2. Dysfonctionnements dans l'application d'une politique intégrée sur le littoral

Sur le territoire d'une commune rétro-littorale du Pays basque, un groupe de promotion immobilière achète, pour un prix élevé, un terrain de plus de 200 ha, d'un seul tenant, avec l'intention d'y faire un golf. Le groupe propose au maire de prendre à sa charge la réalisation d'une étude de faisabilité de l'opération, et lui fait signer une convention dont une clause prévoit que, si la commune n'accepte pas les conclusions de l'étude, elle devra en rembourser le coût. Or, le prix de cette étude représentait un peu plus de deux fois et demie le budget annuel de cette commune (à titre d'information, l'étude de faisabilité avait conclu à la nécessité de réaliser 180 000 m2 d'immobilier résidentiel et de commerce en accompagnement du golf pour équilibrer l'opération).

Cet exemple illustre le fait que, compte tenu de l'éparpillement communal qui caractérise la France, on se trouve devant des situations totalement déséquilibrées, où l'acteur public est relativement désarmé face au niveau d'expertise et à la capacité financière qu'est capable de déployer l'opérateur privé qu'il doit théoriquement encadrer et contrôler.

Le littoral est, par excellence, l'espace où ce déséquilibre se manifeste, en raison des enjeux spatiaux et financiers dont il est l'objet.

2.1 Bien-fondé d'une intervention de l'État sur le littoral

2.1.1 Pourquoi l'Etat ? Récapitulatif des motifs d'intervention identifiés

« Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise en valeur

La réalisation de cette politique d'intérêt général implique une coordination des actions de l'État et des collectivités locales, ou de leurs groupements,

ayant pour objet :

- la mise en oeuvre d'un effort de recherches et d'innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral ;

-la protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l'érosion, la préservation des sites et paysages du patrimoine ;

- la préservation et le développement des activités économiques liées à la proximité de l'eau, telles que la pêche, les cultures marines, les activités portuaires, la construction et la réparation navale et les transports maritimes ;

- le maintien ou le développement, dans la zone littorale, des activités agricoles ou sylvicoles, de l'industrie, de l'artisanal et du tourisme » .

Quels arguments peut-on apporter, sur la base du diagnostic établi dans ce rapport, pour justifier cet article premier de la loi n° 86-2 du 3 Janvier 1986, loi qui fut votée à l'unanimité par le Parlement ? En reprenant les quatre points identifiés par la loi, on peut affirmer que :

- la connaissance scientifique de l'écosystème côtier est encore très incomplète. Ceci concerne aussi bien l'état et les conditions de la vitalité biologique des eaux côtières, que les conséquences de certaines pollutions qui ne sont pas intégrées dans les programmes de surveillance existant, les causes et les conséquences des variations du niveau de la mer, et enfin les potentialités, encore largement inconnues, et dans une perspective à long terme, d'extraction en milieu côtier.

Par l'intermédiaire du CEDRE (spécialisé dans les questions de pollution accidentelle), et de l'IFREMER (qui se préoccupe de la gestion et de la protection de la ressource naturelle), l'État est déjà largement engagé en matière de recherche fondamentale et appliquée en milieu côtier. Pour autant, un renforcement de la recherche est réclamé par de nombreux acteurs, scientifiques ou institutionnels.

Mais, au delà de cet aspect spécifiquement scientifique, il est apparu au cours de nos travaux que, d'une manière générale, la connaissance du littoral en tant qu'espace économique et social était faible. Les effets induits des diverses activités maritimes, par exemple, sont mal connus. Les données démographiques ou sociales ne sont pas correctement agrégées, l'INSEE ne reconnaissant aucune existence au littoral. Le tourisme, première activité du littoral, ne fait l'objet d'aucune enquête cohérente sur l'ensemble du littoral La Direction du Tourisme, notamment, n'est en mesure de fournir aucune donnée statistique concernant la fréquentation du littoral, à l'exception de l'enquête INSEE, dont la précision et la pertinence sont pour le moins limitées.

