3. Le Conseil

Face aux tendances de la Commission et du Parlement européen à favoriser l'extension du champ d'intervention de la Communauté, le Conseil ne constitue pas un contrepoids efficace. Bien que le problème de la subsidiarité soit quelquefois posé en son sein, et bien qu'il ait assez souvent tendance à modérer les demandes financières de la Commission et du Parlement européen, le Conseil participe en règle générale au mouvement d'expansion de la sphère communautaire.

Tout d'abord, un constat d'évidence : si la Communauté s'est dotée -pour prendre l'exemple de l'environnement- de directives sur la " conservation des habitats naturels ", la " protection des poules pondeuses en batterie ", la " conservation des oiseaux sauvages " ou la " protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d'autres fins scientifiques ", c'est parce que le Conseil a adopté ces textes. L'interventionnisme multiforme de la Communauté n'a pu se développer sans l'approbation du Conseil, et la Commission fait même valoir que c'est souvent à la demande des Etats membres qu'elle est amenée à présenter des propositions contestables au regard du principe de subsidiarité : même si cette affirmation, de toute manière invérifiable, semble faire bon marché de l'"indépendance" que la même Commission revendique par ailleurs, il est permis de penser qu'elle a été avancée à partir d'exemples précis.

S'il en est ainsi, c'est que les Gouvernements peuvent dans certains cas tirer un avantage certain à mettre en parenthèses le principe de subsidiarité pour accepter, voire suggérer un passage par l'échelon communautaire. Cette formule leur permet, tout d'abord, de se passer de l'accord des Parlements nationaux ou même de contourner leur opposition. Plus encore, la multiplicité des formations du Conseil -il en existe une vingtaine- permet à des ministres spécialisés de trouver un cadre où ils se trouvent affranchis des contraintes des concertations interministérielles nationales, dans lesquelles les ministères des finances jouent le rôle dirigeant que l'on sait. Comme il n'existe aucune véritable régulation des travaux du Conseil, la pente naturelle de ces ministres (ou, du moins, de leurs administrations) est de chercher à obtenir par un détour par l'échelon communautaire ce qui n'a pu l'être à l'échelon national.

Ainsi que le notent les auteurs d' Europe : l'impossible statu quo : " assurément, il est utile que les titulaires d'un même département puissent se rencontrer au niveau européen pour y confronter leur expérience. Toutefois, on a vu à plus d'une reprise que ce genre de réunion pouvait avoir des effets pervers. Trouvant au sein du Conseil un accueil plus compréhensif qu'au niveau national, où ses initiatives se heurtent souvent à l'opposition de l'un ou l'autre de ses collègues, le titulaire d'un département spécialisé peut être tenté de profiter de cette communauté de vues pour faire passer à Bruxelles des projets qui se sont enlisés à Londres, à Paris ou à Copenhague " (7( * )) .

Il convient d'ajouter que le non-respect du principe de subsidiarité est également favorisé par le fait même que le Conseil est un lieu de négociations entre Etats : pour obtenir satisfaction sur un point, il peut être nécessaire de soutenir une mesure nouvelle proposée par une autre partie ; symétriquement, pour justifier une concession de sa part, un ministre peut demander à ses collègues d'adopter des dispositions supplémentaires qui lui permettront de présenter un meilleur bilan. Ainsi, la dynamique même des négociations au sein du Conseil favorise-t-elle un certain interventionnisme.

Enfin, la capacité du Conseil à faire jouer le principe de subsidiarité paraît de toute manière limitée. Lorsque le Conseil est à même de remplir son rôle politique, c'est-à-dire lorsque les ministres eux-mêmes sont saisis d'une proposition, celle-ci a déjà donné lieu à des travaux préparatoires parfois très longs, non seulement au sein de la Commission, mais aussi au sein des groupes de travail du Conseil où elle a été examinée à plusieurs reprises par des experts venant des administrations nationales, puis par les représentants permanents : lorsque le Conseil se réunit en formation ministérielle, les jeux sont en grande partie déjà faits, et les débats se concentrent sur les points litigieux, non sur la conformité de chaque disposition au principe de subsidiarité.

Dès lors que ce dernier ne donne pas lieu à un examen préalable, on voit d'ailleurs mal comment il pourrait faire l'objet d'un débat. Rien n'incite un ministre, bien au contraire, à s'opposer à un projet de la Commission qui lui paraît acceptable sur le fond, pour le seul motif que le principe de subsidiarité ne serait pas respecté. Quel bénéfice en retirerait-il ? En revanche, les inconvénients qu'aurait une telle attitude sont évidents : remettre en cause un compromis souvent laborieusement obtenu, s'aliéner les ministres des autres Etats membres (voire ses propres services), et paraître s'opposer aux progrès de la construction européenne. Qui voudrait endosser le rôle du " mauvais joueur " ? Un bon ministre est celui qui approuve un accord, et, à l'issue de la réunion, explique à la presse nationale que la décision communautaire est excellente pour la France, qui est d'ailleurs à l'origine de tous ses aspects positifs et a obtenu de haute lutte satisfaction pour toutes ses demandes importantes ; un bon ministre n'est pas un juriste sourcilleux, isolé parmi ses pairs, qui remettrait en question une harmonisation législative ou un programme - dont l'utilité est pourtant tellement manifeste - au nom d'un principe obscur et dont l'application n'apporte d'avantage tangible à personne. Dans l'état actuel de son fonctionnement, le Conseil des ministres n'est pas et ne peut être un gardien du principe de subsidiarité, et concourt au contraire dans certains cas au non-respect de ce principe.

Ainsi, comme le soulignait le rapport précité de la délégation, " il apparaît, au total, que la logique institutionnelle de la Communauté est telle que l'exigence de subsidiarité risque fort de n'être que très partiellement prise en compte. Chaque institution communautaire est incitée à poursuivre l'accroissement de ses compétences et de ses pouvoirs, et ces démarches, plutôt que de se contrecarrer, finissent souvent par s'additionner dans un interventionnisme croissant ; or les dispositions les plus expresses des traités ne peuvent être un barrage pleinement efficace dans un système où le pouvoir conforte ainsi le pouvoir ".

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page