CHAPITRE 4 - ÉTAT ET LITTORAL, MEFAITS D'UNE RÉGULATION MAL CONDUITE

1. L'acquisition foncière publique : un outil performant de mise en valeur intégrée du littoral ?

En première partie, nous avons observé que l'ampleur et la forme prise par l'urbanisation sur le littoral pouvaient menacer à terme, non seulement sa richesse environnementale et l'intégrité de ses paysages, mais aussi son potentiel économique.

Un calcul simple illustre ce constat : en rapportant les 16 000 résidences secondaires construites chaque année sur le littoral aux 5 500 km de côtes existantes, on aboutit, en moyenne, à une maison supplémentaire par an tous les 300m.

Certes, l'intégralité des 16 000 résidences secondaires qui nous servent d'étalon ne se construisent pas le long du rivage, loin s'en faut, et des mesures ont déjà été prises pour empêcher l'appropriation privée d'un bien considéré comme public : le rivage, la proximité de la mer et l'agrément qu'elle procure.

Nonobstant, le problème de l'aménagement du littoral réside effectivement dans la contradiction entre l'attirance des Français pour la mer et les conséquences qu'entraîne la matérialisation de cette attirance : la disparition du plaisir que procure sa fréquentation.

On ne peut justifier plus simplement la nécessité d'une politique coordonnée de gestion du littoral.

1.1 Problématique du marché foncier du littoral

La dynamique du marché foncier du littoral est aisée à schématiser : deux groupes de forces s'y opposent :

- l'un, réunissant des particuliers, des investisseurs privés et des pouvoirs publics, dont des collectivités territoriales, a pour objectif d'acquérir du terrain pour y construire ou y faire construire ;

- l'autre, réunissant des associations, des démembrements de l'État et des collectivités territoriales, acquiert des terrains avec l'objectif avoué de les soustraire à l'urbanisation, et d'en assurer une mise en valeur environnementale.

Les espaces qui, aujourd'hui, ne correspondent à aucun de ces deux objectifs, les espaces agricoles notamment, sont l'objet de la lutte entre ces deux forces.

Cela amène à poser la question suivante : l'avenir du littoral français, dont il faudrait, par ailleurs, définir l'épaisseur, est-il d'être partagé en deux entités : espace naturel protégé/espace urbanisé ?

Cette question en introduit d'autres :

- quels sont les mécanismes qui aboutissent à un tel partage, la richesse du littoral étant précisément la multiplicité des activités susceptibles d'y coexister ?

- si ce partage a lieu, en faveur de qui s'effectuera t-il, et quels sont les doyens pour influer en faveur de l'une ou de l'autre force ?

- quelle alternative doit-on et peut-on proposer à ce duel foncier ? Joseph Comby, au cours d'un atelier du Conservatoire du Littoral, a proposé l'analyse suivante du marché foncier sur le littoral.

« Qu'il s'agisse du littoral ou de la France profonde, l'espace naturel est tiraillé entre trois logiques économiques.

Il existe tout d'abord le marché de l'espace naturel, qui est acheté comme un bien de production. C'est le marché des terres agricoles et assimilées. L'espace y vaut 2 francs le mètre carré. Un tel chiffre permet tout de suite de comprendre que ce type de marché n'existe plus qu'à l'état de trace dans les communes du littoral, et, si des activités agricoles y subsistent encore, par endroit, c `est en dépit du prix des terres et non pas grâce à lui.

Le deuxième marché est celui de l'espace naturel, appréhendé comme un bien de consommation. La valeur de cet espace ne dépend pas de ce qu'il va rapporter avec ce que l'on peut produire dessus, mais n'est que la mesure du plaisir qu'il procure. Il ressemble un peu, sur le plan des mécanismes économiques, au marché de l'art.

Sur le littoral, ce marché est évidemment très présent. La satisfaction que procure à son propriétaire la possession d'un terrain au bord de la mer est généralement évaluée par l'intéressé à des niveaux beaucoup plus élevés que celui de sa valeur agricole. Car on n'achète pas seulement un terrain, on achète tout son environnement, la mer avec.

Enfin le troisième type de marché est celui où l'espace naturel est saisi comme la matière première d'un processus de fabrication de terrains à bâtir . La valeur de cet espace va dépendre essentiellement des politiques foncières mises en oeuvre. »

Sur l'espace littoral non encore urbanisé, le troisième marché est devenu le marché dominant. Chacun est convaincu qu'un terrain inconstructible n'est jamais qu'un terrain pas encore construit. Cette logique n'est d'ailleurs pas propre au littoral, mais à la France entière. Tout acquéreur de terrain à proximité du rivage a alors en perspective, à une échéance plus ou moins lointaine, l'idée d'obtenir un changement de réglementation. Le manque de pérennité des documents d'urbanisme, les incertitudes des jugements des tribunaux dans le cadre de l'application des lois, telle que la loi littoral, sont venus renforcer cette conviction 92 ( * ) .

À partir d'un tel constat, dont on ne peut pas se satisfaire, quelles sont les stratégies, les moyens d'action envisageables ?

Le seul levier d'action porte sur les moyens de construire une maison sur le littoral : disponibilité foncière, droit à construire.

Avant d'analyser et d'évaluer ces conditions, on notera tout d'abord qu'aucune réglementation n'est vraiment totalement efficace. Le littoral est en effet marqué, et ce depuis plusieurs décennies, par le développement de formes d'habitat précaire, sous forme de cabanons, de caravanes, de mobil-homes, etc. qui, de par leur caractère informel et évolutif, se montrent très résistantes aux différentes tentatives de réglementation de l'utilisation de l'espace (en particulier, la loi littoral n'a pas empêché leur prolifération).

