2. Les mutations économiques globales

2.1 Une offre atomisée face à une modification de la demande

L'atomisation traditionnelle des lieux de débarquement sur 40 criées et 1 500 points de débarquement est renforcée par une grande dispersion des opérateurs de la filière. Le grand nombre d'intermédiaires (criée, mareyeur, transformateur, transporteur, grossiste, distributeur, poissonnier) entre la première vente et la distribution du poisson est l'une des sources de complexité héritée du schéma local et historique des pêches maritimes françaises. Comparativement, la filière traditionnelle des céréales ou de la viande bovine comprend moins d'opérateurs (producteur, abattoir, marché d'intérêt national, grande distribution ou boucher).

Celui-ci entre pourtant de plus en plus en contradiction avec les mouvements d'organisation et de concentration que l'on observe pour la commercialisation des produits, en réponse avec les évolutions de la consommation. Quant à la demande des industries de transformation, elle se distingue des approvisionnements traditionnels par un recours fréquent aux importations. La filière est dominée par la demande : le partage de la valeur ajoutée issu de ce rapport de force est défavorable aux pêcheurs.

a) La consommation des ménages

La consommation totale en produits de la mer (domicile et restauration) en France est de 1,1 million de tonnes en poids net, soit environ 19 kg/an/habitant en 1996 (hors conserve). La restauration hors foyer absorbe le quart de la demande, alors que la consommation à domicile représente 808 000 tonnes annuelles de produits de la mer, pour un chiffre d'affaires correspondant de près de 40 milliards de francs, et connaît une nette augmentation depuis 1992

-Évolution de la consommation française en volume .

La France se situe au troisième rang européen devant l'Allemagne et la Grande-Bretagne, dont la consommation respective par habitant n'excède pas 11 et 18 kg/an, mais loin derrière le Portugal (43 kg/an/hab.) et l'Espagne (32 kg/an/hab.), alors que le Japon est le plus important consommateur, avec 70 kg/an/habitant.

Plus de la moitié de cette consommation concerne les produits frais (58 % en volume et 53 % en valeur 9 ( * ) ) et un quart les produits surgelés (22 % en volume et en valeur). La saurisserie (poissons fumés, séchés, salés et rayon traiteur) ne représente que 6 % du volume de la consommation, alors que les conserves, marquées par une stagnation persistante de la demande, en représentent environ 14 %. Après une diminution régulière de la consommation de poissons frais depuis le milieu des années 1980, le marché du frais est de nouveau en progression depuis 1994, alors que le prix à la consommation est relativement stable, voire décroissant : 51,15 francs en 1992 et 50,20 francs en 1995. Parallèlement, le marché des surgelés régresse depuis 1994 .

Évolution de la consommation de produits de la mer à domicile .

1992

1993

1994

1995

Poissons frais

205 535

204 456

206 378

222 868

Produits surgelés

170 327

177 140

171 825

167 691

(Source FIOM)

Au sein du groupe des produits frais, le classement en valeur de la consommation par espèce souligne l'importance du lieu noir, du merlan, du cabillaud, du saumon, de la (pêche + élevage) et de la sole. Les coquillages (essentiellement les huîtres et les moules), occupent aussi une grande place dans la consommation des ménages, avec respectivement plus de 70 millions de douzaines et près de 80 000 tonnes.

La consommation des produits de la mer n'est pas homogène, ni en volume, ni en type de produits, dans les différentes régions françaises. Les principaux consommateurs de produits frais se trouvent dans l'Ouest (indice 131 sur une base France de 100), dans le Sud (108) et en région parisienne (106) 10 ( * ) .

L'achat en produits de la mer peut être motivé par l'offre de « premiers prix », qui justifie souvent l'attrait pour le saumon frais ou les crevettes roses d'aquaculture, qui sont des produits phares de l'approvisionnement de la grande distribution à l'importation. À certaines périodes, les produits haut de gamme tels que la sole ou la coquille Saint-Jacques, dans la plupart des cas d'origine française, sont fortement demandés.

Le volume consommé dépasse largement la production nationale. Il en résulte un déséquilibre de la balance commerciale française en produits de la mer. Parallèlement au déséquilibre qui s'affirme entre la dispersion de l'offre et la concentration de la distribution, on observe une segmentation croissante des marchés. Les changements de comportement et d'attitude du consommateur sont des facteurs majeurs d'évolution. Celui-ci privilégie toujours les achats de produits frais, mais accorde une place de plus en plus grande aux gammes « traiteur » , ainsi qu'aux plats préparés surgelés. Ces produits « prêt-à-cuire » bénéficient d'une « image de service et de praticité pour tous les profils socio démographiques de consommateurs » 11 ( * ) . Le caractère pratique devient une exigence de plus en plus forte des consommateurs, car ils ont de moins en moins de temps pour cuisiner.

