II. SÉANCE DU MERCREDI 23 OCTOBRE 1996

A. AUDITION DE MM. DIDIER TABUTEAU, DIRECTEUR GÉNÉRAL ET JEAN-PAUL CANO, PRÉSIDENT DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'AGENCE DU MÉDICAMENT

M. Claude HURIET, rapporteur - Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir pour cette toute première audition M. Didier Tabuteau et le professeur Jean-Paul Cano.

Je voudrais établir succinctement le cadre de la réflexion de cette mission, qui fait suite aux travaux sur la thérapie génique et cellulaire, auxquels vous avez participé à divers titres. Ceux-ci avaient fait apparaître à l'époque les performances des établissements concernés par la sécurité sanitaire, mais aussi quelques interrogations sur la cohérence de l'ensemble du dispositif français, et sur les possibilités de le rendre plus performant en termes de sécurité sanitaire des produits.

Cette mission a été constituée sur proposition du président Jean-Pierre Fourcade, au sein même de la commission des affaires sociales, et a pour objet d'établir une sorte d'état des lieux des dispositifs existants en France, et d'étudier l'optimisation à laquelle on peut songer.

Nous ne sommes pas, au sens du règlement du Sénat, une commission d'enquête, mais nous sommes évidemment intéressés par les conditions de fonctionnement des agences et des différentes structures auxquelles le Sénat, à travers sa commission des affaires sociales, a d'ailleurs souvent largement contribué.

Dans la mesure où il s'agit de la première audition, en vous demandant d'excuser l'absence du président Descours, il est sans doute intéressant pour les membres de la mission d'avoir une présentation de l'Agence française du médicament, de voir comment elle est structurée, d'entendre un rappel de ses attributions, mais aussi de voir quels sont les liens qui existent entre l'Agence du médicament et les autres agences, ainsi qu'avec toutes les institutions universitaires de recherche, publiques ou académiques, notre souhait, partant de cet inventaire, étant d'établir les liens les plus opérationnels qui soient pour que la sécurité sanitaire soit le mieux assurée possible.

Monsieur Tabuteau, vous avez la parole...

M. Didier TABUTEAU - Merci de nous permettre d'exprimer quelques-uns des objectifs et des préoccupations de l'Agence du médicament.

L'agence du médicament a été mise en place au début 1993, à la suite du vote de la loi relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicaments, sur amendement parlementaire et sénatorial.

L'agence s'est constituée concomitamment avec la suppression de la direction de la pharmacie et du médicament et du laboratoire de la santé. C'est donc un établissement public qui est venu se substituer à deux directions ou services de l'administration centrale. Ceci a eu des conséquences importantes dans son fonctionnement. Ce n'est pas un établissement public prestataire de service, mais un établissement public auquel des missions régaliennes ont été déléguées par la loi.

Trois années de montée en charge avaient été prévues, et nous voyons se dégager la silhouette définitive de l'Agence depuis 1996.

L'agence se trouve aujourd'hui être le service public d'évaluation et de contrôle du médicament, mais également du réactif de laboratoire -car la France a une position singulière et avancée dans ce domaine- et, depuis le DMOS de mai 1996, des produits biologiques à effets thérapeutiques issus des thérapies géniques et cellulaires.

A la différence de la plupart des agences dans le monde, l'Agence se caractérise par les trois pôles de compétence réunis en son sein.

Le premier est le pôle d'évaluation a priori et a posteriori : AMM et pharmacovigilance.

Le second pôle est celui de l'inspection -contrôle non plus sur pièce mais sur place- des missions d'inspections sont diligentés dans les laboratoires en France, mais aussi, pour la première fois, à l'étranger, notamment au Japon, aux Etats-Unis, au Canada, afin d'inspecter des entreprises fabricant du médicament ou de contrôler le respect des bonnes pratiques cliniques ou de laboratoire.

Le troisième pôle concerne les laboratoires d'analyse. L'agence dispose en effet d'un ensemble de laboratoire relativement important pour un laboratoire d'Etat, qui représente un effectif de 140 à 150 personnes, et permet de réaliser au sein de l'administration les analyses des produits que nous prélevons en inspection de routine ou en cas d'incident.

Très rapidement, une synergie s'est créée entre ces trois pôles, et je considère que leur réunion dans une même structure est un élément essentiel du dispositif de sécurité sanitaire. C'est en fait la condition presque sine qua non du contrôle de l'ensemble de la chaîne du produit, depuis les recherches biomédicales jusqu'à la mise sur le marché que les pouvoirs publics doivent effectuer.

L'Agence se compose donc d'une direction de l'évaluation, d'une direction des laboratoires et des contrôles, d'une direction de l'inspection, une direction des études et de l'information pharmaco-économique pour le bon usage du médicament et du réactif de laboratoire, ainsi que d'une direction de l'administration générale.

L'Agence bénéficie du concours d'une très large expertise externe au travers de dix commissions (AMM, pharmacovigilance...). Cette organisation traditionnelle pour le secteur du médicament a été étendue aux réactifs de laboratoire puisque a été créée une commission d'enregistrement des réactifs de laboratoire.

Mais la particularité de l'Agence a été de constituer une évaluation interne en recrutant des médecins, des pharmaciens, des scientifiques, des techniciens, soit fonctionnaires, soit contractuels, exclusivement affectés aux activités de l'Agence.

Cela a constitué un changement considérable par rapport à la formule précédente, puisque l'administration ne disposait pas de services d'évaluation internes avant la création de l'Agence. Ce point est fondamental. L'Agence est passée de 300 personnes environ à plus de 530 aujourd'hui. Les pouvoirs publics ont réalisé un effort considérable pour doter l'Agence des moyens d'évaluation interne dont elle avait besoin. Aujourd'hui, l'Agence est composée aux deux-tiers de médecins, de pharmaciens et de scientifiques.

L'intérêt de cette évaluation est de disposer d'une évaluation continue et permanente, neutre et indépendante, les agents de l'Agence ne pouvant avoir de lien avec quelque entreprise que ce soit. Par ailleurs, ces services assurent la mémoire de l'évaluation, ce qui ne peut être fait que grâce à des agents permanents. Le souci est en outre de bénéficier d'une évaluation généraliste qui garantisse l'égalité de traitement des différents produits.

En fait, le fonctionnement de l'Agence repose sur l'équilibre entre une expertise externe très poussée, avec l'aide des plus grands spécialistes français, et une évaluation interne faite par les scientifiques de l'Agence.

