B. LA DÉMOCRATISATION POSSIBLE DU SAVOIR

· On a constaté de longue date, le rôle du savoir 15( * ) et de la formation dans les sociétés modernes : la valeur ajoutée de l'économie dépendra de plus en plus largement de la détention du savoir, de la capacité de créer les nouveaux métiers de l'information, du recyclage permanent des agents économiques. Les besoins de formation de la population croissent ainsi sans que le système éducatif traditionnel, dont les ressources ne peuvent augmenter indéfiniment, soit en mesure d'y répondre convenablement. Or les nouvelles techniques de l'information offrent de vastes perspectives à cet égard. Combinant l'écrit, l'image et le son, et mettant en uvre des procédés d'interactivité qui renforcent l'efficacité pédagogique des produits d'enseignement, elles doivent permettre de conjuguer l'excellence aux nécessaires économies d'échelle dans la formation initiale et continue. Ces techniques permettront par exemple de diffuser à des coûts raisonnables à des publics nombreux et disséminés, des enseignements dispensés par des personnalités susceptibles d'allier prééminence scientifique et qualité pédagogique.

Dans ce domaine aussi, certains " effets pervers " dans la pratique de l'usage des produits multimédia sont toutefois à prendre en compte. Les concepteurs de produits multimédias ont parfois tendance à juxtaposer de courtes séquences, à l'allure de " spots ", qui impliquent une approche superficielle du sujet traité. Les liens " hypertextes " permettant de passer instantanément d'un fichier à un autre en sélectionnant un mot ou une image avec la souris de l'ordinateur cassent l'attention des étudiants ou lecteurs peu enclins à l'effort. L'utilisateur, sollicité tout au long de son parcours par une multitude de propositions connexes, est tenté de n'accorder aux informations déroulées devant lui qu'une attention flottante. Une pédagogie du bon usage reste en fait à inventer et surtout à répandre pour que les nouvelles techniques de l'information soient un outil de formation efficace et qui puisse être commodément évalué.

· Ces nouvelles techniques n'auront d'influence sur le renforcement du potentiel éducatif de notre société, et en fin de compte sur la démocratisation du savoir, que si chacun y a accès. Le risque est qu'une appropriation inégale des nouvelles techniques suscite une société à deux vitesses superposant aux inégalités traditionnelles de l'avoir et du savoir, en les renforçant, une discrimination nouvelle entre " inforiches " et " infopauvres ".
Le problème présente un aspect économique et un aspect culturel.

Le coût d'achat d'un micro ordinateur, nécessaire pour consulter un CD ROM ou pour accéder aux réseaux, est dissuasif pour la majeure partie de la population. L'apparition d'ordinateurs de réseaux beaucoup plus économiques et d'équipements permettant l'utilisation des récepteurs de télévision pour ce type d'usage dessine de nouvelles perspectives. Par ailleurs, le problème de l'accès aux nouvelles techniques des catégories les plus défavorisées, et par conséquent les plus intéressées par la démocratisation du savoir doit être réglé dès l'école élémentaire et dans les quartiers difficiles. Une croisade pour la mise en réseau des écoles et des lieux publics, notamment dans les quartiers difficiles, s'impose. Elle est en cours. D'autre part une lente dissémination des équipements informatiques dans les foyers sur le modèle de ce que fut autrefois l'accession de la voiture, de la télévision et du téléphone, au statut de produits de masse est certaine. Cette perspective est insuffisante compte tenu des enjeux, spécialement en termes de compétitivité internationale, de l'entrée de la France dans le monde de l'information. D'où la notion de croisade évoquée plus haut, partant de la base avec des volontaires bénévoles, des mécènes et l'appui des collectivités locales. Mais il faut que l'Etat prenne aussi sa part !

Sur le plan culturel, on observe parfois que la maîtrise des nouveaux outils suppose de la part des utilisateurs la capacité intellectuelle ou culturelle de gérer l'afflux d'informations, de repérer les contenus utiles, de ne pas se restreindre à un usage ludique. Beaucoup dépendra à cet égard de la diffusion par le système scolaire des structures mentales et culturelles nécessaires à l'utilisation des techniques de la société de l'information et de sa capacité de susciter dans ce domaine l'appétit de savoir qui reste l'élément moteur de toute démarche pédagogique et éducative.
· Le rôle de l'école est ainsi tout à fait primordial en ce qui concerne la généralisation de l'usage de ces techniques et leur contribution à la démocratisation du savoir.
Aux Etats-Unis, nombre de collectivités locales ont pris de fortes initiatives. Ainsi, les bibliothèques publiques municipales sont largement dotées de moyens informatiques connectés aux réseaux. Les universitaires mettent leurs cours sous forme numérisée sur les réseaux (et les messageries électroniques émanant des étudiants leur font vite comprendre leurs erreurs pédagogiques). Sur le plan des écoles primaires, les initiatives parties de Californie Netday, mobilisent désormais plus d'un million de volontaires et les industriels mécènes ont suivi en particulier ceux de la Silicon Valley et plus récemment, Bill Gates vient d'annoncer un don personnel de 200 millions de dollars en équipements informatiques pour les bibliothèques américaines. La société de logiciels Oracle fournit 100 millions de dollars pour aider à installer un ordinateur de réseau sur le bureau de chaque élève.