La progression récente 12 ( * ) de la demande profite davantage aux Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) qu'aux magasins spécifiques, malgré un fléchissement des prix au détail en poissonnerie.

Évolution de la demande de produits de la mer par gamme de produits et par circuits de distribution .

(1995)

Produits frais

Crustacés

Salés, séchés, fumés

Produits surgelés

GMS

55 %

58 %

84 %

65 %

Détaillants

23 %

21 %

5 %

31 %

Marchés

16 %

15 %

3 %

Autres

6 %

6 %

8 %

4 %

( Source FIOM )

b) Le renouvellement et la concentration des circuits de distribution

L'accroissement général des niveaux de consommation s'accompagne d'un renouvellement des opérateurs et des procédures de distribution, lié au développement des GMS. Les produits de la mer sont des produits nouveaux en GMS. On assiste à l'affirmation de circuits de distribution beaucoup plus regroupés que par le passé, à travers des centrales d'achat et des stratégies d'intégration verticale.

Certaines enseignes ont décidé de s'impliquer directement dans la production, la transformation ou la surgélation, en devenant propriétaires d'armements ou d'entreprises de mareyage ou les deux, de façon à maîtriser une partie de leurs approvisionnements. C'est le cas d'Intermarché, par exemple, qui a fait le choix d'une intégration totale en se portant acquéreur d'un armement (Pétrel), en reprenant un atelier de marée et de transformation (Captain Houat), ainsi que des conserveries. Dans d'autres cas, la stratégie vise une intégration partielle, avec la création d'une centrale d'achat spécialisée pour répondre à l'attente de la GMS. Le groupe Leclerc a ainsi créé sa propre centrale (SCAT Marée) en 1994. Celle-ci répond aujourd'hui à hauteur de 10 % environ du total de la distribution dans les magasins du groupe, principalement sur des espèces d'importation ou d'aquaculture, dont les volumes sont regroupés au niveau national. Les autres sources d'approvisionnement passent par des relations contractuelles directes avec les producteurs, qui demeurent néanmoins encore très réticents à passer des contrats avec les GMS.

Les exigences de ces GMS, qui représentent aujourd'hui plus de la moitié de la distribution du poisson frais sur le marché national (52 %), vont dans le sens d'une garantie d'approvisionnement à la fois quantitative et qualitative et d'une possibilité d'anticipation des livraisons en magasins cinq ou sept jours avant la distribution. Or, ces conditions ne sont pas nécessairement compatibles avec l'organisation éclatée des débarquements de la pêche fraîche française, la diversité des espèces, l'irrégularité des apports et la faiblesse des informations émanant des sites de débarquement. De plus dans certains ports, il peut exister un décalage entre les débarquements des navires concentrés le vendredi ou en début de semaine, et les ventes en magasins réalisées principalement en fin de semaine (environ 20 % des ventes le vendredi et 40 % le samedi). Les GMS ont besoin d'importantes quantités de produits de la mer en fin de semaine, et la production française ne peut pas répondre à cette demande. Le recours aux produits d'aquaculture et aux importations est l'une des solutions apportées par les centrales d'achat, alors que l'on reconnaît aujourd'hui l'effet dépréciateur sur les prix des promotions ponctuelles qui sont menées en grande partie grâce à ces sources d'approvisionnement.

On constate enfin que la persistance de certaines particularités dans le système de commercialisation, en particulier la faible circulation de l'information, pénalisent l'ensemble de la filière pêche. À l'échelle portuaire notamment, cet état de fait se traduit par une faible interaction entre producteurs et mareyeurs, alors que les centrales d'achat sont demandeuses d'une information qui leur est souvent refusée. Par manque de cohésion et par crainte de la concurrence, les pêcheurs et les professionnels du mareyage se privent souvent d'une connaissance anticipée des apports et de celle de la demande. Les démarches de prévision des débarquements et les expériences de prévente commencent seulement de fluidifier les circuits de commercialisation traditionnels. L'accès à l'information est cependant indispensable, notamment pour les GMS. La pêche française doit donc mieux s'organiser et accepter d'annoncer à l'avance ses débarquements, pour mieux répondre aux stratégies de vente des GMS.