Ces formes d'habitation ignorent les conditions énoncées :

- elles s'édifient parfois illégalement sur un terrain qui n'est pas la propriété du constructeur, et qui est d'ailleurs fréquemment partie du domaine de l'État (notamment la plage) ;

- elles ignorent naturellement les droits et les règles de la construction ;

- elles sont édifiées progressivement, selon les moyens disponibles.

Nous n'ignorons pas qu'à terme, ces formes de construction provisoires peuvent engendrer des formes d'urbanisation pérennes, mais, cependant, le processus est long, et passe obligatoirement par une officialisation des pouvoirs publics, le plus souvent à l'échelon communal. Dans la majorité des cas, l'éradication de ces lotissements informels dépend essentiellement de la volonté politique, comme l'illustre le cas de la plage des Saintes-Maries-de-la-Mer, nettoyée lors de la création du Parc Naturel de Camargue et non recolonisée depuis. Des contre-exemples comme celui de l'Anse de Beauduc 93 ( * ) renforcent ce point de vue.

Ces conditions sont-elles réunies et pourquoi ?

1) Y a t-il de l'espace non bâti susceptible d'être acquis par un propriétaire privé sur le littoral français ?

La réponse est sûrement 94 ( * ) oui, et en très grande quantité. En dépit de la forte urbanisation du littoral observée au cours des dernières décennies, les réserves foncières privées demeurent importantes. Sauf secteurs soumis au droit de préemption (départements ou Conservatoire du littoral), ces terrains peuvent circuler sur le marché foncier.

2) Ce propriétaire privé bénéficie t-il d'un droit à construire ?

L'examen des POS des communes littorales, le plus souvent non conformes à la loi littoral, montre que, dans de nombreux cas, les possibilités d'extension de l'urbanisation sont encore importantes. Les études préalables au lancement de la DTA Alpes-Maritimes, notamment, avaient démontré que, dans les communes littorales et rétro-littorales de ce département, une part majoritaire des terrains non construits étaient classés constructible. Si l'on examine le cas des communes littorales du Var, on constate le partage suivant :

- zones urbanisées, 40 000 ha ;

- zones protégées ND 50 000 ha, dont 20 000 sont effectivement protégés par des mesures spécifiques garantissant un classement définitif ;

- zones NC agricoles 20 000 ha.

Même dans ce département considéré, avec les Alpes-Maritimes, comme perdu pour la cause, la lutte entre les deux forces s'exerce donc sur un total de 50 000 ha (zones NC plus zones ND réversibles).

La raison de cette existence de droits à construire est simple : la politique d'urbanisation est une compétence communale. Certes la loi littoral s'impose aux communes. Mais, outre le fait que nombre de POS n'ont pas encore été mis en conformité avec la loi, l'application de celle-ci n'empêche pas l'existence de zones Na dans les POS, y compris à l'intérieur de la bande des 100m (possibilités d'extension à partir de l'urbanisation existante). Les mesures les plus coercitives concernent la préservation des espaces naturels, ce qui signifie que l'urbanisation peut se développer jusqu'à ce qu'elle mette en cause cette préservation. Seules les communes d'ores et déjà très urbanisées (type littoral varois) ont atteint cette limite 95 ( * ) .

Les instruments réglementaires, dont dépendent la capacité des pouvoirs publics de maîtriser l'usage des sols, sont-ils suffisants ? Selon J. Comby : « Les instruments réglementaires nous les avons tous. Nous disposons de tous les moyens réglementaires envisageables pour contrôler le prix des terrains, surveiller l'évolution de l'utilisation des sols , organiser le futur et le projeter Jans l'espace » . Ce sont donc les conditions de leur mise en oeuvre qu'il convient d'étudier.

Deuxième voie possible, l'action foncière directe repose sur un raisonnement simple : puisque c'est le marché qui progressivement fait monter la pression pour la transformation de l'usage des sols, il faut que les collectivités

Publiques achètent ces terrains pour les soustraire à toute tentation et les préserver.

Donc :

- soit l'État et les collectivités publiques parviennent à maîtriser le marché foncier au travers des instruments de régulation existants,

- soit l'État et les collectivités publiques interviennent directement sur ce marché en devenant propriétaire de terrains littoraux suffisamment nombreux pour permettre une politique d'ensemble.

Nous examinerons dans cette partie la politique de maîtrise foncière, dans la suivante celle de la mise en oeuvre des instruments de régulation de l'usage des sols.

1.2 Les moyens d'acquisition foncière de l'État et des collectivités

1.2.1 Acquisition foncière publique et protection

Il convient de ne pas assimiler acquisition publique et protection environnementale. Les interventions des pouvoirs publics n'ont pas forcément pour but la protection, et, sur le littoral, la création et les réalisations des missions Racine et d'aménagement de la côte aquitaine (MIACA) l'illustrent éloquemment 96 ( * ) .

Aux Pays-Bas, une stratégie de maîtrise foncière totale a pour premier objectif l'aménagement. Les collectivités locales sont en situation de monopole pour l'achat de tous les espaces naturels à transformer en terrain à bâtir, et les revendent après y avoir inclus l'ensemble des coûts des équipements nécessaires. Elles excluent ainsi toute possibilité de mitage, et la valeur des terrains reste proche de celle de l'espace agricole.

Le cas britannique est inverse, puisque ce sont des associations qui, grâce à des subventions de particuliers, sont parvenus à protéger une large partie des côtes du Royaume-Uni.

Pour en revenir au cas français, outre certains pouvoirs publics, des intervenants privés, notamment des associations, agissent spontanément en faveur de la protection de l'environnement, qui n'est donc pas un monopole public. Cependant, en raison des coûts d'une politique foncière, les capacités d'action de ces associations se révèlent très restreintes 97 ( * ) . Dans les faits, seuls les pouvoirs publics ont les moyens d'intervenir efficacement.

