B. DES RECETTES INCERTAINES

1. L'avenir des instituts et l'Union monétaire

L'incertitude sur l'évolution des recettes du compte d'affectation spéciale repose d'abord sur l'incertitude qui entoure l'avenir même des instituts d'émission d'outre-mer dans le contexte de la troisième phase de l'Union économique et monétaire.

L'existence même des instituts pourrait être remise en cause . Toutefois, deux situations doivent être distinguées .

L'Institut d'émission d'outre-mer pourrait subsister . Les territoires d'outre-mer sont en effet exclus du territoire de l'Union européenne et, par ailleurs, une clause spéciale du Traité de Maastricht prévoit que la France conservera le privilège d'émission dans les territoires d'outre-mer et est seule habilitée à fixer la parité du franc CFP. Seul le régime de Mayotte devrait donc susciter des difficultés puisque dans cette collectivité rattachée à l'IEOM le franc français auquel devrait se substituer l'euro est actuellement le signe monétaire en usage. Une solution simple en apparence consisterait à élargir les compétences de l'IEDOM à Mayotte .

Pour les départements d'outre-mer en revanche, les ferments d'évolution de leur régime monétaire ne manquent pas .

De façon liminaire, il faut rappeler que les justifications apportées au maintien d'un régime particulier à ces départements apparaissent d'ores et déjà relatives dans un contexte où leur statut administratif les rapproche à l'évidence des départements métropolitains et où, surtout, s'est imposée la liberté des mouvements de capitaux. En tout cas, les départements d'outre-mer appartiennent au territoire de l'Union européenne si bien qu'en principe, ils devraient être régis par les principes de la troisième phase de l'union monétaire.

Il reste qu'ils sont aussi considérés par le Traité comme des régions ultra-périphériques, c'est-à-dire qu'ils peuvent bénéficier de mesures spécifiques dans la mesure où des raisons objectives le justifient. Cette réserve pourrait trouver à s'appliquer mais rien n'est encore décidé en la matière.

Si la pérennité de l'IEDOM devait être remise en cause, la source principale d'alimentation du compte d'affectation spéciale se trouverait tarie et la survivance du compte compromise.

Si tel ne devait pas être le cas, il semble que l'entrée en vigueur de la troisième phase du Traité de Maastricht pourrait se traduire pourtant par une modification sensible des conditions d'interventions des instituts d'outre-mer.

Tel serait le cas si le réescompte n'était pas jugé compatible avec les stipulations du Traité, ou plus précisément avec les instruments de la politique monétaire qui pourraient être privilégiés dans ce cadre par la Banque centrale européenne. Par là également pourrait donc se trouver asséchée une ressource importante -près du tiers de l'ensemble- de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer. Toutefois, si cette ressource disparaissait, un autre système de refinancement des banques devant être mis en place, celui-ci générerait une ressource alternative qui pourrait rester à l'IEDOM.

2. Les perturbations traversées par les instituts

Mais l'avenir des recettes du compte d'affectation spéciale est incertain pour d'autres motifs.

Les recettes du compte, on l'a dit, proviennent de l'affectation des bénéfices nets de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM).

Le tableau qui suit récapitule l'évolution des bénéfices nets de ces instituts entre 1991 et 1995. Il démontre que ces bénéfices ont subi une diminution considérable puisqu'ils ne représentent plus en 1997 que moins du quart de ce qu'ils étaient encore en 1993 .

Les bénéfices nets des instituts d'émission dépendent du solde des produits et des charges diminué de l'impôt sur les sociétés et des réserves constituées par les instituts.

Or, l'évolution des produits est mal orientée depuis quelques années. A titre d'exemple, entre 1993 et 1995 ils ont, pour l'IEDOM, chuté de près de 20 %, soit, en niveau, de 79,6 millions de francs.

On rappelle leur structure qui, en 1995, était la suivante : pour près des 2/3 (61 %), ils venaient des intérêts du compte d'opérations ; pour le reste, des produits financiers issus du réescompte.

a) Les produits du compte d'opérations paraissent désormais confortés

Les produits du compte d'opérations de l'IEDOM ont diminué, entre 1993 et 1995, de 12 %.

Les comptes d'opérations des instituts retracent les transferts financiers entre la métropole et l'outre-mer. Ils étaient, jusqu'en début 1997, inscrits dans les livres du Trésor qui versait une rémunération aux instituts dès lors que le solde de leurs comptes d'opérations étaient créditeurs. Le solde moyen journalier du compte était ainsi rémunéré au taux de 8,50 %, taux en vigueur depuis le 1er janvier 1985. Plus précisément, ce taux ne s'appliquait qu'au quart du solde des comptes de l'IEDOM et à 60 % de celui de l'IEOM, les assiettes de rémunération ayant été réduites à compter du 1er janvier 1990 pour les raisons évoquées plus haut.

