait se confirmer lors des élections provinciales de l'année suivante quand le parti québécois, victorieux, succède à un parti libéral profondément divisé à la suite de l'échec du référendum constitutionnel sur l'entente de Charlottetown.

La dynamique politique paraît ainsi jouer en faveur des souverainistes qui choisissent opportunément d'organiser la consultation référendaire un an après la formation du nouveau gouvernement provincial (le Gouvernement Levesque élu en 1976 avait attendu quatre ans avant de consulter les Québécois).

Si le contexte n'est plus celui de 1980, l'enjeu du référendum lui-même présente aussi un caractère inédit. Il ne s'agit plus en effet de donner mandat au gouvernement québécois pour négocier avec la fédération une « souveraineté-association » mais d'opter directement pour ou contre la souveraineté. Le libellé retenu pour la question posée aux Québécois paraît à cet égard dénué de toute ambiguïté : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995 ? Oui ou non ». Le choix pour la souveraineté apparaît certes assorti d'une offre de partenariat politique et économique avec le Canada, mais il ne lui est en aucune manière conditionné.

Tandis que le camp du « oui » paraissait marquer le pas, le parti québécois choisissait de confier à M. Lucien Bouchard la responsabilité de conduire, dans les faits, la campagne référendaire. L'extrême popularité dont jouit ce dernier devait lui permettre d'élargir l'audience de la cause souverainiste au-delà de la partie des Québécois (évaluée à 40 % du corps électoral) qui lui était de toute façon acquise. Ce pari allait se révéler judicieux et porter les souverainistes très près de la victoire.

b) Une fracture politique et culturelle

Il n'aura manqué que 52 448 voix aux partisans de la souveraineté pour l'emporter sur les fédéralistes qui, avec 50,56 % des suffrages, obtiennent le maintien du Québec au sein de la fédération canadienne. Les souverainistes progressent ainsi de 10 points par rapport au référendum de 1980.

L'analyse du scrutin qui a mobilisé 93,5 % du corps électoral appelle plusieurs observations.

En premier lieu les résultats du référendum confirment la dimension politique des clivages linguistiques : 60 % des francophones ont voté pour la souveraineté alors que plus de 90 % des anglophones ou des allophones en ont rejeté le principe.

Ces clivages linguistiques ont une traduction directe sur le plan géographique : la région de Montréal dont la population se caractérise par sa relative diversité 8 ( * ) s'oppose à un Québec plus rural, francophone et souverainiste 9 ( * ) .

Cependant il apparaît clairement que les souverainistes n'ont pas fait le plein des voix francophones. A cet égard les résultats de la région de Québec paraissent significatifs : le « oui » ne l'a emporté que par 53,4 % des suffrages alors même que les francophones représentent plus de 97 % de la population. L'engagement du gouvernement québécois à réintégrer les fonctionnaires fédéraux francophones dans l'administration d'un Québec devenu souverain a pu inquiéter les fonctionnaires provinciaux en place -naturellement bien représentés à Québec, où se concentrent les institutions provinciales- sans d'ailleurs rallier les titulaires de postes administratifs à Ottawa.

Par ailleurs, il importe de souligner aussi la variété des sensibilités au sein même des familles francophones : si les jeunes (18-34 ans) et la génération des 35-54 ans, blessés par les échecs des réformes constitutionnelles, appuient dans leur ensemble le « oui » au référendum, les personnes âgées de plus de 55 ans manifestent plus de réticence à l'égard d'une souveraineté qui pourrait, à leurs yeux, menacer les acquis sociaux.

Ainsi, malgré les propos polémiques de M. Jacques Parizeau rejetant sur « l'argent et les votes ethniques » la responsabilité de la défaite du « oui », la réalité apparaît incontestablement plus nuancée.

2. La relance du débat institutionnel

Le référendum dont le résultat s'est révélé si serré, n'a rien réglé ; la question québécoise reste entière. Le parti québécois a ainsi indiqué qu'un nouveau référendum serait organisé avant trois ans. Chaque camp va tenter de mettre à profit ce délai pour rallier à sa cause l'opinion québécoise

a) Les incertitudes fédérales

* Le gouvernement fédéral reprend l'initiative

Le gouvernement fédéral ne s'était pas réellement ému de la victoire du parti québécois aux élections provinciales de septembre 1994 ; il n'avait pas cru aux chances du « oui » de l'emporter au moment du référendum et s'était tenu à la ligne directrice simple fixée par M. Chrétien en 1993 : ne pas ouvrir le débat constitutionnel, mais aménager les relations entre fédéralisme et provinces par de simples accords administratifs. La remontée du camp du « oui » attestée par les sondages, à la suite de l'intervention de M. Bouchard au premier plan de la campagne, devait toutefois conduire M. Chrétien à réagir en promettant aux Québécois une meilleure prise en compte de leurs aspirations.

. Des mesures limitées

Cet engagement devait, au lendemain du référendum, se concrétiser sous une forme assez modeste : reconnaissance, par une résolution du Parlement, sans effet juridique, de la « société distincte » du Québec, dépôt d'un projet de loi accordant un droit de veto en matière constitutionnelle au Québec (et aussi à l'Ontario, à la Colombie-Britannique, ainsi qu'à deux ensembles régionaux, les Provinces atlantiques et celles du Centre-ouest), décentralisation partielle, et d'ailleurs conditionnelle, de la main-d'oeuvre.

. Le remaniement gouvernemental

Le souci de reprendre l'initiative au lendemain du référendum s'est également manifesté par un profond remaniement gouvernemental caractérisé par l'arrivée le 25 janvier 1996 de nouvelles personnalités, notamment M. Stéphane Dion , le ministre des affaires intergouvernementales que votre délégation a eu l'honneur de rencontrer. Ce jeune universitaire pour lequel ce poste ministériel constitue la première expérience politique, se trouve chargé en pratique de la délicate question des relations avec le Québec. Il ne souhaite pas, semble-t-il, s'en tenir au statu quo. D'après lui « la ronde constitutionnelle a mal tourné » en raison d'un malentendu : la « reconnaissance » souhaitée par les uns étant considérée comme un privilège par les autres.

Aussi prône-t-il une décentralisation inspirée par le souci de confier à chaque niveau de gouvernement les responsabilités qu'il paraît le mieux à même d'assumer (la fédération restant ainsi le niveau adapté pour l'unification du marché intérieur).

La position de M. Stéphane Dion reste toutefois en-deçà des attentes de souverainistes : il ne se réfère pas à la notion de « peuples fondateurs » et utilise, pour évoquer les Québécois, les termes de « minorité » ou de « population ».

Cependant, cette volonté d'avancer sur le terrain constitutionnel rompt avec le statu quo observé par le gouvernement fédéral ces dernières années, et cherche ainsi à enlever des arguments aux partisans de la souveraineté.

* L'effervescence du débat au niveau fédéral

Par ailleurs le débat d'idée a retrouvé, au lendemain du 30 octobre, une certaine effervescence au sein des instances fédérales tant au niveau du gouvernement qu'au niveau du parlement. Certaines des formules qui influenceront le destin du Canada se trouvent peut-être en germe dans les différentes positions qui s'expriment. Il n'est donc pas inutile de s'y attarder.

. Les tenants d'une plus grande ouverture aux aspirations québécoises

Une première tendance témoigne d'une volonté d'ouverture aux attentes québécoises. Elle se manifeste notamment à travers la prise de position de M. Keith Spicer, personnalité influente du monde de l'audiovisuel. Dans un document publié à titre privé, M. Spicer rappelle la nécessité pour la fédération de reprendre l'initiative en définissant des concessions acceptables pour le maintien du Québec dans la fédération (plan A) ou en élaborant un plan de repli -qualifié de plan B- pour définir les conditions d'une séparation du Canada dans l'hypothèse où celle-ci se révélerait inévitable.

Il suggère que des propositions puissent être soumises le plus tôt possible à un double référendum, au Canada anglais d'une part, au Québec d'autre part ; si le plan A l'emporte, la Constitution se trouve amendée en conséquence et cette modification est réputée intangible pour vingt ans ; dans le cas contraire le scénario de la séparation, l'option B est immédiatement mise en oeuvre.

Cette thèse a connu une grande audience. Ses partisans appellent de leurs voeux le succès du plan A. Il s'agit à leurs yeux, de la dernière chance de sauvegarder la fédération canadienne ; un échec leur paraît toutefois préférable au climat d'incertitude auquel un nationalisme québécois non satisfait paraît condamner la vie politique de la fédération.

. Les partisans de la fermeture

Un autre mouvement d'opinion répugne au contraire à toute concession ; il connaît même sous la forme des thèses du parti réformiste une radicalisation certaine. Le parti de M. Manning évoque ainsi un morcellement du territoire québécois afin de permettre aux régions du Québec où se seraient exprimées une majorité de voix en faveur du statu quo de demeurer au sein de la fédération. Un corridor de libre circulation relierait à travers le Québec l'Ontario et les Provinces Atlantiques. Ces thèses ont trouvé elles aussi un écho jusque dans certains propos de représentants du gouvernement fédéral.

Telles étaient les données du débat au début de l'année 1996. On peut parier sans trop de risques que le renouvellement du fédéralisme alimentera encore nombre de propositions et contre-propositions.

Du reste, votre délégation a été, au cours de son séjour pourtant bref, le témoin d'un nouvel avatar du débat institutionnel. A l'occasion d'une session réunie les 13 et 14 avril en présence de M. Jean Chrétien, le parti libéral du Canada (section du Québec) proposait de remplacer dans son programme politique la définition traditionnelle du Québec comme « société distincte » par la notion de « foyer principal de la langue, de la culture et de la tradition juridique française en Amérique ». La promotion du « foyer principal » est considérée comme un net recul par rapport à la « société distincte » alors même que pour beaucoup de Québécois cette dernière notion demeure elle-même insuffisante. L'Assemblée nationale du Québec au cours de sa séance du 16 avril a ainsi rejeté à l'unanimité la notion de foyer principal. Le parti libéral du Québec, attaché au concept de « société distincte », a joint ses voix au parti québécois majoritaire qui retient, pour sa part, la seule notion de « peuple québécois ».

Aussi le thème constitutionnel est-il revenu sur le devant de la scène fédérale alors même que le gouvernement souverainiste paraissait, sous la conduite de M. Lucien Bouchard, vouloir calmer le jeu sur ce terrain.

b) Les priorités du gouvernement québécois

L'effacement de M. Jacques Parizeau de la vie politique québécoise après l'échec du référendum, ouvrait la voie à M. Lucien Bouchard, élu chef du parti québécois le 27 janvier et désigné le surlendemain, Premier ministre de la Belle Province.

M. Lucien Bouchard a réaffirmé son souci de réaliser la souveraineté du Québec ; il n'envisage pas toutefois, dans l'immédiat, de remettre en cause la loi électorale québécoise qui interdit d'organiser un nouveau référendum avant la fin de la législature ; aussi repousse-t-il l'échéance référendaire à de nouvelles élections législatives d'ici deux ans sans doute.

Mais le contexte politique conduira peut-être M. Bouchard à anticiper l'organisation d'élections législatives afin de tirer parti de la lassitude provoquée dans l'opinion québécoise par l'impuissance éventuelle des fédéralistes à avancer de nouvelles propositions. Le Premier ministre a inscrit le redressement économique au premier rang de ses priorités. L'effort de rigueur nécessaire pourrait altérer la popularité, aujourd'hui, à son zénith, de M. Lucien Bouchard. Cette circonstance ne sera sans doute pas étrangère aux choix qui seront, en définitive, arrêtés.

M. Lucien Bouchard a souhaité concentrer ses efforts sur le rééquilibrage des finances publiques. Il ne pourra faire l'impasse toutefois sur deux problèmes dont les développements risquent de compliquer sa tâche à la tête du gouvernement : la question linguistique d'une part, les revendications des nations autochtones d'autre part.

* La question linguistique

La place du français apparaît au coeur de la sauvegarde de l'identité québécoise dont les souverainistes ont fait leur combat. Elle reste également un objet de contentieux avec les minorités anglophones et allophones. Le sujet est donc politiquement explosif. En 1988, le gouvernement québécois avait utilisé la clause dérogatoire lui permettant de se soustraire à la charte des droits et libertés pour imposer l'affichage commercial extérieur exclusivement en français. Ces mesures vivement contestées au Québec -et ailleurs au Canada-, réprouvées par le comité des droits de l'homme de l'ONU, ne furent pas reconduites.

L'équilibre dont a témoigné M. Lucien Bouchard dans le débat linguistique pourra-t-il prévaloir devant les pressions de certaines tendances du parti québécois pour ranimer un conflit jamais éteint ?

Dans un rapport rendu public le 22 mai 1996, un comité interministériel mis en place par Mme Louise Beaudouin dresse un bilan de l'application de la loi 101. Ce texte, on s'en souvient, reconnaissait le français pour seule langue officielle. Le français certes, a progressé, notamment dans l'enseignement, où son apprentissage concerne près de 90 % des élèves (contre 83 % en 1990). Toutefois le français ne s'est pas encore imposé comme « langue publique commune ». Par ailleurs, le rapport relève deux autres sujets d'inquiétude : l'île de Montréal où les francophones sont en passe de devenir minoritaires dans les dix prochaines années, la dégradation du français parlé ensuite.

Bien que certaines des conclusions du rapport pouvaient prêter à polémique, M. Bouchard n'a pas souhaité modifier dans un sens plus restrictif la loi 101 ; il en a seulement réclamé une application plus vigilante.

M. Bouchard s'est donc gardé de rallumer la guerre linguistique. Afin de ne pas prêter prise au soupçon d'immobilisme sur ce sujet, il a lié la défense du français à une réforme du système scolaire. Il propose la création de commissions scolaires sur une base linguistique alors que l'organisation du système éducatif repose jusqu'à présent sur une base exclusivement confessionnelle. Habilement, il ne se place plus dans le cadre d'une confrontation entre communautés mais privilégie un front commun opposant d'un côté les « modernes » et de l'autre les églises.

L'équilibre souhaité pour M. Bouchard apparaît fragile. Il reste à la merci des passions si faciles à s'enflammer pour la défense de la langue.

L'élargissement de la cause souverainiste suppose aussi une plus forte mobilisation de la population francophone et l'incapacité du gouvernement fédéral à répondre aux aspirations des Québécois se révélerait ici décisive 10 ( * ) . Il peut également passer par une plus grande ouverture du nationalisme québécois aux anglophones ainsi qu'aux communautés immigrées qui considèrent la souveraineté aujourd'hui une menace.

* Les revendications des nations autochtones

Le sort des populations autochtones, disséminées sur l'ensemble du territoire canadien n'intéresse pas seulement, bien sûr, le seul Québec ; la responsabilité de la fédération se trouve largement engagée dans ce domaine. Toutefois, les enjeux sociaux et économiques (la réappropriation des terres et de leurs ressources naturelles) que présentent habituellement les revendications des "premières nations" se doublent dans la Belle Province d'enjeux politiques qui intéressent directement la cause souverainiste.

Il s'agit pour le gouvernement québécois de mieux satisfaire les aspirations d'une population opposée, dans sa large majorité -les résultats du dernier référendum l'ont montré-, à la mise en cause de la fédération. Il s'agit aussi de déjouer le piège d'une revendication qui avance en faveur de l'autodétermination des arguments comparables à ceux utilisés par le parti québécois pour défendre l'option de la souveraineté.

Cette dimension symbolique -la coexistence de deux nationalismes- explique l'attention que le gouvernement québécois attache à la question autochtone. En effet, le poids démographique marginal des peuples autochtones (63 000 personnes environ, soit 1 % de toute la population québécoise) ne leur permettrait pas de toute façon de s'opposer à l'accession du Québec à la souveraineté.

Les premières nations se caractérisent par leur grande variété : elles réunissent en effet dix nations amérindiennes 11 ( * ) (plus de 56 000 personnes) et une nation Inuit (plus de 7 000 personnes soit 20 % de l'ensemble de la population Inuit du Canada).

Si diverses soient ces nations, elles connaissent des problèmes communs. Majoritairement attachées à des réserves (où vivent 40 000 Amérindiens), elles se trouvent dans une situation de forte dépendance économique. Par ailleurs, le retard du niveau d'éducation par rapport au reste de la province ne se comble que lentement. Enfin, statistique inquiétante, le taux de suicide est trois fois plus élevé que la moyenne québécoise.

Les relations entre la province et les populations autochtones se sont développées à la faveur du développement économique du territoire québécois. La construction d'ouvrages hydroélectriques a conduit, par exemple, le gouvernement provincial à négocier la convention de la Baie James et du nord Québécois, signée en 1975 avec les Inuits et les Cris. Ces accords concernent aujourd'hui près d'un tiers des autochtones, qui ne relèvent plus dès lors de la loi fédérale sur les Indiens de 1876. Selon ces ententes, les premières nations renoncent à leurs droits ancestraux sur leurs territoires en contrepartie de l'usage exclusif de certaines terres, de pouvoirs d'auto-administration et d'indemnisations financières.

Cependant au cours des deux dernières décennies, les communautés autochtones se sont mieux organisées pour défendre leurs droits, revendiquer l'autonomie gouvernementale et de nouveaux territoires

En 1985, la province reprenait l'initiative et devenait la première, au sein de la Fédération, à reconnaître par une résolution adoptée par l'Assemblée nationale du Québec, les droits des nations autochtones 12 ( * ) .

Toutefois ces droits s'exercent dans le cadre des lois du Québec et ne sauraient remettre en cause l'intégrité territoriale de la province.

Mais ces principes n'ont pas paru suffisants aux nations autochtones. Certaines ont remis en cause les accords existants : les Cris ont ainsi contesté l'application, jugée insuffisante, du volet de l'accord de la Baie James consacré au développement économique et social. D'autres, comme la nation huronne-wendat, ont tiré d'archives oubliées des traités d'amitié avec la France ...

Cette effervescence a conduit le gouvernement québécois à relancer le processus de négociation : protocole d'entente du 23 mai 1995 pour actualiser la convention de la Baie James, proposition globale faite aux Attikameks et aux Montagnais en décembre 1994 reposant sur l'autonomie et le partenariat.

La marge reste étroite toutefois pour satisfaire les aspirations des autochtones sans rien céder sur les principes d'intégrité territoriale du Québec.

Même si la politique linguistique et les négociations ouvertes avec les nations autochtones permettent de tester la capacité d'ouverture du gouvernement québécois, l'action de M. Bouchard se jugera principalement à l'aune de ses résultats économiques.

II. LES NOUVEAUX DÉFIS ÉCONOMIQUES DU CANADA

Le succès des politiques économiques apparaît déterminant pour orienter les perspectives institutionnelles.

L'enjeu pour le gouvernement souverainiste est bien de montrer que le Québec, sur des bases économiques assainies, peut affronter seul la concurrence mondiale. L'enjeu apparaît symétrique pour la fédération puisqu'il s'agit de convaincre les Québécois que leur prospérité passe par leur maintien au sein de la fédération.

Mais les affinités entre questions politiques et économiques se placent aussi à un autre niveau : l'identité du Canada se joue aussi sur le terrain économique. En effet le Canada a su développer un modèle économique propre. L'étroitesse du marché conjuguée à l'immensité du territoire a conduit secteur public et privé à se prêter mutuellement concours pour développer les infrastructures et exploiter les ressources naturelles comme le remarque Michael Ignatieff : « Les entreprises publiques -depuis les tramways jusqu'aux compagnies aériennes, en passant par la radiotélévision et Hydro-Québec- ont toujours joué un rôle beaucoup plus important dans le développement du pays qu'aux Etats-Unis et ont créé une culture de l'économie publique qui oppose une résistance très profonde à l'individualisme libéral des Etats-Unis » 13 ( * ) .

Or, aujourd'hui ce modèle économique se trouve en prise au double défi d'une intégration dans le cadre d'un grand marché nord-américain d'une part, et d'une politique d'austérité budgétaire d'une rigueur sans précédent d'autre part.

A. LE DÉFI DE L'INTÉGRATION NORD-AMÉRICAINE

1. L'ALENA : l'aboutissement d'un processus d'intégration engagé depuis plusieurs décennies

a) Les mutations de l'économie canadienne

* Une économie productrice de biens élaborés et de services

Si, historiquement, les matières premières et les produits agricoles ont beaucoup compté dans le développement du Canada, leur place dans l'économie nationale s'est notablement réduite aujourd'hui.

Sans doute les productions issues des ressources naturelles occupent-elles dans le PIB et les exportations une part en moyenne supérieure à la place de ces produits dans les économies des pays de l'OCDE. Le Canada est ainsi le 5e producteur et le 2e exportateur mondial de blé. Il figure aussi, derrière les Etats-Unis, au 2e rang des producteurs de pâte à papier et fabrique près de 40% du papier journal du monde.

Toutefois ce sont les services qui constituent près de 70 % du PIB et emploient 73 % de la population active. Les exportations par ailleurs se répartissent pour moitié entre produits manufacturés d'une part et produits primaires et intermédiaires d'autre part, alors que les premiers constituaient 40 % et les seconds 60 % des exportations en 1970. Ainsi les premiers postes à l'exportation comptent désormais les produits de l'automobile, les machines et équipements, et biens industriels.

* Les facteurs de changement

Cette évolution est principalement liée à l' activité des investisseurs étrangers . La part des investissements étrangers et, au premier chef, des investissements américains, a traditionnellement été très importante au Canada. Ainsi en 1976, 39 des 70 plus grandes sociétés industrielles canadiennes appartenaient à des étrangers et 28 d'entre elles à des Américains. Par la suite, les intérêts canadiens ont progressé : en 1986, sur les 70 premières entreprises canadiennes, 21 étaient étrangères (et 14 américaines).

Les choix des investissements étrangers ont donc une influence décisive sur l'orientation de l'économie canadienne.

Or les Américains ont privilégié le secteur des industries manufacturées auxquelles ils ont consacré 46 % de leurs investissements (contre 23,4 % pour le pétrole et le gaz naturel, 12,9 % pour le secteur bancaire et financier, 32 % pour le secteur commercial). Aujourd'hui, la moitié des industries manufacturées se trouve sous le contrôle étranger.