À ce déficit sérieux de connaissance, qui rend malaisée toute appréciation globale des performances et des difficultés du littoral, et quasiment impossible toute démarche prospective, on ajoutera la non réalisation de l'évaluation annuelle de la loi littoral, prévue par la loi ;

- la protection des équilibres biologiques et écologiques pose en premier lieu la question de la qualité des eaux littorales. Celle-ci est directement liée à la qualité des eaux en provenance des terres, établissant ainsi une solidarité nationale évidente. Cette solidarité est déjà prise en compte par l'intermédiaire des SDAGE. À l'échelon local, compte tenu des enjeux particuliers au littoral en matière de qualité des eaux, le développement de la procédure des SAGE paraît souhaitable. Quant à l'épuration des eaux usées, nous avons souligné l'importance de la poursuite de l'effort engagé par les collectivités et l'État, via les agences de bassin. L'enjeu de la qualité des eaux littorales est un enjeu global, engageant la Nation, et qui doit pouvoir être décliné à l'échelon local en fonction des données spécifiques ou des activités particulières propres à un territoire ;

- si la lutte contre l'érosion ne relève pas directement de l'État, la responsabilité de celui-ci est d'assurer la sécurité des biens et des personnes en appliquant les principes, qu'il à lui-même édictés, de prise en compte du mouvement des côtes dans les documents d'urbanisme des communes littorales. La mise en oeuvre, sur le littoral, des Plans de Prévention des Risques, paraît lente, et nécessiterait un engagement financier et humain réel de la part des services de l'État. Par ailleurs, l'élaboration d'une stratégie cohérente en cas de sollicitation de l'État par des collectivités locales pour la réalisation de travaux semble indispensable ; la protection des sites, des paysages et du patrimoine, enfin, est un enjeu difficile et complexe. La protection des sites les plus exceptionnels, dont on considère qu'ils constituent un enjeu national en raison de leur valeur patrimoniale ou écologique, est déjà à l'oeuvre par l'intermédiaire des processus d'acquisition foncière décrits précédemment. Sur ce point, hormis les zones humides, pour lesquelles une approche spécifique se justifie 116 ( * ) , un engagement supplémentaire de l'État n'apparaît pas nécessaire.

Quant à la protection des paysages, elle semble l'objet d'un consensus : on admet que les paysages littoraux de notre pays sont, dans leur ensemble, une richesse nationale. Autant qu'un cadre de vie, c'est une valeur culturelle qui est défendue. La prise en compte de ces données apparaît dans le loi littoral, dont les prescriptions en matière de coupures naturelles représentent des objectifs paysagers. Le flou des définitions a été souligné, et les menaces qui pèsent sur les paysages littoraux, aussi bien dans les secteurs d'urbanisation dense, que dans les secteurs plus diffus, sont réels ;

- le sort des activités liées à la présence de l'eau pose la question de l'exploitation des atouts économiques liés à une façade maritime importante. Dans le cadre du présent exercice d'évaluation des politiques de la mer, les rapports consacrés aux principales activités maritimes ont examiné les conditions et les enjeux de leur maintien, et le rôle -important-de l'État vis-à-vis de ces secteurs.

Il convient de souligner que l'impact de la plupart de ces différentes activités ne peut s'évaluer qu'à l'aune de leur rentabilité économique. De même que pour l'activité agricole, l'impact spatial et social de certaines activités traditionnelles doit être pris en compte. De plus, l'intérêt des activités traditionnelles, y compris de l'activité portuaire, pour la mise en valeur touristique d'un littoral, ne peut être quantifié, mais apparaît indiscutable.

Mais au-delà des enjeux proprement sectoriels, c'est la nécessité de coordonner les politiques sectorielles entre elles qu'il convient de souligner. Les pouvoirs publics soutiennent parfois des objectifs contradictoires, par exemple lorsque le ministère de l'Agriculture subventionne l'assèchement des zones humides tandis que celui l'Environnement s'efforce de les protéger, ou que les travaux d'agrandissement des zones portuaires affectent des secteurs naturels classés.

Les mêmes contradictions peuvent exister entre des projets de développement à des échelles différentes (communes/régions, régions/État et jusqu'aux directives européennes, comme l'a illustré la douloureuse expérience de Natura 2000). Le rôle de l'État est de veiller aussi à la cohérence spatiale des politiques publiques ;

- enfin, il convient de souligner que l'État n'a plus spécifiquement vocation à réguler le marché foncier en tout point du territoire. Mais, il est de son ressort, lorsque, sur un territoire donné, les enjeux fonciers, ou autres, impliquent des intérêts dépassant ce seul territoire, de s'efforcer de faire valoir une solidarité entre territoires. Un des objets essentiels de ce rapport a été de démontrer que le littoral, dans son quasi intégralité, est dans ce cas. C'est à l'État d'y défendre des enjeux qui se manifestent et s'appréhendent à une échelle intercommunale, interdépartementale ou interrégionale.

