VI. M. HERVÉ ZWIRN
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR FACILITER
L'INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES DIPLÔMÉS (AFIJ)

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M. le Président - Pouvez-vous nous dire en quelques mots comment vous voyez l'affaire qui nous préoccupe et, pour limiter peut-être votre propos, pouvez-vous nous dire quelles sont les précautions à prendre pour que cette affaire marche bien ?

Vous avez, je crois, négocié une espèce de cadre pour les stages. Comment voyez-vous son utilité dans cette affaire de stages dits diplômants ?

M. Hervé Zwirn - Je crois qu'un certain nombre de précautions sont à prendre pour éviter que le sujet sorte d'un contexte qui est en ce moment un peu tendu.

La première chose à laquelle il faut faire attention est que ces stages dits diplômants - si on les appelle ainsi - doivent rester intégrés dans le cursus universitaire.

C'est là un premier point, et je crois qu'il y a là-dessus un consensus de l'ensemble des organisations étudiantes, à savoir que les stages ne doivent pas déborder du cadre universitaire.

Le deuxième aspect concerne leur durée. Il semble, bien qu'il ait été à une époque évoqué des durées différentes, qu'il soit maintenant quasiment acté, pour tout le monde, que le stage ne dépassera pas le cadre du semestre.

Il aurait été possible d'envisager des stages plus longs, c'était le cas de la proposition initiale - elle a été rejetée - et à l'heure actuelle la totalité des organisations étudiantes souhaite que les stages s'intègrent dans un semestre.

Là où elles divergent encore, et là où l'AFIJ effectue un travail pour essayer d'arriver à un consensus, c'est sur la durée précise de ces stages, puisque certaines organisations étudiantes souhaitent un stage le plus long possible dans le cadre du semestre, alors que d'autres organisations étudiantes souhaitent limiter cette durée à trois mois maximum.

Il y a éventuellement une ouverture, et le terrain vers lequel on semble se diriger pour obtenir un accord à peu près global semblerait être de laisser le plus de souplesse possible, avec une durée qui serait comprise entre trois mois et quatre mois et demi, ce qui laisserait à ce moment-là une certaine flexibilité à la formule.

Au delà de cette notion de durée et d'intégration dans les cursus, un autre élément important est la qualité du stage. Il y a un aspect sur lequel les organisations étudiantes ont attiré l'attention depuis longtemps, ce sont les dérapages qui ont été constatés dans certains cas, dérapages qui se manifestent d'ailleurs de deux manières opposées :

- une première possibilité de dérapage concerne les stages qui sont utilisés à des fins peu valorisantes pour l'étudiant ; on parle de " stage photocopie " ou de stage " café " ;

- le deuxième dérapage, diamétralement opposé, c'est l'utilisation, au contraire, de l'étudiant à des stages qui normalement seraient du ressort d'un véritable contrat de travail.

Le vrai stage doit être entre les deux, c'est-à-dire qu'il ne doit pas, normalement, remplacer un vrai contrat de travail. En revanche il doit permettre à l'étudiant de bénéficier d'une véritable formation en entreprise, de vraiment découvrir le monde du travail, et l'étudiant doit aussi, bien sûr, remplir des tâches utiles à l'entreprise ; il ne s'agit pas de demander aux entreprises de prendre des stagiaires qui ne leur servent à rien.

Cette double barrière qu'il est nécessaire de mettre en place, constituerait donc l'un des points que nous avons énoncés dans le projet de réglementation nationale, qui a été proposé depuis maintenant un an et demi aux pouvoirs publics.

M. le Président - Je me permets de vous interrompre, mais pour simplifier les choses et pour faciliter notre dialogue : ce règlement cadre a-t-il été négocié avec les différentes organisations étudiantes ?

M. Hervé Zwirn : Il a été négocié avec la totalité des organisations étudiantes sauf une, l'UNEF à tendance communiste, qui ne fait pas partie de l'AFIJ car elle a refusé depuis le début d'en faire partie, mais à l'exception de ce seul syndicat la totalité des organisations a accepté cette réglementation, aussi bien du point de vue des syndicats étudiants, qui sont tous présents, que des mutuelles étudiantes, qui sont aussi parties prenantes et qui sont, elles, toutes présentes dans l'AFIJ.

Cette réglementation, en revanche, n'a pas encore été négociée avec les universités ni avec les entreprises, et ce que nous avions demandé quand nous l'avons proposée était justement qu'elle soit un texte de propositions, son application devant être négociée, quitte à en modifier certaines parties.

Cette négociation n'a pas encore eu lieu.