Les choix des investisseurs ont aussi, naturellement, des conséquences sur les flux du commerce extérieur . Ils en orientent d'abord la nature. Ainsi le pacte de l'automobile signé en 1965 entre le Canada et les Etats-Unis 14 ( * ) a encouragé l'installation de constructeurs américains au Canada et suscité une spécialisation des tâches (le Canada important des moteurs -incorporant d'ailleurs des pièces détachées fabriquées dans ce pays- pour monter des voitures exportées ensuite aux Etats-Unis). Mais les investissements américains n'ont pas seulement orienté les secteurs d'exportation, ils ont aussi intensifié, au-delà des évidentes prédispositions géographiques, les relations commerciales entre le Canada et les Etats-Unis, destinataires de 80 % des exportations canadiennes. Ainsi, les importations des sociétés-mères américaines en provenance de leurs filiales établies au Canada représentent 45 % des exportations canadiennes vers les Etats-Unis.

Enfin les investissements américains ont également une part décisive dans la structuration de l'espace économique canadien . A la fin des années 80, le niveau imposable des entreprises américaines installées au Canada provenait, pour près de la moitié, des provinces de l'Ouest , 37 % de l'Ontario, 10 % du Québec, 3 % des provinces atlantiques. Le dynamisme économique s'est ainsi déplacé, comme aux Etats-Unis, d'Est en Ouest.

b) Les traités de libre échange : risque ou chance pour le Canada ?

* La dépendance de l'économie canadienne à l'égard des Etats-Unis

Par bien des aspects, le traité de libre échange signé le 2 janvier 1988, entré en vigueur le 1er janvier 1989, et l'Accord de Libre échange Nord-américain -ALENA- (signé le 18 décembre 1992 par le Canada, les Etats-Unis et le Mexique entré en vigueur le 1er janvier 1994) apparaissent non comme l'amorce mais plutôt comme l'aboutissement d'un processus d'intégration entrepris depuis plusieurs décennies (et élargi, dans le cadre de l'ALENA, au Mexique).

Cependant il a ravivé, en particulier au sein du Canada anglais, de vives inquiétudes sur la capacité du Canada à défendre son identité au sein d'un vaste marché ouvert.

L'accord de libre échange de 1988 prévoit la suppression des droits de douane et des contingentements pour les marchandises, mais aussi pour une grande partie des services. Par ailleurs les investissements réciproques, entièrement libéralisés, obéissent au principe du traitement national.

L'ALENA reprend ces dispositions et les étend au Mexique (élimination des droits de douane sur 10 ans, principe du traitement national pour les produits, les services et les investissements des autres parties, ouverture plus large des marchés publics y compris pour la construction ...).

Le Canada et les Etats-Unis constituent par l'importance de leurs échanges bilatéraux (270 milliards de dollars en 1995) la plus importante association commerciale du monde.

Toutefois ces échanges se caractérisent par leur asymétrie : très forte dépendance vis-à-vis des Etats-Unis pour le Canada (dont les 3/4 des exportations et les 2/3 des importations se font avec le grand voisin), lien dense mais non prédominant pour les Etats-Unis 15 ( * ) .

Cette inégalité des situations constitue la toile de fond des inquiétudes canadiennes.

* La menace d'une emprise économique américaine excessive

La négociation de l'ALENA a d'ailleurs suscité un très large débat au Canada. De façon significative, le Québec a poussé à la ratification de l'accord alors que les provinces anglophones et notamment l'Ontario, plus menacées, s'y sont montrées réticentes.

Les craintes se sont principalement cristallisées sur trois domaines. En premier lieu, l'administration canadienne avait pu contrôler, au terme d'une « loi sur le tamisage des investissements étrangers », les participations américaines des secteurs jugés stratégiques . Comment assurer cette sauvegarde dans le grand marché promis par l'ALENA ?

En second lieu, l'acuité de la concurrence ne conduira-t-elle pas à un alignement du système social canadien sur le modèle américain ?

Enfin la levée des contrôles ouvre le marché canadien aux puissants groupes américains de communication et pourrait remettre en cause le maintien d'une presse, d'une édition, de chaînes propres au Canada. C'est la survie d'une culture anglophone, animée par le refus de se fondre dans le moule américain, qui est ici en jeu. On comprend dès lors que ce combat intéresse davantage le Canada anglophone que le Québec.

Ces appréhensions sont-elles justifiées ? Il est encore trop tôt pour se prononcer. Sans doute l'ALENA favorisera-t-il une diversification des échanges qu'une intégration très poussée dans le domaine de la construction automobile avait peut-être excessivement concentrés sur un secteur très sensible à la conjoncture économique. A court terme, un effort d'adaptation apparaît indispensable et le contexte conjoncturel des années 90 montre que la transition vers un grand marché américain ne sera pas nécessairement facile.

On ne peut exclure, en particulier, un mouvement de délocalisation, illustré lors du séjour de votre délégation, par la fermeture d'une unité de production de camions située dans la région de Montréal.

Aujourd'hui l'ouverture du marché nord-américain joue un rôle positif sur la croissance canadienne dont le ressort principal reste en effet l'essor des exportations.

2. Une conjoncture incertaine

a) Une croissance très dépendante des exportations

* L'essoufflement de la croissance

Au Canada, les années 80, après une récession en 1981 et 1982, ont été placées sous le signe d'une croissance d'une exceptionnelle régularité. La présente décennie a marqué un brutal coup d'arrêt à cette prospérité. Le produit intérieur brut a chuté de 0,2 % en 1990 et 1,8 % en 1991. Deux ans ont été nécessaires pour revenir au niveau de production antérieur à la récession, soit un délai deux fois plus long que celui de la précédente récession.

Le Canada a renoué avec la croissance à partir de 1992 (+ 0,8 %). Le mouvement s'est accéléré en 1994 (+ 4,6 %) avant de s'enrayer à nouveau en 1995 (+ 2 %).

. La consommation des ménages en panne

Ce recul s'explique principalement par l'atonie de la demande des ménages. Le revenu disponible réel des particuliers a augmenté dans des proportions modestes, tandis que le poids d'un endettement traditionnellement fort s'accusait encore sous les effets de taux d'intérêt très élevés. Les marges de progression de la consommation restent faibles dans la mesure où le taux d'épargne a atteint un niveau historiquement bas (6,3 % contre 20 % au début des années 80).

La politique de rigueur budgétaire entreprise par l'Etat fédéral et les provinces n'a pas permis que la dépense publique prenne la relève d'une demande privée défaillante.

. L'élan retombé de l'investissement

Par ailleurs, l'un des ressorts décisifs de la croissance en 1994, l'investissement des entreprises, s'est affaibli en 1995. En effet, les entreprises canadiennes, dans la perspective de la libéralisation des échanges avec les Etats-Unis, avaient mené un effort de restructuration des facteurs de production en privilégiant le capital au détriment du travail. En particulier, la part des achats de matériel informatique dans les dépenses totales en volume pour les machines et outillages avait beaucoup augmenté (de 18 à 37 % au cours des cinq dernières années). Après s'être accru de 10 % en 1994, l'investissement n'a augmenté que de 0,7 % en 1994.

. Les exportations, seul moteur de la croissance

Dès lors le véritable moteur de la croissance canadienne reste les exportations dont la progression s'est élevée pour les marchandises à 20 % sur les neuf premiers mois de l'année 1995 (21 % en 1994) et pour les services à 10,5 % (contre 12 % en 1994).

L'excédent commercial (30 milliards de dollars canadiens) a ainsi enregistré un doublement par rapport à 1994.

Trois facteurs se sont conjugués pour favoriser l'essor des exportations. Les Etats-Unis, qui absorbent 80% des exportations canadiennes connaissent une croissance soutenue : leurs achats se sont encore accrus de 17 % sur les neuf premiers mois de l'année 1995.

Par ailleurs, la dépréciation du dollar canadien (- 19 % par rapport au dollar américain entre l'été 1992 et l'été 1994) et la baisse des coûts unitaires de main-d'oeuvre ont permis aux entreprises canadiennes d'améliorer leur compétitivité. Enfin, l'accord de libre échange nord-américain, suivi d'ailleurs de la conclusion du cycle de l'Uruguay ont imprimé un nouvel élan aux exportations canadiennes.

La dépendance de l'économie canadienne à la conjoncture économique internationale et en particulier aux mouvements de l'économie américaine, s'en est trouvée accrue : les exportations représentent aujourd'hui 37 % du PIB contre 26 % en 1992.

* Un contexte peu propice à l'emploi mais favorable à la maîtrise des prix

. La situation encore fragile de l'emploi

Sans doute les exportations favorisent-elles l'emploi (d'après le gouvernement fédéral un milliard de dollars d'exportation équivaut à la création de 11 000 à 12 000 emplois).

Cependant, cet effet positif doit composer avec les conséquences négatives des compressions d'effectifs liées aux restructurations industrielles et à l'impératif de rigueur budgétaire.

L'économie canadienne continuait en 1995 à créer des emplois. Mais une double évolution s'est produite par rapport à 1994 : les créations se sont réduites (88 000 contre 382 000) et l'emploi s'est précarisé (la quasi totalité des créations concernant des postes à temps partiel).

Le taux de chômage a continué à se réduire : 9,5 % de la population active en 1995 contre 10,4 % en 1994 et 11,2 % en 1993.

. L'inflation durablement maîtrisée

Alors que la hausse des prix s'élevait à 7 % en moyenne de 1970 à 1990, elle s'est réduite à 2 % depuis trois ans. Ce résultat, comme l'a expliqué à votre délégation le Premier sous-gouverneur de la Banque du Canada, M. Bernard Bonin, apparaît le fruit d'une politique monétaire rigoureuse mise en place en 1991.

Ne pouvant s'assigner un objectif de taux de change dans une économie où ce taux fluctue depuis les années soixante, la Banque centrale, en accord avec le gouvernement fédéral s'est fixé un objectif en termes de maîtrise d'inflation : une réduction graduelle des prix tous les 18 mois de 1991 à 1995 afin de contenir à terme l'inflation dans une fourchette comprise entre 1 et 3 %.

Si les objectifs sont arrêtés conjointement avec le gouvernement, leur mise en oeuvre relève de la seule Banque centrale. A cette fin elle détermine les niveaux des deux taux directeurs (taux d'escompte et taux du papier commercial) en fonction d'un indice des conditions monétaires (qui prend en compte les taux de change pondérés par les flux commerciaux et le niveau des taux d'intérêt dans l'économie canadienne).

La politique suivie par la Banque centrale a permis d'atteindre dès 1994 l'objectif fixé : le taux d'inflation s'est par la suite régulièrement fixé en milieu d'une fourchette reconduite jusqu'en 1998. La détermination et le respect d'objectifs à moyen terme a permis de restaurer la crédibilité de la politique monétaire canadienne. Les progrès demeurent toutefois trop récents pour que disparaisse la prime de risque réclamée par les agents économiques pour la détention des titres obligataires : ainsi l'écart entre les obligations à 10 ans émises par le gouvernement fédéral et les obligations américaines de même échéance s'établit à 130 points de base.

La politique monétaire reste largement déterminée par l'évolution des taux aux Etats-Unis. Ainsi de 1994 à la fin mai 1995, la Banque centrale a dû, sous les effets de la hausse des taux américains, durcir les conditions du crédit avant de les assouplir pour tenir compte du ralentissement économique. Après une brève tension liée au climat d'incertitude provoqué par le référendum québécois, les taux ont continué de se réduire au cours des derniers mois.

b) Un ralentissement prévisible pour 1996

D'après certains analystes 16 ( * ) , la conjoncture économique devrait continuer à se ralentir et ne pas dépasser 1,6 % en 1996. En effet, dans un contexte d'austérité budgétaire poursuivie, la consommation des ménages et l'investissement des entreprises resteront sans doute atones. En conséquence, la situation de l'emploi ne devrait pas connaître d'amélioration sensible. A l'inverse l'inflation restera faible.

Les exportations joueront encore un rôle moteur dans la croissance . Dans ces conditions les autorités veilleront sans doute à ce que le dollar canadien ne s'apprécie pas afin d'assurer la compétitivité des productions nationales. Cependant la conjoncture canadienne reposera principalement sur les évolutions de l'économie américaine, qui dans une année électorale, peuvent réserver quelques surprises. A cette incertitude extérieure s'ajoute une interrogation intérieure : la naissance de mouvements sociaux aux effets déstabilisants pour l'économie. Le gouvernement fédéral, suivi d'ailleurs par les gouvernements provinciaux, ont mis en oeuvre un programme d'économie budgétaire dont les conséquences, notamment sur les régimes sociaux, pourraient en effet aiguiser les mécontentements.

B. LE DÉFI DE L'ASSAINISSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES

1. Une politique fédérale efficace de réduction du déficit budgétaire

a) Une contraction des dépenses fondée sur une méthode originale

* La dégradation des finances publiques

Depuis 1976 jusqu'en 1993, le déficit budgétaire a oscillé entre 4 % et 7 % du PIB. En conséquence, la dette publique fédérale limitée à 28,6 % du PIB en 1980 représente désormais 73,3 % du PIB en 1994-1995 17 ( * ) (à titre de comparaison, le déficit budgétaire et la dette publique représentent en France respectivement 4 % et 53 % du PIB). La dette extérieure représente 45 % du PIB. Plus du tiers des recettes fiscales est consacré au service de la dette.

Pour enrayer la dégradation des finances publiques, le gouvernement fédéral ne dispose que d'une marge de manoeuvre réduite. Il peut difficilement recourir à des augmentations d'impôt bien que le taux des prélèvements obligatoires reste en deçà de la moyenne des pays de l'OCDE (35,6 % du PIB contre 38,7 %). Deux éléments s'imposent au gouvernement fédéral : d'une part, la concurrence fiscale des Etats-Unis et le risque de délocalisations si le Canada augmentait l'impôt sur les bénéfices, d'autre part, l'extrême sensibilité de l'opinion à la pression fiscale dont témoigne par exemple le mouvement de « révolte fiscale » dont l'Ontario a récemment été le théâtre 18 ( * ) .

Ainsi quand M. Jean Chrétien s'est engagé, dans le cadre de la campagne pour les élections fédérales de 1993, à ramener le déficit du budget fédéral de 6 % à 3 % sans hausse d'impôt, il a suscité un certain scepticisme dans l'opinion publique.

Or, en deux ans, le déficit fédéral a été ramené de 5,8 % à 3,8 % du PIB. L'objectif d'un déficit de 3 %, affiché dans le projet de budget pour 1996-1997, apparaît réaliste et pourrait même être dépassé. L'effort sera poursuivi en 1997-1998 avec un déficit fédéral ramené à 2 %. L'objectif final reste l'équilibre budgétaire même si la date n'en a pas été fixée.

Dans le cadre de cette stratégie progressive, la part de l'endettement dans le PIB pourrait commencer à baisser en 1997-1998 pour la première fois depuis 1995.

Comment ces résultats ont-ils pu être obtenus ? Les entretiens que votre délégation a pu avoir avec M. Scott Clark, sous-ministre adjoint au ministère des finances, ainsi qu'avec des hauts fonctionnaires du secrétariat général du gouvernement fédéral, ont apporté des éclairages très utiles sur les méthodes suivies.

* Les principes et les méthodes

Aux termes de l'engagement du Premier ministre, la réduction du déficit fédéral a presque exclusivement reposé sur la baisse des dépenses . Il a donc fallu convaincre chaque ministère de consentir à une diminution draconienne des moyens dont ils disposaient. A cette fin, le gouvernement a mis en place une méthode originale appelée « examen des procédures » . Cette démarche se distingue en effet par deux traits : la mise en place d'un comité interministériel d'une part, l'organisation d'une analyse débouchant sur des propositions concrètes de réduction des dépenses, d'autre part.

. Une procédure interministérielle

La réduction du déficit n'a pas procédé d'une décision prise par le Premier ministre sur proposition du ministre de l'économie et imposée ensuite aux autres ministères, elle a relevé au contraire d'une analyse conduite dans un cadre collégial.

En effet, afin de déterminer les conditions de réalisation de l'objectif de réduction du déficit fédéral, le Premier ministre a institué un « Comité de revue des programmes ». Cette instance, présidée par le président du Conseil du Trésor, M. Marcel Massé, réunit plusieurs ministres choisis pour assurer une représentation diversifiée des provinces du Canada et des tendances du parti libéral.

. Une réflexion en deux temps

Le comité de revue des programmes s'est d'abord accordé sur les principes qui devaient commander la réduction du déficit fédéral :

- une baisse de 20 à 25 % des dépenses publiques en termes réels en quatre ans ;

- la prise en compte par le gouvernement d'hypothèses économiques prudentes et la mise en place d'une réserve pour faire face aux éventualités afin de dépasser dans la mesure du possible les objectifs annoncés et d'en renforcer ainsi la crédibilité ;

- la définition d'objectifs glissants, chaque année en fonction des résultats obtenus et de la conjoncture économique (objectif de déficit fixé à 3 % du PIB en 1997, 2 % en 1998).

Dans un deuxième temps, le comité devait concrétiser l'objectif de réduction du déficit en passant en revue les différents programmes de dépenses. Chaque ministre a dû établir un plan de réduction soumis d'abord à l'examen d'un comité de 7 sous-ministres puis du comité interministériel dans son ensemble.

Les sous-ministres (qui correspondent dans notre hiérarchie administrative à des secrétaires généraux de ministères) ont d'abord évalué chaque programme en fonction de la rationalité économique, financière et administrative des modifications proposées. Six critères ont été utilisés : l'intérêt public (le programme ou l'activité continuent-ils à servir l'intérêt public ?), le rôle du gouvernement (l'intervention du gouvernement est-elle légitime ou nécessaire dans le domaine considéré ?), le fédéralisme (un transfert au niveau provincial est-il nécessaire ?), le partenariat (une intervention du secteur privé se justifie-t-elle dans l'activité considérée ?), l'efficacité, la capacité financière enfin.

Le comité interministériel s'est ensuite prononcé sur chacun des plans de réduction à la lumière du rapport préparé par le comité administratif. Il lui est revenu notamment d'assurer l'équilibre des sacrifices consentis par les différents ministres. Cette remise à plat de l'ensemble des programmes aura débouché ainsi sur l'annonce de l'ensemble des réductions décidées, dont la mise en oeuvre s'étalera cependant sur plusieurs années.

Votre délégation a reconnu dans la méthode ainsi pratiquée un mérite décisif. L'arbitrage conduit dans un cadre collégial, responsabilise l'ensemble des ministres. Ces derniers livrés au face à face avec un ministre des finances, tendent en effet à défendre leur territoire, mais dans une procédure contradictoire, associant l'ensemble des ministères, où ils sont tour à tour juge et partie, ils ne peuvent se dérober à l'obligation de rechercher réellement des sources d'économie au sein de leur propre ministère.

b) Des résultats incontestables

* Un effort budgétaire draconien

Trois orientations essentielles se dégagent des travaux du comité interministériel : une réforme de la gestion des dépenses publiques, une réduction du format de l'Etat fédéral, une réforme des transferts aux provinces.

. Une rationalisation des dépenses publiques

Les ministères devront désormais établir des plans financiers sur trois ans. Les dépenses nouvelles supporteront une réaffectation des crédits existants. Enfin ces plans financiers seront soumis au contrôle des comités permanents de la Chambre des communes.

. La réduction des moyens de l'Etat fédéral

La baisse de 22 % des dépenses en 4 ans empruntent quatre voies différentes :

- une réduction massive des subventions à l'agriculture et aux transports (dont le ministère subit une amputation de 70 % de ses moyens) ;

- le transfert de certains programmes aux provinces désormais compétentes, par exemple, pour la gestion des aéroports ;

- la privatisation des transports ferroviaires, du secteur pétrolier et du système de navigation aérienne ;

- la réduction de 15 % du nombre de fonctionnaires , soit la suppression de 45 000 postes.

Ce dernier volet apparaît peut-être l'un des plus significatifs de l'ampleur de l'effort budgétaire. La garantie de l'emploi s'est trouvée suspendue. Toutefois les 18 000 départs qui ont déjà eu lieu ont principalement résulté de la privatisation du système de navigation aérienne (6 500 départs) et de départs à la retraite anticipée. Dans cette dernière hypothèse qui a concerné déjà près de 8 000 fonctionnaires, les conditions relativement favorables prévues par le gouvernement (intégrité des droits à la retraite pour les fonctionnaires âgés de moins de 55 ans) s'avèrent assez coûteuses pour les finances publiques (deux ans de salaire pour chaque fonctionnaire concerné).

. Une réforme des transferts aux provinces

Les transferts aux provinces représentent 22,5 % des dépenses de programme fédéral. Ils se composent à hauteur de 90 % des fonds de trois types de transferts :

- le financement des programmes établis (21,9 milliards de dollars canadiens) porte sur la santé et l'enseignement post-secondaire ; chaque province dispose d'un concours financier proportionnel au nombre d'habitants ;

- le régime d'assistance publique du Canada (8 milliards) versé sur une base forfaitaire et destiné à aider les provinces à financer l'assistance sociale et les services sociaux offerts aux ménages les moins fortunés ;

- la péréquation (8,5 milliards de dollars canadiens) garantit aux provinces les moins riches la capacité d'offrir des services publics d'une qualité comparable à ceux proposés dans les autres provinces de la fédération 19 ( * ) .

Le programme de péréquation n'est pas affecté par la réforme budgétaire. En revanche les deux autres types de transferts seront globalisés sous la forme d'un « transfert social canadien » forfaitisé. De la sorte, les collectivités seront incitées à une gestion plus rigoureuse de leurs dépenses sociales (toute extension des programmes sociaux sera financée intégralement par les provinces).

Le gouvernement fédéral escompte ainsi une baisse de 10% des transferts fédéraux aux provinces en 4 ans.

* Une opinion qui paraît résignée, mais pour combien de temps ?