D'une manière générale, en matière de sécurité sanitaire, trois ou quatre grands principes me semblent se dégager dans la pratique quotidienne. Le premier est le principe de précaution et l'appréciation permanente du rapport bénéfice-risque, sans sombrer ni dans la négligence, ni dans l'hypertrophie du risque, qui peut conduire à geler la prise de décision et à des effets sur la santé publique tout aussi préjudiciables.

Le second principe est le principe de contradiction, qui doit garantir la plus grande transparence et permettre à d'autres scientifiques de faire entendre leur voix.

Le troisième principe est celui de séparation des fonctions. L'exercice du contrôle et du pouvoir de police sanitaire doit être dissocié des fonctions de gestion et de développement d'un secteur. C'est un métier à part entière et nous devons pouvoir avoir une totale indépendance par rapport aux différents interlocuteurs soumis à ces pouvoirs de contrôle et de police. Ceci est plus difficile si l'autorité est également chargée de conduire une politique de développement du secteur.

Enfin, le dernier principe est le principe d'intégration, qui consiste à contrôler l'ensemble de la chaîne. Ce contrôle rejoint une logique de métier, car connaître un produit à travers son évaluation, son inspection et ses analyses en laboratoire permet de développer une expertise beaucoup plus pertinente et efficace que si les pôles d'évaluation, d'inspection, d'analyse sont distincts.

M. Claude HURIET, rapporteur - La parole est maintenant à M. Jean-Paul Cano, président du conseil scientifique de l'Agence...

M. Jean-Paul CANO - Le conseil scientifique de l'Agence a pour mission d'émettre des avis et de veiller à la cohérence de la politique scientifique de l'établissement.

Le conseil scientifique est composé, outre son président, de 26 membres, dont des membres de droit, c'est-à-dire l'ensemble des présidents des commissions, au nombre de 7, ainsi que le directeur du réseau national de santé publique. A côté des membres de droit, on trouve également des membres nommés par le ministre de la santé et notamment des représentants du ministère des universités, du ministère de la recherche, de l'INSERM et du CNRS. Sont également nommés, sur proposition du directeur général, des scientifiques de l'Agence, au nombre de quatre, certaines personnalités -praticiens hospitaliers, professeurs des universités et praticiens hospitaliers.

Depuis sa création, le conseil scientifique s'est réuni, comme le souhaite la loi, plus de trois fois par an, en moyenne quatre fois et a défini deux grandes orientations. La première est de constituer des groupes-projets, afin de répondre à des préoccupations arrêtées pour la majorité par le ministre de la santé, en l'occurrence M. Douste-Blazy.

Nous avons réfléchi à des sujets sensibles, comme la réorganisation du réseau de pharmacologie clinique qui, en France, est rattaché à l'Agence.

Nous avons également formulé un avis sur un document traitant des méthodologies de réévaluation des médicaments, ainsi que sur l'inspection des essais cliniques, qui a pour but d'authentifier la qualité des essais, la façon dont ils sont réalisés dans des services cliniques pas des industriels.

Nous avons également traité d'un sujet sensible, les relations entre l'industrie et l'AMM, qui avait pour but d'étudier les préoccupations des industriels en matière d'évolution d'autorisation de mise sur le marché.

Indépendamment de la création de l'Agence européenne, qui règle les procédures centralisées, nous nous sommes beaucoup penchés sur la mise en place d'un d'équivalent de l'IND, l'"Investigational new drug application", c'est-à-dire l'autorisation que donne la "Food and Drug Administration" avant de démarrer un essai clinique visant à apprécier la tolérance, l'efficacité, l'activité d'un principe actif classique -un médicament-, d'un produit biologique ou d'un dispositif médical. Il est vrai que cette question reste d'actualité : faut-il ou non avoir une IND en France, et dans quel secteur ? Faut-il avoir une IND dans les secteurs très avancés, là où tout le monde apprend, à la fois les pouvoirs publics et l'industrie ?

Nous avons eu aussi une réflexion sur les aspects pharmaco-épidémiologiques. Les ministres de la santé successifs -et parfois même les parlementaires- se sont interrogés sur la pathologie iatrogène et la fréquence d'hospitalisation due à un mauvais usage d'un médicament ? On voit en effet tous les chiffres circuler -3, 5, parfois même 20 %...

Nous avons donc proposé une étude pilote, qui a été acceptée par le conseil d'administration, afin de mettre en place une opération de faisabilité de cette étude, qui va impliquer des centres régionaux de pharmaco-vigilance, pour connaître le coût que cela représente -car le retentissement sur la santé n'est pas neutre- et savoir comment améliorer et diminuer le pourcentage résultant d'une mauvaise utilisation des médicaments.

Enfin, à la demande du directeur général, nous avons ouvert un autre grand projet sur l'utilisation des tests à domicile, leurs qualités, leurs modalités d'enregistrement et de contrôle, leur fiabilité. Ce sont des questions relatives à la fois à la sécurité sanitaire et au contrôle des produits.

Voilà donc les missions de ce conseil scientifique, qui arrive d'ailleurs au terme de son mandat de trois ans.

M. Claude HURIET, rapporteur - Monsieur le Directeur général, pouvez-vous prolonger votre propos concernant les relations extérieures de l'Agence ?

M. Didier TABUTEAU - Les relations que l'Agence a pu nouer sont de plusieurs types. Nous sommes une composante du ministère de la santé et travaillons quotidiennement avec la direction générale de la santé, la direction des hôpitaux, la direction de l'administration générale du ministère et la direction de la Sécurité sociale sur les sujets qui nous communs, l'Agence étant elle-même venue se substituer à deux direction et service.

Nous avons bien évidemment des relations de travail avec les autres agences, en cas de problèmes communs, grâce notamment à un dispositif d'alerte partagée. Par exemple, lorsqu'il apparaît qu'un donneur de sang a développé une pathologie, l'Agence du sang s'occupe des produits labiles et nous nous occupons de la procédure d'alerte sanitaire pour les produits sanguins stables préparés à partir de ce don.

La procédure fonctionne alors très rapidement. De même, nous les informons lorsque des incidents proviennent sur des produits stables.

Nous avons de plus certaines conventions avec ces institutions. L'une des particularités de l'Agence est de posséder des laboratoires d'analyses dont ne disposent pas l'Agence française du sang ou l'établissement français des greffes. Nous avons donc conclu une convention avec l'Agence du sang et l'établissement français des greffes pour réaliser des analyses à leur demande.

De même, une convention a été conclue avec l'INSERM, et je ne doute pas que les opérations de réimplantation des laboratoires de l'Agence dans des milieux scientifiques intéressants se traduiront par le développement de conventions scientifiques de coopération avec les universités sur Paris, Lyon ou Montpellier.

