II. UNE DIMENSION INSTITUTIONNELLE TRÈS FAIBLE EN DÉPIT D'UNE PRISE DE CONSCIENCE RÉCENTE

Alors qu'Airbus constitue l'un des très rares succès industriels européens et que l'industrie aéronautique représente pour l'Europe un atout technologique, économique et politique, la construction européenne est longtemps restée institutionnellement à l'écart des questions et enjeux de l'aéronautique civile.

Cette situation qui s'explique sans doute par la concentration dans quelques pays seulement de l'activité de production aéronautique européenne et par une attitude généralement peu favorable aux politiques industrielles a fait l'objet d'une remise en question récente. Celle-ci n'a débouché jusqu'à présent que sur trop peu d'initiatives.

A. L'AFFIRMATION TARDIVE DE LA DIMENSION EUROPÉENNE DE LA CONSTRUCTION AÉRONAUTIQUE CIVILE

En la matière, si les entreprises avaient su nouer des alliances coopératives qui se sont exprimées surtout dans le domaine des appareils à l'exclusion donc des secteurs des équipements et des propulseurs, la dimension européenne de la construction aéronautique avait longtemps été ignorée des institutions.

Cependant, successivement, deux communications de la Commission du 23 juillet 1990 et du 29 avril 1992 ont marqué un tournant dans l'attitude communautaire débouchant, pour la dernière, sur une série de propositions d'actions communautaires.

L'approche de la Commission

La Commission part du constat que les entreprises de construction aéronautique ne peuvent "entrer sur le marché... sans soutien public pendant la période qui s'écoule entre la décision du lancement du programme initial et le dégagement d'un cash-flow suffisant".

Elle appuie ce constat sur l'importance de l'investissement initial et la durée à attendre avant de rentabiliser cet investissement.

Elle ajoute que la situation de l'industrie aéronautique est rendue plus ardue par :

•  l'apparition de nouvelles priorités technologiques, la sécurité et la fiabilité du transport aérien, l'amélioration des performances opérationnelles des avions et des coûts réels moindres, la prise en compte des exigences environnementales ;

•  l'alourdissement des coûts de recherche-développement des grands programmes qui excèdent de plus en plus les capacités financières et humaines d'une seule entreprise et d'un seul pays ;

•  la pression renforcée de la concurrence internationale qui bénéficie d'effets de structure industrielle dont l'Europe ne bénéficie pas encore ;

•  les difficultés croissantes de financement de la R & D et des produits, du fait de la diminution des budgets et commandes militaires et de la réduction des soutiens publics en général ;

•  le faible niveau du dollar par rapport aux monnaies européennes.

Puis elle insiste sur les différences entre les systèmes de financement public de la recherche-développement aux Etats-Unis et en Europe soulignant la fragmentation de l'effort public en Europe.

De celle-ci "découle une certaine duplication des programmes et installations de recherche et des stratégies nationales contradictoires". Elle indique, en particulier : "Alors qu'aux Etats-Unis la NASA concentre l'essentiel de la recherche aéronautique civile dans trois centres, la Communauté compte sept centres principaux pour la recherche aéronautique publique. Malgré une certaine spécialisation, chaque centre couvre le même éventail de recherche de base, avec en corollaire une duplication des frais généraux et des infrastructures.

Ainsi bien que des initiatives telles que la Soufflerie Transsonique Européenne soient prises pour en réduire le nombre, les souffleries sont presque deux fois plus nombreuses en Europe qu'aux Etats-Unis. Le taux de duplication des infrastructures de recherche atteindrait 20 à 30 %. Si l'on prend également en compte des duplications au niveau des frais de fonctionnement, la perte d'efficacité représenterait au moins 20 % des budgets totaux.

Plusieurs mécanismes de coopération ont été mis en place pour réduire les inconvénients de la fragmentation de la recherche-développement publique. Leur efficacité est toutefois réduite par leur approche dispersée de la coordination de la recherche-développement publique . Compte tenu des montants considérables en cause, une amélioration de cette situation permettrait de mieux allouer les ressources publiques disponibles afin de rencontrer les besoins accrus en recherche-développement."