L'opinion, et ce n'est pas le moindre sujet d'étonnement que suscite cette réforme fiscale, semble avoir acquiescé sans rechigner à l'effort considérable qui aurait sans doute, ailleurs, suscité les plus vifs mouvements d'opposition. Sans doute entre-t-il dans cette acceptation davantage de résignation que d'enthousiasme. La situation désastreuse des finances publiques a sans doute convaincu les Canadiens, rétifs par ailleurs à toute augmentation d'impôts, qu'il n'y avait d'autre choix que cette réduction drastique des dépenses. La méthode utilisée par le gouvernement fédéral, fondée sur une large consultation du public, a sans doute contribué à rallier les Canadiens à la politique suivie.

On ne peut exclure à l'avenir, cependant, le développement de mouvements sociaux d'envergure. 14% seulement de l'effort nécessaire à la réduction du déficit a été aujourd'hui accompli. Au total, rappelons-le, c'est 45 000 emplois publics qui doivent disparaître. Enfin si les programmes sociaux ont été pour l'essentiel préservés au niveau fédéral, les prestations sociales ont été soumises à des principes plus contraignants 20 ( * ) , le montant des frais universitaires sera relevé à la rentrée prochaine et, surtout, la réforme des transferts contraindra les provinces à revoir leur politique sociale.

2. Les provinces confrontées à la rigueur budgétaire : l'exemple québécois

L'aggravation des finances publiques, mais aussi la prise de conscience du nécessaire redressement ont enregistré un temps de retard par rapport à la fédération.

La situation des finances publiques des provinces a commencé à se dégrader à partir de 1990, le déficit budgétaire passant de 0,7 % à 3,6 % du PIB en 1993. La dette publique provinciale a connu ainsi un bond en avant : 8,1 % du PIB en 1980, 28 % en 1985.

Les plans budgétaires mis en oeuvre à compter de 1994 devraient ramener le déficit cumulé des provinces à 1,3 % du PIB en 1995-1996. Toutefois le Québec et l'Ontario n'envisagent qu'à moyen terme l'équilibre de leur budget (hors dépenses d'investissements). Or les dépenses de l'Ontario et du Québec représentent 60 % des dépenses provinciales et leur déficit, 95 % du déficit provincial. En Ontario, le gouvernement issu des élections provinciales de 1995 s'est engagé à équilibrer le budget à la fin de la décennie. Le Québec n'a entrepris cet effort que récemment, sous l'impulsion de M. Bouchard, et cette province est la seule où le déficit ait augmenté en 1994-1995 21 ( * )

Confronté à l'accroissement de la charge de la dette (qui représente au total 60 milliards de dollars canadiens, soit 40% du PIB québécois) et aussi à la réduction des transferts fédéraux, le nouveau gouvernement a annoncé la nécessité de recourir à des solutions plus radicales en matière de coupures dans les dépenses pour le prochain exercice budgétaire 1996-97. Il importe d'examiner cette politique dans une double perspective : la mise en cause du modèle social québécois, l'accession à la souveraineté.

a) L'indispensable ajustement des dépenses de santé

L'effort de rigueur conduira-t-il à remettre en cause le modèle de l' « Etat providence à la québécoise » ?

En matière sociale, la répartition des compétences entre Ottawa et la province répond au schéma suivant : le système des retraites relève de l'Etat fédéral, la santé relève des provinces même si Ottawa fixe les principes (égalité et universalité) et transfère une bonne part des ressources.

Au cours de sa visite au Québec, votre délégation a pu prendre la mesure du tour de vis imposé aux dépenses sociales et des protestations qu'il soulevait. Les oppositions se font entendre de façon originale : campagne d'affichage (« sauvons nos hôpitaux »), publicité dans la presse.

* Le « modèle » québécois

Le système de santé mis en place au Québec au cours des années 70 et 80 a longtemps été considéré comme un modèle. La loi sur les services de santé et les services sociaux, adoptée en 1971, avait notamment instauré un système de santé cohérent plaçant sous la responsabilité des 12 conseils régionaux de la santé et des services sociaux, l'ensemble des établissements de santé et, en particulier, les centres locaux de services communautaires (CLSC).

Cette dernière structure, destinée à rendre accessibles dans une « approche globale et multidisciplinaire » les services de santé et les services sociaux, devait servir de porte d'entrée unique pour l'ensemble du système.

Les centres locaux de service communautaire n'ont pas toujours joué le rôle qui leur était imparti. Il leur a fallu près de quinze années pour couvrir l'ensemble du territoire ; par ailleurs, ils n'assurent que 10% des soins médicaux effectués en ambulatoire du fait de la double concurrence exercée par les médecins libéraux et les "organismes communautaires" (équivalents de nos associations à but non lucratif et bénéficiaires de subventions publiques).

A la suite des conclusions de la commission Rochant (1988) le gouvernement provincial a souhaité renforcer le rôle des citoyens dans l'administration de la santé. Les conseils régionaux de la santé et des services sociaux ont été remplacés par de nouvelles Régies régionales de la santé et des services sociaux représentant les usagers des services de santé.

Ce nouveau cadre institutionnel est-il le mieux adapté pour mettre en oeuvre une politique de réduction des dépenses de santé ?

En effet, le souci de mieux associer les citoyens à la gestion du système de santé apparaît un pari risqué au moment même où l'impératif budgétaire et la réduction des transferts fédéraux contraignent à limiter les dépenses de santé.

* Le système de santé sous contrainte budgétaire

Les premières mesures prises par le gouvernement québécois portent d'abord sur une rationalisation des moyens hospitaliers : fermeture d'établissements, suppression sur trois ans de 17 000 postes à temps plein (dont les titulaires seront reclassés dans d'autres hôpitaux ou encouragés -pour 30 % d'entre-eux- à partir à la retraite), mise en cause de 30 000 emplois à temps partiel.

En second lieu, les prestations seront révisées à la baisse : ainsi un groupe de travail mis en place par le ministre de la santé, Jean Rochan, préconise que soit mis fin à la gratuité des médicaments pour les personnes âgées et les bénéficiaires de l'aide sociale.

Ces mesures ne constituent que les prémices d'une vaste réforme qui changera sans aucun doute le visage du système de santé québécois.

b) Les enjeux économiques de la souveraineté du Québec

Quelles interférences l'éventuelle souveraineté du Québec entraînerait-elle sur la situation économique de la Belle Province ? La question reste au coeur du débat entre partisans et adversaires de la souveraineté.

Tout dépend, en fait, du scénario retenu pour l'accession à la souveraineté. Dans le cadre du partenariat négocié avec le Canada, comme le souhaite les souverainistes, le Québec continuerait de bénéficier des traités commerciaux existants. En particulier, il resterait partie prenante à l'ALENA.

En second lieu le Québec formerait une Union monétaire avec le Canada et suivrait la politique monétaire déterminée par la Banque centrale. Enfin, le gouvernement québécois rembourserait la part de la dette fédérale qui lui revient.

* Les risques possibles de la souveraineté

Les adversaires de la souveraineté contestent cette version d'une transition économique conduite sans accrocs. Pour eux, la participation du Québec aux accords existants n'est pas garantie ; en outre les autres provinces canadiennes pourraient remettre en cause la liberté d'accès à leurs marchés (et notamment les marchés publics) à un Québec devenu souverain.

Or le commerce extérieur du Québec (y compris avec les autres provinces) représentent 100 % de son PIB. La part du lion revient aux Etats-Unis qui absorbent 80 % des exportations québécoises et fournissent 50 % des importations. L'option du libre échange s'impose donc au Québec qui se trouve dans une situation de grande dépendance à l'égard de son voisin du sud.

Les partenaires du Québec au sein de l'ALENA, au premier rang desquels les Etats-Unis, pourraient demander une renégociation de l'adhésion du Québec à l'ALENA et remettre en cause, au détriment du nouvel Etat, les concessions obtenues par le Canada : maintien du programme de soutien des prix agricoles (lait, viande porcine), subventionnement du prix de l'électricité dont bénéficient les entreprises québécoises, clause d' « exception culturelle » qui protège le secteur de l'audiovisuel.

Pour les adversaires de la souveraineté, l'Union monétaire ne pose pas moins de problème que le maintien des accords commerciaux. Ils doutent en effet qu'une union monétaire puisse résister à la défiance que la situation budgétaire dégradée du Québec ne manquera pas d'inspirer aux détenteurs de capitaux. En effet, le déficit (aujourd'hui de l'ordre de 3,4 % du PIB) pourrait dépasser 6 % du PIB sous l'effet conjugué de trois facteurs : l'augmentation à court terme de certaines dépenses liées à la souveraineté et à la hausse probable des taux d'intérêt, la remise en cause des transferts fédéraux, le remboursement d'une partie de la dette fédérale.

Sur ce dernier point, les estimations sur la part de la dette fédérale imputable au Québec varient de 17 % à 23 %, soit 88 à 113,7 milliards de dollars qui s'ajouteraient à la dette existante du Québec (74,5 milliards) et porteraient ainsi l'endettement total de 100 % à 108 % du PIB québécois. Dans ces conditions, la prime de risque attachée aux titres québécois augmenterait et alourdirait encore le service de la dette. Le Québec pourrait-il faire face à ses engagements ?

* Une marge de manoeuvre étroite

Pour conjurer ce risque, la marge de manoeuvre du gouvernement québécois resterait étroite. Il faudrait en effet renforcer la rigueur budgétaire dans une telle ampleur qu'elle apparaîtrait difficilement acceptable par la population, confrontée déjà à la stagnation de son pouvoir d'achat. Une autre option resterait possible : la création d'une devise propre au Québec et dévaluée par rapport aux dollars canadiens et américains ne permettrait-elle pas d'atténuer les conséquences du transfert de la dette ?

Quelle conclusion retenir de ces arguments contradictoires ? Incontestablement les incertitudes restent fortes et l'hypothèque financière n'est pas aujourd'hui levée. Cependant le Québec a plusieurs atouts à faire valoir : une économie diversifiée, ouverte sur l'extérieur et compétitive, et d'abondantes richesses naturelles. Enfin et, peut-être, surtout, le gouvernement de M. Bouchard a fixé à trois ans l'organisation d'un nouveau référendum. Il se donne la possibilité d'assainir la situation financière du Québec.

Un point est sûr : le redressement économique de la province, s'il se concrétise, apparaîtra un atout décisif dans le jeu des souverainistes.

III. LES MOYENS INCERTAINS DE FAIRE PRÉVALOIR UNE VOIX PROPRE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE

La scène internationale offre au Canada la possibilité de conforter une identité que la crise du fédéralisme met en cause sur le plan intérieur. A cet égard le poids des relations avec les Etats-Unis et l'influence qu'ils exercent sur le Canada peuvent apparaître à la fois comme une contrainte mais aussi comme une invitation à faire entendre une voix propre. Le Canada s'est-il toutefois donné les moyens de concrétiser l'affirmation d'une identité propre à l'extérieur de ses frontières ? L'examen de la politique étrangère et de la défense ne permet pas de donner une réponse assurée à cette question.

A. LES OBJECIFS CONTRASTÉS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE

1. Une gageure : diversifier ses partenaires

a) Les relations avec les Etats-Unis : une marge de manoeuvre étroite pour le Canada

L'importance des relations avec les Etats-Unis relève moins d'un choix délibéré que d'un fait imposé par la géographie et renforcé encore par l'intensité des échanges commerciaux. La part des exportations destinées aux Etats-Unis est ainsi passée de 56 % en 1960 à 80 % aujourd'hui.

Qu'il s'agisse de s'en démarquer ou, plus souvent, de les soutenir, les Etats-Unis restent la référence constante de la politique étrangère du Canada.

Les relations entre Washington et Ottawa ont été placées sous le signe d'une convergence presque totale sous le mandat de M. Brian Mulroney. Le retour au pouvoir des libéraux en 1993 a aussi coïncidé avec la promulgation de l'ALENA et l'apparition des contentieux liés à la mise en oeuvre de l'accord. M. Jean Chrétien a conditionné l'entrée en vigueur de l'accord à la renégociation d'un dispositif garantissant le maintien de certaines subventions et prohibant le dumping. Par ailleurs Ottawa a obtenu la reconnaissance, à son profit, d'une clause d' « exception culturelle » permettant, notamment, de soumettre à l'autorisation des pouvoirs publics toute acquisition dans le domaine de la culture.

Les débats se sont cristallisés sur la sauvegarde de l'identité culturelle canadienne . Les Américains contestent ainsi la décision d'Ottawa de taxer à hauteur de 80 % les recettes publicitaires réalisées par les éditions canadiennes des magazines étrangers (qui représentent les 4/5e des magazines vendus au Canada). En outre Ottawa s'est opposé à l'implantation d'une grande chaîne américaine de librairies au Canada. Les exemples dans ce domaine pourraient être multipliés mais les contentieux portent également sur les productions de bois d'oeuvre, l'agroalimentaire, les céréales.

Le Canada, placé sur la défensive sur ces sujets, reproche de son côté aux Etats-Unis d'interpréter les dispositions de libre-échange selon ses seuls intérêts. Ainsi le ministre du commerce extérieur, M. Arthur Egleton, a dénoncé la décision américaine prise en mars 1996 (loi Helms-Burton) de pénaliser les entreprises étrangères commerçant avec Cuba. Au retour au pouvoir des libéraux, le Canada avait repris son aide en faveur de Cuba.

Malgré ces différents contentieux, inévitables du fait de relations commerciales d'une telle densité, les liens entre le Canada et les Etats-Unis restent d'une inébranlable solidité. Ottawa peut, en particulier, se flatter de la préférence manifestée par les Etats-Unis, pour un « Canada fort et uni », même si, comme le reconnaissent les Américains, il revient aux seuls Canadiens de se prononcer sur cette question.

b) L'ouverture vers les continents asiatique et latino-américain

Le Canada, soucieux de ne pas s'enfermer dans un tête-à-tête exclusif avec les Etats-Unis, a souhaité diversifier ses partenaires.

Les liens avec l'Europe se présentaient comme un axe privilégié de cette politique de diversification.

Le Canada ne doit-il pas sa naissance au refus des loyalistes anglais de se joindre au mouvement d'indépendance des Etats-Unis ? N'a-t-il pas maintenu, au-delà du pacte entre les deux peuples fondateurs, une fidélité institutionnelle qui perdure encore aujourd'hui, à la Couronne britannique mais aussi une défense de la francophonie, consacrée par la reconnaissance officielle du bilinguisme ? L'engagement du Canada aux côtés des Alliés lors des deux conflits mondiaux porte témoignage de la force des liens entre le Canada et les deux « nations fondatrices ».

L'histoire disposait ainsi le Canada à regarder du côté de l'Europe et peut-être à servir de médiateur entre le vieux continent et les Etats-Unis.

Le rapport parlementaire sur la politique étrangère du Canada rendu public à la fin de l'année 1994 traduit cependant l'évolution des esprits. Les priorités géographiques, selon les rédacteurs du texte, se sont déplacées vers l'Asie et l'Amérique latine. L'Europe se trouve cantonnée à une place marginale et seule sa puissance commerciale reste prise en compte. Sans qu'il faille donner à ce rapport une influence excessive dans les orientations de la politique étrangère, les liens transatlantiques ont eu tendance à se relâcher.

Les relations revêtent désormais une dimension principalement économique. Elles se fondent sur un dialogue régulier entre le Canada et l'Union européenne, formalisé par la déclaration de novembre 1990 . Le Canada souhaiterait que ces consultations puissent déboucher sur un plan d'action, éventuellement assorti d'une déclaration politique, avant la fin de la présidence italienne en juin prochain. Toutefois le rapprochement des vues entre les deux côtés de l'Atlantique doit surmonter deux types d'obstacles. En premier lieu les conflits d'intérêt restent vifs, notamment dans le domaine de la pêche, comme l'a souligné en 1995 le grave différend sur la répartition des quotas de flétan noir dans l'Atlantique nord. Cependant, un accord a pu être signé qui règle la question. Le second obstacle risque d'être levé plus difficilement car il tient à une vision différente que le Canada et l'Europe portent sur la nature de leurs échanges : le premier entend promouvoir une « zone transatlantique de libre-échange » (« ZTLE » ou proposition Chrétien/Mc Laren) tandis que la seconde souhaite préserver les principes des politiques communautaires, notamment dans le domaine agricole.

Le Canada se tournerait-il aujourd'hui plus volontiers vers l'Amérique latine et l'Asie ? L'intérêt commercial du Canada semble commander ces nouvelles priorités géographiques. Mais ces orientations ne répondent pas aux seules considérations commerciales ; le Canada ne peut se désintéresser du continent asiatique qui assure 60 % de l'immigration canadienne (contre 10 % à l'Europe).

Ces priorités se sont concrétisées en Asie par la participation du Canada à la Coopération économique en Asie-Pacifique (APEC). Vancouver accueillera en 1997 le sommet de cette organisation. Le Canada souhaite en effet renforcer une intégration avec les économies asiatiques dont le dynamisme a eu un effet d'entraînement sur la façade pacifique.

Par ailleurs Ottawa aspire à développer sa présence en Amérique latine où -à l'exception des Caraïbes- il était resté en retrait par rapport aux États-Unis. Le Canada a ainsi adhéré à l' Organisation des Etats américains (OEA) en 1990. Après la percée canadienne sur le marché mexicain à la suite de la conclusion de l'ALENA, Ottawa défend un élargissement rapide de l'accord à d'autres pays d'Amérique Latine. Les réticences américaines ont conduit cependant le Canada à engager en 1996 des négociations avec le Chili afin d'aboutir à un accord bilatéral de libre-échange. Ottawa pose ainsi un premier jalon dans un processus de rapprochement avec le marché commun de l'Amérique du Sud (Mercosur, fondé en 1991 par l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay).

2. Une diplomatie de plus en plus soucieuse des intérêts commerciaux

La diversification des partenaires n'était pas la seule façon pour le Canada d'échapper à l'emprise du grand voisin du sud. Ottawa a cherché en effet à promouvoir une diplomatie centrée sur la promotion du multilatéralisme. Cependant cette orientation qui se démarque indéniablement des positions des Etats-Unis, s'efface parfois devant une politique étrangère axée sur la défense des intérêts économiques du Canada.

a) Le multilatéralisme

Il était normal que le Canada, traditionnellement très critique à l'encontre des méthodes unilatérales du voisin américain, défendît les principes de la concertation et de la coopération. Il peut s'appuyer sur un vaste réseau d'organisations dont il est membre : OTAN, Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), Groupe des sept pays les plus avancés (G7), Commonwealth, francophonie, organisation des Etats américains (OEA).

C'est toutefois dans le cadre des Nations Unies que le Canada s'est montré le plus actif : il figure au 8e rang des contributeurs de troupes aux opérations de maintien de la paix avec près de 3 000 hommes répartis sur 7 théâtres différents. En Haïti, le Canada a assuré la relève des Etats-Unis en prenant le commandement de la composante militaire de la force des Nations Unies à laquelle il contribue par la présence de 750 militaires. Ottawa apporte également à ce pays une assistance économique de l'ordre de 40 millions de dollars canadiens par an.

Ottawa s'acquitte scrupuleusement de sa contribution au budget de l'ONU (estimée à 3,1 % du total). Le Canada participe en outre à la réflexion sur la réforme de l'organisation : au printemps 1994 il proposait que soit donnée une meilleure formation aux « Casques bleus ». Le comité mixte sur la politique étrangère préconisait par ailleurs, dans le cadre de son rapport de 1994, une réforme de l'ONU fondée notamment sur l'élargissement des sièges permanents du Conseil de sécurité à l'Asie, l'Amérique latine et l'Afrique, la limitation du droit de veto, l'exclusion des mauvais payeurs et la création d'une force multinationale permanente.

Le Canada défend également au sein des instances internationales les intérêts du tiers-monde. L'aide qu'il consacre aux pays en développement représente 0,40 % du PIB en 1993 ; la gestion de cette aide par diverses associations installées in situ contribue à en démultiplier les effets. La moitié du soutien canadien est attribuée à l'Afrique.

L'affirmation d'une politique généreuse se heurte cependant aux impératifs budgétaires qui contraignent à réviser à la baisse certaines des orientations de la diplomatie canadienne. Ainsi l'aide au développement de l'ordre de 0,50 % du PIB en 1985 n'a cessé de se réduire depuis dix ans. Par ailleurs, s'agissant des opérations de maintien de la paix, Ottawa souhaite, compte tenu des difficultés budgétaires, concentrer ses efforts sur un nombre de théâtres plus limité.

La contrainte économique ne se manifeste pas seulement par la contraction des dépenses publiques mais aussi, dans un environnement international de plus en plus concurrentiel, par la recherche de nouveaux débouchés pour les productions canadiennes.

Aussi la politique étrangère tend-elle de plus en plus à privilégier la défense des intérêts économiques nationaux.

b) La priorité donnée au développement du commerce extérieur

L'examen des priorités géographiques du Canada a souligné la part prise par les motivations économiques dans la détermination de la politique extérieure.

La priorité accordée au commerce extérieur se manifeste cependant de la façon la plus spectaculaire à travers les déplacements de l' « équipe Canada » associant le Premier ministre fédéral, M. Jean Chrétien, les premiers ministères provinciaux et les hommes d'affaires. Destinée à procurer des contrats aux entreprises canadiennes, l' « équipe Canada » s'est rendue en Amérique latine et, à deux reprises, en Asie, en novembre 1994 (avec une étape importante en Chine) et en janvier 1996 (Inde, Pakistan, Indonésie, Malaisie). Ces périples ont-ils porté leurs fruits ?

Alors que les échanges commerciaux du Canada avec l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie et la Malaisie s'élevaient au total à 3,5 milliards de dollars canadiens en 1994, les organisateurs escomptaient obtenir la signature de contrats pour une valeur de 2 milliards de dollars canadiens. Les résultats ont passé les espérances puisque les contrats pourraient dépasser 9 milliards si l'on ajoute aux contrats commerciaux (2,862 milliards) les lettres d'intention (6,276 milliards).

La politique étrangère du Canada paraît ainsi de plus en plus commandée par l'objectif d'ouvrir de nouveaux marchés aux entreprises nationales quitte, comme l'a parfois regretté la presse à propos des déplacements de « l'équipe Canada », à « faire passer les problèmes des droits de l'homme au second plan des préoccupations ».