La propriété publique est dévolue à plusieurs usages 98 ( * ) . Il n'existe aucune raison de penser qu'il suffit qu'un terrain soit public pour qu'il soit systématiquement préservé.

Trois opérateurs publics, aux statuts très divers, ont développé une importante maîtrise foncière sur le littoral, avec comme objectif une mise en valeur environnementale :

- le CELRL détient 50 000 ha, soit près de 10 % du linéaire côtier métropolitain ;

- l'ONF, bien que moins connu comme intervenant, gère un patrimoine foncier appartenant à l'État, supérieur en superficie, et comparable en linéaire côtier, à celui du CELRL : 411 km de côtes relèvent du régime forestier (par ailleurs, l'ONF gère 77 km de côtes appartenant au CELRL) ;

- il convient d'ajouter à ces deux domaines 100 km de linéaire côtier acquis par les départements au titre de la Taxe Départementale sur les Espaces Naturels Sensibles.

C'est donc au total plus de 900 km de côtes qui sont ainsi protégés, soit près de 20 % du linéaire côtier 99 ( * ) . En considérant que ces propriétés correspondent à des zones non urbanisées ou mitées, c'est le tiers du linéaire côtier naturel dont la maîtrise foncière est assurée 100 ( * ) .

Au-delà de l'examen du mode de gestion développé dans ces espaces, l'objet de cette section est de déterminer :

- si cette maîtrise foncière a permis la préservation des espaces naturels de qualité ;

- si elle a constitué un handicap pour le développement économique des territoires concernés.

1.2.2 Le Conservatoire de l'Espace Littoral et des Rivages Lacustres (CELRL).

Il a pour mission de mener une politique foncière de sauvegarde des espaces naturels les plus sensibles et les plus convoités sur le littoral et les rivages des lacs de plus de 1 000 ha. Son domaine s'étend à l'ensemble des cantons littoraux et aux communes riveraines de ces lacs 101 ( * ) , soit 11 régions, 26 départements, 495 cantons et 2360 communes. À ceci, il convient d'ajouter 7 régions et 16 départements « intérieurs ». En superficie, l'aire de compétence du Conservatoire couvre un peu plus de 4 milliards d'hectares en métropole.

Sa création a été proposée par le rapport Piquard, qui prenait exemple sur le National Trust britannique, et considérait que seule une maîtrise foncière permettrait une protection efficace des espaces naturels menacés.

L'ensemble des acteurs du développement du littoral dressent un bilan favorable de son action. Le débat porte moins sur son existence et sa mission, que sur la destination des terrains acquis par le Conservatoire.

Au 1er Janvier 1997, le Conservatoire a acquis 370 sites représentant 50 000 hectares et assurant la protection de 690 km de rivages (dont 541 km en rivages maritimes métropolitains).

Ces acquisitions représentent, entre 1976 et 1996, 1 612 MF 102 ( * ) en francs durants. Le Conservatoire possède 9,1 % du linéaire côtier (8,8 % du linéaire métropolitain) et 0,87 % de la surface correspondant à ses compétences.

Les terrains acquis par le Conservatoire sont dans la grande majorité des cas gérés par les collectivités territoriales (communes et départements). La surveillance des espaces du Conservatoire est effectuée par 130 gardes début 1997. Ce nombre augmente actuellement de dix par an.

Le fonctionnement du Conservatoire est assuré par 36 personnes, effectif qui n'a pratiquement pas varié depuis 1982. Du personnel supplémentaire est fourni par les départements. Les moyens financiers du Conservatoire consistent, pour l'essentiel, en une dotation budgétaire de l'État. Les collectivités locales assument la charge de la gestion des terrains du Conservatoire et, dans certains cas, les départements contribuent à leur acquisition.

L'État a manifesté sa volonté de maintenir sa dotation dans le futur à un niveau comparable à celui des trois dernières années. Les dotations en autorisations de programmes ont atteint 95 MF en 1980 et 1981, et, après une forte baisse, 135 MF en 1994. En francs constants, le budget d'investissement pour 1994 est inférieur de 29 % à celui de 1980.

Au cours des deux dernières années, l'action du Conservatoire a été l'objet de deux expertises : l'une de la Cour des Comptes, l'autre de l'OCDE 103 ( * ) .

La Cour des Comptes a notamment critiqué le mode de mise en valeur et de gestion des terrains acquis.

Selon la loi de 1975, la gestion des terrains acquis est confiée en priorité, si elles le demandent, aux collectivités territoriales. Le Conservatoire assure son rôle de propriétaire en prenant en charge les investissements. La Cour évoque deux cas pour lesquels le désengagement des collectivités responsables des terrains conduit à leur dégradation.

TABLEAU 5
DOTATION DU CONSERVATOIRE DU LITTORAL DE 1977 A 1996

Source : Conservatoire du Littoral

Lorsque les collectivités ne demandent pas à assumer cette responsabilité, le Conservatoire peut s'adresser à des associations spécialisées agréées à cet effet ou à des exploitants agricoles.

L'insuffisante mise en valeur du domaine propre du Conservatoire correspond à des lacunes dans les outils de gestion de ces sites. Actuellement, des plans de gestion n'existent que pour la moitié d'entre eux.

Le Conservatoire lui-même n'a pas les moyens d'un suivi permanent du fait de la faiblesse des effectifs de ses délégations régionales, ni de véritable capacité interne d'expertise et de conseil au gestionnaire. Une gestion active nécessiterait des moyens plus adaptés. Il y a aujourd'hui 130 gardes pour un peu plus de 300 sites, alors que les trois quarts justifieraient le recrutement de gardes à temps plein, et pour certains plusieurs gardes.

