INTRODUCTION

Quelle est l'étendue de l'effort consenti en faveur de la pèche française ? Quelle est l'ampleur des effets induits ? Les instruments de la politique publique répondent-ils bien aux objectifs qui leur sont assignés, et à quel coût ? Telles étaient les interrogations adressées au Commissariat général du Plan par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques publiques.

Des choix de méthode

La simplicité des questions ne doit pas masquer une difficulté de méthode. Comme toutes les politiques publiques sectorielles, celles concernant la pêche poursuivent inévitablement plusieurs registres d'objectifs. Plus exactement, elles cherchent des compromis entre des objectifs qui ne convergent pas facilement : maintien de l'emploi dans le secteur et dans des zones géographiques, protection du revenu de certains agents économiques, défense de la production nationale contre l'importation, amélioration de la compétitivité de la filière, protection des ressources marines vivantes.

L'évaluation a évidemment tenté de rendre justice aux différents objectifs. Néanmoins, compte tenu des délais impartis, elle a privilégié deux objectifs prioritaires des politiques de la pêche : le renouvellement des ressources halieutiques et la performance économique de la filière française considérée dans son ensemble. Une action publique, dans cette perspective, est jugée efficace si elle contribue à garantir les ressources halieutiques et si elle renforce la compétitivité de la chaîne de production, ou celle de l'un de ses maillons.

L'ensemble des actions publiques, nationales et dans une moindre mesure locales, en faveur de la pêche entrent dans le champ de l'évaluation. En revanche, l'aquaculture et la conchyliculture, qui soulèvent des problèmes différents de ceux de la pêche, ont été écartées du champ de l'analyse S'agissant des actions européennes, l'évaluation ne s'est pas interdit de porter des jugements sur la politique communautaire dans son ensemble, mais elle a concentré ses efforts sur la manière, au demeurant originale, dont la France met en oeuvre les modalités d'application de la réglementation communautaire.

Il n'a pas paru possible d'adopter une conception complètement statique de l'efficacité des politiques publiques. La pression sur les ressources -et la conscience qu'en ont les experts et les décideurs- ainsi que la demande des consommateurs français et européens, connaissent en effet actuellement une évolution rapide, et une politique hier efficace ne le sera pas nécessairement demain. Une action publique doit être jugée au moins autant sur sa capacité à éviter une crise -ou tout au moins à en réduire l'ampleur- que sur la manière de la traiter. C'est pourquoi, avant toute analyse de l'impact des politiques, le rapport débute sur un état des lieux de la pêche française et sur un inventaire des connaissances concernant les tendances lourdes du secteur.

Des ressources menacées, un secteur en mutation

La communauté des experts scientifiques s'accorde à diagnostiquer que les stocks halieutiques sont surexploités ou à la limite de la surexploitation. Il en résulte une situation qui n'est pas jugée irréversible, sauf peut-être pour un petit nombre d'espèces dans quelques zones, mais qui est fortement dégradée. Les mesures de limitation de l'effort de pêche et des captures ont contribué à ralentir le processus de dégradation. Mais elles sont mal respectées, de sorte qu'il n'a pas été possible de stopper la dégradation, ni a fortiori de l'inverser. Elles ont été tardives, et en ce sens les problèmes de raréfaction de la ressource peuvent être considérés comme l'une des deux causes principales de la crise récente du secteur, tout comme d'ailleurs des crises précédentes.

La deuxième cause est l'internationalisation des échanges des produits de la pêche. Contrairement à ce qui se serait produit sur un marché national fermé, la raréfaction des ressources n'a pas déclenché de hausse des prix. C'est l'inverse qui s'est produit. Les cours ont diminué régulièrement pendant une longue période -une baisse de 20% en francs courants entre 80 et 95, soit une division par 2,4 en francs constants- parce qu'au même moment l'ouverture des marchés a suscité l'arrivée sur le marché français de poissons originaires de pays dont la main-d'oeuvre est moins chère et parfois de surcroît la monnaie sous-évaluée. La profession s'en est évidemment trouvée très atteinte.