Le nouveau ministère des affaires étrangères, M. Lloyd Axworthy, souhaite redonner toute sa place à la défense des droits de l'homme et aux thèmes traditionnels d'une diplomatie soucieuse de favoriser le multilatéralisme. Mais la priorité accordée à l'assainissement des finances publiques lui fixe des marges de manoeuvre très réduites. Sans doute la diplomatie commerciale a-t-elle encore de beaux jours devant elle.

B. LE RÉEXAMEN DE LA POLITIQUE DE DÉFENSE

La fin de l'ordre bipolaire a conduit le gouvernement canadien à entreprendre une réflexion sur sa politique de défense. Le livre blanc rendu public en 1994 ne remet pas en cause les trois grands objectifs traditionnels :

- la protection de la souveraineté et la prise en charge de certaines missions civiles (lutte contre le trafic des stupéfiants...) ;

- la participation à une défense collective, dans un cadre bilatéral -avec les Etats-Unis, pour assurer la sécurité du continent nord-américain-, ainsi que dans un cadre multilatéral, l'OTAN ;

- enfin, le soutien aux opérations de maintien de la paix principalement conduites sous l'égide des Nations Unies.

Toutefois le Livre blanc, inspiré également par l'effort de rigueur budgétaire, préconise une réduction des effectifs et des équipements.

Comment cette contraction des moyens n'aurait-elle pas pesé sur l'exercice par l'armée canadienne de ses missions traditionnelles ?

1. L'instrument de défense placé sous contrainte budgétaire

Les effets des restrictions budgétaires doivent être appréciés au regard d'une donnée fondamentale de la défense canadienne : l'alliance avec les Etats-Unis. La défense du territoire canadien intéresse en effet au premier chef la sécurité américaine ; aussi l' accord NORAD (North American Aerospace Defense) garantit-il une défense aérospatiale commune dont le coût est couvert à 90 % par Washington.

Cet accord, signé en 1959, a été renouvelé en mars 1996 pour cinq ans dans une version rénovée qui prend mieux en compte la défense antimissiles et la protection de l'environnement arctique.

Dès lors le Canada peut compter, malgré la contraction de son outil de défense, sur un soutien garanti des Etats-Unis au risque, bien sûr, de dépendre plus étroitement encore des décisions prises à Washington.

a) Les bases de l'organisation et du fonctionnement de l'armée canadienne restent préservées

* L'organisation

Le gouverneur général du Canada assure en principe le commandement en chef des forces canadiennes, même si, de facto, cette responsabilité incombe au Cabinet fédéral.

Le ministre de la défense, poste occupé aujourd'hui par un francophone, M. Collenette, dirige les forces armées, assisté par un sous-ministre, principal conseiller civil, et un chef d'état-major de la défense, le général Boyle.

Les forces armées s'ordonnent autour de trois commandements : forces terrestres (réparties entre quatre secteurs géographiques : Ouest, Centre, Québec, Atlantique), forces maritimes, forces aériennes. Les trois quartiers généraux (Saint-Hubert pour l'armée de terre, Halifax pour la Marine, Winnipeg pour l'armée de l'air) sont en cours de regroupement au quartier général de la défense nationale à Ottawa.

L'organisation de la défense tient compte des particularités liées au bilinguisme . Il existe ainsi quatre types d'unités entre lesquelles les francophones se répartissent selon les proportions suivantes : 39 % d'entre eux sont affectés dans des unités de langue française, 18 % dans des unités de langue anglaise, 40 % dans des unités bilingues et 3 % dans des unités de langue non désignées. Si la répartition entre francophones et anglophones au sein des forces armées (respectivement 28 % et 72 % des effectifs) paraît équitable, des progrès restent à accomplir pour assurer une meilleure représentation des francophones aux grades de lieutenant-colonel et de colonel (respectivement 19 % et 16 % de francophones en 1994). La part des francophones devrait être portée, au terme des objectifs affichés par le gouvernement fédéral, à hauteur de 27 % dans tous les grades et spécialités.

* Les hommes et les moyens

Les effectifs sont aujourd'hui de l'ordre de 70 000 personnels d'active, dont 12 000 pour la Marine, 28 000 pour l'armée de l'air, 30 000 pour l'armée de terre. Les personnels civils sont quant à eux, au nombre de 30 000.

Dans le cadre du concept de « Forces totales », la Défense fait appel à des réservistes pour constituer des groupements mixtes avec des personnels d'active. Ainsi les effectifs d'un groupe brigade comprennent en principe 45 % de réservistes (mais cette proportion peut aller jusqu'à 90 % dans certains cas).

La réserve se compose de volontaires et comprend 4 catégories (la première réserve -terre, mer, air, communication- la réserve supplémentaire, le cadre des instructeurs, les rangers).

Le concept de « forces totales» prend naturellement une importance accrue à l'heure où se réduisent les forces d'active.

Quant aux équipements, ils se composent d'une centaine de chars de combat Léopard et de plus de 800 véhicules blindés légers pour l'armée de terre, de 4 destroyers lance-missiles, 15 frégates et 3 sous-marins pour la marine, de 120 aéronefs de combat et d'environ 45 avions de transport de soutien pour l'armée de l'air.

b) La contraction des crédits

Le budget de la défense pour l'exercice 1995-1996 s'élève à 11,08 milliards de dollars canadiens (soit 40 milliards de francs). 67 % des crédits sont affectés aux dépenses de fonctionnement. La baisse des crédits (- 4 % par rapport à l'exercice précédent) s'inscrit dans un mouvement entamé depuis plusieurs années.

L'effort passe par la rationalisation des infrastructures (fermeture de 2 bases et de plusieurs établissements) mais aussi et surtout par la réduction des effectifs . En effet, un plan étalé sur cinq ans (de 1994 à 1999) prévoit une baisse de 20 % des personnels d'active et de 38 % du personnel civil. Par ailleurs, pour la première fois, le budget 1995-1996 envisage une contraction du nombre des réservistes de 29 400 en 1994 à 23 000 en 1999 (voire 14 500 si les conclusions d'une commission spéciale sur la restructuration de la réserve des forces canadiennes, rendue publique en octobre 1995, se concrétisent).

Les réductions budgétaires ne devraient pas en principe affecter les principaux programmes des forces d'équipement. Mais le budget d'équipement apparaît déjà limité en comparaison du budget de fonctionnement, alors même que de nombreux matériels arrivent aujourd'hui en fin de vie.

Dans ce contexte budgétaire difficile il était inévitable que les missions de l'armée canadienne fussent revues à la baisse.

2. Un désengagement militaire canadien de l'Europe

a) Une position favorable à la rénovation de l'Alliance Atlantique

Le Canada a appuyé le processus d'adaptation de l'Alliance atlantique au nouveau contexte de sécurité issu de l'effondrement de l'Union soviétique : « nouveau concept stratégique » adopté lors du Sommet de Bruxelles en janvier 1994, définition des nouvelles missions, en particulier pour le maintien de la paix. Le Canada se montre également favorable à l'émergence d'une identité européenne de défense.

La position du Canada à l'égard de l'élargissement de l'OTAN aux pays d'Europe centrale et orientale n'est pas sans incidence sur la politique intérieure, compte tenu de la présence au Canada de fortes minorités d'origine est-européenne. Toutefois le gouvernement fédéral affiche sur cette question une grande prudence et, soucieux de ménager Moscou, prône le renforcement du « Partenariat pour la paix ».

b) La remise en cause de la présence militaire canadienne sur le Vieux continent

La participation du Canada au débat actuel sur le rôle et les moyens de l'OTAN contraste avec la réduction progressive de la présence militaire canadienne en Europe.

En 1994 le Canada procédait au retrait de ses forces stationnées en Allemagne. Par la suite, il rapatriait un groupe bataillon affecté à la force mobile en Norvège. Parallèlement il décidait de réduire de 25 % sa contribution au budget d'infrastructure de l'Alliance et de réaffecter ces fonds à son programme d'aide militaire bilatérale aux pays d'Europe centrale et orientale.

La Bosnie reste aujourd'hui le dernier point d'ancrage de la présence militaire canadienne en Europe . Premier contributeur non européen à la Forpronu (2 000 Casques bleus déployés en Bosnie et Croatie), le Canada a payé un lourd tribut (le plus lourd pour son armée depuis la guerre de Corée) à l'effort d'interposition dans l'ancienne Yougoslavie. Après les accords de paix de Dayton, il a maintenu un contingent réduit de moitié (1 000 hommes) placé sous commandement britannique. Toutefois il a lié son départ à celui des Américains, prévu à la fin de cette année, même si les autorités canadiennes reconnaissent avec regret la fragilité du processus de paix et les risques d'un retrait prématuré.

Quand ce départ se concrétisera, le Canada pour la première fois depuis la dernière guerre mondiale, sera militairement absent de l'Europe.

Le Canada entend désormais mettre l'accent sur les opérations de maintien de la paix mais, dans le même temps, la réduction drastique des effectifs -que ne compense que partiellement le désengagement européen- rend bien incertaine la mise en oeuvre de cette orientation.

En vérité, les responsables canadiens doivent composer avec une opinion sensible, comme aux États-Unis, aux thèmes de l'isolationnisme et du pacifisme.

Dans ce contexte où se conjuguent l'indifférence publique et l'austérité budgétaire, le moral des armées apparaît ébranlé. Les récentes révélations relatives aux exactions commises par des éléments isolés du contingent canadien en Somalie, la polémique quasi quotidienne qu'elles nourrissent sur le rôle des forces armées, ne favorisent certes pas l'instauration, pourtant nécessaire, d'un débat public sur l'esprit de défense et les moyens de le concrétiser.

IV. LES RELATIONS FRANCO-CANADIENNES : UN EXERCICE D'ÉQUILIBRE

Les relations franco-canadiennes constituent un exercice diplomatique difficile. Comment ne pas s'efforcer de perpétuer des liens privilégiés avec le Québec, ce foyer ardent de la francophonie, le seul sur le continent nord-américain. Comment, par ailleurs, ne pas se sentir proche du Canada, notre allié aujourd'hui au sein de l'Alliance atlantique, qui s'est toujours trouvé à nos côtés dans les grandes épreuves du siècle et avec lequel nous partageons le même fonds de valeur et, au premier chef, l'idéal démocratique ?

Concilier ces deux attachements forts reste une gageure. Peut-on en effet assurer la pérennité des liens historiques avec le Québec sans passer par les canaux diplomatiques traditionnels que, seules, autorisent les relations entre Etats souverains ? Le général de Gaulle avait, à sa façon, dans des propos restés fameux, apporté une réponse à cette question difficile.

Toutefois, des deux côtés de l'Atlantique, les esprits ont évolué : Ottawa a reconnu la faculté pour la France et le Québec d'entretenir, selon la formule consacrée, des liens « directs et privilégiés ». Paris a compris par ailleurs que ce statut particulier dépendait de la qualité des relations franco-canadiennes. L'équilibre n'a pas été trouvé d'un coup. Il se décline aujourd'hui, selon le principe adopté par la diplomatie française de « non ingérence, non indifférence ». La « non ingérence » dans les affaires canadiennes permettant précisément la « non indifférence » à l'égard du Québec et garantissant ainsi la pérennité du lien historique et culturel entre les deux rives de l'Atlantique.

L'équilibre de cette relation n'est pas figé dans le marbre des traités, il s'inscrit dans une dynamique où les trois partenaires se trouvent engagés : la dégradation des relations entre deux des trois pôles pourrait compromettre l'ensemble du lien triangulaire. Ainsi, dans un contexte où les relations entre Québec et Ottawa sont l'objet d'une remise en cause, la règle de la « non influence, non indifférence » n'a en rien perdu de son actualité.

A. DES RELATIONS FRANCO-CANADIENNES APPELÉES À SE RENFORCER

1. De nombreuses convergences

a) Les contentieux

Les contentieux entre la France et le Canada restent limités. La plupart d'entre eux apparaissent d'ailleurs réglés ou en voie de règlement.

Naturellement, les divergences entre le Canada et l'Union européenne, compte tenu du rôle joué par la France au sein des institutions communautaires, ne sont pas sans conséquence sur les relations bilatérales. La France a manifesté sa solidarité avec ses partenaires européens au moment du conflit sur la pêche. De même, la vision du libre-échange défendue par le Canada (impliquant un démantèlement des subventions européennes à l'agriculture) heurte l'idée que la France se fait des objectifs de la construction européenne. Toutefois, notre pays oeuvre au sein de l'Union pour l'approfondissement du dialogue entre l'Europe et le Canada et la mise en place d'un plan d'action en juin prochain.

Sur le plan bilatéral, les deux facteurs de divergence qui avaient pu nous opposer récemment, ont disparu.

Le Canada avait ainsi voté en faveur de la résolution sur les essais nucléaires adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies l'an passé. L'arrêt des essais, la volonté française de signer le traité d'interdiction totale des essais nucléaires (CTBT) ont toutefois restauré la convergence de vues dans ce domaine.

L'activité des pêcheurs de St Pierre-et-Miquelon avait entretenu dans le passé un contentieux récurrent sur le partage des zones de pêche. Un accord signé le 2 décembre 1994 entre la France et le Canada a permis d'instaurer une gestion concertée des ressources halieutiques exploitées par l'archipel et les provinces maritimes du Canada. Cependant, le moratoire sur la pêche à la morue impose à St. Pierre-et-Miquelon une reconversion sans doute plus difficile qu'aux deux provinces maritimes du Nouveau Brunswick et de la Nouvelle Ecosse dont l'économie se prête davantage aux nécessités de la diversification 22 ( * ) .

Le projet d'Ottawa de bannir le fromage au lait cru -dont la France reste le principal fournisseur- d'ici le mois de juin apporterait, s'il devait se concrétiser, apporterait une certaine contrariété dans nos relations commerciales. Sous couvert de considérations sanitaires, il s'agit, sans doute, de favoriser les produits pasteurisés locaux. Le Québec, producteur et consommateur de fromage au lait cru, a d'ailleurs protesté contre une mesure perçue comme une atteinte à la spécificité de la Belle Province.

b) Une sensibilité commune sur de nombreux thèmes

Les diplomaties française et canadienne, soucieuses de développer la concertation dans le cadre de la coopération multilatérale, partagent une vision commune sur trois thèmes particuliers : l'aide au développement, le rôle des Nations Unies, la protection de l'identité culturelle.

Le Canada s'accorde avec la France pour faire de l'aide au développement un thème majeur du prochain G7 à Lyon en juin. Par ailleurs, il convient de le rappeler, le Canada continue, à l'instar de la France, de donner une place particulière à l'Afrique à laquelle il destine la moitié de ses concours.

En outre, Ottawa et Paris se montrent très attachés à promouvoir le rôle des Nations Unies , notamment dans le cadre des opérations de maintien de la paix. Nos deux pays entretiennent une étroite concertation en Haïti où le Canada souhaite que nous assurions à ses côtés, dans le cadre de la Force des Nations Unies, la formation de la police.

La France et le Canada demeurent enfin attachés à la défense de l'identité culturelle . Le Canada a rejoint la France sur la nécessité de faire droit à l' « exception culturelle » dans les accords du GATT lors du dernier volet des négociations. En février 1995, la réunion ministérielle du Groupe des Sept a confirmé la proximité des vues sur la nécessité de garantir l'identité culturelle dans le cadre de la société de l'information.

Le creuset de cette approche commune tient en partie à la francophonie dont le Canada se veut, comme la France, un ardent promoteur. La contribution financière du Canada au mouvement reste au deuxième rang dans l'ordre d'importance. La participation canadienne à la francophonie ne se justifie pas du seul fait du Québec mais aussi de la présence d'importantes communautés francophones dans les autres provinces de la Fédération. Le Canada a joué un rôle positif dans l'élaboration du compromis consacré par le Sommet de Cotonou sur le renforcement politique de la francophonie et l'institution, dans cette perspective, d'un secrétaire général à la francophonie.

2. Une relation économique encore insuffisante

a) Les échanges commerciaux : une mise en cause durable de l'excédent français ?

Inscrits dans une logique d'intégration différente -l'Union européenne pour la France, l'ALENA pour le Canada- nos deux pays commercent peu.

Si les flux ont certes augmenté en 1994 et en 1995 (+ 19 % et + 10,2 %), le Canada ne reçoit que 0,7 % de nos exportations (9,4 milliards de francs) et ne fournit que 0,8 % de nos importations (10,5 milliards de francs) ; il figure ainsi au 22e rang de nos clients et au 20e rang de nos fournisseurs.

Le solde de nos échanges structurellement excédentaires depuis 15 ans, s'est dégradé au cours des dernières années (3,7 milliards de francs en 1992, 1,8 milliard en 1993, 168 millions de francs en 1994) pour devenir déficitaire en 1995 (- 1,1 milliard de francs) 23 ( * ) .

Il entre dans cette évolution des faits purement conjoncturels mais aussi des éléments qui traduisent les mutations du commerce canadien. Relève de la conjoncture , la hausse, depuis 1994, des achats des produits intermédiaires qui représentent 42 % de nos importations. Les importations de métaux ont ainsi été multipliées par 3,5 en 1995 (1,7 milliard de francs contre 0,5 milliard de francs en 1994). La faiblesse du dollar canadien en effet a conduit les industriels français à se fournir au Canada.

Les ventes canadiennes d'équipements professionnels à la France ont également beaucoup progressé (+ 19,1 % en 1995). Elles manifestent cette tendance structurelle de l'économie canadienne à produire des biens de plus en plus élaborés. Sur deux ans, la fourniture par Bombardier des voitures de la liaison Transmanche a représenté près de 2 milliards de francs d'importations. Surtout l'aéronautique figure désormais au premier rang des produits d'importations (15,2 % du total en 1994, soit 1,35 milliard de francs) : les achats de Canadair, de Régional jet ou de moteurs d'avion de la gamme ATR ont plus que doublé entre 1988 et 1994.

Il existe de ce point de vue une singulière symétrie entre importations et exportations françaises vers le Canada. Nos ventes de biens d'équipement professionnel ont également progressé en 1993 (+ 19 %). Elles représentent 40 % de nos exportations et restent dominées par l'aéronautique qui constitue à elle seule 20 % de nos ventes totales au Canada. A cet égard, nos ventes ont été dopées par la livraison de trois Airbus.

Les échanges se spécialisent ainsi de plus en plus sur les produits industriels (87 % contre 82 % en 1994) au détriment du poste agro-alimentaire (12 % contre 16 % en 1994).

Dans le même temps, la part prise par l'aéronautique dans nos échanges risque d'en soumettre le solde à une volatilité inhérente à la signature des grands contrats.

b) Le dynamisme des investissements réciproques, renforcé encore par la coopération industrielle

* Les investissements français au Canada

Si le solde net des investissements français apparaît en retrait par rapport aux années antérieures (990 millions de francs contre 5,4 milliards de francs en 1989, 2,2 milliards en 1990, 3 milliards en 1991- le chiffre de 1993, 14 millions de francs, étant atypique car résultant de la vente par Total de sa filiale au Canada), la France demeure au 5e rang des investisseurs étrangers au Canada (avec 3 % du stock depuis 1991 -soit 4,5 milliards de dollars canadiens- derrière les Etats-Unis -65 %-, le Royaume-Uni -13 %-, le Japon -4 %-, l'Allemagne -3,5 %-).

Les groupes français s'installent de préférence au Québec (2/3 des 350 entreprises sont établis dans la Belle Province). Mais certains d'entre eux ont développé leur action à l'échelle du Canada :

- achat des Laboratoires Connaught par Pasteur-Mérieux qui représente désormais 70 % du marché canadien du vaccin 24 ( * ) ;

- position dominante de Danone sur le marché canadien des laitages et des eaux minérales ;

- nouvel investissement de la Cogema destiné à consolider sa position de premier opérateur étranger dans le domaine de l'uranium ;

- première implantation industrielle de GEC Alsthom en Amérique du Nord dans le secteur ferroviaire grâce au rachat en février 1996 des ateliers de réparations ferroviaires du Canadien National.

* Les investissements canadiens en France

Les investissements canadiens en France ont pour leur part été multipliés par 10 au cours des 10 dernières années et atteignent aujourd'hui 1,9 milliard de dollars canadiens.

La France accueille 1,6 % des investissements canadiens en Europe (derrière la Grande-Bretagne -10 %-, l'Irlande -2,2 %-, l'Allemagne -2,3 %- et la Belgique -2,2 %-). Au plan mondial la France cependant recule du 8e au 13e rang en raison de l'essor des relations du Canada avec certains pays émergents.

La présence canadienne en France (dominée d'ailleurs par les Québécois qui comptent 70 entreprises sur 120) reflètent les points forts de l'économie canadienne : l'aluminium et la métallurgie (Alcan, Alloys, Néoindustries, Canam Manac), les machines outils et le matériel de transport (Speedy, Varity Corp, Lawson-Mardon ...), les télécommunications (Northern Telecom) ...

* Les marchés canadiens

La coopération industrielle entre les groupes français et canadiens devrait imprimer un nouvel élan aux échanges entre nos deux pays. Un exemple remarquable de coopération a retenu l'attention de votre commission au cours de son déplacement. Il aurait vocation à s'illustrer pour la réalisation d'un marché que la conjoncture économique ne permet malheureusement pas de situer dans un horizon rapproché.

Il s'agit du projet de liaison ferroviaire à grande vitesse Québec-Ontario pour lequel le TGV français, par l'intermédiaire de GEC-Alsthom associé à Bombardier, paraît naturellement bien placé. Une étude officielle a en effet confirmé la supériorité de la technologie française mais recommande de réexaminer le dossier dans 3 ou 5 ans. Les contraintes budgétaires interdisent en effet pour l'instant, surtout dans le domaine des transports, un engagement d'importance du Gouvernement fédéral. Une prise de participation significative du secteur privé permettrait peut-être de lever cet obstacle. La formule, moins coûteuse, d'un TGV « pendulaire » constituerait sans doute une alternative réaliste.

