B. LE CONTEXTE COMMUNAUTAIRE : UNE POLITIQUE PORTUAIRE EMBRYONNAIRE

1. Un domaine négligé par la politique de la concurrence

Alors que l'Union européenne a élaboré une véritable politique en matière de transports maritimes, axée sur le renforcement de la sécurité et l'ouverture des marchés, sa réflexion sur les questions portuaires est encore en gestation. Le Livre vert sur la politique portuaire communautaire présenté par la Commission le 10 décembre 1997 constitue à cet égard une première.

Cette absence de politique portuaire européenne s'explique par le fait que les ports sont longtemps restés dans un "champ mort" des règles communautaires. En effet, les investissements dans les ports maritimes, comme tous les investissements d'infrastructure de transport, ne sont pas directement visés par l'article 92 du Traité de Rome qui encadre les aides accordées par les Etats. En tant qu'entités économiques, les ports sont sans conteste des "entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général" visées à l'article 90 du Traité, auxquelles les règles de concurrence ne s'appliquent que de façon atténuée.

Toutefois, les services de la Direction générale des transports de la Commission européenne ont décidé en début d'année d'examiner de près la conformité aux principes du Traité des systèmes d'emploi des dockers en Europe.

Pour sa part, la Direction de la concurrence de la Commission européenne a engagé un recensement systématique des aides d'Etat aux ports maritimes, en dépit de l'opposition de l'Allemagne qui estime que le financement d'infrastructures portuaires n'est pas assimilable à une aide d'Etat relevant de la compétence de la Commission.

Le récent "Livre vert relatif aux ports et aux infrastructures maritimes" marque ce regain d'intérêt de la Commission européenne pour les questions portuaires. Il s'agit d'un simple document de réflexion, destiné à susciter un débat au sein des instances communautaires et avec tous les acteurs portuaires. Mais il est clairement présenté comme un premier pas vers la mise en place d'une politique portuaire européenne plus structurée.

Après avoir rappelé la manière dont les questions portuaires sont déjà prises en compte de manière incidente par diverses politiques communautaires (réseau transeuropéen de transport, transport intermodal, sécurité maritime, protection de l'environnement, recherche), le Livre vert propose deux axes d'organisation d'une véritable politique portuaire :

- l'instauration de principes communs pour le financement et la tarification des infrastructures portuaires ;

- une libéralisation du marché des services portuaires dans les principaux ports de trafic international.

Votre rapporteur approuve le principe de l'instauration de règles européennes de concurrence en matière portuaire.

2. Des projets de réseaux transeuropéens de nature à accentuer la domination des ports du Benelux

Le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne ont arrêté le 23 juillet 1996, selon la procédure de codécision, les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport. Cette décision pose les principes d'une intégration des réseaux de transport des Etats membres en sélectionnant un certain nombre de projets d'intérêt commun qui seront rendus, autant que possible, interopérables et connectés.

L'inscription dans les schémas des réseaux transeuropéens n'entraîne en tant que telle aucune obligation, notamment financière, ni pour les Etats membres, ni pour la Commission. Les orientations fixées doivent néanmoins servir de base pour d'éventuelles décisions prises dans le cadre des fonds structurels. Il s'ensuit que si une inscription dans les réseaux n'assure pas de financement, la non inscription peut être préjudiciable.

Les financements spécifiques de l'Union européenne dans le cadre des réseaux transeuropéens de transport sont limités actuellement à 10 % des coûts des travaux de réalisation, mais peuvent atteindre 50 % des études de faisabilité. Les projets compatibles avec les objectifs de la décision peuvent en outre bénéficier de bonifications d'intérêts, en particulier de la BEI.

Un examen des 14 projets prioritaires qui ont été retenus au Conseil européen d'Essen en décembre 1994, et qui sont annexés à la décision du 23 juillet 1996, montrent que ceux-ci sont plutôt de nature à renforcer la prééminence des ports du Benelux. En effet, 1 seul des 14 projets est susceptible d'avoir un impact positif pour les ports français : il s'agit du couloir routier Valence - Saragosse - Somport, qui pourrait avoir un intérêt pour les ports français de l'Atlantique et surtout celui de Bordeaux.

