II. LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE : UNE COHÉRENCE INSTITUTIONNELLE INSUFFISANTE

A. L'AUTONOMIE DES MOYENS COMMUNAUTAIRES AU REGARD DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE COMMUNE

1. L'unicité du cadre institutionnel : une cohésion apparemment sauvegardée

a) Une structure en piliers problématique

On sait quels furent les débats lors des négociations de Maastricht et à quels compromis laborieux ils conduisirent. Ce principe de l'unicité du cadre institutionnel combiné à des règles de fonctionnement différents -dont témoigne la séparation du traité en pilier- tendait à répondre à des aspirations contraires. L'expérience allait attester la difficulté de faire fonctionner efficacement le dispositif ainsi mis en place.

Pour la politique étrangère, la Commission doit partager avec le Conseil un pouvoir d'initiative dont elle a par ailleurs l'exclusivité pour les politiques communautaires. En second lieu, dans le cadre du second pilier, elle laisse au Conseil, et en particulier à la présidence, la responsabilité de l'application des décisions , responsabilités dont elle se trouve investie pour l'ensemble des politiques communautaires. Cette séparation n'appellerait pas dans son principe d'objections particulières si elle s'était accompagnée de la mise en place au sein de chaque « pilier » de « blocs de compétence » cohérents organisés selon des procédures homogènes. Cela n'a pas été le cas dans le domaine de la politique étrangère de l'Union. Il appartient au Conseil de définir les axes politiques des relations de l'Union avec les pays tiers tandis que la Commission continue de gérer selon les principes communautaires les relations commerciales extérieures ainsi que l'aide dispensée aux Etats ou aux zones extérieures à l'Union.

D'un côté, une volonté politique privée de moyens et condamnée ainsi à l'impuissance ; de l'autre, un ensemble de moyens financiers et d'aides laissé sans direction politique, tels seraient, en forçant à peine les traits, les risques de la partition opérée dans le domaine de la politique étrangère.

b) Les interactions prévues dans le traité

Les négociateurs ont bien senti les dangers que l'organisation institutionnelle faisait courir à la cohérence de la politique étrangère commune. Aussi ont-ils d'abord réaffirmé le principe d'une cohésion indispensable et prévu différentes hypothèses d'interaction.

Les organisateurs ont d'abord souligné leur préoccupation de l'indispensable cohérence de l'action de l'Union sur la scène internationale. L'article C du traité sur l'Union européenne pose à cet égard le principe décisif :

« L'Union veille, en particulier, à la cohérence de l'ensemble de son activité extérieure dans le cadre de ses politiques en matière de relations extérieures, de sécurité, d'économie et de développement. Le Conseil et la Commission ont la responsabilité d'assurer cette cohérence. Ils assurent, chacun selon ses compétences, la mise en oeuvre de ces politiques ».

La rédaction témoigne d'un certain embarras puisque si le principe de cohérence est rappelé, il doit également s'accommoder du respect des compétences de chaque institution. Certains pays, soucieux de défendre les droits de la Commission, ont ainsi pesé sur la rédaction du traité. La mention, retenue dans l'article précité, relative au respect et même au développement de l'acquis communautaire, leur donne satisfaction.

Les principaux articles auxquels renvoie le second pilier garantissent l'unicité du cadre institutionnel 9 ( * ) .

Deux dispositions permettent cependant d'établir un lien opératoire entre les deux piliers. La première porte sur le financement des dépenses administratives liées à la PESC, prises en charge au terme de l'article J 11 paragraphe 2, par le budget des communautés européennes selon les procédures de droit commun. Votre rapporteur reviendra un peu plus loin sur la question du financement de la PESC.

La seconde disposition porte sur un domaine précis mais essentiel des relations extérieures : les sanctions économiques . L'article 228 A du traité CE prévoit, sur la base d'une position ou d'une action commune, la suspension ou la réduction des relations économiques par un vote à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission. C'est peut-être le seul exemple dans le traité où se trouve explicitée la procédure entre une décision politique au titre de la PESC et la mise en oeuvre de moyens communautaires. Cependant, la question des sanctions économiques a pu donner prise au soupçon de la contagion des politiques communautaires par la logique intergouvernementale. En effet, la pratique a montré à plusieurs reprises que les positions ou actions communes prédéterminaient souvent le contenu même des sanctions. Ainsi, la procédure communautaire dans son double aspect -initiative de la Commission, vote à la majorité qualifiée- perd de sa pertinence.

