VIII. SÉANCE DU MARDI 26 NOVEMBRE 1996

A. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR JEAN-YVES LE HEUZEY, MEMBRE DE LA COMMISSION D'AUTORISATION DE MISE SUR LE MARCHÉ, HÔPITAL BROUSSAIS

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Je suis professeur de cardiologie à l'université Paris VI, hôpital Broussais, et je voudrais vous faire part d'un problème qui me préoccupe et que je pense pouvoir appréhender dans sa globalité de par mes fonctions...

Mon souci est celui de la sécurité de certains appareillages utilisés à titre thérapeutique, que l'on peut appeler "dispositifs", comme le défibrillateur implantable, certains systèmes de pace makers, le coeur artificiel, etc.

Or, ces dispositifs n'ont pas de procédures d'autorisation de mise sur le marché comparable à celle du médicament. En effet, quand la commission d'AMM évalue un médicament, elle essaie d'évaluer le rapport bénéfice-risque ou efficacité-risque. Dans ce rapport, l'efficacité est le numérateur et occupe donc une grande place.

Cependant, si l'utilisateur a le sentiment que le risque, dans ces dispositifs, est bien évalué par la commission d'homologation ou, éventuellement, le marquage CE, il existe à mon avis un défaut dans l'évaluation de l'efficacité. Il est bien évident que si l'on met sur le marché un produit dont l'efficacité est limitée, même avec un risque faible, ce produit n'est pas sûr.

Selon moi, ces dispositifs devraient être évalués de la même façon que le médicament, car ils sont de plus en plus souvent en compétition avec ce dernier. Dans ma spécialité notamment, on a une compétition entre les défibrillateurs implantables et les médicaments anti-arythmie, entre les médicaments traitant l'insuffisance cardiaque et les systèmes de coeur artificiels, etc.

Il ne s'agit donc plus de deux problèmes séparés, mais d'un problème global, et l'on comprend mal pourquoi l'un est évalué de façon plus large que l'autre !

De plus, quand une firme pharmaceutique a développé un médicament, elle réalise des études pour vérifier que celui-ci est efficace. Si c'est le cas, il se retrouve sur le marché, sinon, il n'est pas autorisé à être mis sur le marché.

Or, pour les dispositifs, c'est la collectivité qui paye ces essais. Ce n'est peut-être pas le problème qui nous concerne aujourd'hui, mais cela compte aussi, surtout dans la mesure où ces dispositifs -comme le coeur artificiel- vont avoir des coûts colossaux pour la collectivité.

Cette différence de traitement a aussi des effets pervers. Ainsi, le défibrillateur implantable, qui n'a jamais obtenu d'autorisation de mise sur le marché et n'est donc jamais passé devant une commission de transparence, qui décide des remboursements, n'est-il pas remboursé ! Ceci pose un problème car, dix ans après le début de son développement, on sait qu'il peut être utile...

Je sais que tout cela est complexe et qu'il ne s'agit pas d'un problème spécifiquement français, mais aux Etats-Unis, la FDA prend des décisions d'autorisation de mise sur le marché de ce genre de dispositifs, ce qui n'est pas le cas en Europe.

En tout état de cause, je vois mal pourquoi l'Agence française du médicament -ou l'Agence européenne du médicament, à Londres- n'a pas en charge ce genre d'autorisation de mise sur le marché, comme aux Etats-Unis.

D'après ce que je sais, ce n'est pas dans les compétences de l'Agence du médicament, mais il faut que le problème soit pris dans sa globalité et appréhendé de la même façon que le médicament, d'autant que les dispositifs mixtes, comprenant à la fois un appareillage et une délivrance de médicaments, vont se développer de plus en plus. Ainsi, les ressorts que l'on place dans les coronaires, vont être capables de délivrer des médicaments...

Les deux problèmes vont donc être impliqués, et la séparation me paraît d'autant moins logique que cela me paraît être dans certains cas un problème de sécurité.

M. Charles DESCOURS, président - La parole est au rapporteur...

M. Claude HURIET, rapporteur - On voit apparaître trois dimensions à travers votre propos : la sécurité, mais aussi la démarche d'évaluation et l'approche économique.

Au terme de votre exposé, vous suggérez qu'entre le médicament et certains dispositifs, il n'existe pas de solution de continuité...