Cette participation du secteur privé complétera les 2,25 milliards de dollars par an que le gouvernement américain va consacrer à la connexion de l'ensemble des écoles et des bibliothèques à internet d'ici l'an 2000...

En France, au niveau des communes et des établissements, l'idée se répand que l'accès dès l'école primaire à des enseignements sous une forme multimédia familiariserait les élèves au maniement de cet outil, contribuerait à l'amélioration des performances du système éducatif et à la réduction du fossé que l'évolution " naturelle " risque de creuser entre les participants à la société de l'information et les autres.

Beaucoup de réalisations ont été effectuées avec de très grands succès pédagogiques. Cela reste méconnu et peu diffusé. En partie parce qu'à juste titre, les directeurs d'école ne veulent pas que leur hiérarchie sache qu'ils disposent de moyens (car le jour où l'Etat voudrait aider il risque de considérer qu'il faut commencer ailleurs). Le ministère, malgré des gestes de bonne volonté, n'est pas entré dans une campagne systématique, ne voulant pas renouveler l'erreur commise lors de l'informatique pour tous ; venue du haut, cette initiative a eu des résultats très inégaux et dans l'ensemble décevants. Il faut que la mise en place du plan parte du bas, du terrain, d'une action conjuguée entre l'inspection académique locale, la municipalité, avec l'appui de bénévoles formateurs et de mécènes, comme pour Netday 96 aux Etats-Unis.

Le sénateur Alain Gérard vient de faire le point de la mise en uvre des expériences en cours dans un rapport établi à la demande du précédent Premier ministre, Monsieur Alain Juppé, et de présenter 32 propositions pour une bonne intégration des technologies nouvelles dans l'éducation.

QUELQUES PROPOSITIONS DU RAPPORT GÉRARD

·  Initier les futurs enseignants aux technologies de l'information dans les Instituts universitaires de formation des maîtres. (Il est étonnant qu'il faille le dire)

·  Prendre en compte la problématique des nouvelles technologies dans les concours de recrutement d'enseignants.

·  Elaborer une politique des contenus éducatifs et culturels grâce à une procédure nationale d'aide à la création de produits pédagogiques multimédias correspondants aux programmes d'enseignement.

·  Définir les conditions d'un libre accès du public au patrimoine public virtuel.

·  Garantir l'accès des enseignants et des élèves à une information pertinente, hiérarchisée et structurée.

·  Faire des lycées et des centres culturels français à l'étranger les noeuds d'un réseau international d'échanges.

·  Accorder une prime de premier équipement de l'ordre de 2000 F aux nouveaux enseignants pour l'achat de CD ROM et de logiciels.

·  Ouvrir dans les 3 ans sur les réseaux externes le parc informatique des établissements du second degré et d'un nombre significatif d'écoles.

·  Faire participer les enseignants au processus de décision d'acquisition du matériel dans le cadre d'une démarche décentralisée.

·  Offrir aux établissements un tarif forfaitaire pour l'accès à Internet.

·  Mettre en place plusieurs niveaux de support technique pour les établissements.

·  Doter tous les enseignants, chefs d'établissements et inspecteurs d'une adresse électronique professionnelle.

·  Exonérer de la TVA certains logiciels éducatifs et bases de données.

·  Permettre la cession gratuite de matériels informatiques retirés du service aux associations de parents et aux associations de soutien scolaire.

·  Résoudre la question des droits d'auteurs des produits pédagogiques utilisés par le système éducatif.

D'autres propositions paraissent plus radicales :

- considérer que l'accès gratuit du système scolaire à Internet avec la gratuité des communications fait partie du service universel (par exemple lors de la révision de la loi Fillon en juillet 1998) ;

- exiger que tous les étudiants disposent d'un ordinateur connecté au réseau et d'une adresse Internet (et augmenter d'autant le niveau des bourses).

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