De manière plus assurée, un marché public, à court terme, pourrait retenir l'attention des industriels français : l'appel d'offres du Gouvernement canadien pour la fourniture de 15 hélicoptères de recherche et de sauvetage pour un montant de 2,2 milliards de francs. Une commande d'une trentaine d'hélicoptères navalisés pourrait suivre.

Certains experts ont préconisé pour des raisons de maintenance et d'économie d'échelle, le choix d'un seul fournisseur. L'enjeu est donc d'importance pour le consortium franco-allemand Eurocopter qui a fait une proposition pour la première mission, pour laquelle il s'estime bien placé par rapport aux offres concurrentes de l'américain Sikorsky et du consortium italo-britannique Agusta/Westland.

L'association de groupes franco-canadiens offre la meilleure opportunité de tirer parti des marchés à venir dont il ne faut cependant pas surestimer l'importance compte tenu de l'austérité budgétaire.

Des perspectives prometteuses pourraient de façon plus générale se présenter pour les secteurs de pointe telles que les biotechnologies, les activités spatiales et peut-être surtout, les industries de communication où le souci commun de promouvoir l'identité culturelle devrait servir d'aiguillon.

B. LA FRANCE ET LE QUÉBEC : LE SOUCI DE FÉCONDER UN HÉRITAGE COMMUN

1. L'institution d'une relation directe et privilégiée

La mise en place d'une relation directe et privilégiée impliquait que fût reconnue au Québec une certaine capacité pour intervenir dans le domaine des relations internationales.

a) Le statut du Québec dans les relations internationales

Les hauts fonctionnaires du ministère des relations extérieures québécoises ont retracé pour votre délégation les différentes étapes qui ont conduit le Québec à intervenir dans le domaine des relations internationales. Le processus n'a pas été sans difficulté et a dû lever les préventions de la fédération, gardien de l'unité nationale du Canada. Le soutien de la France, comme nous l'ont indiqué nos interlocuteurs, a été décisif pour permettre au Québec d'agir sur la scène internationale.

La démarche québécoise s'inscrit aujourd'hui dans un mouvement plus général, qui affecte l'ensemble des relations internationales : l'apparition, hors du seul cercle des Etats souverains, de nouveaux acteurs. Le Québec considère aujourd'hui la politique internationale comme un instrument au service de son développement économique, social et culturel.

La Belle-Province a développé ainsi un réseau de délégations générales à l'étranger pour représenter ses intérêts.

Cependant les contraintes budgétaires ont conduit le Québec à revoir à la baisse son dispositif international.

b) Le cadre de la relation franco-québécoise

C'est à la faveur des liens noués avec la France au cours des trois décennies que le Québec a pu se doter du statut d'acteur sur la scène internationale

Une première entente franco-québécoise en 1965 a institué une « commission permanente ». En 1977, M. René Lévesque, Premier ministre du Québec inaugurait le principe de rencontres alternées entre les Premiers ministres québécois et français.

La participation du Québec aux instances internationales de la francophonie demeurait cependant problématique. La position de M. Brian Mulroney, Premier ministre fédéral en 1984, pour lequel « tout ce qui est bon pour le Québec est bon pour le Canada » a permis de lever les obstacles à la représentation du Québec au sein du sommet de la francophonie. Un compromis établi en 1985 par M. Lucien Bouchard, alors ambassadeur à Paris, a permis la participation du Québec (et du Nouveau-Brunswick) au titre de « gouvernement participant ».

De son côté la France est représentée au Québec par deux consulats généraux , le premier à Québec, chargé plus particulièrement des relations politiques entre la France et le Québec, le second à Montréal. Le service culturel, scientifique et de coopération rattaché au consulat général à Québec se répartit entre les deux pôles Québec et Montréal.

En outre l'office franco-québécois pour la jeunesse , qui, relève du ministère de la jeunesse et des sports pour la partie française et du ministère des affaires internationales pour la partie québécoise, favorise les échanges (70 000 en 25 ans) entre étudiants. Les programmes portent de plus en plus sur les problèmes d'emploi et de formation professionnelle.

Mais les relations entre la France et la Belle-Province débordent le cadre gouvernemental.

Ainsi les associations Québec-France (au Québec) et France-Québec (en France) regroupent plusieurs milliers d'adhérents des deux côtés de l'Atlantique.

Par ailleurs on ne saurait oublier les pactes d'amitié ou de jumelage qui unissent nos collectivités locales. Québec est ainsi jumelée à la ville de Bordeaux depuis 1965. La région Rhône-Alpes compte pour sa part parmi les plus actives dans la Belle-Province où elle est représentée, à Montréal, par une délégation économique.

2. Une coopération dominée par la dimension culturelle mais dont le volet économique pourrait se développer

a) Une coopération culturelle dynamique

La francophonie, préoccupation majeure de nos deux gouvernements, reste le ressort principal de leur coopération. L'approche n'est pas seulement défensive, elle s'inscrit dans un projet dynamique où la maîtrise des moyens de communication , mais aussi le rayonnement scientifique et technique , comptent désormais au rang des priorités.

Les nouveaux champs de la coopération se nourrissent, certes, au creuset de la francophonie, mais dépassent désormais le seul fait linguistique.

Ainsi les volets scientifique et technique représentent désormais 65 % de l'enveloppe budgétaire dévolue à notre coopération avec le Québec. Dans ces domaines, les relations entre les universités françaises et le réseau des six universités du Québec, dont les grandes universités privées (Université Laval, Université de Montréal, Mc Gill, Concordia, Université de Sherbrooke), permettent des échanges d'enseignants-chercheurs et des recherches conduites dans le cadre de près de 200 accords.

De plus, la maîtrise des moyens de communication a connu une première réalisation avec la mise en place de la télévision francophone internationale TV5 . Par ailleurs Français et Québécois entendent désormais placer les autoroutes de l'information au premier rang des priorités de leur coopération. Plusieurs partenariats industriels ont pu être noués dans ce domaine. L'accent porte en particulier sur la francisation du réseau Internet 25 ( * ) .

b) Une relation économique prometteuse

Les relations commerciales entre la France et le Québec représentent de 40 à 60 % des échanges entre la France et le Canada. Elles se soldent régulièrement par un excédent au profit de notre pays. Ces échanges portent de plus en plus sur des biens à valeur ajoutée.

Si une très large majorité de nos entreprises choisissent de s'installer au Québec, la Belle-Province ne représente guère que 5 % de la valeur des flux d'investissement. En effet, le Québec attire principalement des petites et moyennes entreprises bien adaptées au tissu industriel local.

Toutefois quelques grands projets ont pu voir le jour à la faveur, en particulier, de partenariats noués avec de grands groupes québécois. Ainsi, à la suite de l'accord signé avec Noverco, Gaz de France qui s'engage à investir 100 millions de francs dans ce groupe québécois, est devenu le principal opérateur du gaz domestique au Québec.

Au titre de la coopération industrielle, il convient également de mentionner les accords signés en 1988 pour une durée de 16 ans, entre Aérospatiale et Bombardier aux termes desquels le groupe canadien assure une part importante de la sous-traitance des programmes d'Airbus (conception, développement et fabrication de composantes de fuselage et d'ailes).

Les investissements québécois en France se sont développés au cours des dernières années : dans le secteur ferroviaire avec le rachat en 1989 par Bombardier, des Ateliers du Nord de la France (ANF), le deuxième constructeur français dans ce domaine. Québécor est devenu le premier imprimeur français à la suite, notamment, des rachats des industries Jean Didier (1995) et Jacques Logos (1996).

Les relations franco-canadiennes et franco-québécoises ont connu, à l'initiative de Paris, un nouvel élan au cours des derniers mois. Pour la première fois depuis sa création, la Commission permanente franco-québécoise s'ouvrait le 20 février 1996 sous la présidence conjointe du ministre français des Affaires étrangères, M. Hervé de Charette, et du ministre québécois des relations internationales, M. Sylvain Simard. En outre, le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur, M. Galland, s'est rendu au Canada en mars dernier. Enfin, reprenant le principe de rencontres alternées des Chefs de gouvernement français et québécois, M. Alain Juppé séjournera en juin au Canada où il rencontrera successivement les responsables de la Fédération et de la Belle Province.

CONCLUSIONS DE VOTRE DÉLÉGATION

L'avenir de l'identité canadienne

Au cours de son séjour, votre délégation a rencontré des Canadiens anglophones et francophones passionnément attachés à leur pays et à l'expression d'une identité canadienne. Le creuset historique de cette identité, l'écrivain John Saul l'explicitait dans ces termes : « Le Canada est né d'un désir de ne pas être américain, du rejet des révolutions française et américaine 26 ( * ) ».

Le pacte entre les deux nations fondatrices a donné à la spécificité canadienne sa forme constitutionnelle. Le modèle canadien s'est ensuite affirmé à travers, d'une part, la mise en place d'un capitalisme fondé sur une étroite coopération entre intérêts privés et pouvoirs publics et, d'autre part, l'institution d'un régime de sécurité sociale dont les principes d'universalité et de gratuité, familiers certes aux Européens, restent sans exemple sur le continent nord-américain.

Enfin, sur la scène internationale, en réaction à la diplomatie unilatérale que s'autorisent les Etats-Unis en vertu de leur statut de première puissance mondiale, le Canada a privilégié une politique étrangère attentive à la coopération, au respect des droits et aux besoins des pays les plus démunis.

Nos interlocuteurs se sont accordés toutefois pour reconnaître que le Canada traversait une passe dangereuse. L'identité canadienne, ce rapport a tenté de le montrer, fait en effet l'objet d'une triple remise en cause.

La plus immédiate, celle dont la portée est la plus lourde de conséquences puisqu'elle touche au fondement même de l'unité du pays, a pour origine les aspirations souverainistes du Québec. Partisans ou adversaires de la cause québécoise, chacun admet que l'indépendance du Québec, en tarissant l'un des deux foyers de la culture canadienne, affaiblirait la capacité de résistance du Canada à l'emprise du modèle américain.

Plusieurs des personnalités rencontrées l'ont observé, la souveraineté du Québec pourrait même ouvrir la voie, à terme, à un démantèlement du Canada. Les provinces de l'Ouest, plus régionalistes que fédéralistes pourraient, dans ce scénario, céder rapidement, les premières, à la tentation d'un rattachement au grand voisin du Sud. En effet, leur population, issue de vagues d'immigration récente où les asiatiques sont majoritaires, reste dans l'ensemble relativement étrangère aux principes fondateurs de la fédération canadienne.

En second lieu, l'économie canadienne s'est construite plutôt sur un axe Nord-Sud que sur un axe Est-Ouest . Les liens économiques et financiers, tissés de part et d'autre de la frontière américaine, finissent par forger, sur la côte Pacifique, des solidarités auxquelles manque le contrepoids que représente, à l'Est, la conscience d'une identité canadienne.

Ainsi l'intégration économique fondée sur la géographie et renforcée par la dynamique des accords commerciaux (l'ALENA et bientôt la Coopération avec les pays du Pacifique) constitue un autre facteur menaçant pour l'unité canadienne.

Aux forces du marché, il faut ajouter la politique d'austérité du gouvernement fédéral, sans doute inévitable pour restaurer des finances publiques déséquilibrées, mais dont les effets risquent de fragiliser l'élément fédérateur qu'incarnait un système social relativement protecteur.

Ainsi, à moyen terme, les évolutions économiques ne paraissent pas moins déterminantes que le débat institutionnel pour l'avenir de la fédération canadienne.

Du reste, et c'est la troisième origine de la remise en cause de l'identité canadienne, la position du Canada sur la scène internationale, est influencée par cette logique économique.

D'une part, en effet, celle-ci conduit, contrainte budgétaire oblige, à revoir à la baisse le dispositif militaire canadien, d'autre part elle encourage à mettre la politique étrangère au service de la recherche de marchés extérieurs pour les entreprises. Si cette tendance devait encore s'accentuer, le Canada ne renoncerait-il pas à la marque propre de sa diplomatie ? Dans ce contexte, comment le Canada orientera-t-il ses intérêts géographiques ? La priorité accordée aux relations transatlantiques appartiendra-t-elle au passé ?

Les perspectives à moyen terme appellent, on le voit, davantage de questions que de réponses.

L'horizon, dont on vient de montrer les incertitudes, sera en partie déterminé par les décisions qui seront prises aujourd'hui dans le domaine institutionnel et l'économie. C'est pourquoi la période actuelle apparaît si décisive pour l'avenir du Canada.

Le Canada à l'heure de choix décisifs

Incontestablement, le débat institutionnel se trouve aujourd'hui dans une impasse. Quelles sont en effet les revendications du Québec ? Aux yeux des Québécois, le pacte entre les deux peuples fondateurs a pris valeur de mythe car il consacrait sous une forme contractuelle l'égalité des nations francophone et anglophone. Aujourd'hui, le Québec n'est que l'une des 10 provinces canadiennes et sa population représente le quart de la population totale du Canada. Les tendances démographiques et économiques ne permettent guère d'envisager un retournement de cette situation.

Dès lors, l'alternative suivante se présente : la reconnaissance du « caractère distinct » de la société québécoise au sein de la fédération d'une part, la souveraineté du Québec dans le cadre d'un partenariat avec le Canada d'autre part. Ces deux options permettent de renouer avec le principe fondateur du pacte de 1867, mais la première s'inscrit dans le cadre de la fédération, la seconde passe par la souveraineté.

Quelles sont leurs chances de succès ?

La reconnaissance de la « société distincte » relève d'un fédéralisme asymétrique ; il s'agit en effet d'accorder au Québec, et à lui seul, certains droits et prérogatives. Ce principe heurte les provinces anglophones. Comme le soulignait M. Alain Peyrefitte 27 ( * ) , cette formule revenait à « placer sur un pied différent la province québécoise et les autres. Le Canada français et le Canada anglais devenaient des pairs malgré la disproportion démographique et économique ». Le terme même de « société distincte » implique en anglais une notion de supériorité que la langue française ne comprend pas.

L'échec répété des tentatives de réforme institutionnelle a montré la difficulté pour les provinces anglophones de s'entendre sur cette revendication québécoise. Il faut ajouter que l'audience du parti réformiste laisse mal augurer de l'avenir de la notion de « société distincte ».

La souveraineté n'est-elle pas alors le seul parti possible pour obtenir la reconnaissance de la spécificité du Québec, comme le plaident les partisans de cette solution, à la faveur de l'impasse constitutionnelle ? Dans l'esprit de nombreux souverainistes, cette option permettrait de renégocier sur un pied d'égalité une « association » ou un « partenariat » dans l'esprit du pacte de 1867. Mais le Canada acceptera-t-il ce nouveau contrat ? Dans le cas d'un refus, les souverainistes acceptent pour le Québec « le beau risque » d'assumer seul son destin.

On ne peut être que frappé par la communauté des sentiments qui animent finalement au Québec, les tenants de la « société distincte » et les souverainistes. Seules, en définitive, les méthodes divergent -il est vrai que dans le cadre de la dernière option, le moyen envisagé, la souveraineté, ouvre la perspective de changements radicaux.

L'enjeu pour les fédéralistes est de convaincre les Québécois qu'ils peuvent satisfaire leurs aspirations sans passer par le « détour » de la souveraineté. La voie est étroite pour le parti libéral de M. Jean Chrétien. Le contexte politique n'apparaît guère propice : M. Chrétien ne peut compter ni sur le bloc québécois attaché à la seule option de la souveraineté, ni sur le « Reform party » hostile à toute concession aux Québécois.

Dans ces conditions, le gouvernement fédéral cherchera sans doute, dans un premier temps, à contourner la classe politique et à convaincre en priorité l'opinion publique pour la rallier à ses vues.

Il lui faut d'abord trouver une formule originale qui satisfasse les aspirations des Québécois sans blesser les intérêts des autres provinces. L'effervescence du débat institutionnel à Ottawa montre que les Canadiens ne sont pas à court d'idée sur le sujet. L'idée du « foyer principal », enterrée aussitôt qu'annoncée, ne permet pas de préjuger des orientations qui seront ultérieurement proposées. Ottawa doit mettre à profit le délai que lui donne la réunion, dans un an, d'une conférence constitutionnelle . Le sentiment partagé que cette conférence constitue la dernière chance de préserver l'unité du Canada, l'enjeu décisif du débat, constituent un atout pour le gouvernement fédéral.

Ottawa peut, en effet, paradoxalement, tirer parti du choc produit dans le Canada anglophone par la courte victoire du « non » au référendum québécois pour obtenir d'une opinion attachée à l'unité du Canada une plus grande ouverture à l'égard des revendications de la Belle Province.

Mais la partie se joue aussi sur le terrain économique où le gouvernement fédéral dispose également de quelques atouts. La politique de rigueur mise en oeuvre par Ottawa, avant que les provinces ne l'engagent elles-mêmes, a porté en partie ses fruits. La présentation du budget fédéral pour 1996-1997 l'a montré, le gouvernement peut se poser comme le protecteur des programmes sociaux face aux restrictions imposées par les provinces et notamment le Québec 28 ( * ) . Le gouvernement fédéral ne pourra cependant se dispenser d'entreprendre une réforme du système public de retraites (les engagements non financés du régime retraite représentent en effet 70 % du PIB -du fait du vieillissement de la population- et l'équilibre du système sur les 50 années passe par un doublement du taux actuel de cotisation -égal aujourd'hui à 5,6 %).

Quelle qu'en soit l'issue, le débat institutionnel, l'observateur extérieur ne peut manquer de le relever, s'inscrit dans un processus démocratique et pacifique qui fait honneur au Canada.

La relation franco-canadienne : l'attachement au fait français

Quelle doit être la position de la France à l'égard du Canada ? Votre délégation estime justement fondé le principe de « non ingérence, non indifférence » adopté par notre gouvernement. Les Québécois le savent, la France les accompagnera dans la démarche qu'ils auront choisi de suivre. Ils comprennent aussi que le maintien de relations directes entre Paris et Québec dépend du respect par la France du principe de non ingérence.

Toutefois, votre délégation reste très attentive au deuxième terme de notre formule diplomatique : la « non-indifférence ». Sous une forme plus positive, il faudrait parler de « solidarité » tissée par ce bien commun si précieux : la francophonie. Celle-ci a pour coeur le Québec mais elle ne s'y résume pas : les communautés francophones hors Québec représentent un million de personnes. Si le bilinguisme fait des progrès dans la population anglophone (près de 300 000 jeunes anglophones sont partiellement scolarisés en français dans des classes dites d'immersion), l'assimilation progressive des francophones hors Québec n'est hélas pas contestable.

Aussi, votre délégation a-t-elle été particulièrement sensible aux efforts de ces communautés pour entretenir le patrimoine linguistique dans un environnement dominé par l'anglais. Elle se réjouit notamment de l'action entreprise par nos services diplomatiques et consulaires pour conforter la place de notre langue. La création d'un lycée français, en septembre dernier, à Toronto en porte le témoignage.

Le rayonnement de notre langue hors du Québec intéresse la France, le Canada mais aussi la Belle Province elle-même. Il offre ainsi un champ d'action où une coopération à trois trouverait pleinement à s'exercer.

ANNEXES

I. PROGRAMME DE LA DÉLÉGATION

Mardi 9 avril

. Arrivée à Ottawa

Mercredi 10

. Entretien avec l'Honorable Pierre de Bané , sénateur, président du Comité mixte spécial sur la politique de défense du Canada, et l'Honorable Robert Bertrand , député, membre du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.

. Déjeuner chez M. Jean-François Valette , ministre-conseiller, en présence de M. Alfred Siefer-Gaillardin , ambassadeur de France au Canada.

. Entretien avec M. Bernard Bonin , Premier sous-gouverneur de la Banque du Canada.

. Entretien avec M. Scott Clark , sous-ministre adjoint au ministère des finances.

. Entretien avec M. Ronald Bilodeau , sous-ministre et secrétaire associé du Cabinet, et M. Patrice Muller , économiste du Conseil privé.

. Dîner à la Résidence de France avec des parlementaires de l'association internationale des parlementaires de langue française.

Jeudi 11 avril

. Entretien avec l'Honorable John Stewart , président du Comité des affaires étrangères du Sénat, suivi d'un entretien avec les membres du Comité des affaires étrangères du Sénat.

. Entretien avec l'Honorable Gérald Beaudoin , sénateur, sur le thème du fédéralisme au Canada.

. Entretien avec l'Honorable Stéphane Dion , président du conseil privé de la Reine et ministre des affaires intergouvernementales.

Vendredi 12 avril

. Entretien avec l'Honorable Lloyd Axworthy , ministre des affaires étrangères.

. Entretien avec l'Honorable sénateur Gildas Molgat , Président du Sénat.

. Départ pour Toronto.

. Visite du lycée français et rencontre avec le directeur et les membres du conseil d'administration.

. Dîner à la résidence du Consul Général de France, M. Pierre-Jean Vandoorne .

Dimanche 16 avril

. Départ pour Québec.

Lundi 15 avril

. Entretien avec M. Robert Normand , sous-ministre au ministère des relations internationales, suivi d'une réunion de travail avec des hauts fonctionnaires du ministère.

. Déjeuner avec des officiers au Cercle de la Garnison à Québec.

. Réunion de travail avec des hauts fonctionnaires du ministère pour les affaires autochtones.

. Dîner officiel offert par M. Dominique de Combles de Nayves , Consul Général de France à Québec.

Mardi 16 avril

. Entretien avec M. David Payne , adjoint parlementaire du Premier ministre.

. Entretien avec M. Jean-Pierre Charbonneau , Président de l'Assemblée nationale.

. Présentation de la délégation sénatoriale aux membres de l'Assemblée nationale.

. Rencontre avec M. Jacques Brassard, ministre délégué aux affaires intergouvernementales canadiennes.

. Dîner offert par M. Sylvain Simard , ministre des relations internationales.

Mercredi 17 avril

. Départ pour Montréal.

. Accueil par M. Gérard Leroux , Consul Général de France à Montréal.

. Participation à un déjeuner organisé par la Chambre de Commerce française au Canada, en présence de M. Pierre Peladeau , président du groupe Québécor.

. Table ronde sur la situation de l'économie locale avec des hommes d'affaires français aux postes d'expansion économique.

. Départ pour Paris.