Le maintien des activités sylvicoles et agricoles ne semble pas être un enjeu majeur, en tant que telles, dans cette perspective. L'enjeu essentiel est de préserver les perspectives de développement durable d'un espace dont le succès est susceptible de détruire rapidement les atouts qui font son attrait. Dès 1973, une circulaire interministérielle expliquait ainsi que : « Le littoral n'est pas seulement le milieu généralement le plus recherché pendant les périodes de loisirs. Il devient également, en raison de ses seuls agréments et même en l'absence de justification d'ordre strictement économique, un lieu privilégié du développement de l'habitat permanent et des activités de toute nature. Ces deux mouvements de concentration touristique et d'urbanisation tendent d'ailleurs à se confondre et se conjuguent pour provoquer une transformation très rapide des zones littorales. On peut raisonnablement estimer que ce phénomène ne relève pas d'une mode passagère, mais qu'il s'agit d'une tendance durable. Dans ces conditions, et en dépit de l'étendue remarquable de la façade maritime de notre pays, la zone littorale a déjà, et aura de plus en plus, le caractère d'un bien rare » .

Le problème le plus apparent associé à cette pression anthropique est la difficile réversibilité du processus d'aménagement urbain. La forte densité d'occupation des sols, les équipements à taux d'immobilisation élevés, impliquent des contraintes physiques (durée de vie importantes), technologiques (limitation des alternatives techniques connues) et économiques (gestion rentable des équipements) durables.

En ce sens, le problème de la régulation des usages du littoral peut être comparé à celui des ressources non renouvelables. Les rigidités, voire les irréversibilités, induites par l'anthropisation croissante des milieux côtiers peuvent être assimilées à la destruction progressive d'un stock de ressources, dans la mesure où elles imposent une limite au développement des usages considérés, et où elles peuvent induire l'impossibilité de voir se développer d'autres modes d'usage sur les mêmes milieux.

Toutefois, deux remarques restreignent la portée de cette comparaison. D'une part, ces rigidités dépendent de conditions historiques données, et peuvent ne plus être considérées comme telles à une période future. Il s'agit plutôt, en fait, d'irréversibilités impliquant qu'il est fortement improbable de revenir à un état initial donné. D'autre part, les modes d'usage considérés ne sont pas indépendants et ne sont pas exclusifs, dès lors qu'ils sont susceptibles d'évoluer et de s'adapter les uns aux autres.

Aussi, il faut souligner que le propos de l'État ne doit pas être de faire valoir une approche malthusienne, qui serait mal comprise par les acteurs locaux, et surtout qui ne se justifie ni d'un point de voie écologique, ni d'un point de vue démographique, et encore moins économique. L'enjeu n'est pas de limiter le développement, mais de s'assurer que les formes spatiales de ce développement n'atteignent pas la ressource du développement de l'activité considérée, ou d'autres activités.

À titre d'exemple, prétendre que le littoral est surpeuplé serait une absurdité. Le littoral peut-être surpeuplé en certains endroits en fonction de certains usages. Mais, bien plus que la concentration démographique, ce sont avant tout les formes spatiales prises par le peuplement qui sont susceptibles d'entraver le développement de certaines activités économiques, y compris le tourisme.

En ce sens, l'approche du littoral en tant que système de production territorialisé, dont l'activité moteur est la production et l'exploitation d'espace, paraît porteuse.

2.1.2 Capacité de l'État et pertinence de son intervention

Le littoral est certes un espace où des conflits d'usage importants se manifestent, et où la pression anthropique est particulièrement forte, mais il n'est ni en guerre, ni en ruines. Tout autant que de rappeler les motifs qui justifient l'intervention de l'État, il paraît important de souligner que cette intervention est possible, et qu'elle peut être efficace. Deux aspects sont à considérer pour cette démonstration :

- un aspect historique : par le passé, l'État est intervenu fortement sur le littoral. Le bilan et l'évaluation de ces interventions n'ont jamais été réellement entrepris de façon globale ; un aspect dynamique : les incompatibilités totales entre différentes activités présentes sur le littoral sont extrêmement rares 117 ( * ) , et l'on est avant tout en présence d'incompatibilités partielles. Aussi, plus que des arbitrages exclusifs entre telle activité ou telle autre, ce sont les conditions et les modalités de la conciliation qui sont à rechercher.

Un bilan historique de l'intervention de l'État sur le littoral

Dans la série des grands aménagements de l'après-guerre, l'État a engagé quatre opérations de grande envergure sur le littoral : les aménagements industrialo-portuaires de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, les développements touristiques de la côte d'Aquitaine et de celle du Languedoc-Roussillon.

Un examen critique de ces quatre opérations serait trop long à conduire. Aussi nous nous intéresserons plus spécifiquement à l'opération qui nous semble la plus significative, par rapport à notre approche : celle de la mission Racine, sur le littoral du Languedoc-Roussillon.

