CHAPITRE 2 : LE RÔLE DE L'ÉCOLE

« L'ordinateur sera pour les jeunes de demain aussi indispensable que l'étaient l'encrier et le cartable pour l'écolier d'hier . »

René MONORY

Avant propos au rapport :

La mondialisation : Fatalité ou chance ? 32 ( * )

« Le processus éducatif n'est pas une affaire d'accès au savoir (...). Améliorer l'accès ne changera pas une virgule à la situation de désir de savoir qui doit animer l'élève . »

Philippe BRETON

Réflexions générales introductives

Rien ne sera durable ni profitable à tous si l'école n'est pas ce lieu premier des apprentissages essentiels. Les rôles que Jules FERRY lui avait confiés dès son origine indiquent les décisions à prendre :

- il faut savoir adapter une pédagogie à des outils et rendre nécessaires leurs usages par des professeurs d'école formés et instruits en ces matières. En même temps - et c'est d'ailleurs pour l'essentiel le cas - il faut que tous les enfants effectuent un parcours scolaire commençant, si les parents le souhaitent, à l'âge de deux ans, à l'école préélémentaire ; il deviendra ensuite obligatoire jusqu'au terme de la troisième correspondant à l'âge de 16 ans ; ce parcours doit pouvoir s'effectuer dans de bonnes conditions dans tous les lieux d'enseignement ;

- en revanche, il faut éviter de réactiver les deux circuits initiaux pensés par Jules FERRY ; ils créaient une inégalité d'accès au savoir : le premier, relativement court et représentant le temps de l'école primaire, libérait les enfants de toute obligation scolaire dès le certificat d'étude acquis ; le second, plus riche en matières, plus long en durée, s'effectuant au lycée, ouvrait aux formations conduisant aux postes de responsabilité, de décision, de pouvoir.

Cette inégalité d'accès avait pour objectif, délibérément choisi, la formation de deux blocs antagonistes ; les accords nécessaires entre eux n'ont pas toujours pu éviter des violences et des souffrances.

L'égalité des chances pour tous - mission première de l'école publique - est une exigence encore plus impérieuse du fait de l'entrée des techniques d'information et de communication dans toutes les activités des hommes. Les capacités propres à chacun pour les acquérir et en user feront les différences ensuite dans les postes, les places, les fonctions que chacun occupera.

Si l'on veut réussir une entrée satisfaisante de ces nouvelles techniques à l'école, si l'on veut assurer une égalité des chances entre les élèves, quatre conditions seraient à respecter :

- organiser un enseignement sûrement populaire, évitant toute forme d'élitisme en s'adressant au plus grand nombre ;

- veiller à utiliser le rapport au plaisir entre élève / enseignant ;

- assurer une rigueur pédagogique dans la méthodologie proposée ;

- veiller au bon usage de l'interactivité qui devient un aspect stratégique de la fonction d'enseignement. 33 ( * )

*

* *

Avant toute proposition nouvelle, il convient de dégager les éléments d'un environnement technique dans un contexte culturel donné, d'en évaluer les conséquences sur l'avenir d'une société et le devenir des hommes qui l'habitent.

Il devient peu à peu admis que l'ordinateur n'est pas seulement :

- un outil de plus dans l'arsenal de l'enseignement ;

- un support supplémentaire pour transmettre les connaissances selon les programmes officiels dans les mêmes structures éducatives, utilisant les mêmes stratégies pédagogiques, maîtres et élèves conservant leur rôle et prérogative.

Tout au contraire, l'ordinateur semble devenir un « nouveau stylo » aux capacités diversifiées susceptibles de modifier les exercices scolaires traditionnels et de nécessiter des méthodes pédagogiques adaptées.

Quatre questions peuvent guider réflexions et recherches :

- l'ordinateur, nouveau stylo, doit-il avoir une fréquence d'utilisation voisine de celle du stylo à bille ou à encre, sans en faire disparaître l'usage comme le stylo le fît de la plume sergent-major et de l'encrier ? L'ordinateur va devenir portable et de plus en plus léger. Peut-il avoir sa place dans le cartable de l'écolier et sur son pupitre en classe ?

- comment et quels apprentissages imaginer pour établir d'efficaces relations au savoir ?

- quelles incidences sur les relations des élèves entre eux et des élèves avec les professeurs ?

- des risques de dépendances de l'enfant, puis de l'homme envers la machine sont-ils à craindre ? Comment assurer la maîtrise de la machine?

