N° 358

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 12 juin 1997.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 1997.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée en Bosnie-Herzégovine du 8 au 11 mai 1997,

Par MM. Xavier de VILLEPIN, Guy PENNE et Michel ALLONCLE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart,  Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Régis Ploton, Guy Robert, Michel Rocard, André Rouvière, André Vallet.

Bosnie-Herzégovine . - Rapports d'information.

Mesdames, Messieurs,

Une délégation de votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, composée de MM. Xavier de Villepin, président, Guy Penne et Michel Alloncle a effectué, du 8 au 11 mai 1997, une mission d'information en Bosnie-Herzégovine.

Son objectif était, à l'heure où ce pays n'est plus au premier rang de l'actualité, d'apprécier l'état d'application des accords de Dayton signés en décembre 1995, dans leur double aspect militaire et civil. L'arrêt des combats signifie-t-il, à lui seul, qu'une paix durable s'instaure ou bien n'est-il, pour les parties, qu'un répit avant d'autres échéances militaires ? La communauté internationale parviendrait-elle à consolider un Etat sur des bases territoriales et des fondements institutionnels que les trois communautés n'ont accepté qu'avec réticence ? Enfin la reconstruction économique et la mise en place rapide d'un système libéral de marché sont-elles possibles et à quel prix, dans un pays où quatre années d'une guerre cruelle ont succédé à 50 années de communisme ?

Votre délégation rappellera ici que la France aura été, dès le début de la guerre et avec quelques autres nations européennes, sous l'égide de l'ONU, celle qui s'est impliquée avec le plus de détermination dans l'action militaire et humanitaire conduite auprès des populations civiles pour tenter de limiter, autant que cela était possible, les souffrances qui leur étaient infligées. C'est elle également qui, au printemps 1995, suggéra aux autres nations d'adopter une posture militaire plus conforme à l'état de guerre qui prévalait, préparant ainsi le terrain aux négociations de Dayton.

La communauté internationale met aujourd'hui en oeuvre un arsenal d'organisations au service de la Bosnie-Herzégovine : l'ONU en premier lieu, bien qu'étant elle-même très en retrait, a confié à l'OTAN le règlement de l'aspect militaire, tout en gérant directement sur place une force internationale de police.

Le Conseil de l'Europe est impliqué dans les procédures de respect des droits de l'homme, l'OSCE organise et supervise les élections, de même que la mise en oeuvre des mesures de confiance et des programmes de désarmement. L'Union européenne et la Banque Mondiale financent et coordonnent, avec d'autres, la reconstruction économique.

Aujourd'hui, il importe de savoir si cette sollicitude multiforme suffira à inciter des partenaires déchirés à construire ensemble, dans un environnement très fragile, un Etat stable pour des populations qui, elles, aspirent à la paix.

*

* *

L'intérêt des informations recueillies et des entretiens avec les principales personnalités internationales ou bosniennes, doit beaucoup au travail réalisé et à la qualité de l'accueil réservé à votre délégation par l'Ambassade de France en Bosnie-Herzégovine. Vos rapporteurs remercient tout particulièrement Son Exc. M. Yves Gaudeul, ambassadeur de France, M. Guillaume Bazard, premier conseiller, M. le Colonel Mie, attaché de défense, M. Claude Raynal, stagiaire de l'Ecole Nationale d'Administration et M. Pierre Bouédoz responsable du Poste d'expansion économique.

I. L'INSTAURATION RÉUSSIE D'UNE PACIFICATION MILITAIRE

A. LES CLÉS D'UNE RÉUSSITE MILITAIRE

1. De la force de mise en oeuvre à la force de stabilisation

L'annexe IA des accords de Dayton avait prévu la mise en place d'une force multinationale de mise en oeuvre de la paix, créée ensuite par la Résolution 1 031 du Conseil de sécurité de l'ONU.

Cette force, dénommée " Implementation Force " (IFOR) a été, conformément aux accords de Dayton, constituée par l'OTAN pour agir " sous l'autorité et sous la direction et le contrôle politique du Conseil de l'Atlantique Nord (...), via la chaîne de commandement de l'OTAN ".

La mission de l'IFOR, forte de 60 000 hommes, déployée le 20 décembre 1995 dans le cadre de l'opération " Joint Endeavour  " a d'abord consisté à imposer la cessation des hostilités et séparer les belligérants. Il lui a ainsi fallu : superviser le marquage de la ligne de cessez-le-feu, de la ligne interentités [1] et de la zone de séparation (celle-ci s'étendant sur une distance de 2 kilomètres de part et d'autre de la ligne de cessez-le-feu) ; contrôler le retrait des forces des belligérants de part et d'autre de la zone de séparation ; contrôler la restitution de certains territoires entre les factions, le regroupement des armes lourdes et des unités dans leurs cantonnements, la démobilisation d'autres unités.