Les aménagements industrialo-portuaires, dont le bilan est très mitigé (relative réussite pour Dunkerque, échec assez marqué en ce qui concerne Fos), relèvent d'une logique très sectorielle, et ne constituent pas des exemples de politique intégrée. Au contraire, les missions Racine (du nom de son président) et la MIACA (Mission Interministérielle d'Aménagement de la Côte d'Aquitaine) ont eu à gérer simultanément les dimensions foncières, urbaines, économiques et sociales de l'aménagement, sur des territoires d'échelle régionale.

Entre le Languedoc-Roussillon et la Côte d'Aquitaine, si nous choisissons le Languedoc-Roussillon c'est parce que celui-ci concentre toutes les attaques, au point d'en devenir, pour beaucoup, l'illustration type des erreurs commises par l'État dans le cadre de ses grandes opérations d'aménagement du territoire. N'omettons pas cependant de souligner que, les réalisations de la MIACA, beaucoup moins commentées, constituent également un exemple d'opération d'aménagement intégré conduit par l'État, qui semble donner satisfaction à tous, et être parvenu à concilier développement économique, préservation des sites, et mise en valeur des sites littoraux.

L'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon, qui était jusqu'alors quasiment vierge d'activités humaines, a été confié à la mission Racine, créée en 1963, et qui était placée directement sous l'autorité du CIAT. Son objectif était, dans un but d'équilibrage du littoral méditerranéen et de diversification de l'offre, d'ajouter aux 600 000 lits de la Côte d'Azur, 750 000 lits pour le Languedoc-Roussillon.

Sa réussite économique semble indéniable : 500 000 estivants gagnent le littoral en 1964, puis 1 000 000 en 1977. La croissance de la fréquentation permet au Languedoc-Roussillon de rattraper quasiment la région Provence-Alpes-Côte d'Azur en matière de nombre de séjours effectués, l'écart se resserrant sensiblement à partir de 1981.

Surtout, les diverses enquêtes menées montrent à quel point l'aménagement du littoral a profité à un ensemble fort large de consommateurs. Le caractère diversifié de la fréquentation du littoral Languedoc-Roussillon témoigne de sa capacité à conquérir des parts de marché désormais élargies.

Ainsi, si, en 1960, une forte croissance de la demande de loisirs provoque une fuite des vacanciers vers l'Espagne, on peut constater aujourd'hui l'arrêt de l'hémorragie. De plus, les stations nouvelles du littoral semblent répondre au dernier objectif, formulé en 1963, de créer une zone d'attrait pour les étrangers, phénomène favorable à la balance des comptes du tourisme français. Mieux encore : la clientèle semble fidélisée. 90 % des estivants d'origine française et 70 % des étrangers déclarent vouloir revenir sur le littoral languedocien pour leurs prochaines vacances.

Compte tenu du succès de sa fréquentation, l'objectif de création d'une zone touristique aussi attrayante que la Côte d'Azur semble atteint. L'aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon a permis la démocratisation de l'accès aux loisirs balnéaires.

Le tourisme contribue à accroître les flux monétaires sur l'espace littoral. Le touriste laisse dans la région une manne financière évaluée à 4,5 milliards de francs en 1996. 80% de la fréquentation touristique s'effectue sur le littoral.

Mais outre le simple essor des flux monétaires, la politique publique d'aménagement du littoral se devait de consolider le tissu productif local. Dans un premier temps, la manne touristique a profité aux branches d'activité régionale directement sollicitées par l'urbanisation des côtes. Pour la Grande-Motte, on constate qu'en 1977, 74 % du parc immobilier a été construit par les entreprises du BTP de la région. De même, la croissance du secteur commercial a servi principalement les fournisseurs situés dans la région. Il ne semble pas aberrant de supposer un lien entre les investissements réalisés par l'État pendant deux décennies sur le littoral languedocien, et le décollage économique de cette région depuis le début des années 80.

Les objectifs quantitatifs ayant été atteints, les critiques se portent généralement sur l'aspect qualitatif des formes urbaines choisies. Il nous semble dangereux et erroné d'assimiler trop facilement les stations touristiques du Languedoc-Roussillon à des grands ensembles, et de les juger avec des critères d'appréciation esthétique et urbaine d'aujourd'hui. L'urbanisme de la mission Racine est marqué par son époque, comme toute réalisation d'envergure des années 70.