Avant de tenter d'apporter des propositions à ces questions, notamment à la première, il est nécessaire de tenir compte des choix d'expérimentation recensés comme des réflexions et réactions enregistrées.

- aucune expérience à l'ordinateur pour des exercices fondamentaux, dictée ou apprentissage des mathématiques de base : timidité ou refus des enseignants ? préservation au lieu du sacrifice de la traditionnelle écriture sur le cahier ? rejet de l'existence de logiciels de correction ?

- en France, comme en Finlande, l'ordinateur ne semble pas être considéré comme devant être un outil familier comme un stylo. Est-ce le coût ? A l'époque du porte-plume, le stylo paraît cher et signe d'une aisance financière. Est-ce un réflexe comme celui de Cosette devant une poupée ? Les enseignants n'osent pas rêver une telle possibilité.

- si une initiative devait être envisagée, ne faudrait-il pas l'organiser seulement à partir de l'entrée dans le cycle primaire ?

Depuis presque dix ans, des enseignants, des collectivités locales ont eu le souci d'utiliser les moyens nouveaux de la communication. Les expérimentations, nombreuses, dispersées sans lien apparent, fournissent des indications sur le rôle nouveau de l'enseignant, les approches pédagogiques utiles à développer, la répartition des activités techniques comme des matières enseignées, l'organisation matérielle de la classe, sur les phénomènes d'autoformation et de contrôle de soi.

D'ores et déjà, l'école préélémentaire entre 2 ans et 5-6 ans apparaît être un moment privilégié pour l'éveil de tous les possibles de l'enfant pour l'acquisition de mécanismes techniques comme pratiques, sans omettre la construction des comportements dans un espace socialisé. Plus encore, cette période peut se révéler déterminante dans la lutte contre l'échec scolaire : en réduisant, dès le plus jeune âge, les différences sociales entre les enfants et leurs conséquences sur leur accompagnement extrascolaire, l'école maternelle, disposant d'ordinateurs, peut devenir le premier lieu de l'égalité des chances

Les blocages : ils sont encore nombreux

- Les enseignants sont encore très réservés et refusent, assez souvent encore, de consacrer un temps suffisant pour apprendre, et découvrir les satisfactions de l'usage le plus simple de l'ordinateur, qu'il s'agisse du traitement de texte et du cédérom ; ils ne sont pas pressés d'accéder au multimédia, ni de se brancher sur les réseaux ; ils invoquent des difficultés réelles : remplacement pendant le temps de formation, moments pris sur le temps libre et non rémunérés ; toutes ces raisons ont des solutions, mais elles rejoignent celles mises en avant par les autorités académiques comme celles des responsables des services ministériels concernés.

- Les réticences, voir les refus des divers échelons hiérarchiques depuis les inspecteurs départementaux jusqu'aux décideurs nationaux ; ils prennent appui sur l'absence de décision claire des ministres de l'éducation, s'abritent derrière les ordinaires et classiques prétextes : souci du budget et des personnels, intérêt discutable, non prouvé de ces nouvelles manières d'aider à l'accès aux connaissances, à la culture, investissements en ordinateurs, obligations d'en changer fréquemment, organisation délicate des stages de formation, facteurs de dépenses non prévues, recherche vaine de moyens financiers et de disponibilité. Trop rarement, par conviction ou accord discuté, s'envisagent des projets communs entre enseignants et inspecteurs.

- A ces résistances classiques s'en ajoute une autre : chaque nouveauté, matériel ou manière pédagogique ou matière à enseigner, s'ajoutent aux contenus existants ; les enseignants craignent - et on peut les comprendre ! - les couches successives devenant de véritables impedimenta.

Des ouvertures : il en existe

- Des expériences, à l'initiative d'enseignants des premiers cycles, mais aussi parfois dans le secondaire et les lycées, parfois limitées mais quelquefois très élaborées dans le projet et bien conduites à terme, ponctuent de points brillants la carte scolaire de France.

- Des incitations académiques ont le mérite de situer l'institution scolaire devant l'enjeu des TIC. La Direction des technologies nouvelles du Ministère de l'Education nationale encourage les initiatives académiques, niveau considéré comme pertinent pour mettre en oeuvre ces technologies.

Cette situation contrastée entre initiatives individuelles, académiques et blocages divers.... symbolise une insuffisante coordination ; le manque de lignes directrices générales mais précises tient, assez vraisemblablement, à l'indécision de tous les ministres de l'Éducation nationale de ces dernières années ; ils ne veulent pas imaginer le rôle de l'usage des nouveaux moyens d'accès aux connaissances. Ils n'adressent aucun signe tangible à une communauté éducative disparate dont les éléments les plus dynamiques sont vite découragés.