En revanche, deux projets prioritaires seraient de nature à avantager les ports du Benelux : il s'agit de la liaison routière et ferroviaire Irlande - Royaume-Uni, Benelux et, surtout, de la liaison rail/transport combiné entre Rotterdam et la frontière allemande, qui est de la plus grande importance pour le port concerné.

Un autre projet communautaire susceptible de jouer en faveur des ports du Benelux est relatif à ce qu'il est convenu d'appeler les Transeuropean Rail Freight Freeways (TERFF). Constatant les difficultés grandissantes découlant de la priorité donnée à la route, ainsi que le déclin relatif du transport ferroviaire, la Commission européenne propose de revitaliser celui-ci en créant des "corridors de fret" spécialisés.

Les principes de ces corridors de fret seraient les suivants : priorité au transport de marchandise ; redevances d'infrastructures équitables ; commercialisation en commun des accès aux différentes infrastructures internationales ; réduction des arrêts aux frontières exigés par les règlements intérieurs des compagnies ferroviaires.

Pour déterminer les tracés concrets des TERFF, trois équipes ont travaillé respectivement sur les projets "scandinaves", sur les projets "Ouest-Est", et sur les projets "transalpins". Aucune de ces équipes n'incluait la France.

Dès lors, il n'est guère étonnant que les deux premiers projets de corridors de fret décidés par le Conseil de l'Union européenne en juin 1997 lient, d'une part, les ports belges à la région lyonnaise, et, d'autre part, les ports du Benelux et de l'Allemagne à l'Italie, à travers l'Autriche et la Suisse.

Ainsi, les corridors de fret, tels qu'ils ont été engagés, risquent de renforcer l'orientation Nord-Sud des liaisons transeuropéennes et, partant, de défavoriser les ports français, qui ont surtout besoin de liaisons Ouest-Est.

3. Des politiques sectorielles susceptibles de favoriser un développement plus harmonieux des ports européens

Globalement, les politiques de réseaux de transports européens tendent plutôt à renforcer les positions dominantes des ports du Benelux. Cela est inévitable puisque les instances communautaires n'ont en la matière qu'un pouvoir de coordination, et ne font qu'entériner les projets nationaux. La logique de compétition l'emporte donc.

L'Union européenne a néanmoins engagé des politiques sectorielles qui semblent susceptibles de favoriser un développement plus équilibré des ports européens.

La première de ces politiques sectorielles concerne le transport multimodal, en faveur duquel une action communautaire a été entreprise depuis 1992 dans le cadre du programme PACT (pour Pilot Actions for Combined Transport ). Les ports maritimes qui associent le rail, la route, la voie fluviale et la voie maritime, sont des plate-formes multimodales par excellence.

Ils devraient être donc largement destinataires du programme PACT, pour lequel 35 millions d'écus sont prévus entre 1997 et 2001. Le souci affiché par la Commission européenne est de contribuer à une meilleure dissémination des technologies et de démontrer la viabilité d'itinéraires considérés comme difficiles. Cette politique devrait donc bénéficier d'abord aux ports actuellement délaissés par les flux commerciaux spontanés, qui vont au plus facile.

La deuxième des politiques sectorielles communautaires concernant les ports est la politique en faveur du transport maritime intra-européen. Afin de désengorger les voies de transports terrestres, la Commission européenne a engagé depuis 1995 un programme d'action en faveur de ce qu'il est convenu d'appeler le transport maritime à courte distance.

Cette politique peut certes renforcer la position des ports dominants, en encourageant la pratique du "feedering", c'est-à-dire l'alimentation en conteneurs des ports de second rang depuis les ports principaux qui concentrent les touchées de lignes maritimes internationales.

Mais, en donnant la préférence au cabotage sur les modes de transport terrestres, la politique du transport maritime à courte distance ne peut que favoriser un développement plus harmonieux du réseau des ports maritimes européens, alors que l'on observe aujourd'hui un drainage des trafics par la route au profit des ports du Benelux.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page