4. Discours de M. Ugo MIFSUD BONNICI, Président de Malte (Jeudi 27 juin)

" Après avoir remercié Madame la Présidente pour ses paroles de bienvenue, je souligne qu'elle a bien décrit la place de son pays et les sentiments qu'il éprouve pour le Conseil de l'Europe. Les deux organisations européennes, le Conseil et l'Union, ont été conçues comme des instances normatives en réponse aux traumatismes de la dernière guerre mondiale et comme une manière d'écarter jusqu'à la possibilité de la cruauté sans exemple à laquelle elle a donné lieu. Après la Première guerre mondiale, le principe qui a régné dans les relations internationales a été le vae victis . La conviction était que seule la force pouvait valablement défendre les intérêts nationaux.

" En 1945 l'humanité a pris conscience des périls moraux auxquels l'exposait le recours à la guerre. Pour instaurer une paix véritable et durable, il fallait se débarrasser des haines et des préjugés et assurer la prédominance du droit par la démocratie et les droits de l'homme. Ainsi est né l'idéal d'une solidarité qui repose non sur des mesures contraignantes mais sur l'adhésion volontaire à des normes dont on reconnaît le caractère impératif. On pensait qu'une collaboration étroite et prolongée créerait des liens très forts qui feraient obstacle aux déchirements du passé.

" Le succès de cette entreprise a permis un exceptionnel développement et il faut reconnaître que le Conseil de l'Europe et l'Union européenne ont répondu aux aspirations des Pères fondateurs. Les domaines de coopération ne cessent de s'élargir ainsi que le nombre des Etats qui reconnaissent la juridiction de la Cour européenne des Droits de l'Homme, les Etats nations ont accepté volontairement une limitation de leur souveraineté en s'associant au sein de deux organismes complémentaires qui ont permis d'offrir la souplesse nécessaire. L'avenir dira si un jour la coopération entre les deux instances se fera dans un cadre institutionnel plus officiel.

" Le Conseil de l'Europe s'est montré à la hauteur de sa vocation en rassemblant toutes les nations du continent dans le respect des différentes traditions séculaires qui les ont formées, et en sachant que plus la période de dictature subie a été longue, plus la période de transition avant le rétablissement de l'Etat de droit sera importante. Il faut du temps pour que le pluralisme et la liberté prennent racine dans des sociétés qui ont connu l'omnipotence de l'Etat. Mais les progrès, en dépit des obstacles, sont irréversibles. Les élections ne suffisent pas à guérir les blessures mais le seul fait de solliciter un mandat populaire et de devoir rendre des comptes a des effets salutaires : usus opus movet hoc .

" Les nations européennes ont en outre su construire des réseaux de protection sociale et de sécurité et considèrent qu'un Etat qui ne garantit pas à tous l'éducation, des soins médicaux et un minimum vital, n'est pas civilisé. Elles se sont abstenues de recourir à un instrument normatif. Le Traité de Maastricht comporte une charte sociale qui est le corollaire de la concurrence, tandis que le Conseil de l'Europe n'a pas encore fait de sa propre charte sociale une condition de l'adhésion. Il est vrai que la proclamation de l'égalité et de la liberté a précédé celle de la fraternité. Il est cependant temps de rendre irréversible l'Etat providence, qui est un acquis de la civilisation européenne. Certaines sociétés asiatiques ont cru pouvoir obtenir un miracle économique par les voies brutales d'un développement rapide qui a mis à mal les liens traditionnels de solidarité et les garanties légales. Il serait aussi dangereux pour les nouvelles démocraties de céder à ce mirage que de succomber à la nostalgie des rapports de force.

" Malte est persuadée que le modèle de société du Conseil de l'Europe mérite d'être mieux connu et c'est pourquoi elle propose de créer un Conseil de la Méditerranée, qui réunirait autour de normes reconnues un certain nombre de pays riverains malgré leurs traditions culturelles différentes.

" La conclusion d'un pacte de stabilité régionale pourrait être une première étape dans cette direction.

" Le Conseil de l'Europe doit aussi se préoccuper des relations intercontinentales. Extravertie, l'Europe a influencé la plupart des autres continents et même en Asie, elle est une référence. Le colonialisme a heureusement disparu mais il subsiste la tentation d'exploiter les pays qui y ont été soumis. Il faudrait donc promouvoir une démarche plus éthique et, en particulier, favoriser une prise de conscience des problèmes de l'environnement. L'Europe a apporté par le passé une contribution scientifique considérable : elle doit continuer, en mettant résolument la science et la technique au service de l'humanité tout entière. Les succès commerciaux ne doivent pas conduire à arrêter l'effort de recherche.

" Contre le totalitarisme qui glorifie l'Etat, il est de la plus haute importance d'affirmer que celui-ci est au service des citoyens. La reconnaissance de la primauté de la personne, la prise en considération de la diversité culturelle, ont été des révolutions. L'apparition de nouvelles divisions ne doit pas conduire à une contre-révolution. Le Conseil de l'Europe doit rester une organisation collective œuvrant pour tous les peuples à égalité : le citoyen de Saint-Marin doit recevoir la même considération que le citoyen français.

" La création de cette juridiction supranationale qu'est la Cour européenne des Droits de l'Homme représente un progrès considérable et il ne faut pas revenir en arrière mais, bien au contraire, consolider le droit dont chacun dispose pour se défendre des abus de pouvoir.

" La gloire et la fonction de l'Europe dans le monde est de répandre une civilisation de la dignité humaine. De ce point de vue, il faut chercher à parvenir à un degré de raffinement encore supérieur. L'Europe a une âme, une conscience et une voix : le Conseil de l'Europe, dont le message éthique unique s'adresse au monde entier. "

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