L'augmentation des importations est une tendance durable qui ne pouvait être contrecarrée. De manière générale les Français consomment plus de poisson que leurs entreprises n'en peuvent pêcher, et si l'on entre dans le détail, les espèces les plus demandées ne sont pas disponibles en quantité suffisante : à la notable exception près du thon, la France importe principalement des poissons qu'elle n'a pas. Tout en étant un gros producteur, le deuxième d'Europe en valeur, la France ne peut espérer avoir une balance équilibrée. Elle est du reste le troisième importateur mais le treizième exportateur mondial de produits de la mer.

Outre ces deux tendances lourdes, pression excessive sur les ressources et internationalisation des marchés, l'évolution du secteur est marquée depuis deux décennies par des mutations économiques de grande ampleur. Tout en restant inférieure à celle de l'Espagne et de l'Italie, la consommation française par habitant est une des plus élevées d'Europe, et elle croît. La demande française est habituée à rencontrer une offre variée, car la pêche française commercialise un nombre d'espèces beaucoup plus élevé que celles des autres pays d'Europe. Par ailleurs, la demande change de nature avec l'évolution des modes de vie, pour privilégier des produits partiellement ou totalement transformés, en tout cas prêts à l'utilisation. Elle est satisfaite par deux canaux qui occupent chacun à peu près la moitié du marché : les grandes et moyennes surfaces et les poissonneries. La part des premières était en progrès important jusqu'à une date récente, mais elle est actuellement stabilisée.

La distribution est donc assez concentrée, en face d'une offre qui est pour sa part fragmentée. La pêche industrielle, en effet, est en déclin depuis les années 1970, et la pêche artisanale, qui se porte mieux -au prix d'une diminution importante des flottilles il est vrai- est atomisée. L'ajustement est difficile, car la diversité des espèces pêchées, qui satisfait la clientèle tant française qu'étrangère, s'accompagne d'une certaine imprévisibilité des captures, qui ne convient pas aux grandes surfaces. Circonstance aggravante, la circulation de l'information dans la filière est très médiocre, si bien que les maillons de distribution préfèrent parfois se tourner vers l'importation faute de pouvoir anticiper suffisamment les captures.

En définitive, l'opposition entre offre atomisée et distribution concentrée se conjugue avec l'internationalisation pour tirer les prix vers le bas. Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que la crise de 1992-1993 ait durement frappé les pêcheurs français. Cette période apparaît comme une sorte de choc à l'occasion duquel les tendances durables à la baisse des cours et à l'internationalisation concentrent leurs effets. Bien que les dispositions communautaires aient contraint la flotte française à diminuer -de 40 % en nombre et de 15 % en puissance entre 1988 et 1994- les pêcheurs français n'ont pu faire face à ce choc. Incapables de réagir à la fois à l'augmentation du prix d'achat des navires, à la baisse des cours et à la diminution de la ressource, ils se sont retrouvés lourdement endettés. Les effectifs embarqués se sont certes adaptés ils ont décru de 11 % entre 1990 et 1995. Mais cela n'a pas empêché la rémunération moyenne des pêcheurs de descendre, en francs courants, de 14573 francs mensuels à quelque 8000 francs au plus fort de la crise, pour ne remonter aujourd'hui qu'aux environs de 10000. Certes, dans les métiers comme la pêche et l'agriculture, les évolutions des salaires moyennes cachent de fortes disparités et ne doivent pas être abusivement interprétées, mais enfin il s'agit en fin de compte plus de 40 % de diminution en francs constants.

Une action publique qui n'a pas anticipé la crise, mais a bien traité une part des ses effets .

En réponse à la première question posée à l'évaluation 2 ( * ) , l'effort public en faveur de la pêche apparaît considérable. Le chiffre d'affaires de la production était de 5,7 milliards de francs 3 ( * ) en 1995, tandis que l'aide publique, hors protection sociale, se monte à 1 milliard environ, soit près de 20 % du chiffre d'affaires, qui se répartissent entre France et Union européenne dans les proportions de trois quarts et un quart. La dépense de l'État liée à la protection sociale se monte à 4,6 milliards, soit 80 % du chiffre d'affaires.