c) Des besoins spécifiques aux industries de transformation

La transformation des produits de la mer concerne les conserves (thon, maquereau, sardine), les produits surgelés (entiers, filets, panés, cuisinés), les produits fumés, salés, séchés, marinés et divers produits, comme les plats cuisinés frais (salades de la mer, terrines, produits à tartiner)

Peu de chiffres permettent d'appréhender l'industrie de la transformation en France et les plus récents datent de 1992 : 391 entreprises employaient 8 643 personnes (contre 7 264 en 1988), pour une production de 230 000 tonnes et un chiffre d'affaires de plus de 10 milliards de francs, comparativement à la Grande Bretagne, où 284 entreprises emploient 13 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 15 milliards de francs. Le secteur de la transformation est un des points forts du secteur de la pêche en Grande-Bretagne, ce qui n'est pas encore le cas en France.

En France, trois grands groupes dominent : Saupiquet, Findus, Davigel. Les entreprises traditionnelles sont localisées sur la côte, essentiellement en Bretagne pour les conserveries, et dans le Nord pour la surgélation. Le marché des produits transformés est dominé par la conserve : sur une production globale de 230 000 tonnes, les conserves représentent près de 99 000 tonnes.

Il n'est pas permis, à partir de la construction des statistiques nationales, d'extraire la part de la production nationale écoulée par ce biais. Il est en revanche possible d'évaluer la part des produits d'importation dans l'approvisionnement des industries de transformation. Elle est conséquente, avec plus de 50 % de leurs matières premières.

Quelques données par gamme de produits sont disponibles, notamment sur l'industrie de la conserve, qui consomme 293 386 tonnes de poissons entiers (1994) et produit 98 812 tonnes de conserves (rapport de 1 à 3). Chez Findus, pour produire 15 000 tonnes de plaques surgelées, 50 000 à 60 000 tonnes de poissons entiers sont traitées (rapport de 1 à 3 ou 4). Si l'on applique le rapport de 1 à 3 constaté dans l'ensemble de l'industrie de la transformation, on obtient une demande minimale d'environ 700 000 tonnes de matières premières. Au total, les besoins en produits de la mer représenteraient environ 1,8 million de tonnes. En 1995, le montant des importations était de 803 000 tonnes. D'après Guillotreau, les importations de matières premières ont également représenté la condition sine qua non du développement d'une industrie de transformation en France.

La production française n'est pas en mesure de couvrir l'ensemble des besoins, notamment parce qu'elle est principalement orientée vers la vente directe de poisson frais, entier ou en filets. Or, les entreprises de transformation achètent de plus en plus des produits surgelés (thon, sardine, bloc de filets, surgelés mer). On observe d'ailleurs un développement des liens contractuels entre les entreprises de transformation et les armements de navires congélateurs.

De plus, la demande des transformateurs porte essentiellement sur des espèces qui ne sont pas produites par la flotte nationale (saumon, crevette, thon), ce qui explique aussi le recours aux importations. Enfin, ces industries ont besoin d'apports réguliers à des prix compétitifs que la production nationale ne peut pas leur assurer.

Face à des structures traditionnelles de production et de mareyage dispersées et fragiles, la demande en produits de la mer apparaît organisée, concentrée et, dans son contenu, différente de l'offre nationale. Il s'agit de l'une des explications du haut niveau d'importation qui affecte la balance commerciale française, principalement à l'initiative des professionnels de la grande distribution et des industriels de la transformation. C'est donc la demande qui domine sur le marché des produits de la mer : elle oriente le marché et tire les prix vers le bas (cf. tableau p 27). Entre le filet du pêcheur et l'assiette du consommateur, le prix est multiplié en moyenne par 3,5. En 1995, le prix moyen au débarquement était de 13,32 F/kg et le prix à la consommation de 45,32 F/kg. L'analyse des marges des différents intermédiaires (cf. partie II) montre que les marges les plus importantes se font au stade de la vente finale. Les mareyeurs et les grossistes ont des marges relativement faibles : 15 % pour les mareyeurs et 12 % pour les grossistes. Ceci explique aussi les difficultés financières que connaissent certaines de ces entreprises. Les marges des mareyeurs peuvent cependant être améliorées par la transformation du poisson (préparation en filets, en darnes, meilleure présentation du produit, etc.). Les marges des centrales d'achat sont de 6,10 %. Celles des rayons marée des GMS atteignent 25 % et celles des poissonniers 35 %. Le cumul des marges des centrales d'achat avec les marges des rayons de GMS équivaut aux marges des poissonniers s'approvisionnant chez un grossiste. Ces marges peuvent ensuite varier en fonction des circuits de distribution empruntés et du travail de transformation effectué. Plus le circuit est court et plus le poisson est transformé, plus les marges en amont de la filière sont élevées.