Le solde moyen de ces comptes d'opérations a connu une inflexion sensible après la conclusion d'une convention entre le ministre de l'économie et des finances et le gouverneur de la Banque de France relative au remboursement de la fraction des avances consenties par celle-ci excédant les besoins de la circulation monétaire outre-mer . Etalé sur trois ans, entre 1995 et 1997, ce remboursement a amputé le solde du compte d'opérations d'un peu plus de 6 milliards de francs, soit, comptablement, un peu plus de 2 milliards en 1995, de 4 milliards en 1996 et de 6 milliards de francs en 1997. Ces remboursements étant acquis, ce facteur de diminution du solde moyen du compte d'opérations de l'IEDOM ne jouera plus à l'avenir.

Devrait s'ajouter un autre facteur favorable : le passage de l'inscription du compte d'opérations de l'IEDOM des livres du Trésor à ceux de la Banque de France.

En effet, le maintien du rattachement du compte d'opérations de l'institut d'émission des départements d'outre-mer dans les comptes du Trésor est apparu comme un survivance, non conforme aux règles communautaires excluant toute participation des banques centrales au financement de l'Etat.

Une solution pratique a consisté à y substituer un rattachement dans les écritures de la Banque de France, dont une convention du 3 février 1997 a réglé les conditions. Il en ressort que le solde du compte d'opérations sera désormais rémunéré au taux des appels d'offres de la Banque de France -3,1 %- qui est supérieur au taux de la rémunération qu'accordait le Trésor -2,125 %.

Conséquence pratique : l'Etat perdrait, de ce fait, une ressource de trésorerie qui s'élevait, pour le compte de l'IEDOM, à 11,8 milliards de francs en 1994 (montant du solde moyen journalier du compte), rémunérée au taux de 2,125 %. Compte tenu du niveau des taux des bons du Trésor, le surcroît net de dépenses résultant de cette opération pour l'Etat s'élèverait à environ 186 millions de francs.

En revanche, le solde moyen du compte d'opérations de l'IEDOM sera désormais rémunéré au minimum du taux des appels d'offre pratiqué par la Banque de France, ce qui accroîtra les produits de cet institut, son bénéfice à due concurrence et ainsi, ses versements au compte spécial.

Sur la base des données de 1995, qui n'intègrent toutefois pas l'ensemble des remboursements de l'avance de la Banque de France, on pouvait estimer à 94 millions de francs le surcroît de produits de l'institut d'émission DOM résultant de cette réforme. Compte tenu des remboursements intervenus depuis cette période, le supplément de ressources devrait être un peu moins élevé mais assez substantiel pour que les recettes du compte se redressent.

b) Les produits du réescompte sont vulnérables

L'intermédiation financière connaît dans les DOM des problèmes très sérieux, qu'illustre la situation de la Guyane et de la Guadeloupe, même si leur ampleur est variable d'un département à l'autre.

L'évolution des produits du réescompte en est affectée.

La situation des établissements de crédits locaux est fragilisée par les problèmes économiques auxquels sont confrontés les départements et par des handicaps structurels qui font redouter un véritable effondrement du secteur financier local.

Le secteur bancaire des deux départements est d'abord confronté au niveau très élevé de ses créances douteuses . En Guadeloupe, les créances douteuses représentent 24,4 % de l'encours des crédits ; en Guyane, elles atteignent 44,5 % de l'encours. On peut rappeler qu'en métropole ce ratio ne dépasse pas 7 % pour donner une idée des conditions extrêmement difficiles de l'activité bancaire dans les deux départements.

Cette situation est le reflet des difficultés économiques conjoncturelles des deux départements. Mais, elle vient également de facteurs plus structurels.

Ainsi, il semble que le secteur bancaire local, animé principalement par des filiales d'établissements nationaux, subisse les effets de la concurrence des banques "hors zone". En Guadeloupe, ceux-ci accordent près de 36 % de l'ensemble des concours bancaires ; en Guyane, cette proportion atteint 44 %. Dans ces conditions, les banques locales seraient structurellement "abonnées" aux mauvais risques.

Il s'ensuivrait un véritable cercle vicieux, le niveau du coût du crédit relativement plus élevé qu'en métropole afin de tenir compte des risques et de dégager une rémunération nécessaire à la poursuite de l'activité bancaire diminuant le volume de l'activité locale, les concours extérieurs apparaissant plus favorables, et affectant la situation financière d'entreprises déjà vulnérables et, en tout cas, exclues de tout autre financement que local.

Au terme de ce processus, la viabilité même des banques locales est en cause comme le démontrent plusieurs exemples récents :

La Banque nationale de Paris-Guyane (BNPG) détient 70 % du marché bancaire guyanais et près de 44 % de l'ensemble des concours financiers. Ses derniers exercices se sont soldés par de lourdes pertes -620 millions en quatre ans- avec 100 millions de francs en 1994 et 300 et 150 millions de francs respectivement en 1995 et 1996. En conséquence, la BNP a dû procéder à des recapitalisations successives de sa filiale à hauteur de 300 millions de francs en 1995 puis de 180 millions de francs en 1996. La BNP entend, semble-t-il, se retirer du marché guyanais. Sa filiale a d'ailleurs mis en place un plan social prévoyant une trentaine de suppressions d'emplois qui semble préluder à sa dissolution pure et simple.

La Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Guadeloupe qui est, de très loin, avec 6,1 milliards de francs de bilan en 1995, le plus gros établissement bancaire du département, a subi une série de pertes très importantes. Sa situation a justifié une recapitalisation très substantielle, de l'ordre de 400 millions de francs, et la mise en place d'une opération de défaisance portant sur 800 millions de francs.

Ces difficultés financières qui, incidemment, créent un contexte propice à solliciter l'intervention publique, s'accompagnent d'une baisse des encours de crédits . Associée à celle-ci, s'impose une contraction des opérations de refinancement de l'IEDOM qui constituent une source importante -le tiers environ- du produit de l'institut d'émission et donc de ses bénéfices.

A ce phénomène lourd s'ajoute, selon les observateurs locaux , la rigueur excessive des conditions d'éligibilité au réescompte , seul produit réellement attractif pourtant, qui évinceraient la plupart des entreprises de cette procédure.

On rappelle que le réescompte, qui constitue une survivance propre à l'outre-mer, a pour objectif de contribuer à alléger le coût du crédit aux entreprises appartenant aux secteurs d'activité jugés prioritaires. Le taux de refinancement appliqué par l'institut d'émission est particulièrement bas (2 % depuis juillet 1996) et, moyennant une marge réglementée, permet aux entreprises d'accéder à des financements préférentiels d'un niveau nominal toutefois supérieur à celui de la croissance économique. Cependant, outre qu'elles doivent exercer leur activité dans les secteurs prioritaires, les entreprises pour être éligibles au réescompte, doivent satisfaire à des critères de volume de leur chiffre d'affaires et de cotation.

S'agissant des premiers, seules les entreprises ayant un chiffre d'affaires inférieur à 200 millions de francs sont éligibles au réescompte. Ce critère n'est guère exigeant en pratique, rares étant les entreprises qui le dépassent dans les départements étudiés. Toutefois, pour celles qui se trouvent dans ce cas, la voie du réescompte est fermée et ne subsistent que deux solutions, soit recourir à un financement "hors zone", si leur situation financière le leur permet, soit, dans l'hypothèse contraire, subir les surcoûts du financement local.

S'agissant des exigences portant sur la qualité de leur cotation, elles semblent plus significativement restrictives. Ainsi, en Guadeloupe, seul un tiers des entreprises du département satisferait à ce critère.

Au total, la contraction du volume des opérations de réescompte, combinée à la baisse progressive du taux du réescompte pratiqué par l'IEDOM, - celui-ci est passé, depuis 1994, de 4 à 2 % - altèrent les produits de l'institut et, partant, les bénéfices susceptibles d'être versés au compte d'affectation spéciale. A preuve, les produits du réescompte ont diminué d'un tiers entre 1993 et 1995.

Entre 1992 et la mi-1996, les départements d'outre-mer et Saint-Pierre et Miquelon ont reçu 282,6 millions (72 %) de francs et les territoires d'outre-mer et Mayotte 109,8 millions de francs (28 %).

En s'en tenant aux dépenses susceptibles d'être immédiatement identifiées par département, parmi les départements d'outre-mer, la Guyane a bénéficié de soutiens à hauteur de 73,4 millions de francs et la Guadeloupe de 28,9 millions de francs. [1]

Les tableaux ci-dessous transmis par les services gestionnaires récapitulent les interventions réalisées dans les deux départements.

La ventilation des dépenses par objet, telle qu'elle a été fournie, n'est pas satisfaisante. Si les dépenses à vocation agricole peuvent bien être isolées, il apparaît que la répartition des crédits entre dépenses à objet social et interventions en faveur de l'immobilier manque de robustesse et parfois même de rigueur.

En réalité, les interventions du compte dans les deux départements ont consisté pour l'essentiel à aider le secteur de la construction immobilière à hauteur de 87,4 millions de francs et, secondairement, en Guyane exclusivement, à contribuer au financement des plans de développement de l'agriculture pour 30,5 millions de francs .

Une autre présentation des dépenses du compte peut être proposée.

Elle fait apparaître qu'en Guadeloupe, près de 22 millions de francs ont été consacrés à des opérations de réhabilitation du patrimoine immobilier de la SIG , la société immobilière de Guadeloupe, les 7 millions restant étant consacrés à permettre le rachat par cette société du capital de la SA HLM, alors en situation de cessation de paiement. En Guyane, les opérations de réhabilitation de la SIGUY, l'homologue de la SIG, n'ont bénéficié que de 1,6 million de francs sur un total de dépenses au profit d'organismes locaux de 73,4 millions de francs. En revanche, 30,5 millions de francs ont été destinés à des concours à l'agriculture, 24 millions de francs à verser une dotation à la SIGUY, le reste 17,3 millions de francs servant à compenser les intérêts échus sur des créances immobilières bénéficiant d'un moratoire.

Au terme de cette dernière présentation qu'il faut compléter en évoquant les 107,5 millions de francs versés, par fractions globales. Sans préjudice des observations que peuvent inspirer les versements aux organismes horizontaux, il apparaît que si les dépenses réalisées en Guadeloupe au profit des intervenants locaux ont été réalisées dans un cadre bien maîtrisé, il n'en est pas allé de même en Guyane où l'urgence a souvent dicté sa loi.

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