Outre la fragmentation ainsi dénoncée, la Commission évoque le poids des héritages nationaux regrettant, en matière de normes techniques, la faible place des normes européennes (10 % de l'ensemble contre 20 % pour les normes nationales et 70 % pour celles d'entreprises) et déplorant la lourdeur persistante des procédures de normalisation en Europe malgré la constitution des "Joint Airworthiness Authorities" comparée à la simplicité et à la modicité des coûts des procédures de la FAA.

En conclusion, la Commission propose les actions communautaires suivantes.

Elle rappelle d'abord que les entreprises "se doivent dans le cadre de stratégies à long terme de poursuivre leurs efforts". Puis, elle considère qu'"il appartient à la Communauté et aux états membres, dans le cadre de l'application du principe de subsidiarité, de contribuer à leur assurer un environnement favorable à l'amélioration de la compétitivité de l'industrie aéronautique". Elle précise enfin ses propositions qui consistent à :

•  créer un cadre favorable

. accélérer l'harmonisation des normes techniques,

. créer un cadre juridique commun : le statut de société européenne,

. promouvoir la formation,

. mettre en place les réseaux trans-européens,

. promouvoir le dialogue social

•  assurer le jeu de la concurrence,

•  maintenir le niveau technologique,

•  faire face à la problématique du dollar,

•  garantir l'équilibre avec l'environnement,

•  amorcer la coopération avec l'Europe centrale et orientale

Après cette prise de conscience tardive, dont les prolongements concrets -v.infra- restent à évaluer, la Commission a ajouté à l'initiative des trois Commissaires chargés respectivement "des affaires industrielles et des technologies de l'information et des télécommunications", "de la science, de la recherche et du développement, des ressources humaines, de l'éducation, de la formation et de la jeunesse" et "des transports" la création d'une "task force aéronautique" mise en place le 1er mars 1995.

Dans son rapport du 11 mars 1996, elle récapitule les tâches qui sont les siennes, soit :

•  identifier des objectifs industriels, scientifiques (recherche) et technologiques prioritaires,

•  promouvoir l'exploitation coordonnée du quatrième programme-cadre,

•  mettre au point des applications concrètes dans le cadre de la Société de l'information,

•  améliorer l'exploitation des résultats, éventuellement par des activités de démonstration,

•  étudier les possibilités offertes par des programmes complémentaires,

•  renforcer la synergie entre les programmes de l'Union et les programmes nationaux, et

•  formuler des recommandations dans la perspective du Cinquième programme-cadre.

En outre, la Commission a toujours considéré que ses programmes-cadres de recherche et développement pouvaient avoir un impact positif pour le secteur aéronautique.

B. DES REALISATIONS LIMITÉES

La coordination des politiques aéronautiques reste faible.

Il y a cependant lieu de distinguer entre la "constellation Airbus" et les autres acteurs.

S'agissant d'Airbus, un certain degré de coordination a été atteint.

Elle se manifeste d'abord entre les entreprises du GIE qui, dans le cadre du plan 3E, se concertent pour s'assurer que chaque partenaire considère tel thème de recherche intéressant et pour se répartir les tâches de recherche. Par ailleurs, des réunions entre industriels et administrations sont organisées.

Elle se manifeste aussi bien entendu lorsqu'il s'agit de lancer de nouveaux développements.

En réalité, la concertation est permanente. Mais, il reste à montrer qu'elle est pleinement efficace.

Une série de dossiers récents démontre que les relations au sein d'Airbus sont difficiles.

S'agissant du seul domaine de la recherche, il semble qu'une certaine insatisfaction allemande prévale, qui conduit nos partenaires d'outre-Rhin à financer des programmes de recherche plus "valorisants" mais qui forment doublon.

Quant aux capacités d'animation du GIE, elles sont réelles, sans quoi Airbus ne serait pas ce qu'il est mais la lenteur dans laquelle évoluent des décisions essentielles pour son avenir est symptomatique d'un processus de négociations complexes.