La Cour conclut ainsi :

« Les observations qui précèdent ne doivent pas ternir le bilan dans l'ensemble positif de l'action du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, qui a pu, avec des moyens limités, assurer la protection définitive de nombreux sites remarquables des côtes françaises. Sa politique d'acquisition devrait à l'avenir être conduite selon des priorités plus nettement définies, ce qui suppose que l'État assume pleinement son rôle dans l'application de la loi de 1986 sur le littoral. En outre, les objectifs de mise en valeur des sites et d'accueil du public deviennent désormais essentiels ; pour les atteindre, les outils et les méthodes de gestion des sites devront être adaptés, en concertation avec les collectivités intéressées ».

L'OCDE considère pour sa part que le Conservatoire du littoral apparaît comme une grande réussite de la France en matière de gestion des zones côtières, car il crée les protections fortes dont les espaces côtiers sensibles ont besoin face à la spéculation foncière et aux difficultés de faire appel aux outils réglementaires et de faire respecter les POS. Les acquisitions, après 20 ans, de 9 % du linéaire côtier et de 0,9 % de la zone de compétence potentielle du Conservatoire sont un premier succès important. Acquérir plus de 20 % du linéaire côtier est un objectif compatible avec les objectifs généraux d'une politique intégrée des zones côtières.

Le rapport de l'OCDE ajoute que si le taux d'intervention du Conservatoire était augmenté, il pourrait mettre hors d'atteinte un pourcentage de linéaire côtier égal ou supérieur à celui qui est urbanisé chaque année. D'une manière générale, il s'interroge sur le déséquilibre grave entre les moyens des organes chargés de préserver les zones côtières et ceux mis en jeu dans l'ensemble des processus fonciers et immobiliers.

La pertinence de la mission affectée au Conservatoire et son efficacité -compte tenu de ses moyens- ne sont donc pas remises en cause Objet, à l'origine, d'une certaine méfiance de la part des collectivités locales, le Conservatoire du Littoral a su tisser un réseau de partenariats associant services de l'État, collectivités territoriales et partenaires privés. L'efficacité de ce réseau est démontrée par la rareté des cas de contentieux impliquant le Conservatoire.

La gestion des terrains acquis apparaît comme le seul motif réel d'insatisfaction. Si les objectifs initiaux sont clairs (protection, mise en valeur et accueil du public), dans la pratique, nombreux sont les cas où ils sont inappliqués. On aboutit même à certaines aberrations, comme dans le cas, cité par le professeur Ramade, d'une parcelle de marais riveraine du Parc Naturel de Camargue, acquise par le Conservatoire, confiée à une collectivité qui en confie elle-même l'entretien à un paysan, lequel transforme la parcelle en rizière.

Au cours d'un atelier du Conservatoire, le délégué général de Rivages de France (l'association qui regroupe l'ensemble des gestionnaires de terrains appartenant au Conservatoire du Littoral) soulignait cette relative confusion dans la gestion effective des terrains : « Les gestionnaires en charge des terrains du Conservatoire sont très nombreux et le Conservatoire n'a aucun lien direct avec certains. C'est ainsi que, dans le Calvados par exemple, le Conservatoire a signé une convention de gestion avec le Syndicat mixte des espaces naturels, lequel syndicat a, à son tour, confié la gestion des différents terrains à des syndicats intercommunaux, à des communes, voire même à des associations. À ce dispositif déjà complexe, viennent se greffer des gestionnaires sectoriels comme les agriculteurs qui ont en charge une partie de la gestion sur une partie du site » 104 ( * ) .

On comprend que, dans ces conditions, il est difficile d'appliquer une stratégie d'ensemble, d'autant plus difficile à appliquer que la nature et la taille des terrains acquis sont extrêmement variables, et ne permettent pas toujours une véritable mise en valeur.

1.2.3 La Taxe Départementale des Espaces Naturels Sensibles (TDENS)

Cette taxe, instituée par la loi de 1985, est facultative. Son objectif est de profiter du développement urbain pour financer la gestion des zones à protéger.

Les deux tiers des départements l'ont instituée, soit sur l'ensemble du département (cas le plus fréquent), soit sur des zones repérées 105 ( * ) . Tous les départements du littoral métropolitain ont instauré cette taxe, à l'exception de l'Eure.

La TDENS touche la construction neuve, la reconstruction ou les agrandissements de bâtiments de toute nature 106 ( * ) , selon des taux compris entre 0 et 2 % (fourchette autorisée par la loi), et est perçue sur la délivrance des permis de construire 107 ( * ) . Les départements peuvent instituer des zones de préemption. Les sites ainsi acquis ont vocation à être protégés et ouverts au public La recette peut être affectée à la protection de l'environnement, mais aussi à la gestion d'espaces naturels

Le produit de la TDENS a été de 502 MF en 1995, dont 268 MF pour les départements littoraux. Le revenu moyen est de 6,5 MF par an, mais peut aller de 2 à 15 MF. Il faut noter que les départements les plus pauvres en taxe sont aussi ceux qui ont le plus d'espaces sensibles et le moins de foyers fiscaux, puisqu'ils ont peu d'habitants et peu de constructions. 1/4 des départements collectent 60 % de la somme totale.

L'article L142-2 dispose que cette taxe tient lieu de participation forfaitaire aux dépenses du département, notamment pour sa participation à l'acquisition de terrains, entre autres, par le Conservatoire.

Sur le terrain, les cas de collaboration entre départements et Conservatoire du Littoral sont nombreux. Par exemple, depuis 1982, au moyen du produit de la TDENS, qui rapporte environ 10 MF par an, le département du Pas-de Calais gère ainsi la totalité des terrains du Conservatoire. De nombreux départements transfèrent leur droit de préemption au Conservatoire.

