N° 295

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 12 février 1998

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 février 1998

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la situation des ports maritimes français au regard des ports du Benelux ,

Par M. Marc MASSION,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Henri Torre, René Trégouët.

Mer et littoral . - Rapports d'information.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dans le cadre de ses fonctions de contrôle du budget des ports maritimes à la commission des finances du Sénat, votre rapporteur a pris la mesure de la double contrainte qui enserre la politique portuaire française : d'une part, une contrainte budgétaire générale qui conduit à limiter et à différer les investissements en faveur des ports ; d'autre part, une forte contrainte de compétitivité internationale dans le secteur maritime, qui rend indispensable un soutien effectif des pouvoirs publics aux ports.

Au regard de cette redoutable contradiction, une démarche comparative apparaît utile, afin de mieux saisir les raisons du succès des ports étrangers immédiatement concurrents des ports français, ainsi que les stratégies des pouvoirs publics qui en exercent la tutelle.

Le présent rapport est le résultat d'une mission de contrôle et d'information menée pendant les mois de mai, juin et juillet 1997, qui a conduit votre rapporteur à se rendre, d'une part, dans les ports d'Anvers et de Rotterdam et, d'autre part, dans les ports du Havre, de Rouen et de Dunkerque.

Une visite a également été rendue à Bruxelles aux services en charge des questions portuaires à la Direction générale des transports de la Commission européenne, qui se sont montrés courtois bien que manifestement pressés par des tâches plus urgentes.

Ce n'est pas seulement en raison de ses attaches rouennaises que votre rapporteur a choisi de concentrer son attention sur la compétition entre les ports français de la façade Manche-Mer du Nord et les ports du Benelux, mais aussi et surtout parce que c'est dans cette zone que la concurrence européenne à laquelle sont soumis les ports français atteint sa plus grande intensité.

Il ne faudrait pas en conclure que le défi de la compétitivité ne s'impose pas aux autres ports français, à commencer par le port de Marseille qui, après avoir pendant longtemps tiré avantage de la faiblesse de ses voisins, est en train de perdre sa prééminence en Méditerranée.

I. LA RELATIVE FAIBLESSE DES PORTS FRANÇAIS

Par rapport à leurs voisins du Benelux, les ports français de la Manche-Mer du Nord apparaissent en situation d'infériorité, dans un contexte de politique portuaire européenne balbutiante et de forte contrainte budgétaire nationale.

A. LE CONSTAT : UNE NETTE DOMINATION DES PORTS FRANÇAIS PAR LES PORTS DU BENELUX

1. Un contexte fortement concurrentiel

Les ports constituent les points de départ et d'arrivée du transport maritime, qui est un secteur d'activité éminemment concurrentiel. La liberté des mers, ainsi que le fantastique développement du commerce international depuis trois décennies ont placé ce secteur à l'avant-garde de la mondialisation de l'économie. Les taux de fret fluctuent avec les cours des matières premières et les taux de croissance des différentes zones de l'économie mondiale ; la pression sur les coûts est constante et les marges de rentabilité sont réduites.

Cette forte concurrence dans le secteur du transport maritime se retrouve également dans le secteur du transport terrestre, les ports se trouvant à l'interface des deux modes. La densification des réseaux d'infrastructures et l'achèvement du marché unique ont eu pour effet d'accroître la concurrence dans le secteur des transports terrestres en Europe. En France, les mouvements sociaux successifs des routiers et l'évolution du statut de la SNCF ne sont qu'une manifestation de ce phénomène. Du point de vue des chargeurs, le continent européen forme un ensemble auquel il est indifférent d'accéder ou de sortir par tel port plutôt que par tel autre, pourvu que les coûts et les délais de transport soient optimaux.

A ce contexte concurrentiel général, s'ajoutent des facteurs techniques comme l'augmentation de la taille des navires porte-conteneurs. Ceux-ci ont longtemps été calibrés pour passer le canal de Panama, ce qui limitait leur capacité à 2.500 conteneurs EVP (équivalent vingt pieds). Mais, depuis le début de la décennie, les armateurs ont mis en service sur les lignes tour du monde reliant l'Asie à l'Europe des porte-conteneurs dits "over-panamax" de 4.500 à 6.000 EVP.

Techniquement, ces navires géants ne peuvent plus accéder à tous les quais, les ports en eau profonde se trouvant à cet égard avantagés par rapport aux ports d'estuaire. Financièrement, ils ne peuvent être rentabilisés qu'à la condition de limiter le nombre de leurs escales pour ne plus desservir que les ports les plus importants.

Au total, l'activité des ports maritimes en Europe s'inscrit dans un contexte de forte pression concurrentielle, qui s'exerce tant sur mer que sur terre, de la part des armateurs comme de celle des chargeurs.

Cette logique concurrentielle sous-tend le "plan d'urgence en faveur des ports français et du commerce international" rendu public en janvier 1997 par un collectif regroupant les principales organisations professionnelles impliquées dans la filière portuaire et certains des armements internationaux parmi les plus importants 1( * ) . Pour appuyer leur analyse fort pertinente des blocages de la filière portuaire française, les auteurs de ce document procèdent de manière systématique à des comparaisons chiffrées de coûts et de tarifs entre les ports français et les ports européens voisins.

2. Des flux d'activité sans commune mesure

L'un des principaux faits dont il convient d'avoir pleinement conscience, est que les ports du Benelux se situent à une toute autre échelle que les ports français. Le port de Rotterdam, qui est le premier port mondial, représente à lui seul un trafic supérieur à celui de l'ensemble des ports français. Le port d'Anvers, qui est le quatrième port mondial et le deuxième port européen, à un trafic près de deux fois supérieur à celui du premier port français dans la région, Le Havre.