C'est, à vrai dire, le lot de toutes les formules de coopération et la marque d'un GIE -v. supra-.

Il importe d'améliorer la capacité d'impulsion de l'avionneur européen.

Hors Airbus, la redondance règne, que ce soit dans les avions régionaux, les moteurs ou les équipements. L'Europe reste à faire mais il est peu probable qu'elle se fasse sur des bases coopératives étant donné les situations acquises.

Ces différentes réalités pèsent sur la capacité des instances communautaires à définir une politique cohérente pour l'industrie aéronautique.

On sait que la Commission est désormais en charge de la politique commerciale extérieure de la Communauté. Cette solution n'est pas optimale en matière aéronautique européenne. L'accord euro-américain de 1992 paraît démontrer une certaine incapacité de la Commission à faire prévaloir les intérêts des industriels européens. Cela peut n'être considéré que comme la conséquence d'un certain défaut de position commune entre les pays immédiatement concernés. Mais, il n'est pas sûr que le "détour" institutionnel que représente la Commission ne joue pas comme un facteur facilitant des ambiguïtés nuisibles à la solidité des positions commerciales de l'Europe.

Les conditions concrètes d'application de l'accord de juillet 1992 laissent d'ailleurs à penser que les rencontres périodiques entre les deux parties sont moins l'occasion de confrontations entre les Etats-Unis et l'Europe qu'entre les pays européens eux-mêmes.

Pour le reste d'ailleurs, la politique commerciale de la Communauté dans le secteur aéronautique apparaît des plus réduites. Ce n'est certes pas à ce niveau que pourra être organisée une véritable diplomatie européenne de l'industrie aéronautique à l'image de la "diplomatie Boeing"... ne serait-ce que parce que la représentation diplomatique de la Communauté n'est que sporadique.

Il faut donc, lorsque les intérêts sont les mêmes, que les pays européens directement concernés fassent naître eux-mêmes une vraie diplomatie aéronautique.

Incidemment, il importe de mettre tout en oeuvre pour que les intérêts des entreprises européennes convergent, ce qui suppose bien sûr que l'industrie aéronautique militaire européenne se regroupe.

Mais, c'est aussi dans le poids occupé par les aides à la recherche aéronautique dans le quatrième programme cadre de recherche et développement que se lit l'insuffisance de l'effort européen en faveur de son industrie aéronautique.

Ainsi, seuls 2,1 % des versements du programme-cadre de recherche-développement -PCRD- au bénéfice de notre pays, concernent la recherche aéronautique, soit environ 35 millions de francs en 1996.

Il n'existe pas d'institutionalisation de l'effort de soutien public des communautés européennes à l'aéronautique. Le PCRD est en effet découpé en grandes actions puis en thèmes de recherche au rang desquels l'aéronautique n'apparaît pas comme telle mais seulement comme bénéficiaire potentiel des travaux de recherche éligibles aux crédits européens.

Il est donc délicat d'articuler un chiffre qui pourrait se situer dans une fourchette annuelle comprise entre 310 et 600 millions de francs selon le champ retenu.

En tout état de cause, l'effort communautaire en la matière qui concerne a priori l'ensemble des Etats membres est fort réduit.

On peut d'ailleurs s'interroger sur son opportunité car, en ce domaine comme en d'autres, le principe d'utilité de l'intervention communautaire qui fonde pour partie le principe de subsidiarité, suppose que son calibre soit révélateur d'une utilisation vers des projets qui dépassent les moyens des Etats membres.

Or, tel n'est évidemment pas le cas.

C'est d'ailleurs pourquoi la Commission a, en janvier 1996, élaboré une proposition visant à majorer les crédits de recherche aéronautique de 165 millions d'écus, soit d'un peu plus de 1 milliard de francs, à répartir sur les deux années restant à courir au titre du quatrième PCRD.

Las ! Cette proposition n'est à ce jour pas adoptée si bien que, compte tenu de l'achèvement prochain du quatrième PCRD, son sort paraît bien incertain.

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