La définition des espaces naturels sensibles, auxquels la taxe est affectée, varie notablement. Les deux caractéristiques retenues généralement sont l'intérêt biologique (critère choisi par 37 départements) et l'intérêt paysager (33 départements). À l'heure actuelle, il n'existe pas de définition précise des espaces naturels sensibles ni de critères spécifiques permettant de les hiérarchiser. Aussi, les terrains acquis au titre de la TDENS sont d'un intérêt très divers, et on observe même que, dans certains cas, dans les départements excédentaires, la TDENS est détournée alors qu'elle est strictement réservée à la gestion des espaces naturels sensibles.

Au printemps 1997, le rapport Prats/Rimkine, consacré à l'évaluation des politiques des espaces naturels sensibles menées par les départements, a formulé plusieurs propositions.

L'idée de généraliser la TDENS à l'ensemble des départements est contestable, de même que l'augmentation du taux maximum, ou la fixation d'un taux minimum. Le principe de la loi est la libre instauration par les départements.

La mise en place d'une péréquation entre départements à fort potentiel fiscal et les autres, si elle semble défendable sur le plan théorique, est discutable sur le principe. Si le législateur a confié cette compétence au département, c'est qu'il a estimé qu'une solidarité nationale n'était pas nécessaire. Si l'on estime aujourd'hui que certains départements n'ont pas les moyens d'assurer la protection des espaces naturels sensibles, cela signifie que cette compétence doit revenir à l'État.

En revanche, plusieurs aspects de la TDENS méritent effectivement d'être améliorés :

- les départements devraient élaborer une doctrine de gestion ou d'acquisition d'espaces naturels qui soit formalisée, connue et transparente pour le contribuable ;

- les espaces naturels sensibles auxquels peuvent s'appliquer cette taxe devraient être l'objet d'une typologie et d'un inventaire ;

- il est nécessaire d'améliorer le recouvrement et le contrôle de l'utilisation du produit de cette taxe en conformité avec les objectifs annoncés.

1.2.4 Le domaine géré par l'Office National des Forêts (ONF).

Au cours du XIXème siècle, l'État a engagé de grands aménagements pour contrôler la progression des dunes littorales, notamment par reboisement en pin maritime des dunes. Dans le cadre de ces travaux, l'État a acquis, pour le compte des Eaux et Forêts, un important domaine foncier littoral. À la suite des Eaux et Forêts, l'ONF assure la gestion de ce domaine côtier.

Dans le cadre du Régime forestier, 475 km de côtes bénéficient de cette protection, auxquels s'ajoutent 25 km gérés par conventions. C'est un total de 500 km qui est ainsi entretenu et aménagé par l'ONF, dont 380 km de côtes à dunes et 120 km de côtes rocheuses. Ce linéaire, préservé de l'urbanisation, représente près de 9 % du littoral français métropolitain.

Ce linéaire côtier est le plus souvent doté d'une certaine épaisseur, qui seule peut assurer la mise en oeuvre d'une gestion globale cohérente. Les cordons dunaires atlantiques s'appuient ainsi sur des forêts littorales qui totalisent 76 400 ha. En Méditerranée, l'ONF gère 25 300 ha de forêts le long d'une côte très convoitée et très urbanisée.

Bien qu'ayant, par leur nature respective, des missions fort éloignées, il est intéressant d'observer que, en ce qui concerne la gestion et l'aménagement des espaces littoraux qu'ils possèdent, le CELRL et l'ONF ont adopté des principes de mise en valeur relativement proches, que l'on peut résumer en disant que leur objectif essentiel est de rendre compatible la jouissance des sites par le public et la préservation de leurs qualités écologiques et/ou paysagères.

Au sujet de la gestion de son domaine forestier littoral, l'ONF reconnaît ainsi qu'accueillir le public est une nécessité pour ces espaces très attractifs. L'accueil du public fait partie des grandes fonctions générales assignées aux forêts par les Directives et Orientations nationales de gestion.

Les grands principes qui guident l'action du gestionnaire sont les suivants 108 ( * ) :

- contrôler et maîtriser la fréquentation ;

- installer des équipements permettant d'éviter les impacts de la surfréquentation ;

- respecter le caractère naturel des sites ;

- organiser des priorités dans l'accueil en optant pour un parti-pris de qualité.

Ainsi, en Aquitaine, l'ONF coordonne les études préalables à l'élaboration des plans-plages, entouré d'une équipe pluridisciplinaire qui réunit des urbanistes, géographes, paysagistes, géomètres, etc. L'objectif de ces programmes est de permettre un accueil de qualité pour un public nombreux, en assurant sa sécurité dans le respect de l'environnement.

Les programmes d'action définis dans les aménagements forestiers s'articulent autour de trois grands objectifs :

- minimiser les impacts de l'accueil du public sur les autres fonctions assurées par la forêt ;

- améliorer le cadre et les conditions d'accueil ;

- prévenir les conflits d'usage.

L'illustration la plus remarquable de cette double volonté d'accueil et de préservation est donnée par le programme des Plans-plages en Aquitaine.

En 1980, sous l'égide de la MIACA (Mission Interministérielle pour l'Aménagement de la Côte Aquitaine), en collaboration avec l'ONF, un groupe de travail, réunissant les collectivités territoriales (Conseil régional . Conseil général, communes) et les services de l'État, a élaboré un programme d'action intitulé Plan-Plage dont la doctrine est de concilier accueil, sécurité et environnement.

C'est dans ce cadre que, pour la période 1980-1994, ont été aménages 19 sites sur le littoral aquitain (12 en Gironde et 7 dans les Landes). Ils permettent le stationnement de près de 21 000 véhicules (dont plus de 18 000 en domanial). L'ONF, maître d'ouvrage de ces opérations en forêts domaniales assure également études préalables, réalisation des travaux qui touchent à la restauration des milieux dunaires et forestiers 109 ( * ) .

L'entretien est assuré conjointement par l'État, les départements et les communes.

On constate donc que, partant d'objectifs très proches, l'ONF et le Conservatoire ont adopté une stratégie de gestion et d'aménagement très différentes. Celle de l'ONF apparaît plus opérationnelle, mais la nature des terrains qu'elle possède s'y prête mieux.

