2. Les limites du contrôle tenant à la nature du principe

A cette limite de fait s'ajoute celle de tout contrôle juridictionnel dans une telle matière. Le principe de subsidiarité, comme on l'a vu, comporte une marge d'appréciation importante tenant notamment aux éléments qualitatifs de sa définition, et apparaît de ce fait comme un principe plus politique que juridique. Il en résulte que le contrôle juridictionnel sur le respect d'un tel principe ne peut être en tout état de cause qu'un contrôle minimum. Ce point était déjà souligné dans la communication de la Cour de justice à la Conférence intergouvernementale chargée d'élaborer le traité de Maastricht.

" Nonobstant la connotation largement politique de ce principe, l'examen, par la Cour, d'un tel moyen ne poserait pas à celle-ci des problèmes de caractère nouveau. A cet égard, il suffit de renvoyer à un autre principe, peut-être de caractère plus modeste, qui, depuis longtemps, est pris en compte comme élément d'interprétation pour la délimitation des compétences permettant aux institutions d'imposer des obligations aux citoyens communautaires, et notamment aux opérateurs économiques, et dont la violation constitue également un moyen d'annulation et d'exception, à savoir le principe de proportionnalité. Selon ce principe, les mesures adoptées doivent être aptes et nécessaires pour atteindre les objectifs visés par la compétence accordée à l'institution. Si, en appliquant ce principe, également de connotation politique, la Cour a toujours reconnu une large marge d'appréciation à l'institution en cause, elle a néanmoins contrôlé le respect par celle-ci des limites extrêmes de ce pouvoir d'appréciation, notamment par sa censure de la mesure en cas d'erreur manifeste ".

On peut constater que, malgré une présentation qui peut suggérer l'inverse, la Cour n'affirme la possibilité pour elle de contrôler un tel principe que pour préciser aussitôt que ce contrôle se borne à l'erreur manifeste, c'est-à-dire se situe uniquement à la " limite extrême " de la marge d'appréciation que laisse le principe de subsidiarité. Ajoutons que, dans le cas de ce principe, la " limite extrême " peut être reculée particulièrement loin, tant sont vagues les notions de " réalisation suffisante " et de " meilleure réalisation " qui sont au coeur du deuxième alinéa de l'article 3 B du Traité.

Il est clair, en réalité, que l'intérêt de la Cour de justice est d'affirmer sa compétence (afin de ne pas voir une autre institution, existante ou à créer, empiéter sur ses prérogatives), mais de ne pas l'exercer, ou très peu, car ce serait s'aventurer presque ouvertement sur un terrain politique, avec tous les risques que cela comporte pour une juridiction. Lorsque l'acte contesté émanera de la seule Commission européenne statuant en matière de concurrence, la Cour de justice veillera, s'il y a lieu, au respect du principe de subsidiarité ; lorsque l'acte émanera du Conseil et/ou du Parlement européen, elle fera preuve de la plus grande circonspection en refusant de se substituer à ces institutions politiques dans leur pouvoir d'appréciation, et son contrôle se limitera de fait à celui de la proportionnalité : elle censurera, à supposer qu'elle soit saisie, l'extrême excès de zèle en matière de réglementation.

Dès 1991, un membre de la Cour de justice, s'exprimant à titre personnel, avait formulé toutes les réserves que lui inspirait l'idée de voir celle-ci s'aventurer sur le terrain du contrôle de la subsidiarité (8( * )) . Lors d'une récente rencontre informelle (juin 1996) avec les délégations pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du Sénat, des membres de la Cour de justice ont manifesté à titre personnel la même très grande prudence et exprimé le souhait que tout soit fait pour que d'éventuelles questions de subsidiarité soient réglées par les organes politiques eux-mêmes, avant que la Cour de Justice ne puisse être saisie.

Ainsi, pour de fortes raisons, non seulement le contrôle de la Cour de justice ne trouvera que rarement à s'exercer, mais, lorsqu'il s'exercera, il ne le fera la plupart du temps qu'à la marge. Serait-il d'ailleurs souhaitable qu'il en soit autrement, c'est-à-dire que la Cour de justice devienne l'arbitre de l'Union dans une matière aussi politique que l'exigence de subsidiarité ? Comme le soulignait M. Michel Poniatowski dans son rapport déjà cité : " Il serait paradoxal que l'introduction du principe de subsidiarité dans le droit communautaire, destinée à favoriser la " proximité " des décisions, aboutisse à confier une responsabilité politique éminente à un organe juridictionnel lointain, soustrait par définition à tout contrôle des représentants élus des citoyens ".

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