2.2 L'internationalisation croissante des marchés

On assiste à une intégration croissante du secteur de la pêche au système économique international. Elle se manifeste par la mondialisation des marchés et des économies, la pénétration des mécanismes marchands dans les fonctions d'allocation et de distribution.

a) Les échanges français sont marqués par un recours fréquent aux importations.

L'internationalisation des échanges n'est pas un phénomène nouveau. Le taux d'internationalisation était déjà de plus de 60 % en 1982. Il a continué à croître jusqu'en 1991, où il a atteint son maximum : 76,1 %. Depuis 1993, le taux d'internationalisation s'est stabilisé autour de 75 %.

La forte pénétration du marché intérieur, régulièrement incriminée par les professionnels, est principalement motivée par la croissance de la consommation. Parallèlement, les mouvements d'exportation de produits de la mer restent limités. La France est le troisième plus gros importateur mondial de produits de la mer. En revanche, elle ne se classe qu'au 13 ème rang des exportations.

La structure de production des pêches maritimes françaises fait, en effet, apparaître une insuffisance de l'offre nationale (près de 870 000 tonnes en 1996) au regard de la demande exprimée par les consommateurs (1,1 million de tonnes) et les industries de transformation. Au total, les besoins en produits de la mer représenteraient environ 1,8 million de tonnes, soit un recours aux importations rendu nécessaire pour plus de la moitié de la demande (cf graphique).

Inadéquation quantitative entre l'offre et la demande
en produits de la mer
.

(Source CNPMEM)

Le déficit de la balance commerciale française s'est confirmé en 1996 (11,5 milliards de francs) et le taux de couverture reste faible, aux alentours de 30 %. La situation de la balance commerciale, qui semble se stabiliser depuis le début des années 1990, masque cependant des évolutions contrastées que l'on peut mieux cerner par une analyse des flux par produit et par région d'importation.

Au cours des années 1990 à 1995, la part des produits frais a baissé dans les exportations totales. La part du poisson frais est ainsi passée de 42 % en 1992 à 30 % en 1995. Le même constat peut être formulé pour les crustacés (de 12% à 8,7%). Inversement, la proportion de produits surgelés a considérablement augmenté, notamment pour les poissons (de 13 % à 20 %). En ce qui concerne les importations, les évolutions sont opposées : augmentation de la part des produits frais, notamment pour les poissons (de 17 % à 23 %) et baisse de la part des produits transformés (de 12,7 % à 5,1 %). La France exporte donc de plus en plus de produits transformés et importe davantage de matières premières

Une analyse plus fine des espèces importées montre que peu de produits étrangers viennent directement concurrencer les débarquements français. En effet, les quatre principales espèces importées (50 % de la valeur des importations de produits de la mer) sont la crevette, le saumon, le thon et le cabillaud. Dans les deux premiers cas, il s'agit d'espèces que l'on trouve rarement dans les eaux communautaires. Pour le cabillaud, la production française est très insuffisante, avec 16 093 tonnes en 1994, alors que la seule consommation à domicile représentait 37 290 tonnes, auxquelles il faut ajouter les besoins de la consommation hors foyer et des industries de transformation.

Le thon constitue un cas particulier. C'est l'espèce la plus importée en volume, avec 104 500 tonnes en 1995, la plus produite en France (178 000 tonnes) et la plus exportée (174 236 tonnes). Les exportations concernent essentiellement des produits congelés à destination des conserveries étrangères et du frais (thon germon, thon rouge) et les importations des conserves en provenance de Côte d'Ivoire, du Sénégal et de Madagascar. La balance commerciale pour le thon est fortement déficitaire. Le déficit s'est aggravé depuis 1995 en raison notamment de la forte hausse du prix des importations de conserves.

Concernant la géographie des échanges français, les évolutions sont moins tranchées : l'Union européenne reste le premier partenaire de la France à l'exportation comme à l'importation. La France continue par ailleurs à jouer un rôle de pays intermédiaire en Europe : importation de produits en provenance d'Europe du Nord (Danemark, Royaume-Uni, Pays-Bas) et exportation vers l'Europe du Sud (Espagne, Italie). Les autres pôles principaux d'échange sont l'Afrique et l'Asie.