Cette mise en oeuvre du volet militaire s'est effectuée dans de bonnes conditions. Cela étant, la communauté internationale a décidé, à Paris, le 14 novembre 1996, d'accompagner le renforcement de la paix par sa présence dans le cadre d'une période de stabilisation .

Le Conseil de l'Atlantique Nord, le 27 novembre 1996, a donc choisi l'option dissuasion-stabilisation avec soutien limité au volet civil d'une durée de 18 mois, et une appréciation de situation à 6 mois (juin 1997) et 12 mois (décembre 1997), qui préluderait à un allégement du dispositif.

Sous couvert d'un mandat de l'ONU, l'OTAN a donc décidé la création d'une force de stabilisation (SFOR) pour prendre, par l'opération " Joint Guard " le relais de l'IFOR à la fin de l'opération " Joint Endeavour ", le 20 décembre 1996.

Avec un effectif presque réduit de moitié par rapport à l'IFOR (35 000 hommes), la SFOR n'a plus en charge les missions antérieures requérant un effectif important et une capacité de déploiement sur toute la zone. Le volet civil l'emporte sur le volet militaire et la force peut concentrer son effectif réduit sur des zones sensibles pré-identifiées.

2. Les missions de la SFOR

La SFOR a des missions spécifiquement militaires et des tâches de soutien.

Ses missions militaires ont pour objet de dissuader toute reprise des combats, d'assurer la protection et la liberté de mouvement de la force, de contrôler et de faire respecter les aspects militaires de l'accord de paix. Il lui revient également de sécuriser l'environnement au profit des organisations civiles, internationales et nationales, d'être à même d'intervenir rapidement sur le théâtre en cas d'incident.

Ses tâches de soutien doivent lui permettre d'établir des liaisons permanentes avec le Haut Représentant, et coordonner les actions avec les organisations internationales (Bureau du Haut Représentant, UNHCR, IPTF [2] , OSCE ...). Etre enfin en mesure d'assurer, au cas par cas, pour le Haut Représentant et les organisations internationales, le maintien de la liberté de mouvement, la liaison avec l'IPTF et le soutien des élections municipales.

3. L'OTAN maître du jeu

La SFOR réunit 35 000 hommes , soit la contribution de 15 nations membres de l'OTAN et de 17 Etats non membres dont la Russie. Comme l'IFOR, la SFOR agit sur décision du Conseil de l'Atlantique Nord.

Le commandement d'ensemble de l'opération est confié au Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), le général Joulwan. Sur le théâtre, la conduite des opérations et le commandement de la composante terrestre de la force (COMSFOR) reviennent au général Crouch, commandant des forces terrestres en région Centre-Europe (COMLANDCENT), son adjoint étant le général français Mansuy.

La SFOR est divisée en trois commandements de forces terrestres, confiés respectivement aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne et à la France, selon les secteurs suivants :

- Secteur nord (Etats-Unis) autour de Tuzla

- Secteur sud-ouest (Grande-Bretagne) autour de Banja Luka

- Secteur sud-est (France, nation pilote mais état-major multinational) sur l'axe Sarajevo-Mostar et incluant Gorazde, avec trois groupements multinationaux (franco-allemand, italien et espagnol).

A bien des égards, pour l'OTAN, l'opération IFOR-SFOR constitue une première . Tout d'abord parce que pour la première fois se trouvent déployées des troupes et mis en oeuvre un état-major exclusivement OTAN pour mener, en zone européenne et dans le cadre des nouvelles missions [3] , une action militaire. En second lieu, parce que l'état-major de la SFOR (quelque 1 000 personnes dont 100 Français), préfigure les groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), décidés dans le cadre de la rénovation de l'Alliance, par le Conseil Atlantique de Berlin de juin 1996. En effet, le noyau de cet état-major multinational provient de Landcent, basé à Heidelberg, à dominante américaine et allemande (163 officiers allemands et 175 officiers américains) auxquels s'adjoignent cependant d'autres nations : sur 38 nations participant à la SFOR, 21 participent à l'état-major. Les Etats-Unis y ont en charge des éléments essentiels : la responsabilité du renseignement et des opérations ; la Grande Bretagne a pour mission la tâche essentielle de la liaison avec les factions ; la France est en charge du génie -notamment du déminage- du système d'information et de commandement et du bureau planification, études et prospectives.