1.3 Perspectives et limites de la politique d'acquisition foncière

En matière d'acquisition foncière publique 110 ( * ) , on peut établir le constat suivant :

- au travers de l'action de plusieurs organismes, dont le Conservatoire est le seul ayant explicitement mission à acquérir et protéger des terrains littoraux naturels, les pouvoirs publics ont d'ores et déjà obtenu la maîtrise foncière d'une proportion importante du littoral : au total plus de 900 km de côtes, soit près de 20 % du linéaire côtier, et le tiers du linéaire côtier naturel ;

- cette acquisition a permis, à quelques exceptions près, qui ne paraissent pas significatives, le maintien du caractère naturel de ces espaces ;

- de plus, la maîtrise foncière s'est révélée, dans la plupart des cas, compatible avec un usage public et une mise en valeur discrète des sites. Dans de nombreux cas, une mise en valeur touristique a été possible ;

- ces stratégies d'acquisition non coordonnées n'ont pas représenté une dépense excessive.

Trois questions se posent donc :

- quelles sont les perspectives en matière d'acquisition foncière ?

- comment améliorer la coordination des politiques d'acquisition et de gestion des terrains acquis ?

- quelles sont les limites de cette stratégie d'acquisition ?

Perspectives d'acquisition

Parmi les trois sources d'acquisition, seul le Conservatoire dispose d'une stratégie d'agrandissement de son domaine. Son Conseil d'Administration a d'ores et déjà approuvé l'acquisition de 56 000 ha supplémentaires, auxquels s'ajouteront 25 000 ha en Guyane, par affectation de terrains domaniaux.

Dans une perspective à long terme, le Conservatoire a défini ses secteurs d'intervention potentielle. Ce sont des zones d'intérêt écologique et paysager remarquable à propos desquelles des demandes d'intervention du Conservatoire ont été recensées, ou qui ont fait l'objet d'une pré-étude technique, ou dont les caractéristiques correspondent à la typologie d'intervention du Conservatoire.

Ces secteurs représentent une superficie de 67 000 ha, dont 61 300 ha pour la métropole 111 ( * ) .

Les surfaces acquises par le Conservatoire représentent 1 % de son domaine de compétence. Les espaces en cours d'acquisition porteront ce pourcentage à 2,3 %. Les secteurs d'intervention potentielle correspondent à 4 %.

En terme de linéaire côtier, le Conservatoire est propriétaire de 564 km de rivage. Les acquisitions approuvées par le Conseil d'Administration représentent 529 km supplémentaires. Ainsi, plus de 1 000 km de côtes, c'est-à-dire 13,2 % du linéaire côtier total (lacs compris), seront bientôt protégés contre la menace d'urbanisation.

Les secteurs d'intervention potentielle conduiraient le Conservatoire à préserver 8 % supplémentaire du linéaire côtier dans les 50 années à venir, soit 653 km, dont 558 km sur les côtes maritimes métropolitaines. On le voit, cette proportion complémentaire de linéaire côtier est beaucoup plus faible que celle des superficies à acquérir. Cela tient au fait que le Conservatoire a, pour parer au plus pressé, acquis les espaces les plus menacés en bord de mer. Les acquisitions complémentaires sont nécessaires pour constituer avec les sites acquis des ensembles fonctionnels, notamment en terme de gestion écologique et paysagère, ce qui devrait permettre une rationalisation des modes de gestion.

Par ailleurs, lorsque la politique d'acquisition foncière du CELRL sera close (20 % du linéaire côtier sous sa propriété), la question du devenir de cet organisme et sa conversion vers la gestion et le contrôle de son patrimoine foncier se posera avec acuité.

Si l'on ajoute au programme du Conservatoire les acquisitions existantes hors Conservatoire, et en faisant abstraction d'éventuelles acquisitions supplémentaires via la TDENS ou du fait d'autres collectivités, plus de 1 500 km de côte seraient protégés à l'horizon 2050, ce qui démontre que l'objectif du tiers sauvage est réaliste, et a priori susceptible d'être atteint.

C'est l'amélioration de la coordination entre les instruments d'acquisition foncière, et la rationalisation de la gestion des terrains acquis, qui devrait constituer les priorités futures.

Quatre points semblent mériter une attention particulière :

- considérant l'intérêt paysager et écologique des massifs forestiers qui subsistent sur le littoral, et les menaces qui pèsent sur eux lorsqu'ils ne sont pas soumis à une protection forte, le Conservatoire du Littoral et l'ONF pourraient développer une stratégie coordonnée de maîtrise des parcelles boisées appartenant à des particuliers ;

- la politique de gestion des terrains du Conservatoire devrait reposer sur un plan de gestion et de développement à court et moyen terme pour chaque terrain lui appartenant 112 ( * ) ;

- les formes de gestion des terrains acquis par le Conservatoire mériteraient d'être simplifiées et rationalisées. Sans remettre en cause le principe de la prise en charge de la gestion par les collectivités locales, il apparaît que le Conservatoire dispose d'un droit de regard et d'une maîtrise insuffisantes sur l'usage qui est fait des terrains qu'il concède ;

- enfin, il est nécessaire d'améliorer la connaissance de l'utilisation qui est faite de la TDENS, et d'essayer de systématiser, dans le cadre des départements littoraux, la coopération avec le Conservatoire du Littoral afin de permettre une plus grande homogénéité et une meilleure continuité de son action.

Quelles sont les limites de la politique d'acquisition foncière ?