D'autre part, les commissions sont un lieu d'échange entre la communauté scientifique et l'Agence. Ces commissions sont composées d'experts, de chercheurs, d'hospitaliers qui irriguent et développent l'expertise de l'Agence. En effet les commissions représentent 300 membres permanents répartis dans dix commissions et près de 1.500 experts, qui interviennent selon les cas, les pathologies, les médicaments en cause.

Il existe d'autre part des réseaux de pharmacologie clinique, mais aussi de pharmaco-vigilance -31 centres répartis dans les grands centres hospitaliers universitaires- et les centres d'étude sur la pharmaco-dépendance assurant le suivi de tous les médicaments psychotropes ou stupéfiants, qui jouent un rôle essentiel pour remonter l'information et analyser les problèmes scientifiques que l'Agence peut avoir à traiter.

Enfin, d'une certaine manière, l'Agence est l'une des composantes du réseau des autorités sanitaires du médicament en Europe, dont le centre est situé à Londres, avec l'Agence européenne. C'est une composante qu'il faut avoir à l'esprit, car cela se traduit par la présence très fréquente d'experts de l'Agence française à Londres pour réaliser des travaux d'évaluation, pour le compte des institutions européennes, qui déboucheront sur une AMM européenne.

Le réseau vaut aussi pour la vigilance sanitaire, puisqu'il existe une alerte systématique entre les quinze autorités sanitaires des pays de l'Union, en cas d'incident sur un médicament exporté. Cette collaboration scientifique a incontestablement permis une évolution du niveau des exigences communes, dans le sens d'une vigilance accrue.

D'une manière générale, trois critères essentiels s'imposent à l'Agence.

Le premier concerne le niveau scientifique. Il doit être le plus élevé possible. Le second est le critère de l'efficacité administrative (rigueur des procédures, délais conformes aux textes, ce qui est rarement le cas en Europe) nous avons ainsi consacré beaucoup d'efforts à la résorption des retards et à la remise à niveau des procédures. Enfin, troisième critère : la rigueur déontologique et la transparence. C'est pour cela que l'Agence du médicament a été la première administration française à imposer des déclarations d'intérêt à ses experts et à les publier.

Ces déclarations ont été rendues publiques sur décision de Mme Veil, sur ma proposition, fin 1994. Il a été publié en annexe à notre rapport d'activité avec l'accord de M. Gaymard, dès 1995.

Il reste que nous avons beaucoup de progrès à réaliser dans le domaine de l'information des professionnels de santé. Nous essayons d'améliorer la diffusion d'information de santé publique sur le médicament et le réactif de laboratoire.

La première étape à avoir été franchie a été l'alerte sanitaire. L'agence a mis en place, mi 1994, un serveur minitel grand public qui retrace toutes les décisions de retrait de lots de médicaments de façon exhaustive et transparente.

C'est un souci constant et le choix de l'Agence a été de faire figurer tous les rappels sur minitel, pour que les pharmaciens puissent le consulter tous les jours et avoir une information immédiate, mais également pour permettre au public de vérifier ou d'infirmer les rumeurs, de s'informer directement auprès de l'autorité sanitaire.

Pour ce qui est de l'information professionnelle, il existe un certain nombre de publications de l'Agence adressées aux médecins et pharmaciens, comme les fiches de transparence comportant en particulier des tableaux comparatifs entre médicaments, par classe thérapeutique et grande pathologie. Nous diffusons également des avis aux prescripteurs par la presse professionnelle, mais également parfois par lettre personnelle, chaque fois qu'un problème de pharmaco-vigilance le justifie. Evidemment, la lettre à chaque médecin est un système très coûteux et nous ne pouvons y avoir recours systématiquement.

Enfin, nous travaillons au développement de publications adressées à l'ensemble des professionnels pour leur apporter l'information de sécurité sanitaire qui leur est due. C'est sans doute un des grands chantiers d'avenir pour l'Agence.

M. Claude HURIET, rapporteur - La parole est aux commissaires...

M. Bernard SEILLIER - Avez-vous des contacts informels avec l'inspection vétérinaire ou la répression des fraudes ?

M. Didier TABUTEAU - L'essentiel de ces relations passent par l'intermédiaire de la direction nationale de la santé. Il peut y en voir directement, notamment concernant le contrôle de la publicité de produits à allégations santé, mais ces problèmes ne sont pas dans la sphère directe de compétence de l'Agence.

M. Dominique LECLERC - Qui informe les professionnels en matière d'alerte sanitaire ?

Par ailleurs, concernant les lots médicamenteux, en tant que professionnel, je pense que l'information doit être améliorée.

D'autre part, je ne vois pas comment les parlementaires pourront être appelés à voter la loi de financement de la Sécurité sociale, sans avoir été informés de la fantastique évolution des dépenses de santé liée à l'hépatite C ou aux pathologies nouvelles. Le rôle de l'Agence n'est-il pas aussi d'anticiper dans ce domaine ?

M. Didier TABUTEAU - Tout d'abord, il n'existe effectivement pas de moyens d'alerte sanitaire immédiats, en dehors du communiqué de presse, lorsque des circonstances graves l'exigent.

Nous avons donc souhaité mettre deux dispositifs en place, le premier par le biais des industriels avec le concours de l'ordre national des pharmaciens, à travers le système des grossistes-répartiteurs, qui permet de toucher toutes les pharmacies dans la journée, et le second par l'intermédiaire du 3617, la dernière alerte étant maintenue comme première page d'écran.

Bien évidemment, nous souhaitons être plus ambitieux et nous travaillons avec les organisations professionnelles de biologistes à la mise en place d'un échange automatique et télématique d'informations avec les laboratoires, qui sont informatisés presque à 100 %.

Cela offrirait aux laboratoires, dont le nombre est plus restreint et l'informatisation quasi-totale, une possibilité d'alerte sanitaire en temps réel. La profession est très intéressée et cela pourrait également faciliter les transferts d'informations dans le cadre du contrôle national de qualité des analyses de biologie médicale, que nous assurons désormais en interne en vertu de la loi de 1994.

Concernant les retraits de lots, j'espère qu'un système de même nature pourra se mettre en place, mais il est largement tributaire de l'informatisation des pharmacies pour leurs liaisons avec les caisses de sécurité sociale. En effet, on n'imagine pas deux réseaux informatiques, l'un pour la veille sanitaire, l'autre pour l'ensemble des échanges d'informations. Nous souhaitons donc pouvoir disposer d'une liaison télématique avec les pharmaciens dans le cadre du réseau qui sera mis en place, afin de permettre un transfert immédiat de l'information.

