C. LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES MOYENS DE LUTTER CONTRE LES DÉRIVES CONSTATÉES

L'Internet, qui définit un nouvel espace de communication, constitue également un nouvel outil facilitant la commission d'infractions les plus diverses (intrusion frauduleuse sur des systèmes informatiques qui y sont connectés, diffusion de messages au contenu illicite...).

Les spécificités techniques de fonctionnement de l'Internet, en particulier sa dimension internationale, compliquent à la fois la prévention et la répression de ces infractions. Si la prévention repose en grande partie sur la bonne volonté et la diligence des acteurs de l'Internet, l'action répressive ne peut être déléguée. Les autorités étatiques ont en charge la garantie de l'ordre public, fonction proprement régalienne, et doivent être dotées des moyens nécessaires pour l'assumer : cela suppose une adaptation permanente des méthodes et des instruments utilisés par les services de police et les autorités judiciaires.

La dimension transnationale de l'Internet nécessite en outre le développement d'une coopération policière et judiciaire plus efficace.

1. Développer les moyens de la police et de la justice

Voilà plus de dix ans que les grandes entreprises, soucieuses de se protéger contre les intrusions frauduleuses, se dotent de services chargés de la sécurité informatique. En dépit des précautions prises, la fraude assistée par ordinateur a un coût élevé : en 1994, les sinistres informatiques provoqués par des actes de malveillance ont ainsi été évalués à 6,2 milliards de francs par le Clusif, Club de la sécurité informatique français qui regroupe cent cinquante grandes entreprises. Encore ces actes délictueux ne sont-ils connus que pour 4 à 5 % d'entre eux !... le " chiffre obscur ", qui constitue la partie immergée de l'iceberg, reste donc considérable et risque de s'aggraver avec le développement des outils.

Si la société civile sécrète ses propres anticorps, il apparaît indispensable que la puissance publique réagisse à son tour et se dote des moyens nécessaires pour lutter efficacement contre ce nouveau type de criminalité. On peut, à cet égard, regretter que les initiatives prises jusqu'à ce jour en France ne résultent pas d'une volonté politique affichée mais des services eux-mêmes, directement confrontés aux nécessités de l'expertise.

Si la DST semble avoir créé un service spécialisé dans l'informatique dès 1986, la police judiciaire ne s'est dotée de services compétents en matière de fraude aux technologies de l'information qu'en 1994.

Trois cellules officielles de surveillance et d'enquête existent ainsi à l'heure actuelle. Il s'agit du département informatique et électronique de l'Institut de recherche criminelle dépendant de la Gendarmerie nationale, du Service d'enquête sur les fraudes aux technologies de l'information (SEFTI) relevant de la direction de la police judiciaire de la Préfecture de police de Paris, et enfin de la Brigade centrale de répression de la criminalité informatique (BCRCI) rattachée à la Direction centrale de la police judiciaire.

L'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale, créé en 1990, est installé à Rosny-sous-Bois et regroupe 161 personnes qui effectuent des expertises, dans le cadre des enquêtes de police judiciaire menées par la gendarmerie, et forment des techniciens.

Le SEFTI, créé le 11 février 1994, dépend de la sous-direction des affaires économiques et financières de la Direction de la police judiciaire de la Préfecture de police de Paris. Cet organisme est aujourd'hui constitué de 14 fonctionnaires : un commissaire principal, douze officiers de police et une secrétaire. Sa compétence territoriale s'étend à Paris et aux trois départements de la petite couronne, c'est-à-dire les Ha uts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.

Le SEFTI apporte son concours aux enquêtes concernant des infractions commises au moyen d'outils informatiques. Il remplit également une mission pédagogique en assumant une action d'information auprès d'organismes privés ou publics susceptibles d'être confrontés aux problèmes de fraude informatique.

Opérationnelle depuis le mois de septembre 1994 et constituée d'une douzaine d'inspecteurs, la BCRCI est chargée, quant à elle, de mener des enquêtes de portée nationale ou internationale. Son bureau assure la liaison avec des services internationaux tels qu'Interpol ou le groupe de travail européen sur la fraude informatique.

Il convient de souligner l'atmosphère de confidentialité qui entoure l'existence de ces services et la difficulté à obtenir des informations sur les moyens mis à leur disposition. Si la discrétion est parfois gage d'efficacité, une certaine médiatisation pourrait en l'occurrence contribuer à dissuader certains candidats à la fraude informatique.

Or, le développement des autoroutes de l'information démultiplie les risques, les spécificités techniques de l'Internet aggravant le caractère furtif de la criminalité informatique. L'efficacité de la répression de ce type de fraude est ainsi subordonnée au renforcement des moyens dont est dotée la police judiciaire et des possibilités d'expertise dont doivent disposer les magistrats instructeurs. Il semble en effet nécessaire d'étoffer les services compétents et de veiller à un adaptation constante des matériels mis à leur disposition. La constitution et la conservation des éléments de preuve nécessitent en outre une possibilité d'intervention instantanée : les procédures d'urgence actuellement disponibles ne paraissent pas parfaitement adaptées.