Le secteur de la pêche, quantitativement peu important, apparaît ainsi, moins que l'agriculture mais plus que la plupart des autres secteurs, comme assez fortement administré, à la fois réglementé et subventionné. Les mécanismes de stabilisation des prix, consistant à retirer le poisson de la vente lorsque le cours tombe en-dessous d'une valeur-repère, sont plus utilisés en France que dans n'importe quel autre pays d'Europe. Quantitativement, les volumes concernés ne sont pas considérables, environ 6 % des captures au plus fort de la crise, mais cette valeur est une moyenne nationale qui dissimule des valeurs plus fortes localement, et en tout état de cause c'est suffisant pour creuser une différence importante entre les prix intérieurs et les prix à l'importation.

La deuxième question adressée à l'évaluation concernait les effets induits. L'effectif de la profession se montait en 1995 à 17575 personnes. Les estimations qui circulaient avant la crise quant aux emplois induits ont été emploi en mer fait vivre à terre moins de deux emplois, de sorte qu'environ 40 à 50 000 actifs sont concernés par les politiques de la pêche. Ces emplois sont prédominants dans certaines agglomérations côtières, dont la santé économique dépend fortement de l'activité de la pêche.

Il ressort de l'évaluation que, même si le maintien de l'emploi est loin d'être le seul objectif affiché des politiques en cette matière, il a été un souci permanent des pouvoirs publics. Compte tenu de l'ampleur de la crise, il est légitime de considérer que l'emploi n'a pas beaucoup diminué. On verra en revanche que sa stabilité à long terme n'est probablement pas garantie.

La troisième question avait trait aux objectifs des politiques de la pêche et à la manière dont ils ont été atteints. Si l'on s'attache aux deux objectifs principaux choisis, préservation des ressources et compétitivité de la filière, la réponse est mitigée. La crise n'a pas été anticipée, certaines mesures publiques ont sans doute même contribué à l'aggraver. Elle a été assez bien surmontée, probablement à un coût élevé faute d'avoir été anticipée, et elle débouche sur une situation relativement stable, mais pas nécessairement durable.

Dans la période qui a immédiatement précédé la crise, les aides publiques ont favorisé l'investissement - et contribué au renchérissement des navires -, alors même que la baisse des cours avait commencé. Ce faisant, elles ont incité à la surexploitation des ressources, à un moment où la raréfaction de celles-ci était pourtant patente, et donc certainement perçue. Il en est résulté une flottille surdimensionnée aux mains d'entrepreneurs endettés. La crise ne les a que plus durement frappés lorsqu'elle est arrivée.

Les mesures de crise, pour leur part, paraissent avoir atteint au moins une partie de leurs objectifs. La situation financière des entreprises est améliorée. À la suite de la remontée des cours, les salaires se sont redressés, sans revenir au niveau antérieur, et l'aval, en particulier les entreprises de mareyage, est restructuré.

Cela étant, le secteur ne dispose pas de marges de sécurité. Une étude détaillée de la répartition de la valeur ajoutée sur l'ensemble de la filière ne fait guère apparaître de possibilités de compression des coûts, sauf peut-être sur les frais de transport. Par ailleurs, la capacité d'investissement des entreprises de pêche n'est pas reconstituée, bien que des renouvellements restent nécessaires sur certains segments de flottille, et cela dans un contexte de prix élevé des navires. En même temps, l'internationalisation se poursuit, et elle nécessitera de nouvelles adaptations. Quant au système français des retraits, il a l'inconvénient d'autoriser, fût-ce à petite échelle, des gaspillages de la ressource dans un contexte de raréfaction. En outre, il pèse sur la de la ressource dans un contexte de raréfaction. En outre, il pèse sur la trésorerie des organisations professionnelles, et souvent par contrecoup sur le contribuable. Dans ces conditions, la situation de la filière ne peut être considérée comme parfaitement stable, ni l'emploi comme durablement garanti.