Quant aux médecins, qui sont également souvent concernés par des décisions de cette nature, nous comptons beaucoup sur le système d'alerte que prépare la DGS à leur intention et sur lequel nous pourrions nous greffer, lorsqu'il aura vu le jour.

M. Jean-Paul CANO - Pour ce qui est de la question relative au coût, le conseil scientifique n'est saisi que sur des aspects scientifiques, mais nous aurions pu être saisis d'une question sur les stratégies thérapeutiques et leur évolution dans les années à venir. Le problème du coût est du ressort du comité économique...

M. Louis BOYER - Avez-vous, pour nous défendre sur le plan européen, quelque chose correspondant au petit livre orange américain ?

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'en France, l'AMM est trop longue par rapport à d'autres pays, ce qui permet certains piratages. Ainsi, le vaccin contre l'hépatite B, qui a été découvert en France, a été breveté par les Américains, qui ont ensuite intenté un procès aux Français pour l'avoir copié !

M. Didier TABUTEAU - J'ai beaucoup insisté, au début de mon propos, sur les trois pôles, selon moi essentiels. L'inspection est la clé de voûte du dispositif. Le souci a été de constituer une inspection spécialisée dans les différents domaines relevant de l'Agence et qui vont du contrôle des matières premières à la biologie. Nous sommes ainsi allés, conjointement avec le MCA britannique, pour le compte de l'Agence européenne, contrôler des entreprises fabricant des produits soumis à un enregistrement par la procédure centralisée. Nous le faisons maintenant dans le cadre de procédures nationales.

Cette inspection concerne également les essais cliniques, car il est essentiel de vérifier que les essais ont bien eu lieu dans les services hospitaliers et qu'ils ont été faits conformément aux bonnes pratiques cliniques, afin de garantir la solidité des résultats sur lesquels l'évaluation va se fonder pour délivrer l'AMM.

Cette inspection me paraît être un élément essentiel qu'on doit pouvoir porter à l'extérieur de nos frontières, comme le font depuis longtemps certaines inspections étrangères.

Quant au livre orange, il s'agit des bonnes pratiques de fabrication, qui sont harmonisées au niveau européen.

M. Jean-Paul CANO - Concernant la longueur de l'AMM, les procédures ne sont pas du tout les mêmes. Ce qui compte, c'est la date de dépôt. Or, la différence par rapport aux Etats-Unis n'est pas hautement significative. J'en veux pour preuve une étude publiée par la FDA en mars 1996. Le différentiel est de l'ordre de quelques semaines, voire d'un mois ou deux. Par contre, la procédure américaine oblige à un dépôt avant les études cliniques...

Par contre, pour les technologies innovantes - transferts de gêne, manipulations de cellules vivantes ou production de nouveaux types de vaccins, en un mot pour la biotechnologie et la biothérapie- je suis un fervent partisan d'une IND. Cela n'engage que moi, et non le conseil scientifique, bien évidemment...

M. Didier TABUTEAU - Effectivement, il arrive dans un certain nombre de cas que l'AMM soit délivrée plus tôt aux Etats-Unis qu'en Europe, mais parce que le dossier a été déposé un an ou un an et demi avant d'avoir été déposé en Europe ! Or, nous sommes tributaires de la décision du laboratoire d'enregistrer ou non le produit. Si l'on prend en compte la date de dépôt et la date de délivrance de l'AMM, tout s'inverse, et la délivrance se fait dans les 200 à 300 jours en Europe. Pour les molécules très innovantes ou les pathologies graves, la délivrance se fait plutôt autour de 100 jours...

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - En cas de refus d'inspection à l'étranger, iriez-vous jusqu'à priver la France ou l'Europe de certains médicaments et procédés ?

Par ailleurs, depuis 1994-1995, ressentez-vous chez les professionnels de santé une évolution dans les comportements ?

Enfin, début 1996, on a senti qu'il existait quelques chasses-gardées dans vos relations avec les autres agences. Où en êtes-vous de ce point de vue ?

M. Didier TABUTEAU - Concernant les inspections, il existe plusieurs types de pratiques. Au sein des pays de l'Union, il y a échange d'informations, éventuellement des inspections conjointes. A l'extérieur de l'Union, nous pouvons aller voir sur place. Notre métier est d'être vigilant et il est essentiel que, pour tout dossier et tout laboratoire, il y ait possibilité, pour l'autorité chargée de l'évaluation et du contrôle, d'exercer un contrôle sur place. Nous le faisons systématiquement dans certains cas, ou par sondage, mais on doit pouvoir le faire !

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Il n'y a jamais de refus ?

M. Didier TABUTEAU - Si tel était le cas, on en tirerait les conséquences. Cela jetterait la suspicion sur le dossier...

Par ailleurs, il existe un travail international au niveau de l'ancienne convention Pic. Ce travail continue, et la Commission doit, au nom de l'Union européenne, voir dans quelles conditions les pays d'Europe peuvent échanger une information avec des pays tiers et reconnaître mutuellement les inspections réalisées par ces pays et par les pays de l'Union.

Pour ce qui est de l'alerte sanitaire et de l'évolution des comportements, il est vrai qu'on ressent dans le secteur de la santé une attention accrue des professionnels dans leur ensemble concernant les questions de vigilance et de sécurité. Ainsi, la France est le premier pays au monde à avoir réévalué les tests de dépistage. Puis les Etats-Unis et l'Allemagne s'y sont intéressés...

On relève des problèmes de sous-notifications dans tous les systèmes de vigilance. C'est un constat classique. Cela dit, on a un système qui fait remonter énormément d'informations. Encore une fois, je préférerais qu'il y en ait plus, mais le système reçoit plus de 15.000 notifications de pharmaco-vigilance. Le système français de pharmaco-vigilance est au premier rang en termes d'informations émanant des professionnels, alors que, dans bien des pays, ces informations transitent par les entreprises. C'est un atout très important pour le système français !

Quant aux relations avec les agences, je ne crois pas qu'il existe de gros problèmes de frontières. Les choses sont définies clairement par les textes. Une complémentarité existe par exemple pour les analyses en laboratoire que l'Agence du médicament réalise en vertu de conventions pour le compte de l'Agence française du sang et de l'Etablissement français des greffes, voire de la Direction générale de la santé.

Incontestablement, le problème qui peut se poser est celui des produits qui ne sont pas sous le champ de compétence de ces établissements. C'est un peu le "syndrome du lampadaire" : le problème, c'est ce qui n'est pas sous le lampadaire !

Pour ces produits sans statut, le problème est beaucoup plus difficile. Les méthodologies d'évaluation, les compétences sont à définir comme cela a été fait pour les thérapies cellulaires récemment.

