b) L'insuffisante redéfinition des missions et des moyens de l'État

Le " brouillage " des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales qui vient d'être évoqué s'est également accompagné d'une insuffisante redéfinition des missions et des moyens de l'État à la suite de la décentralisation.

1.- Des missions à redéfinir

L'État n'a pas adapté ses missions à la nouvelle donne issue de la décentralisation, maintenant de nombreux services extérieurs dont certaines missions font parfois double emploi avec celles des services des collectivités territoriales.

Les lois de décentralisation avaient posé le principe suivant lequel tout transfert de compétences de l'Etat au profit des départements et des régions devait s'accompagner du transfert des services correspondants (cf. article 7 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983) et prévu en conséquence la réorganisation des services extérieurs de l'Etat chargés à titre principal de la mise en oeuvre de compétences attribuées au département ou à la région. La mise à disposition de la collectivité concernée, en tant que de besoin, des autres services de l'Etat nécessaires à l'exercice des compétences transférées avait en outre été prévue (cf. article 10 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983).

Or, dans la pratique, ces principes ont reçu une application inégale , assez satisfaisante dans certains cas mais moins dans d'autres, ainsi que le montre l'exemple des directions départementales de l'équipement (DDE).

Dans ce cas, le processus de transfert et de mise à disposition engagé par un décret du 31 juillet 1985, puis relancé par un décret du 13 février 1987, s'est traduit par des résultats limités, 5 % des emplois seulement ayant été transférés aux départements.

De même, le partage financier défini par la loi du 11 octobre 1985 relative à la prise en charge par l'Etat, les départements et les régions des dépenses de personnel, de fonctionnement et d'équipement des services placés sous leur autorité -qui devait mettre fin au régime de maintien des prestations réciproques entre l'Etat et le département prévu par l'article 30 de la loi du 2 mars 1982- n'a pas été appliqué, notamment en raison de l'imbrication étroite des actions réalisées par les services de l'équipement pour le compte de l'Etat et des collectivités territoriales.

En définitive, la loi du 2 décembre 1992 relative à la mise à disposition des départements des services déconcentrés du ministère de l'équipement et à la prise en charge des dépenses de ces services a mis un terme au régime transitoire de l'article 30 de la loi du 2 mars 1982, en pérennisant un régime de mise à disposition du département -sur une base conventionnelle ou forfaitaire- des services de l'équipement nécessaires à l'exercice de ses compétences. Ces services restent des services de l'Etat, mais le président du conseil général exerce sur eux des pouvoirs d'instruction et de contrôle. En outre, dans le cadre conventionnel, le département peut demander leur réorganisation fonctionnelle ou la création de structures nouvelles.

Cependant, l'APCG ne se satisfait pas de la situation actuelle et souhaite la poursuite de la partition des DDE, ainsi que l'a rappelé M. Pierre-Rémy Houssin devant le groupe de travail.

Les auditions du groupe de travail ont par ailleurs fait ressortir le besoin d'une clarification des missions respectives des services de l'État et de ceux des départements dans le secteur sanitaire et social et en particulier ont souligné les difficultés suscitées par la coresponsabilité de la gestion du RMI.

M. Pierre-Rémy Houssin, s'exprimant au nom de l'APCG, a ainsi estimé que l'action de prévention sanitaire devrait relever de la compétence de l'Etat et que le dispositif du RMI devrait être revu.

Interrogé sur ces questions par M. Jean-Jacques Hyest au cours de sa dernière audition, M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation, a admis que des économies pourraient être faites en supprimant la double commande existant actuellement sur certains services et a souhaité qu'une réflexion soit menée sur les compétences dans ce domaine, considérant que les problèmes sanitaires relevaient du niveau national.

L'insuffisante redéfinition des missions de l'Etat trouve, par ailleurs une traduction dans la politique de contractualisation que celui-ci a développée avec les collectivités locales. Pour positive qu'elle soit à certains égards, cette politique a en réalité conduit l'Etat, ainsi que l'a fait observer M. Philippe Valletoux, représentant du Crédit local de France, au cours de son audition, à faire cofinancer par les collectivités certaines de ses compétences. C'est en particulier le cas en ce qui concerne les routes nationales, à travers les contrats de plan Etat-régions, ou encore, en matière d'enseignement supérieur avec le plan " Universités 2000 ".

2.- Une déconcentration toujours attendue

La déconcentration de l'action de l'État, qui constitue pourtant un objectif ancien, n'a eu pour l'instant qu'une traduction concrète très limitée et l'organisation de ses administrations reste très centralisée.

Ainsi votre rapporteur constatait-il déjà en 1991, dans le rapport établi au nom de la mission commune d'information chargée d'étudier le déroulement et la mise en oeuvre de la politique de décentralisation 12( * ) , que le bilan des mesures de déconcentration intervenues depuis 1982 était " très mitigé ", regrettant que les rares mesures adoptées aient " davantage consisté en de simples ajustements techniques de répartition de compétences entre le centre et la périphérie plutôt qu'en une réelle extension de l'autonomie de décision et du champ de compétences des services extérieurs de l'Etat ".