Dans le document de présentation de la stratégie d'acquisition foncière du Conservatoire jusqu'en 2050, le bien-fondé de l'acquisition foncière en tant qu'instrument de préservation du littoral est explicité. Trois arguments apparaissent :

- le dispositif réglementaire ne constitue pas une garantie suffisante pour assurer la pérennité de la protection. Il est surtout impuissant lorsqu'il s'agit d'empêcher des évolutions néfastes et insidieuses, conséquences de l'absence d'une gestion active de la part de certains propriétaires : pénétration de véhicules tous-terrains, cabanisation, camping sauvage, absence de nettoyage et d'entretien ;

- de plus, ce dispositif ne permet pas une gestion active des espaces naturels. Il ne permet pas de maintenir l'accès public dans des conditions satisfaisantes. Cette gestion active est également nécessaire si l'on cherche à restaurer ou à accroître la diversité biologique, à créer les conditions d'un accueil du public répondant à ses attentes, à maintenir ou à réinstaller des activités traditionnelles ou nouvelles concourant à ces objectifs. La protection des espaces naturels ne saurait en effet être limitée à une série d'interdictions, et l'on sait combien le règlement est difficile à appliquer lorsqu'il cherche à créer des obligations de faire ;

- les procédures conciliant propriété privée et gestion active (dispositions de l'article L. 135 du Code de l'Urbanisme, qui prévoient l'aide à la gestion d'espaces naturels privés par voie de conventions passées entre les collectivités publiques et les propriétaires privés) n'ont connu qu'un succès très limité. Elles impliquent une adhésion forte de ces propriétaires aux objectifs poursuivis, ce qui est loin d'être général.

Le rapport du Conservatoire conclut ainsi : « Sans méconnaître l'intérêt de ce type de procédure, il faut en revenir à une évidence : on ne gère pas seul le bien d'autrui. Pour gérer véritablement, il faut devenir propriétaire » .

Cette argumentation repose sur le fait, notamment, que les formes d'incitation des propriétaires privés à une implication dans l'entretien de leurs terrains naturels ayant échoué, une intervention des pouvoirs publics par le biais de l'acquisition foncière est fortement justifiée. Mais il est important de noter que cet argumentaire ne peut être valable que pour les espaces naturels.

Tout d'abord parce que ce sont les espaces naturels qui sont, en premier lieu, susceptibles de ne plus être entretenus, et qui supportent les menaces « d'évolutions néfastes et insidieuses » identifiées par le Conservatoire. Les processus de détérioration de l'espace qui justifient l'acquisition foncière affectent les espaces naturels.

Ensuite, parce que la gestion active prônée par le Conservatoire du Littoral n'est de la responsabilité publique que dans le cas d'espaces naturels 113 ( * ) .

Enfin, parce que les formes de valorisation pratiquées par le Conservatoire, ou l'ONF, et décrites dans cette section, ne sont opérationnelles que dans le cadre d'espaces naturels. Une mise en valeur touristique, et à plus forte raison environnementale, qui suppose avant tout l'organisation des flux mais aucunement l'organisation d'une production, est compatible avec des espaces naturels, pour lesquels la conservation et la jouissance passive constituent en elles-mêmes une mise en valeur.

Au cours d'un atelier du Conservatoire, un responsable public se félicitait de ce que, sur les terrains du Conservatoire, il y a désormais plus d'agriculteurs que lorsque ces terrains ont été achetés par le Conservatoire, ce qui va effectivement à contre-courant de l'évolution du secteur dans le reste de la France, et notamment sur le littoral. Faut-il pour autant en déduire que l'action du Conservatoire est adaptée à la protection de l'activité agricole ?

L'apparition d'agriculteurs sur les terrains du Conservatoire s'explique par le fait que le Conservatoire du littoral prend à sa charge une partie des charges fiscales fixes de ses terrains, notamment la taxe sur le foncier non bâti.

Or, on observe un débat théorique pour savoir si, en matière de politique publique de l'environnement, les instruments réglementaires, dont on a beaucoup usé jusqu'à présent en France, sont plus efficaces que les mécanismes de l'économie de marché et que les instruments fiscaux.

La seconde thèse est davantage en vogue. Le Conservatoire du Littoral est un exemple intéressant, parce qu'apparemment, il va à l'inverse de cette seconde thèse. Pourquoi ? Parce que, même si on utilise les instruments de l'économie de marché et les instruments fiscaux, la pression foncière sur le littoral est tellement forte que ces instruments sont probablement inefficaces, et que la maîtrise foncière est sans doute un outil indispensable. Mais, même lorsqu'il a cette maîtrise foncière, le Conservatoire est obligé de réaménager les règles fiscales pour que l'exploitation de ces terrains, devienne possible. Il faut donc bien une alliance des deux instruments qui sont trop souvent opposés : les politiques réglementaires et les politiques incitatives.

Selon le Conservatoire lui-même, 6 % seulement de son domaine de compétence justifient une acquisition foncière. Ce qui ne signifie aucunement que les 94 autres pour cent ne méritent aucune protection et doivent être abandonnés à l'urbanisation, mais que seuls ces 6 % nécessitent la protection maximale qu'octroie la maîtrise foncière.

L'acquisition foncière publique, en tant qu'outil de protection absolue, doit donc être utilisée pour les espaces qui justifient une protection absolue (le Conservatoire s'en tient d'ailleurs à cette stricte interprétation), et elle devait pouvoir être utilisée dans le cadre d'une planification d'ensemble, le Conservatoire s'efforçant, par ailleurs, d'engager avec les collectivités locales, une stratégie coordonnée conciliant développement et protection. Mais elle ne peut en aucun cas être élargie aux autres espaces, parce que les modes productifs des espaces autres que les espaces naturels (qui précisément échappent à cette logique productivité 114 ( * ) ) ne sont pas compatibles avec la maîtrise foncière publique 115 ( * ) .