II. COMPTE RENDU DES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION AVEC DES PERSONNALITÉS CANADIENNES.

A. LES ASPECTS INSTITUTIONNELS

1. Le point de vue fédéral

a) Entretien avec l'Honorable Stéphane Dion, Président du Conseil privé de la Reine et ministre des affaires intergouvernementales

M. Stéphane Dion, 41 ans, universitaire québécois, nommé ministre des affaires intergouvernementales en janvier 1996.

M. Stéphane Dion a observé que la majorité des Québécois revendiquaient deux identités complémentaires, québécoise et canadienne. Il a souligné que les changements constitutionnels, indispensables à ses yeux, ne pouvaient pas passer par l'octroi d'un statut particulier au Québec en raison de l'opposition des autres provinces. Il convenait donc, d'après lui, d'entreprendre un effort d' « accommodement » aussi important que celui accompli par l'Espagne dans les rapports entre le pouvoir central et les régions.

M. Stéphane Dion a relevé qu'à la suite de l'échec de l'accord du Lac Meech, une majorité de Québécois s'étaient senti rejetée par le reste du Canada. Le ralliement de M. Lucien Bouchard à la cause souverainiste reflète l'évolution des esprits au Québec. Le ministre des affaires intergouvernementales a relevé que M. Bouchard avait su tirer parti du ressentiment provoqué par l'échec des réformes constitutionnelles au moment de la campagne référendaire et obtenir de la sorte l'adhésion de près de 49,4 % des Québécois. Il importait de faire valoir, d'après M. Stéphane Dion, au regard du sentiment de fierté sur lequel M. Lucien Bouchard avait assis son argumentation en faveur de la souveraineté, le sentiment de solidarité qui doit unir les Québécois à la Fédération canadienne.

Le ministre a observé qu'il fallait miser avant tout sur un changement de l'opinion publique et que c'était l'émergence d'un mouvement populaire favorable à la Fédération qu'il convenait désormais de susciter.

Enfin, M. Stéphane Dion a indiqué qu'il allait rapidement faire un certain nombre de propositions institutionnelles portant notamment sur les conditions dans lesquelles un droit de veto constitutionnel pourrait être accordé au Québec.

b) Entretien avec l'Honorable sénateur Gildas Molgat, président du Sénat

M. Gildas Molgat - Né le 25 janvier 1927 à Ste Rose-du-Lac (Manitoba), homme d'affaires de 1948 à 1969, élu pour la première fois à la législature du Manitoba en 1953, nommé au Sénat le 7 octobre 1970 par M. Pierre-Eliott Trudeau, président du Sénat depuis 1974.

M. Gildas Morgat a d'abord évoqué le séjour qu'il venait d'effectuer au Proche-Orient. Il s'est dit notamment étonné par le nombre de jeunes Libanais capables de parler le français sans aucune difficulté.

Interrogé par Mme Bidard-Reydet sur les questions institutionnelles, le président du Sénat a relevé que la nécessité de réunir l'unanimité des provinces pour obtenir un changement constitutionnel rendait difficile toute évolution dans ce domaine. Aussi, faut-il chercher des solutions nouvelles.

Après avoir indiqué qu'il représentait pour sa part les francophones des provinces de l'ouest (au nombre de 50.000 au Manitoba), M. Gildas Molgat a souligné que la francophonie ne se réduisait pas au Québec. D'après lui, l'avenir du français passe par le maintien de l'unité canadienne et la garantie qu'apporte le bilinguisme à l'échelle fédérale.

M. Gildas Molgat a appelé l'attention à cet égard sur l'influence dominante des Etats-Unis en notant que 80 % des Canadiens habitaient à moins d'une heure de route de la frontière, et relevé que les provinces canadiennes s'attachaient à préserver le français comme une racine de l'identité canadienne. Il a conclu son propos en indiquant que les chances de maintenir l'usage du français dans le Canada anglophone seraient définitivement compromises si le Québec accédait à la souveraineté.

c) Entretien avec l'Honorable sénateur Gérald Beaudoin

M. Gérald Beaudoin, né à Montréal le 15 avril 1929, membre du Québec et du barreau canadien depuis 1954, professeur titulaire à la faculté de droit, université d'Ottawa de 1969 à 1989, nommé au Sénat canadien le 26 septembre 1988, coprésident du comité spécial mixte de la chambre des communes et du Sénat sur le renouvellement du Canada (1991-1992), président du comité sénatorial permanent pour les affaires juridiques et constitutionnelles (1993-1996).

Le sénateur Beaudoin a d'abord indiqué que le Canada avait été la première colonie de l'Empire britannique à adopter en 1864 le système fédéral qui fonctionnait toujours.

Il a rappelé qu'à la suite du référendum du 30 octobre dernier au Québec, dont le résultat avait été très serré, le Parlement fédéral avait adopté une résolution sur « la société distincte » tandis que le gouvernement avait déposé un projet de loi reconnaissant un droit de veto à cinq entités régionales. Il a ajouté qu'une conférence constitutionnelle devait se tenir en avril 1997.

Le débat constitutionnel, comme l'a souligné le sénateur Beaudoin, n'est pas nouveau. Un premier référendum organisé en 1980 avait rejeté, par 60 % des suffrages, l'indépendance du Québec. L'accession du Québec à la souveraineté avec une offre de partenariat proposée dans le cadre du second référendum, avait été également rejetée, mais avec une majorité beaucoup plus étroite.

Le sénateur Beaudoin a fait part de sa conviction que la formule fédérale pouvait être adaptée, quitte à adopter quelques amendements constitutionnels. A son avis, la réforme devait porter sur deux points : la reconnaissance du caractère « distinct » de la société québécoise et la formule d'amendements de la Constitution.

Le concept de société distincte fait aujourd'hui l'objet de discussions et les fédéralistes recherchent une formule nouvelle reconnaissant « la spécificité du Québec » dont les aspects fondamentaux sont la langue, la culture et le droit civil.

Après avoir rappelé que le Québec avait désigné trois juges sur les neuf qui siègent à la Cour Suprême du Canada, le sénateur Beaudoin a indiqué que les provinces de l'Ouest souhaitaient une représentation égale au Sénat pour l'ensemble des provinces.

Le sénateur Beaudoin a rappelé que le Premier ministre du Québec ne croyait plus au fédéralisme et souhaitait une indépendance dans le cadre éventuel d'une confédération réunissant les provinces anglophones d'une part et le Québec d'autre part.

La thèse des fédéralistes, selon le sénateur Beaudoin, consiste à avancer des propositions qui puissent convaincre en priorité le peuple québécois, qui les fera ensuite accepter au gouvernement du Québec.

A la suite de cet exposé, un débat s'est engagé entre la délégation française et les parlementaires canadiens présents.

Le sénateur Grafstein (libéral) a souligné que la fédération fonctionnait mal en raison du déséquilibre entre fédération et provinces (la première contrôlant 65 % des impôts et les secondes 35 % seulement). Il a souligné qu'il importait de rétablir un meilleur équilibre dans la perception de la fiscalité.

Le sénateur Prud'homme (indépendant) a précisé que les francophones se reconnaissaient Canadiens français au Canada, mais revendiquaient à l'extérieur leur identité canadienne.

Il a indiqué par ailleurs que la revendication d'une « société distincte » était un débat perdu par avance et que le thème d'une « société différente » était beaucoup mieux compris par l'ouest du Canada.

Il a souligné qu'il était important de retourner à l'esprit qui avait présidé à la naissance du Canada mais que cette aspiration n'était guère comprise dans les provinces de l'ouest où les nouveaux immigrants saisissaient mal la portée du débat institutionnel. Enfin il a souhaité que la France soit sensible aux efforts entrepris par l'ensemble du Canada en faveur de la francophonie.

Le sénateur Beaudoin a souligné que la formule fédérale offrait suffisamment de possibilités pour donner satisfaction aux aspirations de plusieurs nations. Il a rappelé que si la fédération prenait mieux en compte la reconnaissance et la spécificité revendiquées par les Québécois, ces derniers répudieraient la tentation de l'Etat-nation. Il a souligné que depuis 1925 le Québec avait considérablement influencé les institutions fédérales et que les Premiers ministres avaient été régulièrement des francophones.

Le sénateur Stewart (libéral) a relevé que les attentes du Québec paraissaient difficiles à préciser. L'aspiration québécoise à un meilleur contrôle sur la politique monétaire et fiscale était en fait partagée par les autres provinces. Quant au statut de « société distincte » réclamée par le Québec, il laissait place à de nombreuses incertitudes et il n'était pas possible, selon le sénateur Stewart, de laisser aux seuls juges constitutionnels la responsabilité d'en interpréter le contenu.

Le sénateur Beaudoin a précisé que la notion de société distincte devait recouvrir des garanties constitutionnelles portant sur les traits essentiels de la spécificité francophone (langue, culture et code civil).

Le sénateur Stollery (libéral) a indiqué qu'il existait un risque que la notion de « société distincte » soit systématiquement revendiquée par le Québec à l'occasion des différents problèmes qui peuvent l'opposer à la fédération.

Le sénateur Prud'homme a souligné les incertitudes de l'opinion publique québécoise, car si 20 à 25 % des Québécois souhaitent l'indépendance , et qu'une même proportion soutient le statu quo, une bonne moitié aspire en fait à un accord.

Le sénateur Grafstein a, pour sa part, souligné que le modèle fédéral était le meilleur instrument du rayonnement de la culture française.

2. Le point de vue québécois

a) M. Jacques Brassard, ministre des transports, ministre des affaires intergouvernementales canadiennes

M. Jacques Brassard, né à Lisle-Maligne (Alma) le 12 juin 1940, diplômé en pédagogie, élu député (Parti québécois) de la circonscription de Lac-Saint-Jean (1976-1981, 1989-1994), ministre du Loisir, de la chasse et de la pêche (1984-1985), ministre de l'environnement et de la faune (1994-1995), vice-président du conseil du Trésor (1995-1996), nommé ministre des transports et ministre délégué aux affaires intergouvernementales canadiennes le 29 janvier 1996.

M. Brassard a d'abord indiqué que dans le débat institutionnel, la seule notion pouvant satisfaire les aspirations québécoises demeurait la reconnaissance du « peuple québécois » mais que l'opposition des fédéralistes interdisait que ce principe puisse être inclus dans le Constitution canadienne.

Il a précisé que le concept de « société distincte » ne s'appuyait sur aucun élément de droit international mais qu'il avait été utilisé par M. Bourassa 29 ( * ) pour désigner la communauté québécoise, malgré l'hostilité du Canada anglais.

M. Brassard a relevé que le parti libéral canadien avait semblé, à la fin de la campagne référendaire, s'approprier ce concept.

Toutefois, a indiqué M. Brassard, le Premier ministre s'est contenté de faire adopter par le parlement fédéral, après le référendum, une simple motion allant dans ce sens.

L'aile québécoise du parti libéral prenant conscience que cette notion de « société distincte » restait toujours difficile à accepter par la partie anglophone du Canada, s'est ralliée au concept plus modeste de « foyer principal ».

Toutefois ce recul a suscité des critiques de tous les horizons. Ainsi, le mardi 16 avril, le jour même où cette rencontre avait lieu, l'Assemblée nationale du Québec avait adopté à l'unanimité une motion rejetant le concept de foyer principal et que, de la sorte, « le canard avait été tiré avant son envol ».

A la question de savoir si le gouvernement comptait faire une contre proposition, M. Brassard a précisé que le gouvernement québécois n'avait pas mandat, à l'issue du référendum, pour procéder au renouvellement du fédéralisme et qu'il n'avait donc pas l'intention de faire de nouvelles propositions de nature constitutionnelle.

Il a rappelé par ailleurs que le projet de souveraineté était loin d'être enterré et qu'il avait reçu l'approbation de plus de 60 % des francophones.

En conséquence a observé M. Brassard, il est légitime de s'employer à promouvoir le projet de souveraineté et de le réaliser à la suite de nouvelles élections, à une échéance de deux ans à deux ans et demi.

Quant à la participation du Québec à la conférence constitutionnelle (avril 1997), M. Brassard précise qu'elle sera conditionnée à l'examen détaillé de l'ordre du jour prévu et qu'il n'excluait, pour l'instant, aucune hypothèse (participation pleine et entière du Québec à la conférence, absence totale, participation sur certains points seulement).

Interrogé sur le projet de TGV, M. Brassard a indiqué qu'une étude de préfaisabilité avait été conduite en 1995 pour la liaison Québec-Windsor. Elle avait conclu que le projet n'était rentable que si les gouvernements fédéraux et québécois investissaient à hauteur de 75 % dans les infrastructures à mettre en place (près de 10 milliards de dollars canadiens). Dans ces conditions, M. Brassard a précisé que le privé devait prendre le relais.

Il a précisé cependant que le groupe Bombardier et son partenaire européen préparaient une proposition qui pouvait modifier la situation qui prévalait au moment où l'étude avait été commandée.

Cette proposition pourrait porter sur un train pendulaire, moins rapide mais aussi moins coûteux.

M. Brassard a indiqué que le projet devrait comprendre la liaison Montréal-Toronto, mais il a relevé cependant que pour le gouvernement québécois, cette liaison devait partir de Québec. Le gouvernement de l'Ontario ne paraissait pas, pour l'heure, intéressé par ce projet. La position du gouvernement fédéral était également assez réservée.

Il a conclu qu'à court terme la possibilité pour l'Etat de se lancer dans un investissement lourd dans un contexte d'économies budgétaires, apparaissait peu probable.

b) Entretien avec M. Robert Normand, sous-ministre des relations internationales

M. Robert Normand, né à Montréal le 24 septembre 1936, conseiller juridique à l'Assemblée nationale puis greffier en loi de la législature de 1962 à 1971, sous-ministre de la justice du Québec (1971-1977), sous-ministre des affaires intergouvernementales (1977-1982), sous-ministre des finances (1982-1987), nommé sous-ministre des relations internationales et sous-ministre responsable de l'immigration et des communautés culturelles depuis le 28 septembre 1994.

M. Normand a rappelé qu'il existait au Canada un peuple québécois qui possédait sa propre identité et représentait 25 % de la population. D'après lui, le gouvernement fédéral est dominé par les anglophones, et le Québec refuse de se soumettre à cette influence. Il a relevé notamment que le taux d'assimilation des francophones dans les autres provinces était très important.

Aussi, pour que les Québécois puissent demeurer eux-mêmes, ils doivent devenir maîtres de leur destinée politique et économique. La souveraineté du Québec implique toutefois une interdépendance avec le Canada.

M. Normand a rappelé que l'équilibre institutionnel instauré au moment du pacte fondateur entre les deux nations anglophone et francophone s'était rompu après la dernière guerre mondiale. Il a observé en effet que la centralisation s'était beaucoup renforcée et que le Québec se devait d'y résister.

D'après M. Normand, les partisans de la souveraineté ont encore augmenté après le référendum, car les engagements du gouvernement fédéral en octobre dernier n'ont pas été tenus. En effet, revenant sur les conclusions du congrès du parti libéral fédéral (section Québec), il a déploré que la notion de « société distincte » ait été abandonnée, en raison de l'opposition des provinces anglophones, au profit de l'expression « foyer principal ».

Pour M. Normand, l'indépendance du Québec permettra de redéfinir un partenariat avec le Canada sur de nouvelles bases. Cependant, si ces négociations ne devaient pas aboutir, le Québec, fort d'une population de sept millions d'habitants, assumerait seul son destin.

M. Normand a conclu que la priorité pour le Québec aujourd'hui, compte tenu des difficultés économiques de la province, était de supprimer le déficit public dans les quatre années à venir.

Enfin, il a souligné que l'incapacité à s'entendre au sein du Canada hypothéquait le devenir collectif de la fédération et que, dans ces conditions, un nouveau référendum devrait intervenir d'ici deux ou trois ans.

c) Entretien avec M. David Payne, adjoint parlementaire du Premier ministre, responsable des relations avec la communauté anglophone

M. David Payne, né le 12 janvier 1944, enseignant, élu député (Parti québécois) de Vachon à l'assemblée nationale (1981-1985), réélu en 1994, président de la commission de la culture à l'assemblée nationale.

M. David Payne a retracé rapidement, devant la délégation, son itinéraire politique, en rappelant que, d'origine britannique , il avait été amené à rencontrer en 1975 M. René Levesque et à entrer ainsi au parti québécois.

Il a relevé que le mouvement nationaliste ne pouvait s'identifier à la seule majorité francophone. Son engagement personnel -a-t-il indiqué- reposait sur la conviction que les facteurs de rassemblement entre francophones et anglophones l'emportaient de beaucoup sur les éléments de division.

Il a relevé que deux mandats lui avaient été confiés dans le cadre de son poste ministériel : la responsabilité de développer les investissements étrangers d'une part, les relations avec la communauté anglophone d'autre part.

D'après lui, le milieu anglophone est désormais convaincu que le Québec deviendra souverain mais que l'inquiétude soulevée par cette perspective devait être prise en compte par le parti québécois.

En conséquence il importait de donner à la minorité anglophone des garanties dans le cadre d'une négociation préalable à l'accession du Québec à la souveraineté, au moment, précisément, où le rapport de forces reste ouvert et se prête donc à la négociation.

M. Payne a reconnu qu'une participation des anglophones à cette négociation pourrait avoir valeur de caution à la démarche souverainiste.

Revenant sur la rencontre organisée entre M. Bouchard et le milieu anglophone le 11 mars dernier, M. Payne a relevé que cette « politique de la main tendue » s'était soldée par un succès. Il a rappelé la nécessité pour le gouvernement de rassembler et de refléter l'ensemble de la société québécoise.

M. Payne a dénoncé par ailleurs le mouvement partitionniste qui milite pour un morcellement du Québec sans prendre en considération le risque symétrique que soulève la présence des communautés francophones dans les autres provinces du Canada.

M. Payne a rappelé que la souveraineté était un moyen de dépasser la querelle récurrente sur le statut du Québec au sein du Canada.

Il a jugé totalement insignifiant le concept de « foyer principal » avancé par le parti libéral du canada lors de ses récentes assises.

Revenant, à la suite d'une question de M. André Boyer, sur le problème lié à la réforme du système social, M. Payne a indiqué que cette réforme était inspirée par le souci de faire plus avec moins de moyens. Il a observé à cet égard l'attention portée au traitement médical à domicile. Il a noté cependant que la fermeture d'hôpitaux anglophones, pour des raisons purement financières, pouvait être interprétée autrement et posait donc un problème délicat.

A une question de Mme Danielle Bidard-Reydet sur la téléchirurgie, M. Payne a rappelé que cette pratique était principalement développée pour le diagnostic et permettait d'offrir une assistance utile aux médecins qui se trouvaient dans des points très éloignés du territoire québécois.

d) Réunion de travail organisée par le sous-ministre associé aux affaires autochtones, M. André Magny

Les hauts-fonctionnaires du ministère pour les affaires autochtones ont d'abord indiqué à votre délégation que onze nations autochtones étaient représentées au Québec, soit 63 000 personnes (1% de la population québecoise) réparties entre 56 000 Amérindiens (dont 75% vivent dans les réserves), et 7 000 Inuits. Les premières nations se caractérisent par une population jeune ( 60% des autochtones ont moins de 30 ans). Leur taux de natalité apparaît deux fois plus important que celui du Québec. Huit de ces onze nations ont conservé leur langue, que les missionnaires se sont chargés de fixer par écrit.

Les indicateurs sociaux relatifs à ces communautés demeurent préoccupants. Le taux de mortalité infantile reste plus élevé qu'au Québec (en partie du fait de l'éloignement des centres de soin). Toutefois, il faut observer d'importants progrès, ainsi le taux de mortalité des Inuits, l'un des plus élevés au monde il y a 35 ans, se compare aujourd'hui à celui des Québécois.

Les responsabilités du Québec à l'égard de ces populations se sont développées au cours de ces dernières années. En effet, si le gouvernement fédéral conserve une responsabilité constitutionnelle à l'égard des Indiens, ces derniers ont eu tendance, récemment, à sortir de leurs réserves pour s'installer sur les territoires de compétence provinciale.

Cinq lignes directrices président à l'action du gouvernement québecois à l'égard des peuples autochtones :

- reconnaissance de onze nations ("nations" prises au sens américain, sans effet de droit international) ;

- octroi de droits spécifiques (en matière de chasse, pêche, culture ...) ;

- harmonisation des droits entre les Québéois, d'une part, et les communautés amérindiennes et inuites, d'autre part ;

- établissement d'un partenariat au niveau économique.

Le principal enjeu des relations entre le Québec et les autochtones reste les revendications territoriales de ces derniers sur le territoire québecois. Plusieurs négociations ont été entreprises pour régler ces questions, notamment en 1975, à l'occasion de la convention de la Baie James. En 1994, le gouvernement québécois a fait, à l'intention des premières nations, une proposition globale couvrant la question territoriale (550 000 km²), les indemnités financières (340 millions de dollars canadiens), l'éducation, l'autonomie gouvernementale (responsabilité et gestion de ce qui se passe sur le territoire). Le processus de négociation est en cours aujourd'hui.

A une question de M. André Dulait sur la répartition des sommes allouées par le gouvernement québecois aux autochtones, il a été précisé que, aux termes de l'accord de la Baie James, les indemnités destinées au Cris ont été détenues sous la forme d'un fonds collectif. 90% des ressources destinés aux Inuits ont été gérés sous cette forme, le solde étant réparti entre les membres de la communauté.

A Mme Danielle Bidard-Reydet qui s'interrogeait sur le type de développement économique possible pour ces populations, les interlocuteurs de votre délégation ont précisé que chaque type de communauté pouvait développer un modèle différencié. Parmi les activités possibles, il convenait de mentionner le tourisme d'été ou la pêche au saumon.

B. LES ASPECTS ÉCONOMIQUES

1. Au Canada

a) Entretien avec M. Bernard Bonin, premier gouverneur de la banque du Canada

M. Bernard Bonin - Né en 1936 à Joliette (Québec), de 1974 à 1981 sous-ministre adjoint au Québec, d'abord au ministère de l'Immigration puis aux Affaires intergouvernementales, nommé premier sous-gouverneur en mai 1994 pour un mandat de 7 ans.

