III. LA PERSISTANCE DE NOMBREUSES INTERROGATIONS

Si la proposition de cinquième Programme-cadre est marquée par une salutaire volonté de changement par rapport aux précédents programmes, elle n'en soulève pas moins de nombreuses questions auxquelles le Sénat ne peut être indifférent.

A. EVITER LES ERREURS DU PASSÉ

1. Procédure et calendrier d'adoption

Le Traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, prévoit qu'à l'avenir le programme-cadre de recherche et de développement technologique sera adopté à la majorité qualifiée au sein du Conseil. Si le Traité d'Amsterdam contient une disposition heureuse, c'est incontestablement celle-ci. Votre rapporteur a évoqué précédemment les effets désastreux de l'unanimité en matière de recherche. Cependant, le Traité d'Amsterdam n'entrera pas en vigueur avant de nombreux mois. Le Danemark a déjà annoncé son intention d'organiser un référendum le 28 mai 1998.

Or, la Commission européenne, dans sa proposition, indique que " pour pouvoir commencer à assurer la mise en oeuvre du cinquième Programme-cadre dès le début de 1999 (le quatrième Programme-cadre s'achevant à la fin de 1998), ... un calendrier très rigoureux doit être respecté. Le cinquième Programme-cadre devrait ainsi être adopté par le Conseil et le Parlement, en codécision, dans le cours du premier trimestre de 1998, les programmes spécifiques l'étant par le Conseil (sur avis simple du Parlement européen) dès l'été 1998 ".

Cet objectif paraît d'ores et déjà hors d'atteinte, le Parlement européen ayant décidé de se prononcer en première lecture en décembre prochain. La question qui se pose est celle de savoir s'il est préférable de tenter d'obtenir une adoption rapide du programme à l'unanimité des Etats membres ou d'attendre l'entrée en vigueur du nouveau traité afin d'appliquer la procédure de la majorité qualifiée. Cette seconde hypothèse risque de conduire à une rupture dans la mise en oeuvre de la politique communautaire de la recherche.

Dans sa proposition, la Commission européenne évoque l'hypothèse selon laquelle le Conseil pourrait décider d'anticiper la ratification du traité d'Amsterdam et agir comme si la règle de la majorité qualifiée était d'application. Il existe en cette matière un précédent. Dans le domaine du marché intérieur, le Conseil des ministres a commencé à appliquer les procédures prévues par l'Acte unique européen avant que celui-ci soit entré en vigueur. Toutefois, cette acceptation tacite peut à tout moment être remise en cause si un désaccord grave surgit entre certains Etats membres.

Quoi qu'il arrive, votre rapporteur estime qu'il est nécessaire d'être ambitieux dans le domaine de la recherche communautaire et souhaite que la recherche d'un compromis acceptable par tous ne soit pas un prétexte pour revenir à des pratiques que la proposition de cinquième Programme-cadre entend précisément abolir. La crédibilité de la politique communautaire de la recherche dépend largement de l'équilibre auquel parviendra le Conseil.

2. L'objectif de concentration menacé

La proposition de programme présentée par la Commission européenne est caractérisée par un effort de concentration des actions afin d'éviter le " saupoudrage " qui a marqué les précédents programmes. Cependant, indépendamment de la procédure de décision appliquée, il conviendra d'être très vigilant pour éviter une dilution des actions. En effet, il ne suffit pas que le nombre de programmes créés soit réduit pour réaliser une réelle concentration des efforts. Le " saupoudrage " risque en effet de réapparaître au niveau du nombre des actions-clés. En outre, si ces actions-clés sont définies de manière trop large, tout l'effort de concentration réalisé au niveau des programmes sera réduit à néant. Cette question est l'enjeu majeur des négociations qui se sont ouvertes entre les Etats membres au printemps dernier.

Votre rapporteur croit savoir qu'au cours des premières négociations intervenues au sein du Conseil des ministres, tous les Etats ont salué la volonté de concentration des actions affirmée par la Commission européenne. Beaucoup d'entre eux ont cependant estimé que d'autres actions seraient utiles, par exemple sur les biens culturels, la forêt, la citoyenneté européenne, l'économie sociale, le vieillissement, les nouveaux chercheurs ou la bio-diversité... Il faut bien constater qu'il est difficile de chasser le naturel.

Comme l'a noté la Commission européenne dans sa communication " Inventer demain ", " A chaque programme-cadre se pose la question du " saupoudrage " de projets et de ressources. Il s'est également avéré difficile d'intégrer des nouveautés surgies en cours d'exercice, sans parler de l'aptitude réduite à mettre un terme à certaines activités, qui, chacune, correspondent de facto à une audience particulière ".

Cette réflexion vaut pour les Etats membres, tentés d'imposer des sujets qui leur importent afin d'obtenir des financements communautaires. Elle vaut également pour la Commission européenne elle-même. Elle est en effet chargée de gérer l'ensemble des actions prévues par le programme-cadre et les services concernés n'acceptent pas aisément que les projets qu'ils gèrent soient remis en cause.