Ce manque d'initiative serait-il conséquence de méfiance justifiée ou d'interdit pour défendre des positions, comme au temps du «  roman de la rose », de la naissance de l'imprimerie ou des évolutions du colportage ? Plus simplement est-ce crainte de voir s'effriter des corporatismes dépassés ?

Quoi qu'il en soit, tout retard deviendra faute : de plus en plus sensible, notamment du point de vue pédagogique, il aura des conséquences importantes dans l'organisation économique et sociale de notre pays par rapport à d'autres plus volontaires, plus décidés.

L'échec reconnu du plan informatique pour tous (IPT) en 1985 ne doit pas hypothéquer les chances d'une politique globale en matière d'informatique communicante et multimédia. Il ne peut servir de prétexte à retarder une nouvelle initiative nationale de même envergure ; les circonstances sociétales sont différentes et le matériel informatique aussi.

- Les ordinateurs ne ressemblent plus à ceux de 1985 : leur convivialité, les interfaces des « fenêtres », l'intermédiaire de la souris, la taille et le poids des « portables » en font un matériel pratique et facile à utiliser, qu'il s'agisse du portable ou de l'ordinateur « lourd ». La familiarité d'usage peut vite s'acquérir. Alors que l'usage d'un ordinateur il y a dix ans impliquait une compétence technique en informatique... les machines d'aujourd'hui nécessitent d'abord une motivation ; l'usage a été formidablement simplifié et probablement se simplifiera-t-il encore par les avancées techniques rapides qui ne cessent de se produire.

- L'ordinateur n'est plus un outil inconnu et réservé à quelques spécialistes. Tous les supports d'information et à fortiori les supports commerciaux, en vantent l'intérêt, la nécessité : il est entré dans le paysage de la société comme la télévision ou le téléphone portable : tout le monde n'en possède pas, personne ne peut en ignorer l'existence.

- Les enseignants en poste en 1997 sont plus réceptifs que ceux de 1985 ; les promotions sortant des IUFM prennent leurs premiers postes. Surtout, ils devinent que cette évolution apparemment inéluctable, ne peut se réaliser sans que les établissements scolaires y prennent part.

- Si tous les enseignants ne sont pas aujourd'hui convaincus ni même motivés pour bouleverser leurs pratiques pédagogiques, beaucoup sentent bien le caractère irréversible de l'informatique communicante ; ils devinent de plus en plus que cette évolution ne peut pas rester à l'extérieur des établissements scolaires. Ils savent qu'à plus ou moins long terme, leur responsabilité sera engagée face à ces moyens différents d'accès aux savoirs.

Dans ce contexte, l'accueil de l'ordinateur dans le système éducatif est tout différent par rapport à 1985. A ne pas réagir, les enseignants pourraient accréditer l'idée d'une perspective américaine tendant à favoriser la scolarisation à domicile des enfants, beaucoup de parents considérant l'école plus nuisible que profitable 34 ( * ) .

I. QUELS OBJECTIFS PEUT-ON ENVISAGER PAR L'USAGE DES NOUVELLES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION À L'ÉCOLE

L'introduction des techniques de l'information et de la communication dans le système éducatif est considérée comme positive par certains, superflue par d'autres. Cette contradiction contraint à la recherche d'arguments objectifs : la présence de l'ordinateur, est-ce un effet de mode ?

- ou un nouvel outil,

- un nouveau stylo dont l'usage deviendra aussi nécessaire et habituel que celui du stylo à plume ou à bille, le téléphone et l'automobile par exemple.

Dans l'enseignement, contribuera-t-il à un renforcement pédagogique, à une amélioration qualitative en éliminant les scories des modes éphémères ?

- Une des premières raisons de ce rapport est de fournir des données objectives pour un choix entre l'opportunité d'acquérir ou non l'usage de ces nouvelles techniques et pour quels exercices.

- La seconde sera de préciser ces exercices, de rechercher les méthodes d'apprentissages. Les préalables sont :

- l'acquisition d'un usage familier, d'une « habileté » comme disent les Canadiens, à utiliser l'outil ;

- l'appréciation de l'intérêt des produits multimédia (cédérom) et des réseaux, apprentissage de la « navigation » sur Internet... ;

- nécessité, pour cela, de pratiques pédagogiques codifiées, rénovées (voir infra) : du développement du travail collectif à la valorisation de l'interdisciplinarité, de l'usage simple du traitement de texte à la réalisation de documents HTLM, en n'oubliant pas l'utilisation des cédéroms...