Or, la situation ne semble pas avoir fondamentalement évolué depuis lors, dans l'attente d'une mise en oeuvre concrète des projets de réforme de l'Etat.

De plus, l'autorité du préfet sur les différents services extérieurs de l'Etat est très inégalement affirmée.

Interrogé sur ce point, M. Joël Thoraval, président de l'Association du corps préfectoral, a notamment fait observer au groupe de travail que les services de l'emploi échappaient traditionnellement à l'autorité du préfet.

C'est également le cas, par exemple, des services de l'éducation nationale, des services financiers ou encore des architectes des bâtiments de France.

Par ailleurs, l'action des services extérieurs de l'État n'est pas toujours parfaitement coordonnée , comme l'a souligné M. Joël Batteux devant le groupe de travail, en sa qualité de représentant de la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM).

Aux termes du constat établi par le Commissariat à la réforme de l'Etat dans son rapport d'activité 95-96, " l'administration territoriale de l'Etat est devenue, par la multiplicité des services déconcentrés et la complexité des procédures, peu lisible aux yeux de nos concitoyens ".

La multiplicité de ces services suscite également une certaine incompréhension des élus locaux, qui préféreraient avoir affaire à un interlocuteur unique.

Le rapport établi par M. Pierre-Rémy Houssin, député de la Charente, chargé par le Gouvernement d'une mission sur " La simplification de l'Etat dans ses relations avec le public et les collectivités locales " souligne l'importance de cette question en relevant que " Rien ne tient plus à coeur aux présidents de conseils généraux et régionaux que l'unité de commandement de l'Etat. Ils souhaitent, autant que faire se peut, n'avoir pour les affaires de l'Etat qu'un seul interlocuteur et cet interlocuteur ne saurait être que le préfet ".

3.- Les insuffisances des conditions de mise en oeuvre du contrôle de légalité et du contrôle financier

Les élus s'interrogent aujourd'hui devant la multiplication des contentieux postérieurs à leurs décisions et devant l'intensification des contrôles effectués par les chambres régionales des comptes, parfois perçus comme " tatillons " ; ils se voient souvent opposer des réglementations dont ils ne connaissaient même pas l'existence. Certains dressent même le constat d'un glissement du contrôle des chambres régionales des comptes vers un contrôle d'opportunité.

Au cours des réunions du groupe de travail, M. Patrice Gélard a regretté, outre certains jugements de pure opportunité, la publicité parfois donnée aux conclusions des chambres avant même que les élus en soient informés.

M. Jean-Patrick Courtois a fait observer que, sans mettre en cause le rôle des chambres régionales des comptes, il n'était pas acceptable que ces juridictions puissent porter des appréciations sur les choix effectués par les assemblées délibérantes.

C'est pour ces raisons que MM. Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois viennent de déposer, avec un certain nombre de nos collègues, une proposition de loi 13( * ) tendant à modifier le code des juridictions financières afin de préciser les compétences des chambres régionales des comptes.

M. Paul Girod a pour sa part rappelé que les modifications relatives aux chambres régionales des comptes, introduites dans la loi du 5 janvier 1988 d'amélioration de la décentralisation, avaient déjà eu pour finalité d'éviter une dérive vers le contrôle d'opportunité.

D'une manière générale, M. Jean-Paul Delevoye a déploré que le développement des contentieux constitue un frein à l'initiative des collectivités et suscite chez les élus une sorte de " crainte a priori ".

La très faible proportion des actes des collectivités locales transmis aux préfets qui sont déférés aux tribunaux administratifs dans le cadre du contrôle de légalité (de 0,29 à 0,34 pour mille entre 1983 et 1992) peut certes s'expliquer par le rôle de conseil joué officieusement en amont par les membres du corps préfectoral auprès des collectivités.

Cependant, les élus locaux ne peuvent avoir qu'une réaction d'incompréhension lorsque leur responsabilité pénale est mise en cause à propos d'actes soumis antérieurement au contrôle de légalité qui n'avaient alors suscité aucune observation.

Après avoir souligné les faiblesses actuelles du contrôle de légalité, le rappport établi par M. Pierre Fauchon au nom du groupe de travail de la commission des Lois du Sénat sur la responsabilité pénale des élus locaux, sous la présidence de M. Jean-Paul Delevoye 14( * ) estimait à cet égard que " les autorités locales à défaut d'être prémunies contre le recours d'un tiers ou contre une action pénale pourraient être fondées à considérer le contrôle de légalité comme un indicateur fiable de la valeur juridique de leurs actes ".

Interrogeant récemment le Garde des Sceaux sur ce sujet par la voie d'une question écrite datée du 23 mai 1996, le président Jacques Larché faisait ainsi observer que " la discordance de points de vue entre le préfet et le procureur de la République sur un même acte fait naître chez les élus locaux un sentiment d'insécurité juridique particulièrement préjudiciable au bon fonctionnement des collectivités territoriales ".

On aboutit, en outre, à une sorte de confusion dans la définition et la mise en oeuvre du champ des contrôles juridictionnels exercés respectivement par le juge administratif et par le juge répressif voire par les juridictions financières, lesquelles peuvent subrepticement étendre leur contrôle dans un domaine qui relève normalement des juridictions administratives à travers le contrôle de légalité.

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