Si le débat peut ainsi se développer sur un point qui fait pourtant l'objet d'un dispositif explicite, on peut imaginer combien il trouve matière à le développer lorsque le traité n'a rien prévu alors même que les interactions se présentent à tout moment dans la politique étrangère entre premier et second piliers.

2. La difficile coordination des instruments communautaires au service de la politique étrangère commune

a) La Commission : un souci constant pour protéger ses prérogatives

Le texte du traité se préoccupe davantage de préserver les compétences de chaque institution plutôt que d'établir des moyens de mieux coordonner les actions conduites au titre de la PESC et celles gérées dans le cadre communautaire.

Revenons ainsi un instant sur les actions communes. Ne s'agit-il pas en principe de définir une stratégie globale vis-à-vis d'un pays ou d'une zone géographique (par exemple les pays d'Europe centrale et orientale, par exemple encore la Méditerranée). Comment ces orientations arrêtées dans le cadre de la PESC ne comprendraient-elles pas la mise en oeuvre d'aides financières ou l'utilisation des programmes communautaires (Phare et Tacis par exemple pour le pacte de stabilité) ?

Mais la Commission, appuyée par un certain nombre de pays spécialement attachés à la dynamique communautaire, cherche à préserver son autonomie. Elle peut s'appuyer, on l'a vu, sur la lettre même du traité qui n'en appelle au principe de cohérence que pour mieux affirmer le nécessaire respect des attributions de chaque institution.

Au-delà de la sauvegarde de ses pouvoirs, la Commission se pose, comme l'y invite le traité 10 ( * ) , en gardienne de l'acquis communautaire. La tendance de la PESC à inclure des dispositions relevant du premier pilier lui donne ainsi l'occasion de contester la formulation de certains actes PESC ou d'opposer à leur mise en oeuvre une sourde résistance. Ainsi, dans le cas du Rwanda, la Commission a contesté le droit pour le Conseil d'orienter, par les objectifs fixés dans une position commune, les instruments communautaires (en l'espèce la gestion de la convention de Lomé).

Bien qu'elle puisse se fonder sur des arguments légitimes, la position de la Commission ne peut que contrarier le souci de cohérence, condition indispensable de l'efficacité de la PESC.

b) Des solutions de compromis peu satisfaisantes

La pratique et l'expérience ont certes permis de parvenir le plus souvent à des solutions de compromis mais au prix de négociations longues et difficiles. Les forces que les Européens épuisent dans leurs discussions internes n'auraient-elles pas été consacrées avec plus de profit à la négociation diplomatique avec les pays tiers ?

Sans doute le Conseil a-t-il tenté de trouver à ce différend une solution plus durable que les compromis hasardeux élaborés au cas par cas. Pourtant le modus vivendi conçu par le Conseil ne résout rien : un instrument PESC peut en effet se référer à des actions communautaires si ces dernières sont formulées de façon très générale et dans le plein respect de l'autonomie et des principes de travail communautaire.

Le Conseil a ainsi précisé en juin 1995 qu' « une position commune se limite donc à noter, le cas échéant, les mesures prises par la Communauté ou que la Commission a l'intention de proposer pour la mise en oeuvre des décisions spécifiques de la Communauté qui découlent de la position commune ». De même les actions communes doivent se borner à « énoncer » les mesures communautaires nécessaires « telles que proposées par la Commission » à l'appui des actions communes.

Aussi bien le Conseil s'est-il davantage employé à rassurer la Commission sur le respect de ses compétences propres qu'à mettre au point un moyen de surmonter et d'arbitrer les éventuelles divergences. La logique institutionnelle l'a emporté sur la logique de l'efficacité .

* 9 Ainsi l'article J 11 TUE mentionne les articles 137, 138, 139 à 142 (dispositions relatives à la composition et au fonctionnement du Parlement), 146, 147, 150 à 153 (dispositions sur la composition et le fonctionnement du Conseil à l'exception de celles qui concernent la procédure de vote), 157 à 163 (dispositions relatives à la Commission dont les pouvoirs sont diminués du fait de l'absence de référence aux articles 145 et 155).

* 10 Article 155 paragraphe 1 CE.

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