Le foisonnement d'études est-il un indicateur de l'exigence de qualité requise : la Compagnie Nationale du Bas-Rhône-Languedoc est par exemple sollicitée pour l'étude des projets d'irrigation afin de diversifier les cultures en plaine littorale. L'Université de Montpellier effectue également nombre de recherches, afin de qualifier les écosystèmes du cordon et de préserver leurs particularismes.

Autre tort supposé de la mission Racine, la destruction du patrimoine naturel du littoral aménagé. Pourtant, dans les schémas d'organisation du littoral, il est prévu que les cinq zones touristiques urbanisées soient séparées les unes des autres par des coupures vertes, ancêtres des coupures naturelles de la loi littoral. Ces cordons naturels sont privés de tout équipement et protégés de toute urbanisation. Ils résultent de plantations artificielles diverses ou de la protection et de l'entretien d'espaces préexistants ayant un intérêt floristique ou faunistique notable.

Des études relatives aux écosystèmes ont abouti à la détermination chiffrée de la dimension des espaces verts. Ainsi, les stations, d'une superficie de 600 à 800 ha, devaient être séparées par 6000 ha de végétation naturelle. Sur 20 kilomètres de profondeur et 200 de rivage, le littoral oppose ainsi une frange contrastée, juxtaposant les zones construites et les zones vierges d'urbanisation. Ce modèle d'alternance entre constructions et verdure est par ailleurs répété au sein de chaque station touristique. Les plans projettent de consacrer 240 ha de chaque unité touristique nouvelle à des plantations. Si, par endroits, ces espaces naturels ont depuis été grignotés par l'urbanisation, ce n'est pas uniquement de la faute de l'État planificateur, mais aussi des acteurs qui ont eu depuis, en charge le développement.

Les espaces naturels semblent avoir été suffisamment protégés pour que la Direction Régionale de l'Environnement, relève aujourd'hui que : « Le littoral du Languedoc-Roussi lion présente une richesse remarquable, ce que traduit l'importance des mesures de protection mises en place au titre de la loi de 1930 et de celle de 1976, avec en plus les acquisitions du Conservatoire du littoral » .

Rappelons, pour finir, que, la crise de fréquentation censée affecter les stations créées par la mission Racine, est largement surfaite. Le seul véritable élément de tension que l'on peut constater concerne le marché de l'immobilier 118 ( * ) , qui apparaît effectivement en crise, du fait de l'inadaptation entre l'offre produite au cours des années 70 et la demande actuelle.

L'objet de la réhabilitation de la mission Racine, n'est pas d'encourager au renouvellement de telles opérations. Les données socio-économiques ont fortement changé, et la répartition des pouvoirs en matière de développement et d'aménagement a été transformée par les lois de décentralisation. De plus, le déficit en équipements du littoral français a été largement comblé. Mais :

- en s'en donnant les moyens et en choisissant des objectifs clairs, l'État a pu développer la capacité d'expertise nécessaire à la réalisation d'un aménagement intégré cohérent et performant ;

- l'État peut se présenter comme un interlocuteur compétent face aux nouveaux enjeux et aux nouvelles pratiques institutionnelles de développement du littoral.

Le littoral n'est pas peuplé d'ennemis irréductibles

Les travaux consacrés au littoral insistent toujours sur la vigueur des conflits d'usage qui s'y manifestent. L'idée générale, expliquant cette intensité particulière dans les conflits entre activités, est qu'elles cherchent toutes à exploiter un même espace restreint. Idée juste dans son principe, mais qui, à l'échelon local, ne s'applique guère.

Pour prendre un exemple, sur l'étang de Berre, le développement industriel lourd a d'abord signifié une réduction draconienne des activités de pêche. Un choix implicite a été fait entre ces deux modes d'usage, considérés comme incompatibles dans les conditions socio-économiques, culturelles et techniques de l'époque. Mais, par la suite, le développement de la zone urbaine rattachée aux activités industrielles de la région, et la demande d'espaces de loisirs qu'elle a provoqué, a entraîné un effort public et privé croissant de dépollution de l'étang. L'activité de pêche a alors été réaffirmée comme mode d'usage important, et s'est révélée compatible, avec les aménagements nécessaires, avec l'activité industrialo-portuaire environnante.

Les chevauchements spatiaux effectifs rencontrés au cours de cette étude sont en fait rares : plaisance versus aquaculture dans les étangs méditerranéens ou certaines portions du littoral vendéen, développements portuaires versus fonctions écologiques dans l'estuaire de la Seine. Plutôt qu'en termes de conflits spatiaux, c'est en fait en termes de gestion commune d'une ressource partagée que la question se pose. La gestion de l'eau est particulièrement sensible, mais sont également concernés l'organisation et l'utilisation des moyens d'accès au bord de mer, et la régulation dans le temps de l'utilisation d'un même espace.