M. François AUTAIN - La formule qui existe actuellement est-elle suffisante pour garantir la sécurité sanitaire des malades qui s'adressent à l'Agence du sang ou à l'établissement français des greffes ? Le système de convention est-il satisfaisant ou faut-il penser à quelque chose de plus efficace pour éviter la survenue d'incidents comme ceux qu'on a pu connaître avec le sang ou les prothèses siliconées ? Faudrait-il élargir vos compétences ?

M. Didier TABUTEAU - Permettez-moi de répondre de façon technique et purement administrative à une question qui est de l'ordre de la politique de santé...

Tous les observateurs ont noté une extraordinaire amélioration de la situation du contrôle de la sécurité sanitaire en France depuis quelques années pour les grandes gammes de produits.

Quant aux conventions entre établissements, il ne s'agit pas de répartir les compétences de contrôle, qui sont définies par la loi, mais simplement de réaliser le travail d'analyses. D'une certaine manière, nous jouons le rôle de laboratoire de contrôle d'Etat pour les autres autorités sanitaires.

Le souci est de s'assurer que tout ce qui doit être soumis à évaluation et à contrôle au titre des législations sur les produits l'est effectivement. S'agissant du champ de compétences de chaque établissement et du fait de savoir si cela doit donner lieu à regroupement, vous me permettrez de ne pas répondre...

En revanche, il existe une véritable interrogation de santé publique sur les produits qui ne sont pas définis comme entrant dans le champ de contrôle et d'évaluation d'un établissement, c'est-à-dire les produits frontières ou sans statut. Pour les produits frontières, par exemple entre médicament et dispositif médical, il doit y avoir une décision de classement dans l'une des catégories. En général, la décision est prise à Bruxelles, car ces problèmes de produits-frontières se posent dans tous les pays. Certains tombent dans le champ du dispositif, d'autres dans le champ du médicament.

La difficulté majeure me paraît résider dans les produits qui se situent hors du champ du lampadaire.

M. Claude HURIET, rapporteur - Pouvez-vous nous donner la liste de ces produits hors champ ? ... Je songe aux biomatériaux, aux additifs alimentaires... La réponse est essentielle pour fixer le champ de réflexion de la mission...

Par ailleurs, l'Agence a-t-elle un rôle d'accompagnement des usagers, ou bien existe-t-il quelques étapes-clés ? Quel rôle envisagez-vous tout au long de cette chaîne que vous avez évoquée ?

Par ailleurs, dispose-t-on d'un nombre suffisant d'experts pour que la procédure de contradiction soit effective, sans aller à l'encontre du principe de prise d'intérêt ?

Enfin, quelles sont les attributions respectives actuelles et à prévoir entre l'Agence européenne et les agences nationales ?

M. Didier TABUTEAU - Le premier point mérite un examen scientifique que je ne suis pas en mesure de fournir. Je peux citer quelques exemples de produits, comme les milieux de culture, que l'on peut utiliser dans un certain nombre d'actes médicaux. D'autres produits accessoires à l'acte médical ne figurent pas toujours dans un circuit de réglementation classique. La question se pose même pour les actes médicaux.

Je suis étonné qu'il n'y ait pas, en France, de système de déclaration des effets indésirables de médico-vigilance. Tout médicament qui pose un problème doit donner lieu à une déclaration obligatoire du professionnel qui en a connaissance. En revanche, des pratiques médicales qui donnent lieu à des effets indésirables ne sont pas répertoriées.

M. François AUTAIN - Pouvez-vous donner des exemples d'accessoires à l'acte médical ?

M. Didier TABUTEAU - ... Des milieux de conservation, des produits de traitement ex vivo.

M. Claude HURIET, rapporteur - Nous aimerions que vous prolongiez la réflexion par une note écrite. Nous allons poser la question à la plupart de nos interlocuteurs...

M. Didier TABUTEAU - Quant au rôle de conseil, tout comme dans les grandes agences internationales, il est possible d'obtenir un conseil au cours des recherches conduites par les entreprises. Nous avons parfois des réunions de concertation, dans lesquelles le laboratoire, très en amont de l'AMM, se renseigne pour savoir, sans engagement de notre part, dans quelle voie les derniers essais cliniques doivent être orientés pour que le dossier d'évaluation soit le plus pertinent possible.

Par ailleurs, on a essayé de publier les jurisprudences des commissions. Il a ainsi été établi des recommandations en matière de publicité pharmaceutique. Il s'agit en fait de mettre la règle du jeu au vu de laquelle les dossiers sont examinés par les commissions à la disposition des industriels.

Enfin, nous avons créé, dès la mise en place de l'Agence, une unité d'assistance aux entreprises, qui a pour rôle de prendre en charge les questions pour lesquelles il n'existe pas d'unité chargée de les traiter. On a ainsi rendu service à un certain nombre d'entreprises...

D'autre part, venant du conseil d'Etat, la procédure contradictoire me paraît constituer le fonctionnement normal de toute institution, et il m'a semblé assez naturel d'essayer de le développer au sein de l'Agence. Cela se traduit par le fait que, lorsqu'on prend des décisions défavorables et relativement lourdes, les entreprises sont invitées à venir s'expliquer et participer au débat avant la prise de décision.

Très régulièrement, par exemple dans le contrôle de la publicité, qui fait l'objet de discussions nourries, nous envoyons une mise en demeure aux laboratoires, qui peut en retour faire connaître son point de vue, soit par écrit, soit par une audition devant la commission. Il nous arrive dans un nombre significatif de cas de lever la mise en demeure au vu des arguments présentés.

Même s'il ne faut pas que cela devienne une méthode dilatoire qui retarde le déroulement des procédures, je crois que lorsqu'une décision défavorable est lourde de conséquences, il est normal que cette contradiction entre laboratoires experts et services de l'Agence ait lieu. Nous essayons de la multiplier chaque fois que c'est nécessaire.

Reste la question corollaire des experts. Les règles sont simples : tout d'abord, un expert qui a un intérêt dans un dossier n'a pas le droit de participer aux délibérations et au vote concernant ce dossier. C'est une règle qui résulte du code pénal et que nous avons rappelée à toutes les commissions.

En revanche -et d'ailleurs, aucun pays ne prend ce risque- dans certains cas particuliers, il est difficile de trouver un expert compétent qui n'ait participé à aucun essai clinique : en effet, comment pourrait-il priver ses patients d'une molécule prometteuse en refusant que son service soit inclus dans des essais cliniques ? Dans ce cas, nous avons recours à trois, voire à quatre experts au lieu d'un, et nous essayons de disposer d'un expert méthodologiste, n'ayant aucun lien, qui pourra avoir une vision différente du contenu du dossier.