M. Jean-Yves LE HEUZEY - ... Et il y en aura de moins en moins !

M. Claude HURIET, rapporteur - Nous nous sommes trouvés devant une démarche assez comparable lorsqu'on s'est intéressé aux thérapies génique et cellulaire, où l'on passe du cellulaire au génique, et vice-versa. Il est extrêmement difficile d'établir d'établir une frontière, ne serait-ce qu'en termes d'organisation des structures.

Comment faire pour éviter un amalgame auquel personne ne comprendrait plus rien entre dispositifs actifs et inactifs, alors qu'on est amené à dresser un inventaire de ce qui existe et de ce qui va exister, et à faire des propositions en termes d'organisation et de structures ?

A travers ce que vous dites, j'en perçois encore mieux l'impérieuse nécessité, mais aussi l'extrême difficulté !

M. Charles DESCOURS, président - Je voudrais savoir si les défibrillateurs sont ou non au TIPS ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Pour ce qui concerne les défibrillateurs, personne n'a demandé qu'ils le soient !

M. Charles DESCOURS, président - Pas même les industriels ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - ... A part les industriels, mais il y a eu ensuite blocage. Par contre, le ressort est au TIPS depuis le Journal Officiel d'hier soir, suite à une démarche du milieu cardiologique.

Le défibrillateur est actuellement payé sur le budget "prothèses" des hôpitaux...

M. Charles DESCOURS, président - ... Et les valves ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Les valves également. Par contre, elles sont remboursées par la Sécurité sociale dans le secteur privé, mais le défibrillateur n'étant pas au TIPS, il ne peut être posé que dans le secteur public, ce qui fait protester nos collègues du secteur privé et qui pose des problèmes difficiles pour les patients qui veulent subir une intervention de ce type dans le privé.

M. Charles DESCOURS, président - Pour autant, ce n'est pas plus sûr sur le plan de la sécurité sanitaire ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Non, cela ne change rien.

M. Charles DESCOURS, président - Existe-t-il beaucoup de dispositifs implantés sans qu'on ait mené une évaluation de l'efficacité convenable ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Dans mon domaine, il y en en beaucoup : défibrillateurs implantables, coeurs artificiels, pompes d'assistance circulatoire.

Cinq cent trente de ces pompes ont été posées dans le monde, dont vingt en France, pour un coût d'appareillage de base de 600.000 francs et 376.000 francs par patient.

M. Charles DESCOURS, président - Et on ne sait pas si c'est vraiment efficace ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Non, car il n'existe pas de réelle évaluation, au moins en Europe. Pour le moment, il n'y a que des implantations qui servent à l'évaluation, prises en charge par la collectivité et le budget des hôpitaux...

On peut également ajouter à la liste les ressorts et les stimulateurs cardiaques. D'ailleurs, lorsque vous autorisez la mise sur le marché d'un médicament, vous le faites avec une indication. Les médecins peuvent le prescrire pour une indication hors AMM, mais cela peut éventuellement avoir des conséquences médico-légales : cela fait partie de notre responsabilité de médecin.

Or, tous ces dispositifs sont mis sur le marché sans indication. Ainsi, l'indication de pose des stimulateurs cardiaques évolue et certains cardiologues ont proposé des stimulations à quatre chambres dans l'insuffisance cardiaque.

C'est une problématique complètement différente du simple stimulateur placé dans le ventricule. Personne n'est là pour donner l'indication ou même l'état de l'art, et chacun fait ce qu'il veut. Je pense que, de temps en temps, cela peut causer quelques problèmes de sécurité...

M. Claude HURIET, rapporteur - De coût et sécurité !

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Tout à fait...

M. Claude HURIET, rapporteur - Quelle est la procédure suivie en matière de sécurité ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - A ma connaissance, les choses sont en train de changer du fait de la mise en place de normes européennes...

M. Charles DESCOURS, président - Le marquage CE est-il une bonne chose ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - A mon avis, c'est une très bonne chose, mais dans ma problématique, il évalue surtout les spécifications techniques d'un produit, les techniques de fabrication, et non l'efficacité.