L'acquisition foncière publique est donc adaptée pour 6 % de la superficie des cantons littoraux identifiés par le Conservatoire, et les instruments existants semblent satisfaisants pour assurer à long terme la préservation de ces espaces. Pour le reste des espaces littoraux, le seul outil d'aménagement et de mise en valeur envisageable est la régulation et la planification du droit des sols, sous toutes leurs formes.

Pour répondre à la question initiale, l'acquisition foncière publique est un outil d'aménagement intégré performant, sur le littoral, pour, et seulement pour, les espaces naturels dont la qualité environnementale justifie la préservation.

* 92 Remarquons qu'au Royaume-Uni, une terre à vocation agricole reste une terre vocation agricole au plan d'urbanisme, quelles que soient les pressions.

* 93 Voir annexe 4 : l'exemple de l'Anse de Beauduc

* 94 Depuis l'abandon de l'Inventaire Permanent du Littoral (IPLI) les données scientifiques et d'observation sont très insuffisantes. Voir en annexe 17 une description de ce programme.

* 95 Cf. « ley de costas » espagnole plus contraignante.

* 96 Au cours des années 60 et 70, les missions Racine (Languedoc-Roussillon) et MIACA (Côte d'Aquitaine), ont conduit, au nom de l'État, la réalisation d'ensembles touristiques.

* 97 Ainsi, depuis 1976, les Conservatoires Régionaux des Espaces Naturels, n'ont acquis que 10 000 ha, soit cinq fois moins que le Conservatoire de l'Espace Littoral et des Rivages Lacustres (depuis 1976).

* 98 Dans les années 50, Le Corbusier avait fait un plan d'urbanisme de la ville de la Rochelle. Ce plan prévoyait une ceinture verte sur l'ensemble des terrains publics non bâtis entourant la vieille ville. Quinze ans plus tard, il n'y en avait plus trace. Tout avait été urbanisé. Et, quand on examinait comment avait démarré le processus, on découvrait que c'était justement pour construire des bureaux de la DDE qu'avait été accordée la première dérogation.

* 99 Il faut prendre ce pourcentage avec prudence, car il ne précise pas sur quelle épaisseur... « En fait, l'épaisseur du rivage dépend des régions concernées et surtout de la zone d'injluence des activités qui s'y développent. Le rivage du pêcheur ou du conchyliculteur n'est pas celui du sidérurgiste. Le rivage du véliplanchiste n'est pas celui du météorologue. Le rivage ajoute à ses charmes de s'adapter à la conception de ceux qui le fréquentent ou l'utilisent... » D. Legrain.

* 100 À elle seule, l'ONF estime détenir 23 % de la partie non urbanisée de la façade atlantique, et 20 % pour la façade méditerranéenne.

* 101 Ce domaine s'est progressivement élargi :

- par décret du 1er Septembre 1977, il s'est élargi aux départements d'Outre-Mer ;

- puis il s'est étendu aux communes littorales, au titre de la loi du 3 Janvier 1986 ;

- il a été étendu aux espaces limitrophes par la loi du 8 Janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages

- enfin, par décret du 23 Mars 1995, le Conservatoire peut intervenir à Mayotte.

* 102 À titre de comparaison, la ville de Paris consacre chaque année à ses espaces verts un budget de 1,2 milliard de francs.

* 103 dans le cadre de l'examen des performances environnementales de la France, Décembre I996

* 104 La gestion de l'estran (DPM) au droit des terrains du conservatoire devrait également être mieux prise en compte

* 105 Lorsqu'elle est mise en place, la TDENS est perçue sur l'ensemble du territoire, mais, si le conseil général avait mis en place avant 1987 la taxe départementale d'espaces verts, la loi autorise à ne percevoir la TDENS que sur la partie du territoire anciennement soumise à cette taxe d espaces verts.

* 106 sont exclus les bâtiments à usage agricole ou forestier liés à l'exploitation, et les immeubles classés par les monuments historiques. Le Conseil Général peut également décider d'exonérer de celle taxe les logements sociaux, ainsi que des opérations portant sur les locaux artisanaux et industriels implantés dans les communes de moins de 2 000 habitants.

* 107 En vertu de l'article L142-2 du Code de l'urbanisme, la TDENS est assise selon les mêmes modalités que la Taxe Locale d'Equipement, à laquelle il convient donc de se référer.

* 108 tels qu'ils apparaissent dans un dossier de l'ONF de Mars 1996 : L'ONF et l'espace littoral, pour une gestion durable.

* 109 Exemple du site du Truc-vert. Situé à 10 km au nord de la pointe du Cap-Ferret, ce site domanial s'étend sur plus de 200 ha et 3 km parallèlement à la mer.

Les accotements de la route forestière qui longe la dune (à 200 m) ont été aménagés en parking longitudinal offrant 1 200 places de stationnements. La capacité globale du site est de 2 500 places environ. Deux accès de caillebotis sont aménagés.

Un effort particulier a été réalisé sur tout le site pour limiter les effets de traversées multiples liées à un accès parallèle et proche de la plage : des reboisements ont été réalisés pour conforter la lisière de protection, sur 2,5 km et près de 25 ha de lette non boisée, tout en ménageant quelques accès à la plage (chemins de sable clôturés).

* 110 En Grande-Bretagne, cette action peut-être prolongée par des conventions de gestion des terres sans appropriation.

* 111 Auxquels s'ajoutent 3 700 ha pour les lacs et 2 000 ha dans les départements d'outre-Mer (hors Guyane : 11 200 ha).

* 112 Le Conservatoire est d'ailleurs en train d'expérimenter cette méthode de planification systématique.

* 113 Et , plus précisément, elle est du ressort de l'État.

* 114 Comme en apportent d'ailleurs l'illustration les programmes de l'ONF, qui consentent explicitement à réduire les objectifs de production dans le cas des secteurs forestiers qui participent à l'accueil des touristes.

* 115 À moins de transformer radicalement notre mode d'organisation économique et politique.

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