Enfin, s'agissant des attributions de l'Agence européenne, il y avait déjà fort à faire à mettre cette agence en place ! Pour ce qui est de l'extension de ses compétences, la réflexion est conduite dans les instances européennes, mais ne débouchera pas à mon avis dans les prochains mois.

M. Jean-Paul CANO - Je voudrais ajouter que nous portons un regard attentif quant à la sécurité et au contrôle des produits alimentaires revendiquant des allégations de santé. Je ne vous cache pas qu'on a beaucoup à faire sur ce sujet.

Enfin, l'intitulé de la mission porte sur le contrôle des produits. Dans certains cas, il conviendrait de parler du contrôle des procédés et des produits : lorsque les produits sont obtenus par des technologies qui ne sont pas bien maîtrisées, ne commettons pas l'erreur de ne regarder que le produit et non le procédé ! Ce serait extrêmement grave pour la sécurité sanitaire !

M. Claude HURIET, rapporteur - Merci beaucoup.

B. AUDITION DE M. MICHEL GANTOIS, PROFESSEUR D'UNIVERSITÉ, SPÉCIALISTE DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES BIO MATÉRIAUX

M. Claude HURIET, rapporteur - Au cours d'une conversation, le professeur Michel Merle m'a fait part des préoccupations que l'on pouvait avoir à propos de l'utilisation, depuis dix ou quinze ans, de certains biomatériaux, dont on pouvait penser qu'ils étaient inertes, et dont on se rendait compte quelques années plus tard qu'ils pouvaient entraîner des incidents dont le côté pathologique n'était pas affirmé.

Or, ayant déjà pu constater que la sécurité des biomatériaux était loin d'être assurée, et ne sachant pas de quel domaine de compétences ils ressortent, j'ai pensé qu'il était utile que le professeur Gantois, qui travaille avec le professeur Merle, soit entendu par notre mission.

Existe-t-il un vrai problème ? Y a-t-il des moyens de réponse ? Sont-ils bien adaptés ?

M. Michel GANTOIS, président du pôle universitaire européen, professeur d'université, spécialiste des biomatériaux - Permettez-moi de me présenter : je suis professeur à l'Institut national polytechnique de Lorraine. J'ai une formation d'ingénieur et je suis spécialiste du secteur des matériaux. J'ai été amené à diriger l'Ecole des mines de Nancy, à présider l'Institut polytechnique, et j'ai créé l'un des plus gros laboratoires français, qui est une structure associée au CNRS, dans le domaine des matériaux, avec des applications dans le secteur des biomatériaux.

Je collabore avec un certain nombre de collègues, en particulier le professeur Merle, dans le cadre de l'Institut des biomatériaux. Je n'ai pas de compétences personnelles sur les aspects liés à la toxicité potentielle des matériaux, qui sont du ressort de mes collègues médecins ou biologistes. Toutefois, ce que je vais dire concerne la qualité de certains produits mis sur le marché, en particulier dans le domaine des prothèses. Depuis maintenant une quinzaine d'années, à la demande de mes collègues de Nancy, et plus généralement de certains collègues médecins français, je suis amené à réaliser des examens sur différents matériaux implantés dans le corps humain, qui ont subi des dégradations souvent prématurées.

Je suis stupéfait par les résultats de mes observations, car la plus grande part des dégradations que je constate sont dues pour l'essentiel soit à des défauts de conception, soit à une mauvaise qualité du matériau. Ce n'est pas le choix du matériau lui-même qui en cause, mais la qualité du matériau utilisé.

Ces erreurs de conception sont de nature mécanique -c'est-à-dire le dessin même de certaines pièces- ou sont imputables à la façon dont le matériau a été choisi -c'est-à-dire sa structure. La majorité des dégradations prématurées et des ruptures est due en fait à l'inobservation de règles élémentaires connues dans le secteur des matériaux et de la mécanique.

Je ne peux me prononcer sur la raison de cette situation, mais je constate que la situation est assez grave et dramatique. J'observe actuellement, à la demande du professeur Merle, une prothèse de genou correctement dessinée, mais réalisée dans des matériaux qui n'ont aucune chance de durer ! Je me demande même pourquoi la prothèse n'a pas cassé dès qu'elle a été posée sur le patient !

Je peux citer ainsi un très grand nombre d'exemples où l'on relève des erreurs dans le choix, la qualité des matériaux et la conception du matériel.

Second exemple : c'est moi qui ai mis en lumière les problèmes liés à un pace maker qui était conçu de telle sorte que la rupture de la lame d'acier au sein du pace maker, perçant la gaine en matière plastique qui l'entourait, allait percer le coeur du patient. Il y a ainsi eu un certain nombre d'accidents. Deux mille sont encore implantés. Je crois qu'ils sont maintenant interdits. Il s'agit là d'une erreur de conception élémentaire de ce matériel.

A quoi cela est-il dû ? ... Bien évidemment, j'ai quelquefois -mais rarement- des contacts avec les fabricants, qui s'inquiètent toujours lorsqu'ils voient le résultat des expertises, et j'ai le sentiment qu'il n'existe pas de contrôle sur ce genre de produits, comme dans d'autres domaines. En effet, de nos jours, il n'existe pas une vis d'avion qui n'ait fait l'objet d'un agrément technique qui la certifie pour une utilisation aéronautique !

Or, j'ai l'impression qu'il doit être aujourd'hui possible d'implanter une prothèse de genou sans que celle-ci ait été certifiée par un organisme quelconque sur le plan technique. Si c'était le cas, on ne devrait jamais observer ce que j'ai été amené à observer !

La situation est assez dramatique car les fautes que j'ai observées sont élémentaires. Les alliages de titane utilisés pour la prothèse de hanche ou de genou sont d'utilisation courante dans l'industrie, en particulier aéronautique ! On sait exactement ce qu'il faut leur faire subir, les conditions de mise en forme, de traitement thermique, de traitement de surface, de forgeage ou autres opérations du même type, afin que leurs caractéristiques mécaniques et leur durée de vie soient garanties. Or, j'observe qu'on a utilisé des alliages qui ne correspondent ni de près ni de loin à ces caractéristiques de base connues par les spécialistes !

Quelle est l'origine ? ... Vraisemblablement la chaîne de fabrication est incorrecte. Selon mes hypothèses, le produit est conçu par le médecin, qui en propose et en décrit les principales fonctions. Ceci est repris par des sociétés qui, autant que j'ai pu le découvrir, sous-traitent ce marché auprès d'entreprises qui n'ont pas obligatoirement les compétences requises pour le choix des matériaux et l'usinage des pièces.

