b) Le souci de démocratie

La mise en avant du principe de subsidiarité répond également à un souci de démocratie.

On doit à cet égard dissiper une équivoque. Les plaidoyers pour la multiplication des programmes d'action communautaires s'appuient parfois sur l'idéal d'une Union " plus proche des citoyens ", on entend par là plus proche des préoccupations de ceux-ci. Il y a là une grave ambiguïté. Que les politiques publiques doivent être proches des préoccupations des citoyens ne signifie pas que tous les échelons de décision doivent être chargés de répondre aux mêmes préoccupations. Le lancement d'un programme d'action communautaire dans un domaine préoccupant particulièrement les opinions revient à un transfert de compétences et de moyens éloignant le centre de décision des citoyens ; un tel transfert peut être justifié par la nature même de la préoccupation en cause - par exemple la sécurité extérieure de l'Union - mais si tel n'est pas le cas, son résultat n'est pas un rapprochement, mais un éloignement accru vis-à-vis des citoyens.

En conséquence, comme l'affirme tant le préambule que l'article A du traité de Maastricht, une Union " proche des citoyens " est en réalité une Union " dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens " , ce qui signifie que, plutôt que de chercher à intervenir dans tout domaine où existe une attente importante de l'opinion, la Communauté doit préalablement se demander si elle est mieux placée pour agir qu'un échelon de décision plus proche des citoyens.

La proximité des décisions est en effet un élément de vitalité démocratique. Plus l'échelon de décision est proche des citoyens, et plus sa responsabilité devant ceux-ci peut facilement jouer.

Mais l'importance de la proximité des décisions en termes de démocratie est particulièrement forte dans le cas de l'Union européenne. Non seulement celle-ci est par nature plus éloignée des citoyens que les Etats membres, mais encore elle ne peut avoir le même fonctionnement démocratique que ceux-ci : comme il n'existe pas de " peuple européen ", " d'opinion publique européenne ", il ne peut exister entre l'Union et ses citoyens le type de rapport politique qui existe au sein des Etats membres entre les pouvoirs publics et les électeurs ; de ce fait, tout transfert de compétence vers la Communauté est doublement source de " déficit démocratique ".

Il convient à cet égard de rappeler que le système institutionnel de l'Union s'écarte, de manière importante, des caractéristiques démocratiques des Etats membres impliquant la responsabilité des détenteurs du pouvoir devant les citoyens :

- la Commission (dont les membres ont, aux termes du Traité, un statut d'" indépendance ") n'est responsable que devant le Parlement européen statuant à la majorité des deux tiers ; en pratique, non seulement l'obtention d'une telle majorité pour censurer la Commission paraît plutôt une hypothèse d'école, mais encore le Parlement européen -dans le but de favoriser une évolution fédéraliste des institutions- a conçu jusqu'à présent son rôle comme un soutien à la Commission, et non comme un contre-pouvoir.

- le Conseil est soumis au contrôle des Parlements nationaux dans la mesure où ceux-ci contrôlent l'action européenne des Gouvernements qui le composent : en pratique, un tel contrôle semble effectivement pratiqué de manière relativement détaillée et continue dans certains Etats membres seulement (Allemagne, Danemark, Finlande, France, Grande-Bretagne, Suède), alors que dans les autres Etats membres il a généralement tendance à se limiter aux orientations générales et à certaines questions déterminées. En outre, la portée de ce contrôle est limitée par le fait que les votes au sein du Conseil ne sont pas systématiquement rendus publics.

- le Parlement européen entretient avec les électeurs des rapports très différents de ceux des Parlements nationaux. L'élection des parlementaires européens ne donne pas lieu à un débat à l'échelon européen, mais à autant de débats que d'Etats membres ; le Parlement européen n'est pas amené à se situer par rapport aux tendances d'une " opinion publique européenne " qui n'apparaît pas. Le mode d'élection de la plupart des parlementaires européens -scrutin proportionnel dans de très vastes circonscriptions- fait que les députés européens sont pour la plupart d'entre eux peu sensibles à la possibilité d'une sanction électorale : c'est le rang auquel ils sont placés sur une liste par leur parti qui détermine principalement leurs chances d'être élu. Au demeurant, il est difficile de décrire la fonction des élections européennes en termes d'enjeux politique européens: ces élections n'offrent pas aux électeurs le choix entre deux politiques, et la notion d'arbitrage populaire en est absente, puisque le Parlement européen ne peut être dissous. Conséquence peut-être de la difficulté d'en percevoir les enjeux, les élections européennes se caractérisent dans de nombreux Etats membres par un abstentionnisme important.

- il convient d'ajouter que la représentation des populations des Etats membres, tant au sein du Conseil qu'au sein du Parlement européen, est le fruit de compromis entre les Etats membres qui aboutissent à d'importantes inégalités affaiblissant à certains égard la légitimité de ces institutions.

De l'ensemble de ces facteurs résulte une situation telle que -indépendamment même des améliorations ponctuelles qui pourraient être apportées sur tel ou tel aspect- les institutions communautaires ne peuvent connaître une vie démocratique analogue à celle qui peut exister au sein des Etats membres.

Le principe de subsidiarité, en prescrivant de réduire au strict nécessaire les transferts de compétence vers l'Union, tend donc par là même à limiter le déficit démocratique qui résulte inéluctablement de tels transferts. En même temps, il vise à rendre possible le maintien d'une vie démocratique à l'échelon national, ce qui suppose, comme l'a souligné la Cour constitutionnelle allemande dans l'arrêt cité plus haut (voir annexe n° 2), que le droit de vote à l'échelon national conserve une " substance " : car à quoi bon voter encore à l'échelon national s'il existe une politique commune dans tous les domaines, c'est-à-dire s'il n'existe plus à l'échelon national la possibilité d'un choix politique ?

Mais, dès lors que le principe de subsidiarité paraît une orientation nécessaire tant du point de vue de l'efficacité que de la démocratie, on peut se demander pourquoi son application par les institutions communautaires continue à soulever d'importantes difficultés, et n'est pas davantage présente parmi les préoccupations des Etats membres : n'est-elle pas, pourtant, dans l'intérêt bien compris de la Communauté ?

En réalité, comme l'a souligné le rapport adopté en 1992 par la délégation du Sénat, l'insuffisante application du principe de subsidiarité résulte en grande partie de la dynamique des institutions communautaires qui, en l'absence de tout contrepoids, tendent inéluctablement à élargir constamment leur champ d'action, ce qui explique que les appels périodiques à mieux respecter l'exigence de subsidiarité n'aient d'effet que passager.

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