Ce projet de réglementation aborde le problème des barrières à mettre en place pour éviter les dérapages des stages dans un sens ou dans l'autre.

En fait, une des propositions que nous avons faites, qui a d'ailleurs été reprise dans le projet présenté par le CNPF, consistait à dire qu'il fallait un double tutorat, un tutorat du côté universitaire, avec un professeur chargé de suivre le stagiaire, et un tutorat de côté de l'entreprise, ce qui nous paraît fondamental : quelqu'un dans l'entreprise sera chargé d'accueillir le stagiaire, de vérifier qu'il s'intègre correctement et, bien évidemment, de lui donner la formation nécessaire.

A côté de cet aspect d'encadrement il y en a un autre qui est abordé, celui de la rémunération.

A l'heure actuelle la rémunération des stagiaires en entreprise est un sujet un peu délicat. Beaucoup d'entreprises rémunèrent les stagiaires au plafond de la rémunération exonérée de charges, soit 1.700 F par mois. Certaines entreprises acceptent, mais elles sont peu nombreuses, de les rémunérer plus ; on en connaît qui rémunèrent leurs stagiaires 5.000 ou 6.000 F par mois, mais c'est quand même l'exception, la majeure partie des entreprises rémunérant leurs stagiaires à hauteur de 1.700 F.

Nous avons proposé de relever le plafond d'exonération à hauteur de 2.500 F, sachant que cela permettrait à un grand nombre d'étudiants d'être payés 2.500 F au lieu de 1.700 F, ce qui est un écart significatif pour eux, et que cela ne coûterait rien à l'Etat puisque, contrairement à ce qui a pu être dit quelquefois, ce relèvement du plafond d'exonération n'est pas un manque à gagner dans la mesure où la situation actuelle consiste pour les entreprises à payer 1.700 F et pas plus.

Si nous relevons le plafond à 2.500 F, les entreprises payeront 2.500 F là où elles payaient 1.700 F, l'Etat ne touchera pas de taxe, mais il n'en touche pas actuellement.

M. le Président - Sauf pour les stagiaires actuels qui touchent entre 1.700 et 2.500 F.

M. Hervé Zwirn - C'est exact, sauf pour cette catégorie-là, qui est extrêmement marginale, mais le manque à gagner sur les 800 F de rémunération qui échapperaient aux charges serait tout à fait négligeable.

C'est donc là une proposition que nous avons faite. Je sais, pour en avoir discuté avec Didier Pineau-Valencienne, qu'il serait disposé à demander au CNPF une évolution sur ce point.

M. le Président - Sur ce point, qui est quand même important, deux questions.

Est-ce qu'il n'y a pas un " danger ", dans la mesure où les 1.700 F sont calculés en pourcentage du salaire minimum ? Si vous allez jusqu'à 2.500 F, est-ce que cela ne risque pas d'avoir des conséquences sur le niveau du SMIC ?

M. Hervé Zwirn - Il faudrait sans doute être attentif à la présentation de cette mesure, si son principe était accepté, afin d'éviter un impact sur le salaire minimum.

M. le Président - J'ai une autre question, M. le Président : est-ce qu'on peut imaginer des indemnités variables et tenant compte des charges réelles des étudiants ? En effet, comme nous l'avons dit au cours de l'audition précédente, les charges ne sont pas les mêmes pour un étudiant qui habite à côté de l'entreprise et tout près de son université que pour l'étudiant qui habite à 100 km.

M. Hervé Zwirn : Vous pensez par exemple à des frais de déplacement ou des choses de ce genre ?

M. le Président - Oui.

M. Hervé Zwirn : Je crois que c'est tout à fait envisageable puisque certaines entreprises pratiquent déjà ce type de remboursements.

M. le Président - Cela pourrait se négocier ?

M. Hervé Zwirn - Oui, cela se négocie, et cela se négocie hors de tout cadre. C'est un peu une entente entre l'étudiant et l'entreprise. Cela existe et cela doit être favorisé puisque, bien évidement, cela augmente la souplesse du système.

Je crois que ce qui est essentiel dans ce dispositif c'est qu'il y ait la plus grande souplesse possible.

Toute réglementation trop rigide, ou tout cadre trop précis, risquerait de freiner et de décourager les entreprises, de dissuader les étudiants ; il est évident qu'un cadre global réglementaire est indispensable, mais que la plus grande souplesse doit être laissée pour que le projet se développe au mieux des intérêts de chacun.

M. le Président - Sur le public concerné par ces stages quelle est votre position ? Est-ce que pour vous il y a un public prioritaire ?