Le professeur Merle m'a amené un jour un lot de vis utilisées pour fixer les petites prothèses. Or, il existait un point faible dans la conception et dans le dessin, sous la tête de la vis, qui cassait dès qu'on la serrait. Ceci est connu de tous les fabricants de vis du monde ! Comment peut-on arriver à de telles situations comme cela ? Je n'en sais rien !

Toujours est-il que j'ai une vue catastrophique, car je n'observe que ce qui est cassé. Je ne vois par conséquent pas ce qui est bon, mais il voit y avoir du bon quand même ! Cela étant dit, moins de 5 % des ruptures que j'ai observées sont acceptables, car on ne peut garantir les matériaux à 100 %. Toutefois, 95 % sont pour moi des fautes de conception et de choix des matériaux !

Je crois qu'il est urgent de faire quelque chose. Il faut que s'installe un contrôle indépendant de toute cette chaîne, qui m'apparaît complexe. Ca n'est certainement pas très compliqué à mettre en place. Il suffit de rassembler dans une institution indépendante, de type public, quelques spécialistes, qui émettront un avis purement technique auprès d'une commission. Il n'y a pas besoin d'aller au-delà. Encore faudrait-il que cela se fasse, et je crois qu'aujourd'hui, cela ne se fait pas !

M. Claude HURIET, rapporteur - Le professeur Gantois a montré la réalité du problème et nous a également permis de découvrir une situation à laquelle, manifestement, la mission doit apporter une réponse !

M. François AUTAIN - Qu'existe-t-il actuellement et que peut-on faire ? Si j'ai bien compris, il n'existe rien !

M. Claude HURIET, rapporteur - Qu'existe-t-il en France ou à l'étranger ? Les exemples que vous avez choisis ne concernent pas seulement des fabrications françaises...

M. Michel GANTOIS - Ce sont malheureusement majoritairement des fabrications françaises.

Je suis par ailleurs terriblement surpris, car d'après mon expérience dans le domaine industriel, le bénéfice sur ces produits semble compris entre 5 et 10, ce qui est considérable ! A ce prix, on pourrait s'attendre à avoir de la qualité. Or, on ne l'a pas !

Enfin, la situation semble connue de certains. Une grande société européenne de traitement de surface, qui a une division en France, refuse de faire du traitement de surface sur les biomatériaux, parce qu'elle considère qu'elle prend trop de risques, les pièces n'étant pas d'une qualité suffisante. Elle pourrait être engagée malgré elle dans des problèmes de responsabilité, qu'elle ne veut pas assumer pour les autres !

M. Bernard SEILLIER - A l'heure actuelle, c'est bien la direction des hôpitaux qui donne l'agrément pour ces produits ? Ne s'entoure-t-elle pas d'une certification d'un bureau ? La procédure n'existe-t-elle ?

M. Claude HURIET, rapporteur - Les dispositifs sont de l'autorité de la direction des hôpitaux. Il nous appartiendra de voir de quels moyens celle-ci dispose pour exercer sa mission. Les dispositifs sont-ils ou non dans les biomatériaux ?

M. Michel GANTOIS - Il existe deux classes de matériaux. On réserve le terme de "biomatériaux" aux matériaux mis en contact avec le milieu biologique. Tous les matériaux travaillent dans un environnement -air, chaleur, vide. On réserve le mot "biomatériaux" aux matériaux qui ont une interaction physico-chimique avec un milieu biologique.

Au-delà, certains matériaux ont des usages thérapeutiques, sans être en contact étroit avec le milieu biologique. Par exemple, tous les matériaux qui se trouvent dans une prothèse de genou ou de hanche sont des biomatériaux. C'est un milieu très complexe, -milieu liquide sans frottement, contact avec les cartilages... Cela nécessite donc des approches pluridisciplinaires.

Les biomatériaux sont métalliques, en céramique, comme les prothèses dentaires, ou organiques -matériaux synthétiques, matières plastiques, silicone. Ces derniers sont d'ailleurs des matériaux qui ont été utilisés pendant des années en considérant qu'ils ne présentaient aucun risque, et pour lesquels on découvre qu'ils sont potentiellement porteurs de risques.

On a des connaissances sur certains matériaux, d'autres sont douteuses car il faut un temps très long pour pouvoir les évaluer. C'est un travail collectif qui nécessite des enquêtes et des observations. Ce que je vous ai dit concerne simplement les caractéristiques des produits que l'on fabrique avec ces biomatériaux.

Indépendamment de leur nocivité sur le corps, qui peut être nulle, comme le titane et ses alliages, utilisée comme support principal des prothèses de hanche ou de genou, le problème qui se pose est un problème de qualité du matériau, tout simplement parce qu'on ne l'a pas utilisé dans les conditions dans lesquelles il doit l'être, pour avoir une résistance mécanique, une propriété de surface adaptée à ce qu'on lui demande du strict point de vue de la mécanique.

On constate alors des ruptures prématurées, avec tout ce que cela implique. La même chose se produit sur des pièces élémentaires comme les plaques osseuses, qui sont réalisées en vulgaire acier inoxydable !

Pour moi, c'est incompréhensible et inacceptable, en regard des prix et de l'état actuel de la technologie dans le domaine des biomatériaux. On prend plus de soin aujourd'hui pour un engrenage de boîte de vitesses que pour des pièces que l'on met dans le corps humain ! Je trouve cela invraisemblable, à tel point que si l'on doit un jour m'en poser une, je ne sais quel type de vérifications je ferai préalablement !

M. Claude HURIET, rapporteur - Les biomatériaux peuvent donc être des matières premières utilisées brutes, mais également entrer dans la fabrication de pièces plus complexes, que l'on appelle "dispositifs", qu'ils soient actifs, comme les simulateurs, ou inactifs, comme les prothèses.

Or, la direction des hôpitaux est concernée par les dispositifs, mais je ne crois pas qu'elle ait compétences ni moyens dans le domaine des biomatériaux...

Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Existe-t-il un organisme qui juge de l'incompatibilité ou de la toxicité des biomatériaux, mais aussi des suites occasionnées par celles-ci ?

Par ailleurs, qui passe commande des appareils ? Ne faut-il pas rapprocher cette absence de contrôle et de tutelle des trafics de prothèses dans l'Ouest ?

M. Michel GANTOIS - Si une prothèse de genou, comme celles que j'ai été amené à examiner après rupture, était passé dans un laboratoire ayant les compétences qui sont rassemblées dans nos laboratoires, simplement pour donner un avis technique sur le choix des matériaux et la conception mécanique, on aurait arrêté cela instantanément !