- La troisième concerne la place de l'ordinateur dans la vie quotidienne de l'enfant à l'école : nouveau stylo, remplacera-t-il, sans les faire disparaître, les stylos à plume et à bille qui, eux, ont fait disparaître la plume sergent-major et les encriers ? Il sera toujours nécessaire d'écrire la plume à la main et sur un papier ; il faudra savoir tenir son stylo habituel.

Les résistances rencontrées dans le système éducatif - enseignants et décideurs - sont pour partie fondées sur une ignorance entraînant des craintes exagérées ou des espérances excessives. En revanche, il devient évident que les outils d'une société de l'information passent de l'univers professionnel à la vie quotidienne de tous. Il n'est plus d'activités professionnelles qui ne nécessitent l'usage de l'ordinateur, de manière modeste ou en utilisant toute ses subtilités. Les machines communicantes se développent également dans la vie quotidienne (Minitel, fax, répondeur téléphonique, voire ordinateur connecté) et contraignent déjà chacun à acquérir une familiarisation de leur usage. Du rôle de l'école dépend l'égalité des chances de chacun de réussir une bonne insertion dans la société informationnelle.

1. Familiarisation à un outil courant

Les ordinateurs sont partout. Les réseaux se développent. Ce double constat devrait suffire à convaincre de la nécessité d'apprendre aux jeunes l'usage d'un outil courant pour en assurer la maîtrise, pour en contrôler les usages, mieux, pour en favoriser l'utilisation citoyenne.

Nombreux sont les interlocuteurs de la mission qui mettent en avant les ratés de l'Education nationale en matière d'introduction de la télévision à l'école pour s'en prémunir aujourd'hui sur la question des techniques de communication.

En apparence, la question est pourtant différente. L'usage « technique » de la télévision ne posait pas en soi de problème. Appuyer sur une touche « marche/arrêt » et sélectionner une chaîne ne nécessite pas un apprentissage très développé. L'introduction de la télévision à l'école n'était pas un enjeu de maîtrise technique de l'outil, mais d'apprentissage de réflexion sur l'image, l'information....

Perçue essentiellement comme un instrument de loisir, la télévision n'a pas trouvé à l'école un usage pédagogique adapté. La grammaire de l'image ne s'est pas imposée : « Le domaine de l'image a, lui aussi ses codes, ses références, sa culture qu'il nous faut apprendre et faire apprendre, faute de quoi (...) les jeunes (resteront) démunis face aux images manipulées, tronquées ou décontextualisées. » 35 ( * ) Cet apprentissage n'a pas su encore s'imposer, se généraliser. Il devient d'autant plus nécessaire que l'image, truquée ou non, devient un élément de plus en plus présent avec les NTIC Le CLEMI 36 ( * ) a cet objectif de « donner aux élèves les moyens de se repérer dans le monde » . Cet organisme, rattaché au ministère de l'Education nationale, encourage toutes les initiatives tendant à décrypter des messages d'information, à donner aux élèves le moyen de s'imprégner des réalités quotidiennes du monde de la communication, à encourager l'interdisciplinarité, à favoriser la mise en oeuvre de l'esprit critique, bref, à favoriser un apprentissage de la démocratie.

Savoir lire et écrire a sans doute été la première façon d'ouvrir l'accès aux connaissances de toutes sortes : les moyens ordinaires largement développés ont été l'imprimerie, le livre, l'écriture par crayon, plume et papier. Aujourd'hui, on lit sur écran et on écrit par l'intermédiaire d'un clavier.

L'apprentissage du lire et de l'écrire pourra-t-il ignorer l'ordinateur ?

- Peut-il être enseigné ailleurs que par le système éducatif actuel ?

- Demain, celui qui ne saura utiliser ni l'ordinateur, ni ses accessoires, ni les réseaux ne sera-t-il pas le nouvel analphabète ?

Les rôles des NTIC, déjà quotidiens et généralisés dans tous secteurs, professionnels, personnels, culturels, imposent une réponse positive à ces questions ; il est même regrettable que des solutions ne soient encore ni données, ni formulées, et qu'aucune pratique courante et ordinaire n'existe dans les écoles de France. Il n'est pas imaginable, aujourd'hui, de sortir du système scolaire sans savoir écrire avec un stylo ; demain, il ne sera plus possible de ne pas savoir utiliser un clavier d'ordinateur. Cette maîtrise initiale amènera également à l'usage des réseaux.