Après avoir noté que l'inflation s'était établie en moyenne annuelle à 7 % entre 1970 et 1990, M. Bernard Bonin a indiqué que les autorités canadiennes s'étaient engagées à partir de février 1991 à contenir progressivement la hausse des prix dans une fourchette comprise entre 1 et 3 % à l'horizon 1995. En 1994, cette cible a été reconduite jusqu'à la fin de 1998. M. Bernard Bonin a relevé que le taux d'inflation proche de 2 % en 1995 s'inscrivait dans la fourchette qui avait été fixée.

M. Bernard Bonin a précisé que si les objectifs étaient arrêtés conjointement par le gouvernement et par la Banque centrale, il appartenait à cette dernière de définir les instruments les plus adaptés pour les atteindre.

Le premier sous-gouverneur de la Banque du Canada a noté que la Banque centrale avait recours à un instrument original pour définir les conditions propices à la réalisation de l'objectif de l'inflation : l'indice des conditions monétaires. Celui-ci reprend les variations des taux d'intérêt à court terme et celles du taux de change pondérées en fonction des échanges commerciaux. La détermination des taux directeurs de la Banque centrale s'appuie sur l'information que livre l'évolution de cet indice.

M. Bernard Bonin a relevé que l'objectif en terme d'inflation s'était imposé dans la mesure où le Canada, qui connaissait depuis 1970 un régime de taux de change flottant, ne pouvait s'assigner un objectif en terme de taux de change. Il a souligné à cet égard que l'économie canadienne se caractérisait par sa grande ouverture puisque les trois quarts de l'activité sont liés aux échanges extérieurs.

M. Bernard Bonin a évoqué ensuite la conjoncture canadienne en relevant que la croissance de l'année 1995 s'était révélée décevante (2,2 % contre une moyenne annuelle de 2,5 % dans les années 1980). D'après lui toutefois, l'année 1996 s'annonçait sous de meilleurs auspices et un rebondissement dans la deuxième moitié de l'année permettrait de porter la croissance à 3 %. Il a souligné que ce nouvel élan reposerait essentiellement sur le commerce extérieur et en particulier le courant d'échanges toujours très actif avec les Etats-Unis. En revanche, la relance de la demande intérieure demeure problématique. En effet, la confiance reste fragile compte tenu des sombres perspectives liées à l'annonce des contractions d'effectifs dans les entreprises. Si l'investissement des entreprises est resté rigoureux même dans les années de récessions, la dépense publique ne constitue plus un ressort de la croissance dans un contexte marqué par l'assainissement des finances publiques.

M. Bernard Bonin a noté à cet égard que le gouvernement fédéral avait respecté ses objectifs de réduction du déficit qui ne devrait pas dépasser 2 % du PIB en 1997. Il a noté toutefois que ces efforts s'inscrivaient dans un processus long et qu'après les annonces non suivies d'effet du gouvernement conservateur, le gouvernement libéral devait se doter d'une crédibilité nouvelle. Il a relevé que l'écart de taux de 135 points de base entre les obligations à 30 ans du gouvernement fédéral et celles de même échéance du gouvernement américain traduisait la prime de risque que demandaient les investisseurs étrangers au Canada.

Le premier sous-gouverneur de la Banque du Canada a relevé que les provinces se trouvaient également dans une situation difficile mais qu'elles avaient su prendre rapidement les initiatives nécessaires à l'exception de l'Ontario et du Québec (qui à eux-seuls représentent 60 % de l'économie canadienne). Toutefois l'Ontario a annoncé qu'il procéderait à des coupes claires dans son budget et le Québec est prêt à accomplir un effort comparable.

A M. André Dulait qui l'interrogeait sur la gestion du stock immobilier, M. Bernard Bonin a indiqué que les banques canadiennes avaient, de ce point de vue, connu moins de défauts de paiement que lors de la précédente récession de 1981-1982. Il a souligné que la crise de 1990-1991 avait été liée à la spéculation sur le marché immobilier, notamment sur le marché des immeubles commerciaux à Toronto. Instruite par les leçons de la crise du début des années 1980, les banques canadiennes ont su finalement éviter une déflagration comparable à celle qu'a connu le Japon.

M. Bernard Bonin a également précisé que le marché de libre-échanges conclu dans le cadre de l'ALENA n'impliquait pas d'union monétaire non seulement parce qu'il n'existait aucune volonté politique dans ce sens mais aussi parce que les économies avaient tendance à réagir en sens contraire face à des chocs externes ; ainsi une hausse des prix mondiaux des matières premières bénéficient au Canada mais non aux Etats-Unis. Cette asymétrie rend difficile la mise en place d'une union monétaire.

b) Entretien avec M. Scott Clark, sous-ministre adjoint au ministère des finances

M. Scott Clark, né à Ottawa, professeur d'économie à l'Université Western Ontario (1969 à 1975), sous-ministre adjoint de la Direction des programmes économiques et des finances de l'Etat (1985-1986), sous-ministre adjoint de la Direction de la politique fiscale et de l'analyse économique (1986-1989), administrateur du Canada au Fonds monétaire international (1989-1992), sous-ministre adjoint principal du ministère des finances et délégué du Canada auprès du gouvernement (1992-1994).

M. Scott Clark a relevé que malgré les critiques qui avaient été adressées au gouvernement, celui-ci avait créé depuis trois ans 600 000 emplois. Il a souligné qu'en 1993, la tâche la plus urgente était de réduire le déficit des finances publiques et la dette qui représentait 70 % du PNB (contre 25 % en 1973). Il fallait dès lors obtenir une baisse des taux d'intérêt et s'employer à cette fin à réduire l'inflation. L'objectif de hausse des prix a ainsi été fixé à une fourchette comprise entre 1 et 3 -% jusqu'en 1998, date à compter de laquelle pourront être définis de nouveaux objectifs.

M. Scott Clark a cependant relevé que les taux d'intérêt étaient restés relativement élevés du fait, d'une part, de la prime de risque liée à l'endettement canadien et, d'autre part, des incertitudes constitutionnelles.

M. Scott Clark a par ailleurs relevé que le gouvernement avait obtenu, au cours des trois derniers exercices budgétaires, une réduction graduelle du déficit budgétaire (de 6 à 3 % du PNB). Le déficit budgétaire ne devrait pas dépasser 2 % du PNB en 1997 et 1998. Ce résultat a été obtenu par la contraction des dépenses et non par l'augmentation des impôts. Il a relevé ainsi que la Canada avait été le seul pays du G7 à parvenir d'une année sur l'autre à une réduction nette des dépenses publiques. Il a noté que le montant des transferts financiers dévolus aux provinces avait été globalisé et qu'il importait désormais à ces dernières d'en déterminer l'affectation. Il a évoqué également le régime de pension dont la situation imposait aujourd'hui la mise en oeuvre de mesures difficiles.

M. Scott Clark a observé que le rythme de la croissance économique dépassait le rythme de progression de l'endettement et qu'en conséquence la charge de la dette allait commencer à se réduire. Il a souligné qu'il était indispensable de poursuivre cette politique et noté que les réorientations éventuelles des priorités gouvernementales se feraient désormais à dépenses constantes.

M. Scott Clark a relevé que l'effort budgétaire avait été planifié et progressif afin de préparer les interlocuteurs du gouvernement fédéral, au premier rang desquels les provinces, à l'effort nécessaire. Ainsi, les transferts ont commencé à être réduits le 1er avril de cette année, alors que l'annonce en avait été faite deux ans auparavant. Il incombait aux provinces de définir les postes qui devront supporter l'effort budgétaire.

M. Scott Clark a indiqué que le gouvernement s'était attaché à montrer qu'il était en mesure de faire des choix et tracer des priorités dans un contexte d'austérité budgétaire. C'est ainsi que si le budget dans son ensemble a été réduit, certains montants ont pu être réaffectés, vers la formation professionnelle notamment.

Interrogé par M. André Dulait sur le projet de la liaison TGV Québec-Windsor, M. Scott Clark a relevé que ce projet exigerait des financements lourds qui n'étaient guère envisageables tant que la Fédération, l'Ontario et le Québec, n'avaient pas achevé leur effort budgétaire.

A une question de Mme Bidard-Reydet sur l'évolution du pouvoir d'achat, M. Scott Clark a reconnu que la croissance économique n'avait pas été à la hauteur des espérances en 1995 en raison notamment de la hausse des taux d'intérêt aux Etats-Unis. Il a observé que la croissance reposait principalement sur les exportations canadiennes. La consommation des ménages reste, quant à elle, atone. En effet, les salaires n'ont pas augmenté dans le cadre des conventions collectives. Aussi le pouvoir d'achat a-t-il eu tendance à baisser légèrement dans la mesure où, même si l'inflation reste limitée, les impôts ont plutôt augmenté entre 1980 et 1990.

M. Scott Clark a précisé à M. Boyer que l'endettement constituait la plus grave menace pour le Canada. Il a noté cependant que les préoccupations portaient également sur l'avenir des jeunes, confrontés à la difficulté de trouver un emploi à la sortie de l'enseignement.

M. Scott Clark a enfin précisé à l'intention de M. Marcel Debarge que l'effort entrepris par le Canada exercerait une influence sur les pays en développement. Il a noté que le Canada avait réduit son aide en raison des difficultés budgétaires et qu'il fallait désormais privilégier le rôle des institutions multilatérales.

c) Entretien avec M. Ronald Bilodeau, sous-ministre et secrétaire associé du Cabinet et de M. Patrice Muller, économiste du conseil privé

Les interlocuteurs de votre délégation ont d'abord présenté les trois types de dépenses qui incombaient au gouvernement fédéral : transfert aux personnes (assurance chômage et personnes âgées) pour un montant de 35,7 milliards de dollars canadiens, transfert aux autres paliers de gouvernement (municipalités, territoires du nord, provinces surtout) pour 23,7 milliards de dollars canadiens, autres dépenses -principalement la masse salariale- pour 50 milliards de dollars canadiens.

Pendant dix ans l'austérité budgétaire avait été préconisée sans qu'elle se concrétise réellement. Depuis trois ans cette politique de rigueur est mise en oeuvre. Peu sensible dans le premier budget, elle s'est accentuée lors des deux exercices budgétaires suivants. Afin de mieux la faire accepter par la population, une assez large concertation a été organisée : tables rondes organisées par le ministère avec la participation de personnalités diverses, audiences publiques organisées par les comités des deux Chambres.

La réduction des dépenses publiques a reposé sur un examen de la totalité des programmes de dépenses pour chaque ministère. Les ministres ont dû préparer un plan de réduction présenté ensuite devant un comité interministériel. Cette procédure collégiale s'est écartée des usages où le ministre des finances impose unilatéralement ses décisions.

A la suite de ce travail de réflexion, d'importants changements ont été décidés : suppression de la subvention aux transports des céréales, à la production de lait (activité bien représentée au Québec). La gestion des aéroports a été confiée aux communes, les lignes de chemins de fer ont été privatisées. L'importance de cette réforme s'explique par le poids de l'endettement que doivent supporter les finances publiques puisque le remboursement des intérêts représente 47,8 milliards de dollars canadiens sur des dépenses qui s'élèvent à 109 milliards de dollars canadiens.

En 1993-1994 le déficit budgétaire représentait 5,3 % du PIB. L'objectif en 1996-1997 est de ramener ce déficit à 3 % du PIB, puis en 1997-1998 à 2 % du PIB. Les analystes financiers prévoient qu'en 1998-1999 le besoin de financement public aura baissé, mais que la dette restera malgré tout élevée.

Un cercle vertueux pourrait s'enclencher et déjà les taux d'intérêt commencent à baisser. Un certain consensus politique a permis de réaliser l'effort de réduction budgétaire.

Le Parti libéral souhaite aller plus loin et les partis provinciaux poursuivent en fait les mêmes objectifs.

Le débat porte davantage en conséquence sur les moyens.

Le rôle de la presse dans le processus de réforme est nuancé. Les publications liées au milieu d'affaires « poussent à la roue », tandis que la presse centriste appelle à mieux redistribuer le fardeau fiscal.

S'agissant des privatisations, la vente en plusieurs tranches des chemins de fer a été conditionnée par un apurement du passif de l'entreprise. La recette obtenue n'a pas été comptabilisée a priori dans le budget de l'Etat.

L'autre grande privatisation a porté sur le contrôle de l'espace aérien.

Ce secteur employait près de 15 000 fonctionnaires qui doivent désormais passer sous statut privé.

La propriété n'apparaît plus comme la condition indispensable pour assurer des objectifs de sécurité publique. La réglementation apparaît comme une formule plus souple.

S'agissant du débat sur la santé, le régime d'assurance maladie diffère pour chaque Etat, mais les principes (universalié, égalité) sont posés et garantis par l'Etat fédéral et leur respect conditionne les transferts financiers d'Ottawa aux provinces. Aussi le risque d'hétérogénéité dans la qualité des services de soins entre les provinces, est réduit.

L'opinion se laisse d'autant plus facilement convaincre qu'il existe, s'agissant de la réforme des régimes sociaux, une véritable solidarité intergénérationnelle.

Quant à l'assurance chômage, un large débat public a présidé à la mise en oeuvre de dispositions qui, parce qu'elles étaient moins sévères que celles annoncées, ont été mieux acceptées. A cet égard l'importance de la préparation psychologique de l'opinion aux mesures prises a été soulignée.

L'assurance chômage prend désormais la forme d'une assurance emploi qui favorise le retour au marché de l'emploi. Les conditions d'obtention de cette prestation ont été sévèrement encadrées.

Le type d'emploi qui s'est développé est principalement constitué par des emplois à temps plein dans le secteur des services et de la production de biens. Toutefois, deux types de problèmes subsistent : le chômage des jeunes et celui des personnes âgées de plus de 50 ans.

Le gouvernement s'est employé à encourager les entreprises à donner une première chance aux jeunes diplômés en leur offrant un emploi solide pour développer leurs aptitudes.

Il a été également précisé que 45 000 emplois publics seraient supprimés, que la garantie de l'emploi avait été suspendue. L'essentiel des départs se ferait cependant à l'occasion d'un retrait anticipé pour lequel le gouvernement avait mis en oeuvre des conditions intéressantes.

S'agissant du temps de travail, la semaine de 40 h est de règle. Le partage du travail n'est souhaité ni par les syndicats, ni par les gouvernements.

Quant aux salaires de la fonction publique, ils avaient été gelés depuis cinq ans et ce gel sera levé l'été prochain.

La protestation orchestrée par les syndicats a eu des effets limités dans la mesure où leur soutien dans la population s'est affaibli.

2. Au Québec : entretien avec des hommes d'affaires français au poste d'expansion économique à montréal (MM. André Chaffringeon -BNP- Alain Clot -Société Générale- Alain Lellouche -Générale de santé- Gilles Mercier -Montupet- Bertrand Namy -Progexco- François Jonathan -président des conseillers du commerce extérieur)

Les interlocuteurs de votre délégation ont d'abord évoqué les échanges franco-québécois dont le montant s'élève à 2,7 milliards de francs en 1995 contre 2 milliards de francs en 1994. La moitié des exportations françaises au Canada sont destinées au Québec. La France, qui enregistre un excédent commercial avec la Belle Province, est son deuxième partenaire commercial très loin derrière les Etats-Unis. Le flux des exportations, dont le montant reste modeste, ne doit pas cacher l'importance des investissements français au Québec (qui représentent 80% des investissements français réalisés au Canada) qui ont atteint un niveau record en 1995. Ces investisssements sont le fait, principalement, de petites et moyennes entreprises bien adaptées à la structure du marché québécois.

Au Québec, les quatre ou cinq groupes phares dissimulent en fait un nombre important de PME qui participent très activement à l'activité industrielle et au commerce extérieur. Bombardier et Québécor ont été à l'origine de petites structures. Il faut également noter que les liens entre les Universités et les PME sont très denses : 25% des emplois créés le sont à la faveur de ces relations. Les jeunes diplômés ne rechignent pas, quant à eux, à travailler pour des PME, bien que le niveau des salaires soit plutôt faible (30 000 dollars canadiens pour un titulaire d'un diplôme bac + 4).

Au titre des relations franco-québecoises, il faut également noter l'essor du tourisme français du fait, notamment, de la faiblesse persistante du dollar canadien.

La coopération dans les technologies de l'information a connu des développements importants au cours des dernières années, plusieurs accords ont déjà été signés. Une rencontre, organisée sous l'égide de l'ACTIM 30 ( * ) , réunira l'ensemble des industriels intéressés par les multimédias en juin prochain, à Montréal.

Les relations économiques avec le Québec présentent cependant quelques limites. La réglementation financière québécoise ne permet pas aux banques étrangères, et françaises notamment, d'offrir l'ensemble des services qu'elles sont en mesure d'apporter. Par ailleurs la vente des vins français est en perte de vitesse, en raison de prix élevés et de l'absence de structure commerciale suffisante des groupes français.

Le contexte économique général reste morose. La métropole de Montréal tend à s'appauvrir. L'endettement est le problème majeur auquel est confronté le gouvernement québécois (près de 50% de cet endettement est détenu par des étrangers). Si la campagne référendaire avait été précédée par un mouvement de désinvestissement, on assiste depuis le début de l'année à des entrées nettes de capitaux. La consommation des ménages apparaît très faible et l'épargne, dans un contexte économique caractérisé par la remise en cause des systèmes de retraite et la précarité de l'emploi, ne laisse aucune marge de manoeuvre. La situation de l'emploi apparaît préoccupante si l'on ajoute au taux de chômage (12% de la population active), les personnes bénéficiaires de prestations (le "bien-être social"), au nombre de 400 000. L'absence d'écart important entre le salaire minimum et la prestation chômage paraît dissuader les chômeurs de rechercher un emploi. Par ailleurs, le travail au noir s'est beaucoup développé en raison d'une pression fiscale excessive.

Dans ce contexte économique difficile, la croissance économique repose principalement sur le dynamisme de la conjoncture américaine.

L'effort de réduction budgétaire s'est d'abord traduit par une baisse des dépenses affectées au budget de la santé. Dans la mesure où le personnel des hôpitaux, qui représentent près de 80% des dépenses de santé, bénéficient de la garantie de l'emploi, les coupes porteront principalement sur le niveau et la qualité des prestations. Depuis 1976, on observe un mouvement de départ des médecins québecois vers l'Ontario et surtout les Etats-Unis.

C. LA DIPLOMATIE CANADIENNE

1. Le point de vue de la fédération

a) Entretien avec l'Honorable Lloyd Axworthy, ministre des affaires étrangères

M. Lloyd Axworthy, professeur de Sciences politiques, député à l'Assemblée législative du Manitoba (1973-1979), élu (parti libéral) au Parlement fédéral en mai 1979, réélu en 1988 dans la circonscription de Winnipeg South Center, a occupé divers postes ministériels (emploi et immigration de 1980 à 1983 notamment), nommé ministre des Affaires étrangères le 25 janvier 1996.

M. Lloyd Axworthy, après avoir mentionné sa récente rencontre avec M. Hervé de Charette, s'est félicité de la qualité des relations franco-canadiennes, et notamment de la convergence des vues sur le processus de désarmement nucléaire.

Evoquant la position du Canada à l'égard de l'Alliance atlantique, le ministre des affaires étrangères a précisé que son pays préconisait que soient envisagées des formules souples pour permettre l'élargissement de l'Alliance aux pays d'Europe centrale et orientale. Il a conclu des entretiens qu'il avait eus avec le ministre des affaires étrangères russe, M. Primakov, que la Russie réfléchissait sur un processus qui permettrait de concilier l'élargissement et la sécurité du territoire russe. Il a par ailleurs relevé que les réformes destinées à adapter la structure de l'OTAN à ses nouvelles missions devaient tenir compte des leçons de l'expérience yougoslave.

M. Lloyd Axworthy a noté que les liens transatlantiques lui paraissaient consensuels, en particulier dans les domaines des télécommunications et des technologies de pointe. Il a dressé à cet égard un bilan très positif de la récente visite du ministre français chargé du commerce extérieur, M. Galland.

Le ministre des affaires étrangères s'est également réjoui du partenariat entre la France et le Canada en Haïti.

M. Lloyd Axworthy enfin, a évoqué la coopération nouée dans le domaine de la francophonie, dont il a souligné le dynamisme, en particulier dans le secteur des autoroutes de l'information.

Abordant ensuite, à la demande de M. André Dulait, le débat institutionnel, le ministre des affaires étrangères a indiqué qu'en tant que député d'une province de l'Ouest du Canada, il lui paraissait nécessaire de procéder à des changements fondamentaux dans l'organisation institutionnelle, et notamment à un réaménagement des compétences entre la Fédération et les provinces. Il a indiqué pour sa part qu'il sentait un mouvement positif dans ce sens, et a relevé par ailleurs que les questions auxquelles se trouvait confronté le Canada se posaient également, à des degrés divers, dans d'autres pays.

A la demande de M. André Boyer, qui l'interrogeait sur son récent séjour dans l'ancienne Yougoslavie, M. Lloyd Axworthy a fait part de ses doutes sur les possibilités de maintenir la paix dans cette région. En tout état de cause, a noté le ministre des affaires étrangères, la reconstruction économique et sociale se révélera difficile sans une présence internationale après la fin du mandat assigné par les accords de paix. Cette présence, d'après M. Lloyd Axworthy, ne passe pas nécessairement par le maintien de l'IFOR (force de mise en oeuvre des accords de paix en Bosnie), mais pourrait revêtir d'autres formes comme la constitution de "groupes multilatéraux" dont il n'a toutefois pas précisé la composition. Il a indiqué que le Canada, pour sa part, rendrait sa décision relative au maintien de son contingent au sein de l'IFOR avant septembre prochain. Enfin, il a rappelé l'importance qu'il attachait aux procédures engagées devant le tribunal pénal international, en indiquant d'ailleurs que le futur procureur de cette juridiction serait canadien (Mme Louise Arbour).