Des marges de progression

L'évaluation met cependant en évidence plusieurs domaines où des améliorations de l'efficacité des actions publiques sont possibles, qui par contrecoup pourraient améliorer le contexte économique de la pêche française.

En premier lieu, la circulation de l'information peut être considérablement améliorée. Au-delà d'expériences encore très partielles et diversement appréciées par les acteurs de la pêche, il est possible de mettre en place une véritable information en temps quasi réel. Pour vendre sa production, il faut la faire connaître. C'est permettre une meilleure organisation de la distribution, un moindre recours aux importations, une diminution des retraits et destructions.

Ensuite, les actions de contrôle, essentielles dans un secteur où l'activité est limitée par des contraintes réglementaires, peuvent être rendues plus efficaces. Si la France est un des pays qui a le mieux respecté les engagements de réduction de la puissance de sa flotte -mais moins bien ceux de réduction du tonnage-, par contre elle n'est pas celui qui a le contrôle le plus performant. Les moyens sont inférieurs à ceux d'autres pays, et les sanctions trop faibles pour être vraiment dissuasives.

Par ailleurs, des marges de manoeuvre existent pour diminuer les charges de débarquement. Actuellement, le prix au débarquement en France est souvent plus élevé qu'ailleurs en Europe. Pour une part, l'excès de charges de débarquement s'explique par la dispersion des points de débarquement et des criées. Le nombre de criées en France est très élevé, plus que dans tout autre pays sauf l'Espagne. Il existe une marge de rationalisation du débarquement si l'on souhaite comprimer les coûts.

Plus généralement, les investissements effectués récemment en France dans les ports de pêche apparaissent peu sélectifs. Certes, beaucoup de l'effort accompli il y a quelques années -qui porte pour une bonne moitié sur les infrastructures et un quart sur les criées- était rendu nécessaire par la vétusté des installations. Il reste qu'aujourd'hui les investissements pourraient avantageusement être concentrés sur un nombre raisonnable de sites prioritaires.

Enfin, on peut attendre des résultats positifs des actions, encore peu avancées, menées pour labelliser les produits de la mer. Pour conclure, il reste des possibilités d'amélioration de l'efficacité de l'action publique, au service des deux objectifs prioritaires que constituent la préservation des ressources et l'amélioration de la compétitivité. Certes la situation de la pêche française apparaît fortement déterminée par le cadre de la politique communautaire. En ce sens, la façon dont la France pèsera sur les choix futurs, en essayant d'influer sur ses quatorze partenaires, est déterminante. Il est du reste indispensable qu'elle agisse comme force de proposition dans la perspective de la renégociation de la politique commune qui interviendra en 2002 qu'elle suggère des orientations en vue de préserver les ressources et d'améliorer la compétitivité de la filière.

Mais à côté de cet effort d'orientation de la politique européenne, dont les résultats sont d'autant plus aléatoires que le nombre d'États-membres croît, il y a place pour une politique nationale. Celle de la France est à certains égards originale, notamment en ce qui concerne les retraits. Ce modèle semble avoir assez bien fonctionné pendant la période de crise, même si celle-ci a pris les acteurs de court. En revanche, la question de sa pertinence en régime permanent peut légitimement être posée. Et à côté de cette question, des marges d'amélioration existent dans de nombreux domaines, dont les pouvoirs publics peuvent se saisir dans les années à venir. Ce sera nécessaire, car les ressources ne sont pas encore bien protégées, et seule une vigilance permanente permettra d'améliorer la compétitivité et la stabilité financière des maillons encore fragiles de la filière.

* 2 1 La suite de la présente introduction rassemble, de façon très agrégée et donc inévitablement simplificatrice, les grandes lignes des conclusions de la deuxième partie

du rapport

* 3 2 8,4 milliards de francs en tenant compte des cultures marines, qui n'ont pas été étudiées dans la présente évaluation

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