4. La France dans la SFOR

C'est également la première fois que la France, à travers une centaine d'officiers et sous-officiers, se trouve ainsi insérée dans un état-major OTAN opérationnel. Cette expérience de multinationalité est d'ailleurs double pour nos forces puisque, au-delà de l'état-major de la SFOR, celui de la Division multinationale sud-est (DMNSE) est également un état-major multinational, à la différence de ceux des secteurs britanniques et américains. Cela étant, dans le cadre de la DMNSE où se trouvent les 2.500 soldats français déployés en Bosnie, le fait que la langue française soit la langue de travail facilite grandement l'aspect opérationnel. Cette expérience de la multinationalité au quotidien au niveau d'un état-major de division est riche d'enseignements pour nos forces.

A l'état-major de la SFOR, nos officiers et sous-officiers sont dans une situation " d'immersion absolue " dans l'univers OTAN. Comme le général Mansuy, adjoint au commandant en chef de la SFOR, l'a indiqué à votre délégation, l'exercice requiert de nos armées de former des individualités adaptables à cet environnement, alliant une parfaite maîtrise de l'anglais -chose rare- à une connaissance des procédures OTAN et à des compétences professionnelles sûres.

A la condition que la France constitue un vivier d'officiers répondant à ces besoins, nos forces pourront tenir leur rang dans les états-majors de l'OTAN. D'après les interlocuteurs rencontrés par votre délégation, l'insertion progressive de nos forces dans les structures militaires atlantiques, si la décision en était prise, leur permettrait de se préparer à occuper dans de telles structures des postes de responsabilités que ne manqueraient pas sinon de leur disputer nos alliés britanniques ou allemands. Enfin, l'expérience IFOR et SFOR pourra être utilisée dans le cadre des réflexions sur la constitution, par la France, d'un noyau de PC de GFIM.

5. L'Otan en Bosnie : la fin des opérations extérieures traditionnelles de l'ONU ?

Le succès reconnu des opérations IFOR-SFOR conduites sous la responsabilité de l'OTAN doit être analysé au bénéfice de deux observations liminaires. La première tient à la finalité de la mission, à savoir principalement la séparation des belligérants et le contrôle des limites territoriales concédées à chacun d'eux. En soi, cette tâche consistant à séparer et isoler chacune des communautés, à l'évidence refusant de partager le même destin, était plus aisée que ne l'est désormais celle incombant au volet civil, tendant à promouvoir une réconciliation progressive et une coopération au quotidien.

La seconde remarque entend que soit reconnus à la FORPRONU et à travers elle aux 260 soldats, dont 68 Français qui ont payé de leur vie la mission qui leur était confiée, les mérites qui lui reviennent. Dans la mise en oeuvre initiale du volet militaire décidé à Dayton, son action de préparation a été décisive. L'antériorité et l'expérience des contingents britannique et français par exemple ont permis de suppléer, ici et là, la lenteur du déploiement des premières unités américaines. Si l'IFOR s'est mise en place dans un climat militairement apaisé -où plus aucun coup de feu n'était tiré- c'est en grande partie à la FORPRONU qu'elle le doit.

Ceci posé, on reconnaîtra que la prise en charge par l'OTAN de l'opération de restauration de la paix a donné des résultats que les règles d'engagement posées par l'ONU ne permettaient pas.

Ces résultats tiennent à l'application des règles de comportement habituelles, adaptées spécifiquement à une opération de restauration de la paix, à savoir : un mandat clair et réaliste, fondé sur le chapitre VII de la charte des Nations unies, avec des règles d'engagement plus souples et donc la possibilité d'utiliser un équipement adapté de protection et de dissuasion, que le principe de la seule légitime défense interdisait.

Enfin, sur place, la règle de l'unicité du commandement, se substituant à celle de la double clé de décision, a permis d'assurer à la force sa crédibilité.

L'expérience a également permis à la France de faire valoir auprès de l'OTAN des conceptions qu'elle défendait depuis longtemps : renouveau du rôle du comité militaire et de l'état-major international par rapport au SACEUR ; mise en place, à Sarajevo, d'un COMFRANCE -fort de quelque 70 hommes-, chargé de constituer " l'interface " entre les forces françaises déployées et le commandement de la SFOR, et dont la mission, à l'instar d'ailleurs d'autres forces nationales intégrées à la Force, est de faire valoir les intérêts de nos forces dans l'utilisation que l'état-major de la SFOR peut être amené à faire d'elles.