Pour l'avenir, il conviendra donc d'être particulièrement vigilant afin que la concentration des actions ne reste pas qu'un mot. Une politique communautaire dans le domaine de la recherche n'a un sens que si les actions entreprises se caractérisent par une réelle valeur ajoutée européenne. Le principe de subsidiarité doit inspirer cette politique de manière constante. Il s'agit là de l'objectif essentiel que le Gouvernement français devrait défendre dans des négociations en cours.

Parallèlement, il convient d'entamer une réflexion sur les liens entre la politique de la recherche et la politique structurelle. Votre rapporteur estime que la mise à niveau des pays membres de l'Union connaissant encore un retard de développement dans le domaine de la recherche doit relever de la politique des fonds structurels . Si ce type d'actions est inscrit dans le programme-cadre de recherche, cela ne peut que pénaliser le niveau global de la recherche dans la Communauté. Les montants alloués aux fonds structurels sont environ dix fois plus importants que les crédits accordés à la politique de recherche, ce qui justifierait que certaines actions de recherche destinées à renforcer la cohésion de l'Union soient accomplies dans ce cadre.

D'ores et déjà, certaines des actions mises en oeuvre dans le cadre des fonds structurels visent à favoriser l'innovation, notamment l'article 10 du Fonds européen de développement régional (FEDER). La Commission européenne estime à cet égard qu'il convient " d'encourager les Etats membres à consacrer une plus large part des ressources structurelles à la recherche, afin d'assurer les conditions propices à l'essor rapide de leur potentiel d'excellence scientifique, et confirmer le rattrapage qui s'est amorcé " (4( * )) . Des initiatives en ce sens doivent maintenant être prises parallèlement au processus d'adoption du cinquième Programme-cadre, afin d'éviter que celui-ci serve à financer des actions qui relèvent de la politique de cohésion.

3. La gestion du programme

La gestion des précédents programmes-cadres a fait l'objet de critiques. La Commission européenne souhaite donc modifier la situation et formule pour ce faire quelques propositions destinées en particulier à améliorer les délais de traitement des dossiers. La conclusion principale qu'elle tire est la suivante : " Pour obtenir des gains de temps substantiels dans le traitement des dossiers, et, plus largement, pour accroître l'efficacité globale de la mise en oeuvre du programme-cadre, il ne peut en définitive y avoir d'autre solution que de donner à la Commission les moyens d'exercer pleinement le pouvoir d'exécution des programmes qui lui est conféré ".

Cette affirmation peut susciter un légitime étonnement. La Commission européenne dispose, d'ores et déjà, de très larges pouvoirs en matière d'exécution des programmes de recherche. Elle élabore pour chaque programme spécifique un programme de travail, elle met en place les procédures d'appels d'offres et établit la liste des projets sélectionnés ainsi qu'une liste de réserve destinée à faire face à d'éventuelles défections. Enfin, elle négocie l'ensemble des contrats passés avec les organismes participant à des projets retenus.

Pour chaque programme spécifique, un comité composé de représentants des Etats membres est chargé d'assister et d'encadrer la Commission. Ces comités sont des comités réglementaires parfois qualifiés de comités IIIA (5( * )) , c'est-à-dire qu'en cas de désaccord entre la Commission et un comité, la décision est renvoyée au Conseil de l'Union européenne. Ces comités rendent un avis sur le programme de travail élaboré par la Commission, sur les appels d'offres qu'elle s'apprête à lancer, enfin sur les listes de projets retenus. En revanche, ils n'ont aucun droit de regard sur la négociation des contrats. Il paraît difficile de qualifier ce contrôle des activités de la Commission européenne d'excessivement rigide.

En 1995, dans le rapport qu'elle a publié sur le fonctionnement du Traité sur l'Union européenne, la Commission a évoqué le fonctionnement de ces comités chargés de l'assister dans ses tâches d'exécution et a indiqué " ... la Commission considère que les procédures d'exécution fonctionnent et ne représentent pas d'obstacles moyens à l'action d'exécuter comme le suggèrent les chiffres suivants :

à Nombre de comités existants

Environ 200

d'un type pouvant bloquer une décision

30

Dans les toutes dernières années, sur plusieurs milliers d'avis :

à Nombre de recours d'une décision devant le Conseil

6

à Nombre de cas de blocage (absence de décision)

0

Il est donc difficile d'attribuer à ces comités la responsabilité des pesanteurs qui affectent le fonctionnement du programme-cadre. Le groupe d'experts chargé d'évaluer le quatrième Programme-cadre a d'ailleurs estimé que la phase la plus problématique en termes de délais était celle de la négociation des contrats, dans laquelle les comités n'ont aucun rôle. Le nombre des comités existants devrait être réduit, compte tenu de la réduction du nombre de programmes proposée par la Commission européenne. En revanche, il ne paraît pas opportun de limiter le rôle de ces comités qui constituent un instrument permettant au Conseil de l'Union européenne, détenteur d'une forte légitimité démocratique, d'exercer un contrôle souple sur l'action conduite par la Commission européenne.

Autant le vote à l'unanimité du Conseil sur le programme-cadre apparaît clairement comme un facteur de dilution et de paralysie de la politique communautaire de la recherche, autant les comités qui entourent la Commission dans ses tâches de gestion présentent une véritable utilité et ne paraissent guère porter atteinte à l'efficacité des politiques communes.

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