Le coût des équipements (il faut aujourd'hui pouvoir investir au minimum 12000 F pour disposer d'un équipement multimédia), leur entretien et leur remplacement fréquent sont de moins en moins des arguments à retenir ; celui du prix des communications pour l'usage des réseaux reste un obstacle : il n'est pas insurmontable.

2. Égalité des chances

Dans l'utilisation d'un outil.

La pratique des outils nouveaux de l'information est aujourd'hui encore un épiphénomène de privilégiés dans les usages familiaux, alors qu'elle entre à grande vitesse dans l'univers professionnel. Cette disparité 37 ( * ) reproduit des inégalités sociales déjà fortement ancrées. Les familles aujourd'hui équipées en ordinateurs multimédia sont essentiellement des familles aisées à niveau culturel supérieur. Leurs enfants sont assurés de l'accès à un outil auquel la grande majorité des autres ne peut prétendre.

Dans ces conditions -et très nombreux sont les interlocuteurs qui l'ont souligné- la mise à disposition d'ordinateurs dans les écoles est une chance pour permettre à tous les enfants d'accéder à cet outil. Cette exigence première de l'Education nationale -fournir à tous les jeunes la même chance à une formation initiale de qualité- est renforcée par le usages possibles et les perspectives imaginables en terme d'amélioration qualitative des pratiques scolaires : l'ordinateur, associé à des apprentissages précoces (avant 6 ans) contribue à une lutte efficace contre les discriminations sociales, il constitue un élément déterminant de la lutte contre l'illettrisme 38 ( * ) .

L'association Enseignement Public et Informatique (EPI) relève parfaitement cet enjeu : « Devant les carences du système éducatif, les familles socio-économiquement les plus favorisées s'équipent et ont recours aux services de clubs extra-scolaires payants, franchisés d'une société américaine à l'occasion. Le fossé continue à se creuser entre les élèves, entre l'école et les familles aisées qui ont compris le « plus » offert à leurs enfants en leur permettant l'accès aux technologies. (...) L'EPI ne pourra jamais accepter que l'informatique et les technologies associées soient réservées de fait à une minorité. L'impérieux devoir du système éducatif est de tout faire pour compenser - là comme ailleurs et là plus qu'ailleurs - les inégalités . » 39 ( * )

L'équipement des écoles catholiques 40 ( * ) : la presse a largement fait écho au partenariat entre Apple et les écoles catholiques. Au-delà de l'intérêt d'un partenariat entre institution scolaire et fabricant de matériel, la volonté affirmée par l'enseignement catholique d'équiper toutes les écoles, et prioritairement les classes de collège, répond à la nécessité de ne pas rater l'introduction des techniques de l'information. La démarche pédagogique proposée semble être de favoriser le mélange d'un apprentissage inductif et déductif : laisser les enfants faire la découverte des ordinateurs et, quand ils sont confrontés à un blocage, l'enseignant doit être là pour pouvoir y répondre.

La priorité donnée à l'équipement des collèges pose question ; ce choix répond évidemment à une stratégie imposée par des limitations économiques. Selon M. CHÉREAU, il s'agit de rendre l'outil accessible à une catégorie d'enfants ne devant pas échapper au contact avec l'ordinateur. L'ambition semble au demeurant de poursuivre cette action pour toucher ensuite les classes de lycée.

N'est-ce pas, pour le service public, une cause de retard supplémentaire ?

Hors système éducatif, ce risque de l'accès différencié aux technologies, est accru par des propositions « marchandes » de sociétés franchisées : la société Futurekids 41 ( * ) propose des formations aux technologies de l'information à un prix horaire supérieur à 100 F, aux enfants à partir de 3 ans et aux adultes à tout âge. Ces sociétés s'installent aujourd'hui dans les quartiers les plus favorisés ; contenus des exercices et pédagogie semblent messagers de la culture américaine.

Dans l'accès aux sources documentaires.

Les meilleurs manuels, les meilleurs supports pédagogiques, les meilleures bibliothèques ne seront plus réservés aux privilégiés admis à fréquenter les établissements les mieux dotés. A terme, la numérisation des fonds documentaires les plus riches, leur mise en réseaux, permettra à tous d'accomplir un parcours d'apprentissage personnalisé .