Trafics totaux des principaux ports de la façade Manche-Mer du Nord

(en millions de tonnes)

 

1992

1993

1994

1995

1996

Rotterdam

293,0

282,2

293,9

294,3

290,6

Anvers

104,0

101,8

109,5

108,1

106,5

Le Havre

53,1

54,9

54,4

53,8

56,1

Dunkerque

40,2

40,8

37,2

39,4

34,9

Rouen

23,9

23,6

19,5

19,8

18,1

Source : Direction du Transport maritime, des Ports et du Littoral.

Encore faut-il savoir que ces chiffres de trafic total sont trompeurs, dans la mesure où ils intègrent les trafics d'hydrocarbures qui ne sont que faiblement influencés par la qualité des services portuaires.

Pour avoir une image exacte de la compétitivité réelle des ports, il est plus significatif de comparer les trafics de conteneurs, fret à haute valeur ajoutée et nécessitant une manutention performante.

Trafics de conteneurs des principaux ports de la façade Manche-Mer du Nord

(en millions de tonnes)

 

1992

1993

1994

1995

1996

Rotterdam

44,3

45,7

50,0

52,5

52,7

Anvers

19,6

20,3

24,3

25,8

29,5

Le Havre

6,9

8,4

8,3

9,1

9,5

Dunkerque

0,6

0,8

0,7

0,8

0,7

Rouen

0,8

0,9

1,1

1,1

1,1

Source : DTMPL

3. Des arrière-pays largement concurrents

Les ports français de la façade atlantique sont préservés de la concurrence par leur éloignement, et le port de Marseille est relativement protégé des ports espagnols et italiens par les barrières des Pyrénées et des Alpes. Il en va tout autrement pour les ports français de la façade Manche-Mer du Nord, dont les zones d'influence sont très largement recoupées par celles de leurs voisins du Benelux.

Dans son rapport de juillet 1996 sur la desserte terrestre des ports français, M. Marius Belmain, inspecteur général des Ponts et Chaussées, s'est efforcé de définir les hinterlands, ou arrière-pays, de chacun des ports en utilisant les données douanières. Les cartes ci-contre permettent de visualiser d'un seul coup d'oeil le résultat de cette analyse. Elles retracent, pour 1992, les flux de trafics hors hydrocarbures en tonnes par région.

Il apparaît que les hinterlands des ports concurrents du Nord recoupent ceux du Havre, de Rouen et Dunkerque sur un vaste quart nord-est de la France. Leur influence est particulièrement forte dans les régions Nord-Pas-de-Calais et Lorraine et, dans une moindre mesure, en Picardie et Île-de-France, mais elle s'étend de façon significative jusqu'aux régions Pays-de-la-Loire et Rhône-Alpes.

4. Des détournements de trafic massifs

Les statistiques douanières ont permis jusqu'en 1992 de déterminer, sur un certain nombre de destinations, les parts de marché des ports français et étrangers dans l'acheminement du commerce extérieur de la France. Cet indicateur, communément appelé "détournements de trafics" permettait de suivre l'évolution de la compétitivité des ports français par rapport à leurs concurrents.

La méthode utilisée consistait à comptabiliser à nos frontières la part du commerce extérieur acheminée par les ports français (frontière maritime) et celle acheminée par les ports étrangers (frontière terrestre française dans le cadre d'échanges avec des pays outre-mer).

Depuis le 1er janvier 1993, la suppression des contrôles aux frontières a rendues indisponibles les informations nécessaires à l'élaboration de cet indicateur. Il est cependant utile de rappeler les résultats antérieurs, dont l'ordre de grandeur n'a vraisemblablement pas changé en cinq ans.

Jusqu'en 1992, on a pu ainsi observer :

- que les ports du Benelux ont concentré la grande majorité de ces trafics captés (96 %). Venait ensuite l'Allemagne, avec 2,2 %, alors que l'ensemble des ports étrangers d'Europe du sud ne représentait que 1,85 %, avec seulement 460.000 t "détournées", dont 289.000 t par les ports espagnols ;

- qu'à l'import comme à l'export, les régions frontalières, Nord, Picardie, Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne, ont concentré plus de 65 % des trafics captés en volume ;

- enfin, que les trafics des régions Ile-de-France ou Rhône-Alpes, malgré leur proximité géographique des ports français, font l'objet d'une vive concurrence et que les ports étrangers ont capté des volumes importants sur ces régions (environ 25 % à l'import pour les deux régions ; environ 15 % pour l'Ile-de-France et 20 % pour Rhône-Alpes à l'export).

NB : Le "détras" (pour détournements de trafic) représente la part de marché des ports étrangers sur le commerce extérieur par mer.

Les "fuites" de trafics représentent la part de marché des ports étrangers sur le commerce extérieur acheminé par mer.

Source : DTMPL


Il convient toutefois de souligner que les trafics des régions frontalières de l'Est et du Nord ne peuvent pas à proprement parler être considérés comme "détournés", puisque les ports du Benelux constituent pour eux un débouché plus naturel que les ports français. Les interlocuteurs de votre rapporteur lors de sa visite au port d'Anvers préféraient d'ailleurs parler de trafics "attirés" : cette nuance sémantique semble recevable.

Il n'en va pas de même pour les trafics de régions centrales comme l'Ile-de-France ou Rhône-Alpes qui transitent par des ports étrangers, et sont bel et bien détournés des ports français géographiquement les plus proches.

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