Les cas ou deux activités s'excluent l'une l'autre 119 ( * ) sont rares, mais ils sont nombreux où, en l'absence de coordination, les conditions d'exercice de l'une peuvent entraver les conditions d'exercice de l'autre. D'où la nécessité d'organiser une répartition conciliée de l'espace, laquelle ne se traduit pas nécessairement par un zonage exclusif activité par activité. Le cas du SMVM de Thau, en dépit des imperfections de la procédure, illustre la viabilité d'une telle démarche, et souligne le rôle de l'État en tant qu'agent coordonnateur.

Mais, plutôt que d'évoquer des situations de conflits, il semble qu'il faut souligner les complémentarités qui, tout autant, se manifestent sur le littoral, entre ces mêmes activités que l'on ne cesse d'opposer. Les intérêts communs des activités traditionnelles et du tourisme, notamment, doivent être mis en avant. Le tourisme profite de l'aménagement spatial et de l'animation provoquée par les activités traditionnelles, tandis que ces activités bénéficient du marché que représente la consommation touristique. Par ailleurs, le tourisme offre un emploi saisonnier complémentaire d'autres activités littorales. Aussi, la conciliation qui est à rechercher, ne l'est pas dans la tolérance forcée de l'autre, mais dans une dynamique économique et spatiale mutuellement bénéfique. Il ne s'agit pas d'engendrer les conflits, mais de susciter la complémentarité.

La prise en considération de ce problème d'usages multiples des ressources littorales entraîne d'ailleurs l'émergence d'une problématique commune à l'ensemble des côtes, et un rapprochement des principes de régulation terrestre et marin.

À terre, l'appropriation privative est tempérée par les règles s'appliquant à l'usage, mais également à la cession et à la transmission des terrains côtiers. En mer et sur les lais et relais, les régimes d'autorisation et de concession permettent d'envisager le développement d'usages privatifs durables des espaces côtiers. Dans les deux cas, les règles publiques sont établies dans l'intérêt général. Cette dernière notion recouvre aussi bien la préservation des activités traditionnelles, la protection des sites sensibles, la mise en valeur économique des côtes, etc, et traduit, non pas un désir hégémonique de l'État, mais la prise en compte d'un intérêt commun dans son expression et sa dimension spatiale.

La problématique rencontrée sur le littoral n'est donc pas celle de faire cohabiter tant bien que mal, des activités qui s'opposent, mais de mettre en valeur, par une démarche spatiale coordonnée qui réunit ces différentes activités, les multiples atouts du littoral, susceptibles de créer ensemble une valeur ajoutée supplémentaire.

2.2 La stratégie de l'État souffre de l'imprécision du droit.

L'État, au lieu de conserver, dans le cadre des lois de décentralisation, une certaine autorité sur les territoires présentant des enjeux nationaux, a voulu, a posteriori, à partir de 1983, encadrer les pouvoirs qu'il venait de confier aux collectivités territoriales. Difficile conciliation entre émancipation des territoires et contrôle national, qui amène à une confusion des pouvoirs, des responsabilités, et des objectifs.

Remise en cause des formes de régulation traditionnelles et adaptation l'État

Les conflits qui se manifestent sur le littoral, de façon de plus en plus aiguë depuis deux décennies, se traduisent par une mise en cause des principes ou des modes traditionnels de régulation des usages. C'est, par exemple, le problème de la concurrence jugée déloyale des activités nouvelles, du point de vue des activités plus anciennement implantées sur le littoral, et de l'apparition de modes d'usage qui échappent aux formes de régulation en place (cas de la pêche de loisir en Méditerranée, de la chasse dans les marais agricoles de Vendée, de l'aquaculture en marais salicole à Guérande, de la plaisance dans les zones de pêche en Martinique...).

Cette remise en cause implique une évolution du statut des acteurs locaux de la régulation. Du point de vue de l'État, la nouvelle donne de la décentralisation amène à la question suivante : comment l'État peut-il agir dans la nouvelle complexité institutionnelle et la complexité sociale croissante pour assurer cohésion et cohérence ?

La régulation définit une action organisant et gérant des équilibres instables entre des stratégies de nature parfois contradictoires, et suivant des procédures tout aussi aléatoires.