Abordant ensuite la situation au Proche-Orient, M. Lloyd Axworthy a partagé la préoccupation manifestée au sommet de Charm El Cheikh de lutter contre le terrorisme, mais il a souligné qu'il était indispensable d'accorder le plus grand soin au problème des réfugiés palestiniens.

Répondant à Mme Bidard-Reydet sur une question relative aux relations transatlantiques, le ministre des affaires étrangères a indiqué que, devant les difficultés parfois rencontrées dans les relations entre les Européens et les Américains, il était important de maintenir des liens plus directs et ouverts. Le ministre a ajouté que s'il comprenait le souci manifesté par les Européens de renforcer l'intégration au sein de l'Union, il convenait aussi de porter une attention accrue aux organismes multilatéraux. A cet égard, le ministre des affaires étrangères a relevé qu'une entente informelle existait entre la France et le Canada sur le rôle qui devait être dévolu à l'ONU. M. Lloyd Axworthy a également attiré l'attention des membres de la délégation sur les préoccupations que lui inspirait la tendance des Etats-Unis à prendre des mesures au caractère extra-territorial (pour Cuba et l'Iran). Il a souhaité que d'autres pays puissent se joindre au Canada pour infléchir les positions américaines.

b) Entretien avec l'Honorable Pierre de Bané, sénateur, président du Comité mixte spécial sur la politique de défense du Canada et l'Honorable Robert Bertrand, député, membre du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants

M. Pierre de Bané, nommé professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval de Québec en 1964, élu député à la Chambre des Communes à cinq reprises, pour la région de la Gaspésie dans l'est du Québec, nommé au Sénat par le Premier ministre P-E Trudeau en juin 1984.

M. Robert Bertrand, député de la circonscription de Pontiac-Gatineau-Labelle depuis le 25 octobre 1993.

M. Pierre de Bané a d'abord souhaité présenter les travaux du comité mixte spécial sur la politique de défense, qu'il préside.

Il a précisé que les consultations auxquelles s'était livré le comité mixte, notamment au cours de ses déplacements à travers le Canada, avaient révélé un clivage entre les militaires et les réservistes d'une part, qui se sentent concernés par les problèmes de défense, et une large partie de la population, d'autre part, indifférente ou tentée par le pacifisme..

La réflexion du Comité a également tenu compte des Livres blancs établis dans d'autres pays, notamment la France, l'Australie et certains pays nordiques.

M. Pierre de Bané a évoqué ensuite les conclusions auxquelles était arrivé le comité. Il a indiqué que les Canadiens n'avaient jamais été aussi présents dans le monde depuis que l'équilibre bipolaire avait été remis en cause. Il a ajouté que le concept de sécurité devait prendre en compte, désormais, de nouveaux facteurs d'instabilité, et insisté en particulier sur l'importance des flux de personnes à travers le monde. Il a également souligné le paradoxe d'une opinion canadienne très largement attachée à la participation des forces canadiennes aux opérations de maintien de la paix sous l'égide de l'ONU, mais réticente à souscrire à tout effort budgétaire supplémentaire en faveur de la défense.

Le comité a préconisé la réduction de la force aérienne et le renforcement des forces terrestres destinées à se déployer dans le cadre des missions des Nations Unies. Le comité a également recommandé l'achat d'équipements blindés dont l'insuffisance s'était révélée au début des opérations conduites par le Canada dans l'ancienne Yougoslavie.

M. Pierre de Bané a conclu sur les dangers présentés par la multiplication des points chauds, par la capacité ouverte à un nombre croissant de personnes de fabriquer des instruments de terreur, et enfin par la montée des intégrismes religieux et des facteurs ethniques.

Ces menaces se précisent alors même que la principale puissance, les Etats-Unis, sont tentés par le repli mais n'ont pas renoncé à conduire une offensive économique dans toutes les directions.

A la suite des propos de M. Pierre de Bané, M. Robert Bertrand a précisé que la force terrestre devait, dans le cadre des recommandations du comité, être augmentée de 3 500 nouveaux soldats afin de mieux répondre aux besoins suscités par le développement des opérations de maintien de la paix.

M. André Dulait s'est interrogé sur les conditions d'acheminement de ces forces terrestres et sur l'utilisation des réservistes dans le cadre des interventions de l'armée canadienne.

M. Pierre de Bané a précisé que la question du transport des troupes n'avait jamais été abordée lors des travaux du comité et que le gouvernement pouvait compter dans ce domaine sur l'utilisation d'avions civils, ou contracter des accords avec certaines entreprises privées. Il a rappelé par ailleurs que les spécialistes s'étaient interrogés sur le rapport coût/bénéfice des forces de réserve. En effet les 30 000 réservistes qui s'engagent à servir 60 jours par an représentent un coût de 250 millions de dollars. Il a rappelé par ailleurs qu'aucune loi au Canada ne permettait de garantir son emploi à un réserviste qui s'offrait comme volontaire pour participer à des opérations à l'étranger. L'opportunité de consacrer des ressources importantes aux forces de réserve, dont la mobilité n'était pas assurée, ne s'imposait pas nécessairement. Toutefois, le débat sur la conscription, a conclu M. Pierre de Bané, ne présentait aucune actualité au Canada.

M. Robert Bertrand a toutefois souligné la qualité des réservistes, attestée par le témoigne d'officiers servant en Bosnie. Il a par ailleurs rappelé que le statut de réserviste demeurait un handicap pour obtenir un emploi.

M. André Boyer s'est interrogé sur l'engagement du Canada au sein de l'OTAN et notamment sur un retrait éventuel du contingent canadien de l'IFOR au moment du départ du contingent américain.

S'agissant du retrait du contingent canadien de l'IFOR, M. Robert Bertrand s'est inquiété de la capacité du gouvernement en place à assurer par ses propres forces la stabilité politique de la région.

M. Marcel Debarge, après avoir insisté sur la force et l'enracinement historiques de la relation franco-canadienne, a souhaité connaître le sentiment de parlementaires canadiens sur la constitution, au sein de l'Alliance, d'un pilier européen de défense.

D'après M. Pierre de Bané, le Canada peut éprouver un sentiment d'exclusion devant le renforcement d'une défense européenne. Il a précisé par ailleurs à l'intention de Mme Danielle Bidard-Reydet, que le rapport du comité n'avait pas indiqué dans le détail les nouveaux points chauds du globe, mais attiré l'attention sur les pays qui disposaient des moyens de destruction massive.

Les deux parlementaires canadiens ont également indiqué à M. André Boyer que le Canada était favorable à la création d'une force spécialisée des Nations Unies dans le maintien de la paix, mais que les Etats-Unis apparaissaient très opposés à ce concept. Ils ont également insisté sur l'importance de l'engagement canadien en Haïti où les Casques Bleus canadiens assuraient la relève des les Américains.

M. André Dulait s'est interrogé sur le moral de l'armée canadienne après les vives contractions budgétaires qui l'avaient affectée.

M. Pierre de Bané lui a répondu que cette question avait été abordée dans le rapport du comité mixte qui avait insisté sur le danger de « faire trop avec trop peu ».

La réduction de 60 % du budget de la défense depuis la parution du Livre blanc en 1987, a ramené l'effort financier que consacre le Canada à sa défense, à 1,7 % de son PIB. Il a rappelé que l'opposition de l'opinion avait conduit à interrompre les négociations du Gouvernement canadien avec la France, pour l'acquisition de sous-marins nucléaires.

Il a enfin conclu que la défense avait supporté désormais plus que sa part dans l'effort budgétaire.

c) Entretien avec l'Honorable John Stewart, président du comité des affaires étrangères du Sénat

M. John Stewart, né le 19 novembre 1924, Professeur, élu pour la première fois à la Chambre des Communes en 1962 pour la circonscription d'Antigonish-Guysborough, nommé au Sénat le 13 janvier 1984 par M. P-E Trudeau.

M. John Stewart a d'abord évoqué les conditions dans lesquelles avait été promulgué l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Il a précisé que les libéraux arrivés au pouvoir en 1993 avaient souhaité renégocier certaines des clauses de cet accord. En effet, l'échec des conservateurs aux élections apparaissait lié en partie à la position trop favorable de ce parti à l'égard des Etats-Unis. Il a relevé notamment que l'ancien Premier ministre conservateur, n'avait pu être réélu en raison des appréhensions suscitées par la concurrence américaine, en particulier dans le secteur de pâte à papier, principale activité de la circonscription de M. Brian Mulroney.

M. John Stewart est revenu sur la position du Canada à l'égard de l'OTAN. Il a indiqué que le Canada devait rester un membre à part entière de cette organisation et qu'il était indispensable de maintenir une structure efficace pour garantir la sécurité du monde occidental. Il s'est par ailleurs montré favorable au renforcement du rôle de l'Europe occidentale au sein de l'Alliance Atlantique.

Un débat s'est ensuite engagé entre les membres de la délégation française et les sénateurs du comité des affaires étrangères.

A une question de Mme Bidard-Reydet sur les risques de délocalisation liés à la mise en place de l'ALENA, le sénateur Beaudoin a indiqué que le libre-échange s'était imposé depuis la fin du siècle dernier au Canada et que l'économie du continent nord-américain était désormais intégrée. Il a précisé cependant que l'élargissement de l'accord de libre-échange au Mexique introduisait une donnée nouvelle, mais qu'il fallait tirer le meilleur parti de cette ouverture.

Le sénateur Stollery (libéral) a, pour sa part, manifesté de très fortes réticences à l'égard de l'ALENA. Il a indiqué que malgré l'hostilité d'une majorité de Canadiens, les conservateurs avaient tout de même pu conduire les négociations à leur terme.

D'après lui, l'élargissement de l'accord de libre-échange au Mexique répond à une préoccupation américaine dictée par des motivations purement intérieures ; le Canada menacé par un accord séparé entre les Etats-Unis et le Mexique avait dû consentir à la volonté américaine.

Revenant sur la fermeture et la décision de délocaliser une unité de production de camions installée dans la région de Montréal, le sénateur Grafstein a souligné qu'il s'agissait d'abord d'un problème lié aux incertitudes politiques plutôt qu'à des raisons économiques. Il a indiqué que, de façon générale, l'Ontario profitait des problèmes que rencontrait le Québec.

A une question de M. André Boyer sur un nouvel élargissement de l'ALENA à d'autres pays d'Amérique latine , le sénateur Stewart a indiqué que des négociations étaient en cours avec le Chili, sur une base bilatérale, afin d'offrir un cadre favorable aux investisseurs canadiens intéressés par ce pays.

Le sénateur Grafstein (libéral) a relevé que le Brésil pouvait également accueillir les investissements canadiens.

Cependant le sénateur Stollery a indiqué que les investissements des pays industrialisés en Amérique latine se heurtaient à des problèmes de sécurité et des difficultés économiques rencontrés par certains pays.

Mme Danielle Bidard-Reydet et M. André Boyer ont insisté sur les problèmes liés au trafic de drogue en Amérique latine. M. Stollery a partagé leur préoccupation.

Le sénateur Grafstein s'est montré très préoccupé par l'exclusion du marché du travail de jeunes pourtant très formés. Il a approuvé à cet égard l'idée du Sommet social de Lille qui s'était interrogé sur les conditions pour créer de nouveaux emplois. Ce problème, a-t-il indiqué, se pose à l'ensemble des pays occidentaux. L'impuissance du monde occidental à apporter une réponse satisfaisante au chômage fragiliserait, d'après M. Grafstein, l'action entreprise en faveur de l'aide au développement.

M. André Boyer a demandé quelle place le Proche-Orient tenait dans la diplomatie canadienne.

Après que M. Stollery eut reconnu que le comité des affaires étrangères n'avait pas eu souvent l'occasion de se pencher sur cette région, le sénateur Prud'homme (indépendant) a indiqué que les questions liées au Proche-Orient constituaient un sujet tabou au Canada. Il a regretté cette attitude dans la mesure où le Canada était apprécié partout au Proche-Orient. Il a indiqué que les représentants officiels du Canada privilégiaient toujours une position favorable à Israël alors même qu'une vision équilibrée dans la région impliquait non seulement la reconnaissance de l'Etat d'Israël, mais également la reconnaissance des droits du peuple palestinien.

Avant de conclure l'entretien, les sénateurs canadiens ont interrogé leurs collègues français sur les questions européennes en particulier sur les relations entre l'Union européenne et les pays d'Europe centrale et orientale et aussi la mise en place de l'Union monétaire.

2. Le point de vue du Québec : Entretien avec des hauts fonctionnaires du ministère des relations internationales

Les interlocuteurs de votre délégation ont d'abord évoqué les raisons qui ont conduit le Québec à agir sur la scène internationale. Il a été d'abord reconnu au Québec les compétences externes correspondant à ses compétences internes. La place du Québec dans le monde n'est pas négligeable du point de vue économique, puisque son PIB le classe au 17e rang des pays de l'OCDE (devant le Danemark et la Norvège). L'économie québecoise se caractérise par son ouverture, les échanges commerciaux hors Canada représentant 25% du PIB.

Les relations internationales du Québec ne se sont développées que récemment. Le Canada lui-même n'a pleinement eu la responsabilité de sa politique étrangère qu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Une longue évolution, de 1964 à 1984, a permis au Québec d'assumer de nouvelles responsabilités sur la scène internationale. La Fédération, garante de l'unité nationale, a opposé de fortes résistances à ce processus, où le Québec a pu compter sur l'appui décisif de la France.

Aujourd'hui, l'action internationale est conçue comme un instrument majeur du développement social, politique, culturel et économique du Québec. Elle est confrontée à trois enjeux majeurs : la conciliation entre l'impératif d'ouverture économique, d'une part, et le cadre réglementaire nécessaire pour les échanges culturels, d'autre part ; le recentrage de l'Etat sur ses tâches principales ; la réponse au besoin irréductible des identités.

Le Québec est placé au coeur de ces trois défis. Il a milité pour l'accord de libre-échange nord-américain, dont il souhaite l'extension à d'autres pays d'Amérique latine. Il souhaite en outre conforter l'identité multiculturelle en privilégiant deux axes : les rapports avec les Etats-Unis (en renforçant le pôle stratégique constitué dans le domaine de la recherche-développement avec le nord-est des Etats-Unis), les rapports avec l'Europe (où la priorité est accordée à la France pour conduire une action commune en faveur de la défense de la francophonie).

La promotion de la francophonie demeure la priorité du gouvernement québecois. Elle s'inscrit dans un projet mobilisateur destiné à favoriser une lecture pluraliste de l'information dans le cadre des réseaux de communication mondiaux. La coopération avec la France pourrait, à cet égard, trouver un prolongement dans une association avec les hispanophones, qu'il est important d'avoir à ses côtés dans le domaine des technologies de l'information.

Les interlocuteurs de votre délégation ont évoqué ensuite les problèmes liés à l'immigration, en indiquant que devant le déficit démographique du Québec, il n'y avait pas d'autre choix que de continuer à recruter des immigrants de qualité. Si le potentiel d'intégration du Québec paraît supérieur aux Etats-Unis, l'immigration, en se concentrant dans la métropole de Montréal, peut créer quelques déséquilibres. En outre, les autorités provinciales ne maîtrisent pas le regroupement familial qui relève de la Fédération. Enfin, les immigrants peuvent considérer leur arrivée au Québec comme la première étape d'une installation en Amérique du Nord, qui les conduira ensuite à se rendre dans d'autres villes canadiennes comme Vancouver ou Toronto.

* 1 L'évolution institutionnelle du Canada au cours de la première moitié du sièle hésite entre centralisation et fédéralisme. Ainsi l'Acte d'Union de 1840 marque un retour à la première tendance (union des deux Canada, reconnaissance de l'anglais comme seule langue officielle). Le fédéralisme devait toutefois l'emporter devant les pressions des Québécois... et aussi des milieux économiques qui considéraient le système fédéral comme « le moyen le plus efficace pour créer un marché économique commun des provinces anglaises d'Amérique du Nord favorisé par un système ferroviaire adéquat » (Gil Remillard, Le fédéralisme canadien, Eléments constitutionnels de formation et d'évolution cité par C. Emeri , Un Etat pas comme les autres in Canada et Canadiens, sous la direction de J-M. Lacroix).

* 2 Au noyau initial des quatre provinces, viendront successivement s'ajouter : le Manitoba en 1870, la Colombie-Britannique en 1871, l'Ile-du-Prince-Edouard en 1873, l'Alberta et le Saskatchewan en 1905, Terre-Neuve en 1949. Le Yukon et les territoires du Nord-ouest -dont sera détaché un troisième territoire d'ici 1999, le Nunavut- sont administrés par un gouvernement territorial.

* 3 Le statut de Westminster prévoit que le Parlement britannique ne peut légiférer pour un dominion ni s'opposer à un texte voté par un dominion.

* 4 Le nombre des députés par province se répartit de la façon suivante : Alberta 26 ; Colombie-Britannique 32 ; Ile-du-Prince-Edouard 4 ; Manitoba 14 ; Nouveau-Brunswick 10 ; Nouvelle-Ecosse 11 ; Ontario 99 ; Québec 75 , Saskatchewan 14 ; Terre-Neuve 7 ; Territoire du nord-ouest 2 ; Yukon 1.

* 5 Les conservateurs, en choisissant de donner à leurs partis le nom de « parti progressiste-conservateur » manifestaient, s'il en était besoin, la faible âpreté du contenu idéologique de la confrontation politique.

* 6 Le nombre des sénateurs pour les autres provinces se répartit de la façon suivante : Alberta 6 ; Colombie-Britannique 6 ; Ile-du-Prince-Edouard 4 ; Manitoba 6 ; Nouveau-Brunswick 10 ; Nouvelle-Ecosse 11 ; Saskatchewan 6 ; Terre-Neuve 6 ; Territoires du nord-ouest et Yukon 1 chacun.

* 7 Le Parti libéral fort de 177 sièges sur 295, a très largement dominé dans les provinces frappées par la récession : les provinces maritimes (31 sièges sur 32), l'Ontario (98 sièges sur 99), les comtés urbains des prairies et même, dans une certaine mesure, le Québec où il obtient 31 % des suffrages, principalement dans la région de Montréal.

* 8 Les anglophones de Montréal ont opté, à une écrasante majorité, pour le statu quo ; les allophones ont également fait, en majorité, ce choix : ainsi, du comté de Jeanne-Mance dans l'est de Montréal, peuplé à 44,6 % d'allophones, principalement des Italiens d'origine.

* 9 Le vote fédéraliste se concentre dans les comtés les plus peuplés, surtout à Montréal, et pèse davantage dans un référendum que dans un scrutin législatif, dans la mesure où la représentation parlementaire tend à avantager les comtés ruraux.

* 10 Au lendemain de l'échec des accords du lac meech, l'audience du parti québécois avait connu ainsi une très nette progression.

* 11 Les Abénaquis, Algonquins, Attikameks, Cris, Hurons-Wendat, Malecites, Micmacs, Mohawks, Montagnais et Naskapis.

* 12 Parmi les quinze principes reconnus aux autochtones citons le droit de posséder et de contrôler les terres qui leur sont attribuées, le droit d'y exercer leurs activités de chassse et de pêche, le droit de participer à la gestion de la faune, de préserver leurs cultures, leur langue et leurs traditions, le droit d'orienter cette identité propre dans le cadre des lois du Québec.

* 13 M. Ignatieff, Québec : La société distincte, jusqu'où ? in Le déchirement des nations sous la direction de J. Rupnik.

* 14 Cette entente prévoyait, d'une part, une répartition du volume de la production en fonction de l'évolution de la consommation entre les deux pays et, d'autre part, une suppression progresive des droits de douane sur les automobiles et les pièces détachées.

* 15 L'asymétrie des relations Canada-Etats-Unis se symbolise par ce raccourci : le surplus exporté de la production céréalière américaine correspond à la production totale du Canada dans ce secteur.

* 16 M. Bernard Bonin nous a fait part d'un avis contraire : voir le compte rendu d'entretien p. 91.

* 17 L'exercice budgétaire fédéral commence le 1er avril de chaque année.

* 18 La hausse des impôts est immédiatement sensible dans la mesure où elle passe nécessairement par une augmentation de l'impôt sur le revenu des particuliers, qui représente 43 % des ressources du gouvernement fédéral.

* 19 Une dotation est versée quand une province a un potentiel fiscal inférieur à la « moyenne ». Dans le cas contraire (Alberta, Colombie-Britannique, Ontario), la dotation est nulle.

* 20 Ainsi l'assurance chômage est subordonnée désormais à des règles strictes : nécessité d'avoir eu un emploi durant 15 semaines dans l'année au lieu des 10 semaines précédemment, pour pouvoir bénéficier d'indemnités.

* 21 Ainsi l'agence de notation Moodys chargée d'évaluer la signature d'émetteurs d'obligations publics ou privés, a déclassé la signature du Québec, compte tenu des progrès insuffisants dans la réduction du déficit.

* 22 La situation de Terre-Neuve s'apparente plutôt à celle de St. Pierre-et-Miquelon.

* 23 Il existe à cet égard une divergence avec les statistiques des douanes canadiennes qui ne prennent pas en compte les flux destinés à la France transitant par des pays tiers (notamment les Pays-Bas avec Rotterdam), et relèvent donc un excédent au profit de la France de 1,2 milliard de dollars canadiens (soit 4,3 milliards de francs).

* 24 Contrairement à certaines prévisions alarmistes, l'ensemble du potentiel industriel a été maintenu au Canada.

* 25 A l'occasion de la visite du site internet de l'Assemblée nationale du Québec, votre délégation a pu prendre la mesure des perspectives prometteuses que ce nouvel instrument de communication ouvrait à la coopération interparlementaire entre Paris et Québec.

* 26 John Saul, Canada des anglophones, Le Monde, 6 novembre 1987.

* 27 Le Figaro, 27 octobre 1995.

* 28 En maintenant un montant minimum de transferts en espèces aux provinces au lieu d'un transfert en points d'impôts, Ottawa se réserve la capacité de suspendre des paiements de transfert pour obliger les provinces à respecter, en matière sociale, les normes nationales.

* 29 M. Robert Bourassa, premier ministre libéral du Québec (1970-1976, 1985-1995).

* 30 Agence pour la coopération technique, industrielle et économique.

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