Le réseau (qu'il s'agisse de Renater, d'Internet...) permet le libre accès à ces sources documentaires infinies. Cette richesse potentielle constitue une opportunité de premier ordre pour le système éducatif. Elle implique rigueur et méthodologie pour apprendre à y accéder comme à l'utiliser ; elle exige la maîtrise d'un travail à l'analyse du contenu 42 ( * ) . L'ordinateur est un nouveau support d'informations, complémentaire et concurrent de la presse écrite, audiovisuelle, du livre....

Cette richesse documentaire en réseau devient un atout pour tous les acteurs éloignés des centres documentaires classiques. Le réseau devient un élément d'aménagement du territoire ; il renforce les chances de ceux qui vivent éloignés des pôles universitaires ; il atténue les conséquences des dispersions en milieu rural. Les réseaux Buissonniers, réunissant plus de cent écoles du Vercors sur un même réseau ouvert sur l'Internet, permettent l'enseignement à distance de lycéens de haut niveau sportif ; c'est un exemple concret et convaincant de l'utilisation de cet outil.

Les réseaux, loin de constituer un phénomène de mode, inscrivent leur logique dans une démarche profitable à la pédagogie : les serveurs mis en place par les académies mettent de plus en plus de documentation en ligne susceptible d'enrichir et de diversifier le travail des enseignants ; les « forums » organisent de nombreux débats sur le thème de l'éducation et des technologies, et favorisent la mise en commun des expériences, encouragent les synergies ; les serveurs étrangers, notamment québécois, sont riches en documentations pédagogiques... La prochaine Banque de Programme et de Services (BPS) mise en place par la Cinquième, aujourd'hui seulement expérimentée, permettra aux enseignants, par l'intermédiaire du réseau, d'accéder à une documentation audiovisuelle susceptible d'accompagner leur enseignement. Ces quelques éléments ne sont plus des perspectives ; ils constituent déjà la réalité du réseau.

Une véritable explosion documentaire se produit actuellement. Cette richesse doit être accessible au plus grand nombre si l'on veut assurer l'égalité des chances, mission essentielle de l'école.

*

* *

Les contributions des NTIC à la diffusion des informations, des données et des connaissances, les utilisations de l'ordinateur et réseaux de plus en plus importantes et, semble-t-il de moins en moins évitables dans les activités professionnelles, pour la formation personnelle de chacun et pour l'exercice de ses responsabilités citoyennes sont des données de la civilisation de cette fin de siècle ; les initiatives et les décisions déjà prises dans de nombreux Etats européens, au Canada et aux États-Unis, ne peuvent être négligées. Sont-elles exemples à suivre ?

L'entrée de l'usage des NTIC dans l'éducation en France paraît nécessaire : l'ordinateur communicant devient un instrument banal dans la société française comme dans celles du reste du monde. Les élèves de France, pour qu'ils aient des chances égales, doivent-ils, tous, pouvoir bénéficier d'une formation adaptée, et sans rupture, tout au long de leur scolarité ? Seront-ils ainsi préparés à réussir, dans les meilleures conditions possibles, leur insertion dans la société informationnelle du XXIe siècle ?

Cela suppose des décisions, et en premier, la mise en route d'un plan réfléchi, précis, financé et organisé de la formation des maîtres à leur nouvelles responsabilités et à l'équipement des écoles. Faut-il l'envisager ? Dans quels délais et avec quels moyens ? Est-ce la priorité d'un Ministère de l'Education nationale ? Quels sont ses partenaires possibles, inévitables ? Quelle est son urgence ?

* 32 Rapport de M. Jean François-Poncet, Sénat n°242 (1996-1997).

* 33 Entretien avec M.Gérard Théry, Président de la Cité des sciences ; 29 janvier 1997.

* 34 Entretien avec M. Pierre Martin, Sénateur de la Somme.

* 35 Mme Le Coz. Citée dans le rapport de M. Franck Sérusclat « Les NTIC : l'homme cybernétique », rapport OPECST, doc AN (10e législature) n° 1980, Sénat n° 232 (1994-1995).

* 36 Centre de Liaison de l'enseignement et des moyens d'information.

* 37 Cf. chapitre premier.

* 38 Entretien du 20 Novembre 1996.

* 39 Déclaration de l'Assemblée générale de l'EPI. 12 Octobre 1996.

* 40 Entretien avec M. Chéreau, 16 avril 1997.

* 41 Entretien avec M. Nicolaou, 3 Décembre 1996.

* 42 Entretien avec le CLEMI.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page