3. La réforme de la domanialité : pas encore d'effets sensibles

3.1 Des mesures qui favorisent l'occupation du domaine portuaire par des investisseurs

L'investissement privé est indispensable au développement des ports, tant en ce qui concerne les zones industrialo-portuaires, que pour la mise en oeuvre d'outillages spécialisés modernes. Or, dans la situation prévalant avant une loi de 1994, cet investissement était freiné par les règles de domanialité publique, dont relèvent pour l'essentiel les espaces portuaires. Le domaine public de l'État est en effet inaliénable, imprescriptible et n'est susceptible d'occupation privative que de façon précaire, révocable et personnelle. Cette précarité et cet éloignement du droit commercial n'avaient pas rebuté les entreprises en place, mais étaient considérés comme pouvant gêner tes investisseurs potentiels, notamment étrangers, attentifs aux risques de contentieux.

Par ailleurs, il convenait d'une part de permettre à ces investisseurs de bénéficier de droits réels immobiliers facilitant leur engagement, par le recours à des garanties autorisant des modalités de financement aujourd'hui classiques (crédit-bail, crédit hypothécaire...), d'autre part, de les indemniser de manière raisonnable en cas d'éviction.

La loi du 24 juillet 1994, complétant le code du domaine de l'État, permet à présent aux occupants du domaine public de bénéficier de droits réels. Venant après un premier décret du printemps 1995, un décret du 2 décembre 1996 permet désormais aux ports de délivrer ces titres, engageant ainsi concrètement l'application de la loi. À noter que ces dispositions ne concernent que les nouveaux occupants, mais cela ne semble pas avoir nui en pratique aux précédents investisseurs, qui ont des liens confiants avec les ports.

Ce droit réel accordé à l'occupant est une sorte de droit de propriété limité à soixante-dix ans 56 ( * ) et soumis à certaines conditions et procédures administratives assez lourdes en cas de cession, hypothèque ou recours au crédit-bail. Si l'autorisation d'occuper est retirée avant les soixante-dix ans, l'investisseur a droit à une indemnisation calculée comme en matière d'expropriation. La loi permet donc un accroissement réel des prérogatives des entreprises. Mais des améliorations sont souhaitables qui devraient permettre d'alléger certaines dispositions. Citons, par exemple, la décision prise par les pouvoirs publics de soumettre à un double accord ministériel les investissements supérieurs à 20 MF concernant les concessionnaires de service public, d'outillage public ou nécessaire à la continuité du service. L'UPACCIM propose de relever ce seuil à 150 MF ce qui correspond au coût d'un termina] de conteneurs ou de vrac.

Par ailleurs, le Conseil national de la comptabilité recommande d'inscrire les droits réels accordés par la loi sur les bâtiments en immobilisations incorporelles : mais un tel traitement comptable, inconnu dans les milieux financiers anglo-saxons, est défavorable à l'appréciation par ces banquiers des garanties apportées par l'entreprise.

On voit par ces restrictions que l'on approche des limites en matière de droits réels sur le domaine public portuaire. Pour aller plus loin, il faudrait envisager de transférer au domaine privé certains des terrains, pourvu qu'ils soient suffisamment éloignés des plans d'eau (de l'ordre de 200 à 250 mètres, de manière à ne pas obérer le fonctionnement des ports).

Auparavant, il conviendrait d'évaluer les possibilités nouvelles offertes en matière de gestion domaniale. Certes, cette évaluation ne sera possible qu'avec un peu de recul compte tenu du caractère récent du dernier décret. Néanmoins, il ne semble pas que les entreprises se soient précipitées sur les nouvelles dispositions, ni qu'elles ne leur aient accordé d'autre intérêt que de principe. Mais la question reste ouverte à ce stade.

Enfin, une étude du cabinet de consultants Arthur Andersen, effectuée à la demande du port autonome du Havre conclut que les modalités de mise à disposition du domaine portuaire sont aussi satisfaisantes et les tarifs vraisemblablement plus incitatifs au Havre qu'à Anvers, Rotterdam ou Hambourg (voir encadré ci-après). Ces ports pratiquent la mise à disposition des terrains sous forme de contrats de location de longue durée et ne souhaitent pas vendre. Ces considérations tendraient à relativiser quelque peu l'opinion défavorable de certains intervenants sur la politique domaniale française et la nécessité de transferts de terrains du domaine public au domaine privé.

Le Havre : gestion domaniale souple...

(...) « La comparaison des différentes clauses principales des conventions d'occupation temporaire du domaine public permet à Arthur Andersen de constater que le Port autonome du Havre n'offre pas de spécificités dérogatoires plus strictes dans ses conventions et cahiers des charges que celles relatives aux clauses imposées dans les conventions de Rotterdam, Hambourg et Anvers. Ainsi, le facteur d'insécurité résultant des conventions passées au Havre n'est pas plus important que celui inhérent aux conventions des autres ports de la rangée.

La comparaison de la durée moyenne des conventions d'occupation fait apparaître que le Port autonome du Havre se positionne, en la matière, de façon satisfaisante. En cas de renouvellement, les prorogations sont facilement accordées et ne posent pas de problème particulier, dans la limite évidemment des 70 ans fixée par la loi du 25 juillet 1994 sur le domaine public. La faculté de renouvellement suit le même principe dans les autres ports de la rangée.

Les mesures d'incitation à l'implantation sont assez comparables entre les quatre ports. En effet, les efforts consentis par les gestionnaires sont toujours fonction de l'attrait économique (volumes d'activités générés) et social (potentiels d'emplois) que représente la société voulant s'installer. La politique d'incitation se traduit par des loyers attractifs, associés à des remises selon les tonnages générés par l'activité de l'entreprise, auxquels s'ajoute la possibilité d'hypothéquer les biens construits pour financer une partie des bâtiments. D'autres avantages tiennent également à la nature des clauses contractuelles propres à chaque port. »

Source : Revue de la Navigation - Ports et industries, 16 décembre 1996. p. 670

3.2 Des mesures qui favorisent les cessions foncières

Un décret du 29 février 1996 a donné aux ports autonomes la faculté de récupérer, pour asseoir leur propre développement par des investissements, 90 % du produit des cessions foncières auxquels ils ont procédé. Cette opération s'effectue de plus par versement direct au port, sans transit retardateur par le budget de l'État. Un décret comparable a été établi le 27 avril 1997 pour les ports d'intérêt national.

Auparavant, les ports n'étaient pas incités à ces cessions dont le produit ne pouvait être réemployé que pour des acquisitions foncières. Ils étaient ainsi amenés à conserver dans leur patrimoine des espaces inutiles, sous-utilisés, voire à l'état de friche. Cela envenimait le dialogue entre les villes et les ports, ces derniers paraissant s'opposer à des mises en valeur urbaines touchant sites portuaires urbains, notamment en centre-villes.

* 56 Certains intervenants pensent que cette clause de 70 ans est en retrait par rapport aux pratiques actuelles.

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