Administration du littoral

Le littoral ne dispose d'aucune administration spécifique. Le contraste est particulièrement marqué avec la montagne. La loi montagne a mis en place un Conseil National de la Montagne, parfois critiqué, mais qui a le mérite de constituer un forum où la montagne française reconnait et affirme son identité. De même, ont été mis en place des comités de massif, des CIAT

Montagne et un fonds d'intervention. Des taxes ont été introduites comme celle sur les remontées mécaniques

Rien de tel n'existe pour le littoral. La création d'un Conseil National du Littoral a été constamment refusée.

En ce qui concerne les administrations de l'État, l'ancienne Mission Interministérielle à la Mer (MISMER), qui n'intervenait pas sur le littoral a été réformée en 1995 en Secrétariat Général de la Mer. « Il est associé à l'élaboration de la politique » du littoral, indique le décret constitutif du

Comité Interministériel à la Mer. Deux ans après, force est de constater, à travers les trois Comités Interministériels de la Mer (CIM) qui ont eu lieu, que son rôle, s'agissant de la politique du littoral, est demeuré discret, tant par rapport à l'autre organisme coordinateur qu'est la DATAR, que par rapport aux principaux ministères qui lui disputent ce rôle.

Le Ministère de l'Équipement se voit le véritable héritier d'un Ministère de la Mer, par ses attributions' en matière de transport, d'infrastructures, de gestion du DPM. La Direction des Ports et de la Navigation Maritime est devenue la Direction du Transport Maritime, des Ports et du Littoral

Les Conférences maritimes régionales, réunissant préfet maritime et préfet civils se préoccupent peu de gestion intégrée des côtes.

Au total, une quinzaine de ministères sont concernés par le littoral. Outre l'Équipement et la défense, citons :

- le Ministère du Tourisme, lequel a, en 1991, supprimé son Service d'Étude et d'Aménagement Touristique du Littoral, tout en conservant celui de la montagne ;

- le Ministère de l'Intérieur (casinos et jeux, Dotation aux Communes Touristiques) ;

- le Ministère de la Santé (thalassothérapie et qualité des eaux de baignade) ;

- celui des Finances (gestion du DPM),

- celui de l'Industrie (BRGM) et ressources sous-marines ;

- celui de la Recherche (IFREMER).

La France ne s'est nullement souciée d'organiser avec efficacité les institutions et administrations du littoral, lesquelles, tout autant que la législation ou le financement sont, par les rouages et les hommes mis en place, les instruments d'une politique des pouvoirs publics. Il importe de souligner la contradiction entre l'enjeu d'une politique littorale et maritime moderne et l'éparpillement, sur différents objectifs, d'institutions spécifiques.

La loi littoral, illustration de l'évolution réglementaire

L'évolution récente marque, de plus en plus l'effacement de la loi devant le contrat. La gestion par la loi garante de l'unité du corps social est de plus en plus remplacée par la gestion par le contrat. Si cette évolution rappelle la logique qui prédomine chez la plupart de nos partenaires européens, elle n'en est pas moins contradictoire avec le coeur juridique de la République.

Tout comme pour la loi de décentralisation, l'émergence de la politique de l'environnement littoral, couronné par la publication de la loi littoral, répond à la logique de l'aléatoire réglementaire.

La loi vise à mettre en harmonie l'aménagement, la protection et la mise en valeur en imposant un zonage spécifique des sols, qui découpe le littoral en bandes parallèles aux rivages ou au domaine public naturel. Ces bandes ont des régimes juridiques différents selon leur proximité de l'eau. On remarque un certain gradient puisque, à mesure que l'on s'éloigne de la limite du DPM, les contraintes s'atténuent (DPM, bande des 100m, espaces proches du rivage et enfin territoire communal). En conséquence, le littoral est désormais délimité, organisé et géré par le droit et l'activité administrative. Il devient, selon l'expression de B. Bousquet, un littoral d'institution 120 ( * ) .

La loi littoral est conçue sous la forme d'un système qui tente de combiner des objectifs à caractère sinon opposés, tout au moins que la réalité rend difficilement conciliables. Des domaines qui relèvent de problématiques de gestion différentes (organisation des activités maritimes, urbanisation, protection des espaces naturels, etc.) sont abordés uniformément, de même que des territoires aux caractéristiques physiques et socio-économiques très variées.

Pour ce faire, l'État incitateur tente d'orienter la gestion du problème, en rappelant solennellement certains principes, mais ne va guère plus loin, vu qu'il ne donne pas à ces généralités des compléments suffisamment précis dans le corps du texte pour leur permettre d'avoir une chance de rentrer immédiatement dans la pratique. On est donc en présence d'une loi qui, soit est à appliquer au cas par cas, soit est à considérer à un degré de généralité qui la rend peu opérante.