C'est dire à quel point les enseignements et les résultats, globalement positifs, de l'IFOR et de la SFOR peuvent influer sur la mise en oeuvre d'une nouvelle doctrine pour les opérations de restauration ou d'imposition de la paix. Les procédures traditionnelles des opérations ONU : contingents hétéroclites, mandats de compromis, équipement limité, règles d'engagement irréalistes, n'auront sans doute plus cours dans de telles opérations.

B. LES POINTS FAIBLES DU DISPOSITIF : LA FORCE INTERNATIONALE DE POLICE ET LES AMBIGUÏTÉS DU DÉSARMEMENT-RÉARMEMENT

1. Le groupe international de police : une mission limitée, des moyens insuffisants

· Une mission limitée

L'accord de Dayton, en son annexe 11, comporte un dispositif sur la force de police internationale.

Ce groupe international de police, qui dépend du Secrétaire général de l'ONU, remplit 4 missions principales :

- contrôler le travail de la police pour s'assurer qu'elle exécute ses missions conformément aux règles internationales sur les droits de l'homme et les libertés fondamentales, en particulier la liberté de mouvement, le respect et la protection de la personne humaine et de la propriété privée ;

- s'assurer que les instances de la justice pénale observent ces mêmes règles ;

- participer à la restructuration des différentes forces de police et assurer leur formation ;

- faciliter le déroulement d'élections démocratiques.

Le mandat initial du GIP a été renouvelé le 21 décembre 1996. Si la mission de contrôle de la police reste l'activité première, l'accent est mis sur le développement d'une police démocratique . Ainsi, le GIP est-il conduit :

- à diligenter des enquêtes sur les violations des droits de l'homme commises par les policiers ;

- à sélectionner les policiers reconnus aptes à demeurer dans leur force de police :

- à restructurer les polices bosniaque et bosno-croate pour en faire un corps unifié, au niveau fédération comme à celui de chaque canton, ainsi que de la police bosno-serbe ;

- à former les policiers.

Cet objectif de développement de la police locale concerne 1.000 policiers fédéraux et les dix polices cantonales (10.500 policiers). Pour les 7.000 policiers de Republika Srpska, la situation a été longtemps bloquée du fait du refus des autorités serbes de coopérer en matière de sélection, de restructuration et de formation de leur police.

Pour 1997, le GIP aura comme principaux objectifs de veiller aux cas de violations des droits de l'homme, de permettre le retour en sécurité des réfugiés et personnes déplacées et le bon déroulement des élections municipales. Surtout la Force de police devra veiller à assurer la liberté de mouvement dans toute la Bosnie-Herzégovine à travers l'IEBL. A cette fin et pour réduire les "checkpoints" qui sont autant de moyens de discrimination interéthnique, toute installation de poste de contrôle (délinquance et police de la route) par la police locale devra être agréé par le GIP.

· Des moyens insuffisants

Sur un effectif théorique initial de 2134 personnes, l'effectif réel maximum n'a jamais dépassé les 1855, dont cent vingt gendarmes français-, la moitié de cet effectif total provenant de pays en voie de développement... Au total, 35 pays participent au GIP, le contingent le plus important (188) provenant des Etats-Unis.

Ces policiers ne sont pas armés, leurs communications ne sont pas codées et leur extrême dispersion sur le territoire -conforme à leurs missions- les rend particulièrement vulnérables. Les incidents auxquels ils sont confrontés les contraignent donc à recourir à la SFOR, ce que cette dernière fait avec réticence, ne s'estimant ni équipée ni entraînée pour effectuer des missions de police. De même, le GIP a-t-il fait savoir que la mission d'arrestation des criminels de guerre -sauf à créer une police spéciale- ne correspondait pas à ses missions, de même que la mission de maintien de l'ordre. Cette dernière est revendiquée par les Etats parties comme part de leur souveraineté et ne saurait en tout état de cause être assurée avec les effectifs disponibles.

Le contingent de 120 gendarmes français, dont 4 officiers est uniquement déployé dans les régions de Sarajevo et de Mostar, c'est-à-dire dans la zone de compétence de la DMNSE sous commandement français. C'est la raison pour laquelle la France n'enverra pas d'effectifs supplémentaires à Brcko dans le cadre de l'envoi de policiers, décidé après l'arbitrage de février 1997.

2. Désarmement-réarmement : un périlleux équilibre

· La maîtrise des armements en Bosnie-Herzégovine

L'accord de Dayton, dans son annexe 1 B, prévoit un "accord sur la stabilisation de la région", aux termes duquel l'OSCE devait superviser plusieurs négociations destinées à développer la confiance et la transparence dans le domaine politico-militaire ainsi que d'établir des niveaux de forces les plus bas possibles de façon compatibles avec les besoins de sécurité des Parties.