Jusqu'ici, les opérations étaient essentiellement conduites par la commission d'homologation, et un collègue m'a confirmé que les spécifications techniques sont largement évaluées, mais qu'il est exceptionnel que l'on ait besoin d'aller plus loin en termes d'efficacité.

M. Charles DESCOURS, président - Quelle est la démarche ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Il faut que le constructeur obtienne l'homologation et le marquage CE. Certes, auparavant, le dispositif est évalué en termes d'efficacité, mais sans aucune obligation légale ni contrôle de qui que ce soit.

Cela doit se faire théoriquement dans le cadre de la loi Huriet, mais une fois l'homologation et le marquage CE obtenus, il y a un grand vide quant à la prise en charge par les organismes de sécurité sociale...

M. Charles DESCOURS, président - On évalue cependant bien le bénéfice thérapeutique avant la mise sur le marché ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Oui, mais il n'existe aucun enregistrement légal comme pour le médicament.

Dans le cadre de la stimulation quatre à chambres, on ne précise pas les indications dans lesquelles vous pouvez utiliser les stimulateurs. Si vous rajoutez des sondes, vous le ferez sans réel contrôle.

M. Claude HURIET, rapporteur - Qui pourrait établir les indications, du fait même du caractère très pointu de techniques et du nombre d'indications qui peuvent être limitées ? Peut-on envisager la démarche évaluative à travers des conférences de consensus ? Par ailleurs, pourrait-on inclure la vigilance concernant les dispositifs dont vous parlez dans la démarche de matério-vigilance ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Il me paraîtrait souhaitable de réaliser une évaluation du même type que celle que réalise l'Agence du médicament -sans pour autant qu'il s'agisse de la même structure- une procédure basée sur l'expertise externe, qui permette de savoir s'il est concevable qu'un dispositif soit utilisé de telle ou telle façon.

Quant à la conférence de consensus, il s'agit de quelque chose de très lourd à mettre en place. Autant on imagine bien des conférences de consensus sur de grands problèmes nationaux de santé publique, autant cela me paraît difficile pour des problèmes plus spécifiques...

M. Claude HURIET, rapporteur - Les techniques de stimulation quatre chambres dont vous parliez sont-elles au stade expérimental ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Oui...

M. Charles DESCOURS, président - ... Et les dispositifs ventriculaires ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - C'est maintenant de la routine. La majeure partie des pace makers sont maintenant double champ. On garde les simples champs pour les patients vraiment très âgés, dont l'espérance de vie est plus basse, mais dès que les gens ont besoin d'une activité, on leur implante des pace makers double champ.

Les quatre champs sont complètement différents ! Même les promoteurs disent qu'il faudrait faire un essai, alors qu'on les a implantés sans véritable méthode rigoureuse.

M. Paul BLANC - Au départ, c'est toujours comme cela...

M. Jean-Yves Le Heuzey - Tout à fait : on ne peut empêcher un chirurgien d'innover. Si on met en place un carcan trop rigoureux, il n'y aura plus jamais d'innovation chirurgicale. Je ne veux pas pousser le bouchon trop loin, mais on ne peut nier qu'en l'absence de réelle évaluation d'efficacité réglementaire, il peut y avoir parfois des problèmes de sécurité.

M. Charles DESCOURS, président - Il faut une évaluation comparative des appareillages par rapport à la thérapeutique médicamenteuse...

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Tout à fait. Ce n'est peut-être pas un problème majeur aujourd'hui, mais je suis persuadé que cela va le devenir de plus en plus. J'ai d'ailleurs lu un article d'un collègue de Rotterdam à propos des ressorts qui allait en ce sens...

M. Charles DESCOURS, président - Les ressorts délivreraient donc des médicaments qui empêcheraient la sténose locale ?

M. Jean-Yves LE HEUZEY - Oui, ces ressorts feront probablement aussi partie un jour de la thérapie génique, car c'est la seule façon d'être efficace en cardiologie...

M. Claude HURIET, rapporteur - On en parle aussi en dialyse pour éviter les resténoses...

M. Charles DESCOURS, président - Ce n'est pas de la thérapie génique !

M. Claude HURIET, rapporteur - Si : on peut mettre en place des gênes qui évitent la prolifération cellulaire.

M. Charles DESCOURS, président - Ce ne serait donc pas pour contrer une malformation génétique, mais pour empêcher une fonction génétique...

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