Y a-t-il eu ce genre d'examen ? Je n'en sais rien, mais j'ose espérer qu'il n'a pas eu lieu, car cela aurait tendance à démontrer que les gens qui l'ont fait ne sont pas compétents ! On devrait interdire de monter ce genre de chose !

M. Bernard SEILLIER - J'ai l'impression que les fonctionnaires de la direction des hôpitaux, qui ne disposent pas de laboratoires, se contentent du dossier pour délivrer l'agrément... Un laboratoire de référence pourrait-il être systématiquement consulté sur les demandes d'agrément, avant même que l'on ne mette en place un organisme, qui paraît nécessaire ?

Mme Annick BOCANDE - C'est un problème scientifique, commercial, mais aussi un problème d'éthique professionnelle et médicale. Je considère que cela dépasse largement le cadre de ce qui a été dit.

M. Michel GANTOIS - L'institut des biomatériaux de Nancy n'a pas de vocation de contrôle. Il a été créé de façon volontariste entre collègues médecins et spécialistes, et c'est à ce titre que je participe à cette opération.

Dans le domaine de la micro-chirurgie et de la chirurgie de la main, certains programmes de recherche-développement visent à développer de nouveaux produits. C'est ainsi qu'on a développé avec Michel Merle une prothèse de l'articulation du doigt qui est utilisée actuellement.

On rassemble ainsi plusieurs types de chirurgiens et de compétences, au sein de l'Institut des biomatériaux dans le domaine des matériaux : spécialistes des matériaux métalliques et des céramiques et spécialistes des matériaux de type organique.

Par ailleurs, nous avons une fonction d'expertise non-officielle. Je restitue l'avis que je donne à mes collègues chirurgiens, qui décident qu'on n'utilisera plus cette prothèse, parce qu'elle est de mauvaise qualité, mais elle peut être vendue ailleurs ! Notre rapport n'est pas diffusé...

D'ailleurs, certains fournisseurs de matériel sont très inquiets, et l'on a déjà reçu quelques appels téléphoniques qui s'apparentaient à de petites pressions de la part des fabricants, qui essayaient de nous expliquer qu'ils avaient travaillé dans des conditions de qualité tout à fait satisfaisantes, nous envoyant même des normes de fabrication qui ne s'appliquaient malheureusement pas !

C'est à partir de là qu'on réussit à mesurer l'incompétence relative de ces gens-là. Ils sont dans ce métier sans savoir ce qu'ils font et ne connaissent pas les matériaux sur lesquels ils travaillent. Je suis convaincu qu'un contrôle est nécessaire. Il n'est pas possible qu'il y ait un contrôle sérieux et que l'on trouve des pièces de cette nature sur le marché !

M. Claude HURIET, rapporteur - Les colles et les ciments font-ils partie des biomatériaux ?

M. Michel GANTOIS - Oui, bien sûr.

M. Claude HURIET, rapporteur - Les colles sont-elles du ressort de l'Agence du médicament ? C'est un produit d'origine biologique ou n'est-ce pour le moment du ressort de personne ?

Quelle est l'utilisation actuelle des ciments en matière de prothèse chirurgicale ?

M. François AUTAIN - Il va falloir supprimer les frontières !

M. Claude HURIET, rapporteur - Les ciments, c'est vous ?

M. Michel GANTOIS - Les ciments, c'est nous. Les colles, cela pourrait être des collègues qui ont des compétences en la matière.

Il existe deux grandes catégories de matériaux : les minéraux et les matériaux organiques, essentiellement constitués de carbone, d'oxygène et d'azote.

M. Claude HURIET, rapporteur - Et les membranes ?

M. Michel GANTOIS - Cela relève des matériaux organiques. On a d'ailleurs un collègue de l'école de chimie de Nancy qui s'occupe de tout ce côté.

M. Claude HURIET, rapporteur - Que se passe-t-il à l'étranger ? Je pense aux Etats-Unis : en termes de parts de marché, les fabricants français se placent-ils convenablement ? Des contrôles de bonnes pratiques de fabrication risqueraient-ils d'entraîner en France soit des délocalisations ou favoriseraient-ils l'expansion de fabricants étrangers ? Existe-t-il une procédure concernant les biomatériaux aux Etats-Unis ?

M. Michel GANTOIS - Je ne connais pas la procédure de qualification aux Etats-Unis, mais il est certain qu'il en existe une, car la mise sur le marché d'un nouveau produit aux Etats-Unis par une entreprise américaine -ou étrangère d'ailleurs- est un processus extrêmement long. Les entreprises américaines le savent fort bien, et j'en connais qui viennent faire leurs tests en Europe. Aux Etats-Unis, un délai de dix à douze ans de négociations et d'examens est nécessaire, alors qu'il est beaucoup moins long en Europe, et en particulier en France.

Sous cette contrainte, d'une façon générale, les produits américains sont de qualité supérieure et développés par des entreprises de dimension internationale. En France, il existe un ensemble de petits réseaux, qui semblent fonctionner de façon régionale...

M. Claude HURIET, rapporteur - Il faudrait peut-être d'ailleurs trouver l'origine de ces structures d'entreprises dans l'histoire. Je me souviens d'un patron nancéien qui connaissait un artisan proche de l'hôpital, bricoleur de génie, qui fabriquait à sa demande tel ou tel équipement de plus en plus sophistiqué : il est pratiquement passé de la pince à l'assistance respiratoire. Je pense que, dans bien des secteurs, l'origine doit être le couple chirurgien-artisan.

Bien évidemment, les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont d'une nature tout à fait différente, mais je crois qu'il y a de cela. Ce n'est pas une excuse : c'est une explication...

M. Bernard SEILLIER - Les évolutions et les développements prévisibles de ces technologies rendraient-ils intéressants le développement de BTS ou d'écoles d'ingénieurs spécifiques ?

M. Michel GANTOIS - Ma réponse est largement oui, car c'est un secteur pour l'instant complètement négligé au niveau de la formation des techniciens et des ingénieurs.

J'ai été amené à créer une école d'ingénieurs spécialisés en génie des matériaux et commune à quatre pays. Elle est installée à Nancy, mais est à la fois française, espagnole, allemande et suédoise, et ses objectifs de spécialisation incluent le domaine des biomatériaux.

L'école a été créée il y a 5 ans et vient de sortir sa première promotion, mais la mise en place concrète de la formation en biomatériaux n'a pu être menée à bien, parce qu'il n'existe ni soubassement ni moyens.

Effectivement, cela met en oeuvre une formation conjointe par des spécialistes des sciences de l'ingénieur mécanique-matériau et des spécialistes du secteur médical.

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