On peut par ailleurs s'interroger sur l'opportunité de créer une cellule opérationnelle de traçage à laquelle incomberait une mission de surveillance du réseau des réseaux. En effet, la masse considérable des informations transitant sur l'Internet ainsi que son mode de fonctionnement peuvent faire douter de l'efficacité et de la pertinence d'une telle entreprise, un travail d'investigation systématique étant de surcroit susceptible de se révéler très onéreux. Il reste toutefois possible aux autorités de police compétents d'exercer une surveillance en effectuant des sondages sur le réseau, par la consultation régulière des services " à risque ", grâce à l'utilisation des outils logiciels appelés " moteurs de recherche " permettant de procéder à des sélections par mots clés.

2. Développer la coopération policière et judiciaire

La dimension transnationale de l'Internet et l'impossibilité technique d'instaurer des frontières virtuelles imposent le développement d'une coopération internationale en matière de justice et de police.

La disparité des législations nationales relatives à la définition des incriminations offre des échappatoires aux activités criminelles. Or, comme l'a affirmé avec force un rapport de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne 50( * ) , " l'efficacité passe par la définition d'un droit pénal de l'Union (...) et par la création d'un ministère public européen ".

Il s'agit cependant d'une oeuvre de longue haleine. Aussi, dans l'intervalle, paraît-il nécessaire d'inciter les États à adopter une législation extraterritoriale leur permettant d'engager des poursuites contre leurs ressortissants dès qu'ils reviennent sur le territoire national. Les États-Unis et de nombreux pays européens se sont déjà dotés d'une telle législation. Ainsi, un projet de loi italien réprimant plus sévèrement la pédophilie, sanctionnant le commerce, la production, la distribution et la détention de matériel pornographique, y compris par voie télématique, mettant en scène des mineurs, prévoit-il la possibilité de poursuivre les ressortissants nationaux coupables du même délit à l'étranger.

Au niveau européen, quelques actions communes ont en outre été engagées récemment.

Au mois de septembre 1996, les ministres de la justice et de l'intérieur des quinze États membres de l'Union européenne se sont ainsi réunis à Dublin pour tenter de lutter plus efficacement contre la pédophilie et la traite des êtres humains. Ils sont parvenus à un accord pour mettre en oeuvre trois actions communes : l'extension du mandat de l'Unité Drogue d'Europol (UDE) chargée dorénavant de coordonner également les enquêtes en matière de pédophilie ; la création d'un centre d'excellence, sorte de répertoire des experts et moyens existants dans les États membres pour débusquer les réseaux de traite d'êtres humains ; le financement d'un programme de formation spécialisée de policiers et de magistrats tendant à améliorer leur efficacité sur le terrain.

Constatant la prolifération des messages à caractère pédophile sur l'Internet, les ministres réunis à Dublin ont décidé la création d'une mission d'expertise pour définir les armes juridiques susceptibles d'empêcher de telles dérives.

La Commission des Communautés européennes a ainsi présenté au mois d'octobre 1996 un " Livre vert sur la protection des mineurs et de la dignité humaine dans les services audiovisuels et d'information ". Préconisant un " rapprochement des législations nationales " , ce livre vert souligne le rôle fondamental de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures, érigée en " axe prioritaire " en vue de " lutter efficacement contre les continus et usages illégaux des nouvelles technologies ". Considérant que " le Traité fournit des instruments pour une telle coopération ", la Commission suggère des actions de coordination sur des thèmes aussi divers que l'anonymat sur les réseaux, la conclusion de conventions internationales d'extradition ou encore la formation des autorités policières en matière d'utilisation des ordinateurs et des réseaux électroniques.

Dans une communication intitulée " Contenu illégal et préjudiciable sur Internet ", également d'octobre 1996, la Commission des Communautés européennes, considérant qu'il était " d'une importance vitale " de combattre les sources de contenus délictueux et d'en restreindre la diffusion, a réaffirmé que la coopération entre les États devait être intensifiée par l'échange d'information relatives aux fournisseurs de tels contenus et par la définition de normes européennes minimales.

Elle a approuvé la proposition faite par l'Allemagne d'organiser une conférence internationale ayant pour objet d'instaurer une structure de coopération internationale et d'élaborer une convention sur les contenus illégaux.

Elle a estimé que le dialogue sur ce thème devrait être étendu à des organisations telles que l'OCDE, l'OMC ou les Nations-Unies.

Depuis lors, des travaux d'expertise ont été entrepris. Ainsi, au mois de mai 1997, un groupe de travail d'Interpol réunissant 70 policiers spécialisés venant de 25 pays s'est réuni à Salonique pour étudier la pornographie enfantine sur l'Internet et remédier aux difficultés de la coopération policière. Une semaine plus tard, une réunion regroupant 223 policiers de 31 pays (Europe, États-Unis, Canada, Arabie Saoudite, Bahrein, Autorité palestinienne) s'est tenue en Norvège : elle a souligné la nécessité de parvenir à une convention des Nations-Unies interdisant tout matériel de pornographie enfantine sur l'Internet.

Enfin, à la fin du mois de juin, la Commission européenne a annoncé qu'elle proposerait, lors de la réunion du conseil des ministres du 2 octobre, un plan d'action de 7 millions d'écus (environ 50 millions de francs) pour renforcer les moyens de traquer les serveurs coupables de diffuser des contenus illicites sur l'Internet.

Si l'Europe, contrairement aux États-Unis, entend se doter des moyens de répression nécessaires, un mouvement unanime auquel participent les acteurs de l'Internet souligne l'urgence d'organiser la prévention des infractions en instaurant une auto-régulation, ce système de régulation devant rester compatible avec l'esprit de liberté qui caractérise le fonctionnement de l'Internet depuis sa création.

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