Pour favoriser la protection, le législateur élabore une chaîne de notions très vagues censées enserrer les pratiques d'urbanisation et de développement. Timide, l'approche juridique se veut donc pragmatique.

L'application de la loi littoral offre ainsi une illustration particulièrement claire de cette modulation. On constate en effet que, jusqu'en 1990, la loi n'a pour ainsi dire pas été appliquée, à tel point qu'une circulaire d'octobre 1991 signée part 7 ministres a dû rappeler aux préfets leurs obligations concernant l'application de cette loi. À partir de 1991, du fait d'un début de mobilisation des services de l'État, et de la sévérité accrue des tribunaux, la loi a été appliquée dans un sens plus protectionniste.

La loi littoral s'est signalée, dès sa rédaction par la singularité de ses formes et de ses procédures, en tant qu'instrument de réglementation de l'espace. Le caractère vague donné à certaines des notions contenues dans la loi paraissait démontrer l'absence de volonté politique ou le désir d'adapter son cadre d'intervention à une forme plus négociée de la prise de décision.

Observe-t-on, sur le littoral, et dans l'application de la loi qui le régit spécifiquement, une responsabilisation de l'ensemble des acteurs locaux et une répartition cohérente des processus de la décision publique ?

Plusieurs éléments entravent, sur le littoral, l'équilibre de la décision collective :

- le poids relativement faible des associations d'élus du littoral, qui réduisent la possibilité pour l'État d'avoir affaire à un interlocuteur cohérent et organisé. Par ailleurs, la carence de l'État en matière de pédagogie de la loi littoral a permis aux interprétations exagérées, dont celle-ci pouvait être l'objet, de perdurer.

La remise en question de la pertinence du tout-tourisme en tant que moteur du développement commence par ailleurs à être perceptible. Le tourisme engendre des recettes, mais il créé aussi beaucoup de dépenses, l'urbanisation engendrant des besoins importants de services collectifs. On constate, par exemple, que, sur le littoral varois, les communes les plus endettées sont celles qui ont le plus sacrifié à l'urbanisation touristique. Aussi, on peut espérer, à terme, être en présence, d'élus d'eux-mêmes plus sensibles aux problématiques de développement intégré et durable ;

- la représentation des intérêts de pêcheurs, marins, et autres métiers de la mer semble tout à fait marginale dans l'application de la politique du littoral ;

- une troisième catégorie d'acteurs est apparue sur la scène publique, particulièrement sur le littoral, dont la prise en compte ne s'est pas encore suffisamment traduite dans l'organisation du débat public : il s'agit des associations.

On constate que les associations d'usagers de l'espace ou d'écologistes ne pouvant guère accéder à la scène des négociations, leur intervention dans la politique se solde davantage par des conflits juridiques en aval de la décision que par des pratiques de médiation au niveau des choix. L'initiation de l'activisme associatif en matière de protection du littoral, prend une forme essentiellement conflictuelle, tant sont restreintes les modalités de négociation de la décision en matière d'aménagement

La même critique qui était valable au sujet de l'intercommunalité, à savoir que la loi littoral la présuppose plus forte qu'elle n'est en réalité, est valable pour l'engagement des multiples forces sociales, politiques et juridiques qui coexistent sur le littoral. L'inégale implication de l'ensemble des acteurs ne permet pas l'apparition spontanée d'un équilibre dans les formes de développement et de gestion du littoral.

* 116 L'évaluation du Commissariat Général du Plan retenait trois points pour une meilleure protection des zones humides :

- la prise en compte du coût social et économique d'un projet affectant une zone humide ; - une révision du principe de compensation ; - l'ajustement entre les politiques agricole et environnementale.

* 117 et probablement pas plus marquées que sur le restant du territoire. Ainsi, si l'on veut bien considérer qu'il est difficile, pour reprendre l'exemple le plus classique, de se baigner au milieu des supertankers, on admettra que, de même, il est interdit de pique-niquer dans un champ de mais.

* 118 L'Inspection Générale du Tourisme s'apprête à publier une étude sur ce sujet, tandis que la Région Languedoc-Roussillon a déjà élaboré un ambitieux et intéressant projet de rénovation et de promotion de l'immobilier touristique.

* 119 Les conchyliculteurs n'installent pas leurs claires sur les plages, les touristes ne souhaitent pas se baigner dans les marais salants, les développements portuaires requièrent -à l'échelle nationale- des superficies très faibles, etc.

* 120 BOUSQUET (B) : Définition et identification du littoral .- In : Revue juridique de l'environnement n° 4.- 1990.

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