Les évolutions les plus frappantes concernent la montée de certains pays d'Amérique du Sud, comme le Chili, qui deviennent fournisseurs de la France (la part de l'Amérique du Sud est passée de 4 % à 6 % entre 1988 et 1994 dans les importations françaises).

On observe, de façon symétrique, le développement de certains marchés à l'exportation pour la France (l'Asie et l'Afrique), alors que ces derniers étaient jusque là principalement fournisseurs. Ceci se traduit par une réduction de la concentration géographique des exportations françaises : la part des cinq premiers pays clients 13 ( * ) est passée de 74 % en 1991 à 62 % en 1995.

Au-delà de l'accroissement sensible du commerce international, il est important de souligner que c'est un commerce intra-branches qui s'effectue entre les pays, voire, mais d'une façon moins systématique, un commerce entre « semblables ». Yves Perraudeau constate ainsi que « les principaux pays exportateurs sont aussi les principaux importateurs » .

L'analyse des flux d'importation français montre qu'il n'est pas possible de se priver de cette source d'approvisionnement, mais qu'il faut reconnaître leur effet sur la baisse des prix, notamment pour les espèces internationalisées, comme le thon ou le cabillaud. Une étude économétrique 14 ( * ) concluait « qu'en l'absence d'importation de cabillaud frais, le prix de ce poisson en France, au premier trimestre 1986, aurait été de 16 % supérieur à celui observé » . Il y a, dans ce cas, convergence des prix nationaux vers un prix défini internationalement.

D'une manière générale, l'augmentation de la pénétration du marché intérieur, liée à la croissance de la demande, s'est traduite par des pertes de marché sur certains points forts 15 ( * ) . La part des produits frais dans les exportations diminue depuis 1992. De 42 % en 1992, elle est passée à 30 % en 1995. Et inversement, la part des produits frais dans les importations a augmenté de 17 % en 1992 à 23 % en 1995. D'autres espèces connaissent cependant des évolutions plus positives, comme les crustacés et les mollusques, qui restent certes très dépendants des importations, mais pour lesquels la compétitivité ne se dégrade plus. Enfin et surtout, les évolutions les plus encourageantes sont observées pour les poissons surgelés et plus généralement pour l'ensemble des produits transformés.

En conclusion, des changements semblent se profiler quant à la place de la France dans le commerce international des produits de la mer. Ces changements sont essentiellement liés à la croissance des produits transformés dans la production et les exportations françaises. Cette spécialisation naissante nécessitera des adaptations de la part des acteurs de la filière et une vigilance quant à la compétitivité, afin d'asseoir la place du secteur français dans la concurrence internationale.

Les importations composent un complément indispensable à la production nationale. Il ne semble pas pertinent de chercher à en réduire les flux, mais plutôt de viser une politique de différenciation des sources d'approvisionnement des produits proposés aux consommateurs et de chercher une source de profit dans la transformation des produits d'importation à bas prix en vue de leur réexportation.

b) Les fluctuations monétaires

Comme pour de nombreuses matières premières, les fluctuations monétaires intervenues ces dernières années au sein de l'Union européenne ont considérablement aggravé les déséquilibres constatés dans les échanges de produits de la mer entre États membres. Elles ont eu pour conséquence immédiate de privilégier certains pays, par rapport à d'autres, pénalisés par une monnaie surévaluée en termes effectifs, comme la France.

Les flux d'exportation de produits de la pêche français sont tournés pour une part importante (environ le tiers de la production nationale) vers l'Espagne et l'Italie. Ces marchés, très rémunérateurs jusqu'à une période récente, sont traditionnellement demandeurs de qualité. Les dévaluations monétaires intervenues en Espagne et en Italie ont donc gravement affecté la compétitivité de la production nationale. Dans le même temps, la livre britannique permettait aux produits originaires de Grande-Bretagne, principal fournisseur de la France, à la fois d'accentuer leur pénétration sur le marché français et de concurrencer les exportations vers ces pays du Sud de l'Europe. Les importations en provenance de la Grande-Bretagne sont constituées principalement de saumons, de langoustines, de coquilles St Jacques et de baudroies. Selon les données du FIOM, les réductions du prix moyen, dues à la dépréciation de la livre, ont été de 8 % pour la langoustine, 15 % pour la coquille St Jacques et 16 % pour la baudroie. De plus, du fait de la concurrence des produits britanniques, la perte de chiffre d'affaires réalisé à l'exportation en Espagne sur certaines espèces est importante : -37 % pour le merlu, -30% pour la baudroie.