M. Hervé Zwirn - La question est complexe. Le projet initial, contre lequel, d'ailleurs, nous nous sommes élevés au tout début, était de considérer un public qui allait de bac - 2 à bac + 5. Dès le début nous avons fait savoir qu'il nous semblait que ce public était trop large et que les problèmes qui se posaient aux bac - 2 n'étaient pas du tout de la même nature que ceux qui se posent aux bac + 3 ou aux bac + 5.

Il me semble qu'à l'heure actuelle le projet par rapport aux bac - 2 a été abandonné et que pour le moment il n'est question que des stages en université. Donc déjà, on restreint la population concernée.

Il faut savoir maintenant si l'on doit traiter de la même manière les étudiants du 1er cycle et ceux du 2ème cycle, et là dessus je crois que les positions des différentes organisations étudiantes ne sont pas tout à fait les mêmes.

L'AFIJ est censée essayer de rapprocher les positions, et là dessus je dois dire qu'il y a une difficulté dans la mesure où les organisations étudiantes ne se sont pas encore mises précisément d'accord sur le traitement qu'il convient d'apporter aux 1ers cycles et aux 2èmes cycles.

En ce qui me concerne, mais là ce sera un avis qui engagera le président de l'AFIJ, mais pas l'ensemble des organisations étudiantes, je pense qu'il convient d'apporter des traitements différents aux 1ers cycles et aux 2èmes cycles.

Pour le 1er cycle, me semble-t-il, la formation en entreprise est une formation qui doit permettre aux étudiants, et cela leur manque cruellement, de mieux préparer leur poursuite de formation, c'est-à-dire de mieux se situer dans l'optique d'une carrière initiale en s'orientant ; c'est un peu de l'orientation.

En 2ème cycle, en revanche, les étudiants sont censés avoir déjà fait un premier choix, qui sera d'autant plus fondé qu'ils auront déjà eu une première appréhension de leur future carrière, et le stage du 2ème cycle me semble être de nature plus professionnelle et donc de durée plus longue que celle que l'on peut éventuellement prévoir pour le 1er cycle ; ceci, par ailleurs, coïncide un peu avec les contraintes universitaires puisque les horaires des cursus en 1er cycle sont la plupart du temps plus chargés que ceux en 2ème cycle.

M. le Président - Mais vous êtes bien d'accord pour considérer qu'il ne doit pas s'agir de stages se situant entre la vie professionnelle et la formation en université, que ce n'est pas de l'insertion ?

M. Hervé Zwirn - Parfaitement, c'est ce que je rappelais au début en disant que ces stages doivent obligatoirement être inclus dans le cursus universitaire.

Il y aurait un énorme danger à prévoir des stages qui se situeraient entre la fin du parcours universitaire et la véritable insertion professionnelle, ce qui a été largement évoqué dans les premiers temps, à savoir retomber dans une affaire style CIP, avec des contrats de travail au rabais ou des sous-contrats de travail, et il est donc extrêmement important, pour éviter ce danger, de garder le cursus universitaire comme cadre global des stages.

Je crois que c'est là un point qui a été nettement partagé par tout le monde.

M. André Maman - M. le Président, ce que vous avez dit a déjà été dit par d'autres personnes, donc vous êtes d'accord sur la plupart des points. Les stages doivent être intégrés dans le cursus universitaire, nous sommes tous d'accord.

Sur la durée, en revanche, plusieurs de nos interlocuteurs ont mentionné deux stages de trois à quatre mois à des moments différents du cursus, et vous voulez, vous, un stage de trois à quatre mois et demi.

Donc j'aimerais que vous précisiez ce point.

Par ailleurs nos interlocuteurs ont tous insisté sur le fait que ce n'était pas une rémunération mais une indemnisation. Ils ont tenu à ce que nous fassions la différence.

Ils tenaient également, comme vous l'avez dit, à ce que les stages soient valorisants, mais à propos de l'indemnisation ; ils ont indiqué 1.700 F, mais je crois qu'ils n'ont pas voulu aller plus loin.

Quant au double tutorat, c'est un point qui a été largement développé.

Donc deux points sur lesquels j'aimerais que vous développiez votre pensée :

- est-ce qu'il serait possible d'avoir deux stages à des moments différents du parcours universitaire ?

- est-ce qu'on va insister sur cette idée d'indemnisation ou est-ce que vous tenez à " rémunération " ?