Un premier "round" de négociations, conclues le 26 janvier 1996 à Vienne a permis d'établir une quinzaine de mesures et de confiance et de sécurité en Bosnie-Herzégovine : échange régulier de données militaires, notifications de changements dans les structures de commandement ou les dotations d'équipement, information sur les activités militaires inhabituelles..., retrait des forces et des équipements dans les cantonnements, demantèlement de forces irrégulières, etc... Surtout a été mis en place un régime multilatéral d'inspections et instituée une Commission consultative conjointe chargée du suivi de l'application de l'accord.

Une seconde négociation a abouti, le 14 juin 1996 à Florence, à un accord sur la maîtrise des armements en ex-Yougoslavie.

Ce texte, très proche des dispositions du Traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe (FCE) impose à la RFY, à la Croatie, à la Bosnie et à ses deux entités des plafonds quantitatifs pour 5 types d'armement : chars, véhicules blindés de combat, pièces d'artillerie supérieures à 75 mm, avions de combat et hélicoptères d'attaque. Ces ratios ont été définis, pour les 3 pays parties -RFY, Croatie, Bosnie sur la base de 5 (RFY), 2 (Croatie) et 2 (Bosnie-Herzégovine). Enfin, pour cette dernière, le ratio pour chaque entité et de 2 (Fédération) et de 1 (Republika Srpska).

Le tableau suivant récapitule les dotations autorisées :


Chars

Véhicules blindés de combat Artillerie

• 75 mm

Avions de combat Hélicoptères

d'attaque

RFY 1025 850 3750 155 53
Croatie 410 340 1500 62 21
Bosnie dont 410 340 1500 62 21
Fédération 273 227 1000 41 14
R. Srpska 137 113 500 21 7

Ces plafonds devront être atteints après une période dite de réduction (destruction ou exportation des équipements excédentaires) de 16 mois à compter du ler juillet 1996, soit au 30 novembre 1997.

Le Programme " Equip and train "

Les Etats-Unis, soucieux de rééquilibrer les forces militaires en présence et d'aider l'armée de la Fédération [4] à porter certains de ses équipements au niveau des plafonds, ont décidé unilatéralement la mise en oeuvre d'un programme "équipement et entraînement" (equip and train).

Le budget total du programme s'élève à 400 millions de dollars et plusieurs pays arabes contribuent également au réarmement de la Fédération. C'est ainsi que l'Egypte fournit des pièces d'artillerie et les Emirats Arabes Unis des chars et des véhicules blindés -de fabrication française...

Durant le séjour de votre délégation fut annoncée la livraison, par les Etats-Unis à la Fédération de 116 obusiers de 155 mm, l'une des plus puissantes pièces d'artillerie existantes, d'une portée de 20 km. Depuis le lancement du programme, la Fédération a pu également recevoir outre de l'armement léger et des obusiers de 130 mm M-59 (12) et 122 mm D-30 (12), 45 chars M-60, quelque 840 missiles antichars et une vingtaine de canons antiaériens.

Ce programme "équipement" se double d'un programme "entraînement", auquel participent quelque 160 instructeurs américains à travers la firme américaine MPRI (Military Personnel Resource Incorporated). Trois centres de formation ont été créés sur le territoire de la Fédération où est dispensé un enseignement à la manoeuvre "défensive" de contre-attaque, qui pourrait cependant sans difficulté se transposer en manoeuvre offensive.

Le rééquilibrage des forces en présence est en soi une préoccupation légitime puisque c'est l'extrême différence de potentiel militaire qui permit aux forces serbes d'obtenir les résultats que l'on sait pendant la guerre. D'une certaine façon également, ce programme américain est la mise en oeuvre de la ligne diplomatique prônée par les Etats-Unis depuis le début de la guerre, tendant à l'époque à lever, au profit des musulmans de Bosnie, l'embargo sur les armements décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies. De même, peut-on mettre en avant l'effet fédérateur, attendu par ce programme, entre les forces militaires croates (HVO) et musulmanes (Arbih) censées se fondre, à terme, en une seule armée de la fédération.

Il reste que ce programme qui permet, à quantité d'armement égale, un saut qualitatif substantiel à l'une des parties, est lourd de danger. Il est de nature, en novembre 1997, soit à l'issue du programme de réduction, à faire naître de part et d'autre un sentiment de déséquilibre des forces risquant d'inciter les unes ou les autres, singulièrement après le départ de la SFOR en juin 1998, à une éventuelle reprise des combats.

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