La perte estimée du chiffre d'affaires à l'exportation vers l'Espagne pour la période 1991-1994 a ainsi été de 17 %, pour une baisse du prix moyen de 31%. Pour le marché italien, sur la même période, la perte de compétitivité de la production française s'est traduite par une diminution du prix moyen de l'ordre de 26 % et par une forte réduction des volumes exportés (-34%), provoquant une baisse importante du chiffre d'affaires réalisé par les entreprises françaises d'exportation (-52%).

La surévaluation du franc contre les devises espagnoles, italiennes et britanniques était importante en 1995 (de 15 % et 35 % au début de l'année 1995, selon la Société française d'assurance crédit (SFAC)). Le jeu de la concurrence par rapport aux clients étrangers est donc faussé par cette distorsion de change, qui avantage notamment les produits d'importation britanniques (importations dites « sauvages » 16 ( * ) de tourteaux et de langoustines d'Écosse, de saumon irlandais...). Les niveaux de la livre et la peseta ont récemment remonté et jouent moins en défaveur des producteurs français

2.3 Il en est résulté une baisse générale des cours à la première vente

La baisse des prix du poisson, malgré la raréfaction globale de la ressource, est plus ou moins vérifiée selon les espèces et les périodes. Toutefois, la cyclicité des prix caractérise de nombreuses matières premières (sucre, café, céréales), sans que cela conduise à des crises. Dans le secteur des pêches, la situation financière des entreprises était déjà fragile et la baisse des prix à précipité les cessations de paiement et les faillites.

Évolution des prix moyens des produits de la mer depuis 1980 sous criée (hors culture marine) .

1980

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

Prix F/kg

12,00

11,78

10,89

11,05

10,58

9,68

9,56

9,66

(Source Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation).

Autour de la baisse tendancielle du prix du poisson, il existe des variations brutales et ponctuelles qui peuvent faire descendre les prix en dessous du seuil moyen de rentabilité, comme en 1993 et 1994 pour la pêche fraîche française. On peut noter la récente remontée des cours depuis 1995, confirmée en 1996.

Les modalités actuelles d'adaptation des producteurs à ces évolutions traduisent le manque de rentabilité de nombreuses activités et l'ampleur des difficultés rencontrées par les pêcheurs. Elles se manifestent par une augmentation sensible du nombre de jours passés en mer, destinée à compenser la baisse des prix, et par le lancement de campagnes de reconversion sur de nouvelles pêches, selon un objectif de recherche de nouveaux débouchés.

Un problème particulièrement important découle de l'opposition entre la gestion des stocks selon la politique communautaire et le principe, ancré dans l'organisation du marché, de liberté d'approvisionnement du marché. Alors qu'autrefois les pertes dues à un fléchissement des prix pouvaient être compensées par une augmentation des tonnages débarqués, il n'est plus possible de raisonner ainsi du fait des limites posées par les quotas et la ressource elle-même.

Les pêcheurs incités à pêcher plus, donc plus longtemps, pour compenser le manque de prix, courent le risque, outre de voir s'aggraver l'état des stocks exploités, d'accélérer le rythme de consommation des quotas au cours de l'année civile. Les fermetures de pêche de plus en plus courantes, dès l'été ou l'automne, sont révélatrices de cette tendance. Depuis le 25 juillet 1997, les pêcheries de sole, de plie et de maquereau sont fermées dans certaines zones du CIEM 17 ( * ) .

D'une manière générale, l'aggravation des conditions de mise en marché à la première vente est autant à rechercher dans l'internationalisation du marché des produits de la mer, que dans la politique de surinvestissement de la décennie 1980 et les lacunes du système de commercialisation de la production nationale.

Importations françaises de produits de la mer par espèce en 1995

Exportations françaises de produits de la mer par espèce en 1995

* 9 Source : Secodip, 1994.

* 10 Régions de consommation d'après définition SECODIP (8 grandes régions françaises) .

* 11 Meurou Ch. 1996 .

* 12 Le marché des produits de la mer n'augmente que depuis 1993-1994, après avoir été orienté à la baisse depuis 1986.

* 13 L'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, la Belgique et la Côte d'Ivoire.

* 14 Meuriot, Gilly, 1987

* 15 D'après Bernard P. Guillotreau P. et Péridy N., 1997 .

* 16 1 C'est-à-dire à des prix inférieurs aux prix de référence fixés dans le cadre de la PCP .

* 17 Conseil international pour l'exploration de la mer.

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