M. Hervé Zwirn - Sur le premier point, deux stages, bien sûr, sont possibles, puisque nous avons des étudiants qui viennent nous voir après leur diplôme, et que les étudiants qui ont bénéficié d'un nombre de stages plus important, ou plus longs, arrivent plus facilement à trouver du travail, tout simplement parce que les chefs d'entreprise, à l'heure actuelle, privilégient les primo-demandeurs d'emplois qui ont déjà de l'expérience.

Donc deux stages, bien sûr, dans la mesure du possible mais pas la même année puisqu'il y a des problèmes d'encombrement des cours. De toute façon plus un étudiant aura fait de stages préalables et mieux ce sera pour lui.

M. le Président - Est-ce que vous pensez qu'un tel stage dans le premier cycle, par exemple, peut avoir une valeur " curative ", c'est-à-dire permettre à un étudiant plus ou moins en situation d'échec de se récupérer ?

M. Hervé Zwirn - Oui, c'est quelque chose qui a été évoqué, dont on parle moins maintenant, mais qui est un point intéressant.

Il y a un énorme taux d'échec dans le premier cycle. Beaucoup d'étudiants après avoir essayé trois fois le DEUG sont en situation d'échec.

La possibilité d'un stage dit de rattrapage, qui permettrait à cette population d'étudiants de revenir après validation d'un stage - ce qui suppose un jury mixte université/entreprise - dans l'université pour avoir une nouvelle chance, est quelque chose qui a été évoqué ; si c'est correctement mis en place c'est quelque chose qui peut effectivement intéresser une population non négligeable d'étudiants qui, actuellement, sont rejetés par le système universitaire.

Pour répondre à votre question concernant la rémunération, vous avez parfaitement raison, j'ai employé le mauvais terme : il faut parler d'" indemnisation ", car l'une des principales revendications est que l'étudiant reste dans le régime de protection sociale étudiante ; donc ce n'est qu'une indemnisation et non pas une rémunération, laquelle laisserait penser que le stage serait régi par un contrat de travail, ce qui est évidemment exclu.

M. le Président - Toujours à ce propos, les 1.700 F, si ce qu'on nous a dit est exact, ne sont pas soumis à cotisations sociales et ne sont pas non plus pour les bénéficiaires soumis à l'obligation de déclaration, par exemple pour les revenus des parents. Est-ce exact ?

M. Hervé Zwirn - Il y a un point qu'il faut vérifier au niveau de l'exonération fiscale à laquelle donne droit cette indemnisation.

M. le Président - Si l'on passe à 2.500 F. ce sera plus difficile.

M. Hervé Zwirn - Effectivement. Je crois qu'il y a une latitude, mais je pense qu'un fiscaliste dirait que cela devrait être réintégré.

M. le Président - Mais cela peut être réintégré à condition que l'on puisse déduire les frais.

M. Hervé Zwirn - Bien sûr, et à condition que les frais inhérents au stage soient déductibles.

Je crois que sur ce point une souplesse est nécessaire.

M. le Président - Est-ce qu'on peut vous demander un pronostic ? Pensez-vous que cela va marcher ?

M. Hervé Zwirn - Je vais vous donner mon sentiment personnel. Je pense que ce n'est pas encore gagné dans la mesure où, d'abord, les positions évoluent tous les jours, et peuvent éventuellement se durcir.

Je pense que le CNPF, d'après des échos assez directs, retirera le projet si jamais les étudiants se bloquent un peu trop. Je pense réellement qu'au bout d'un moment, si les choses se tendaient un peu trop, le CNPF renoncerait au projet.

Or ce serait vraiment dommage.

Je pense qu'il y a une chance pour que les étudiants, y compris ceux qui sont les plus extrêmes dans ce domaine, n'aillent pas jusqu'au bout et ne fassent pas échouer le projet. Donc je suis relativement optimiste, mais l'affaire n'est pas gagnée et les jours qui viennent, y compris avec le sommet social des jeunes, vont être à mon avis des jours où il sera nécessaire que chacun fasse un pas.

C'est en tout cas, au niveau de l'AFIJ, puisque c'est le rôle qui a été assigné à l'AFIJ, ce que j'essaye de faire avec les différents syndicats étudiants, qui par ailleurs, et il faut le dire et c'est leur jeu, se positionnent non seulement par rapport au projet mais également les uns par rapport aux autres ; on constate parfois des réactions qui ne sont pas des oppositions au projet mais des prises de position pour exister politiquement par rapport aux positions antagonistes adoptées par les autres.

M. le Président - On pense à deux organisations qui, sur la question de la durée, ont des positions très différentes.

M. Hervé Zwirn - Exactement.

M. le Président - Merci beaucoup.

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