CHAPITRE III -

INVENTER DE NOUVEAUX OUTILS

Une meilleure gestion des espaces périurbains appelle des réponses innovantes d'un point de vue foncier, agricole et politique.

I. POUR MAÎTRISER LE FONCIER

A. LUTTER CONTRE LA SPÉCULATION ET TAXER L'ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

Les vendeurs de terrain agricole à des fins d'urbanisation réalisent des plus-values considérables qui échappent dans la majorité des cas à une imposition significative. Ces plus-values résultent, pour l'essentiel, du changement de classification, décidé par la collectivité publique responsable de la gestion de l'urbanisme et de l'espace, lors de la révision du plan d'occupation des sols.

Or, la terre agricole est un bien rare qu'il convient de protéger, c'est pourquoi votre rapporteur estime souhaitable d'envisager une taxation des profits " tombés du ciel " lors de la vente d'un terrain agricole devenu urbanisable.

Les Pays-Bas et le Danemark ont d'ailleurs précédé notre pays dans cette voie et offrent des exemples dont il conviendrait de s'inspirer.

1. S'inspirer des exemples néerlandais et danois...

Les Pays-Bas et le Danemark, États dont le territoire est nettement plus réduit que celui de la France -respectivement 34.000 et 42.000 km² contre 550.000 km² pour l'hexagone- sont naturellement plus sensibles que notre pays aux problèmes posés par la gestion d'un espace agricole rare. Malgré la pression foncière, tous deux sont parvenus à maintenir un certain équilibre entre l'espace rural et l'espace urbain, et à conserver le support d'une agriculture performante, au moyen d'une importante législation foncière. Celle-ci comporte un volet fiscal qui soumet les plus-values réalisées sur les cessions des terrains agricoles à une taxation. L'expérience prouve cependant que le système de taxation néerlandais reste moins dissuasif, en pratique, que le système danois.

a) Les Pays-Bas : un filet aux mailles trop larges

Depuis 1986, les plus values de cession liées au changement d'affectation des terres agricoles réalisées aux Pays-Bas sont soumises à une taxation spécifique, dès lors que ce changement d'affectation intervient moins de six ans après la vente.

La base d'imposition est constituée par la différence entre le prix de vente des terres urbanisables et leur valeur agricole initiale. Le taux d'imposition de la plus value est de 45 % , son produit étant versé à l'Etat.

La taxation n'est pas appliquée si un exploitant rachète une surface de terre égale à celle qu'il a cédée dans les trois ans qui suivent la vente initiale. Ce système est donc, en première analyse, fortement pénalisant pour les vendeurs. En réalité, il comporte des aménagements importants qui en diminuent la portée.

En premier lieu, un mécanisme transitoire a été mis au point afin de ne pas taxer les plus values qui auraient pu être réalisées avant 1986. Pour ce faire, entre 1986 et 1992 les agriculteurs ont demandé à l'administration fiscale, de constater que leurs terres auraient pu changer de destination avant l'édiction du système d'imposition. La taxation ne s'applique donc pas aux terrains qui étaient urbanisables avant 1986.

En second lieu, la taxation ne s'applique que si les terrains initialement agricoles changent d'affectation au cours des six années qui suivent la vente. Or, il semble que bon nombre d'agriculteurs tirent parti de cette disposition pour anticiper le changement de destination. Ils vendent leurs terres et continuent de les exploiter durant six ans afin d'échapper à l'impôt lors de l'urbanisation qui survient la septième année.

En troisième lieu, les agriculteurs bénéficient d'exonérations assez substantielles sur la base d'imposition . Celles-ci varient de 20.000 florins (soit environ 60.000 francs) si l'agriculteur a moins de 55 ans, à 45.000 florins (environ 134.000 francs) si l'agriculteur a plus de 55 ans.

Le système de taxation néerlandais est donc, en pratique, plus dissuasif que réellement pénalisant , si bien que les pouvoirs publics envisagent son renforcement.

Il conviendrait sans doute, si la proposition de taxation formulée par votre rapporteur était retenue, de choisir un mode d'imposition plus systématique et par conséquent plus proche de celui en vigueur au Danemark.

b) Le Danemark : une taxation rigoureuse fondée sur le principe d'une discrimination positive

Le Parlement danois a adopté, en 1992, une loi sur la planification foncière, qui a institué des dispositions spécifiques aux zones côtières, et procédé à une distinction entre zones urbaines et zones rurales. La taxation des plus-values de cession sur les terres agricoles s'inscrit donc dans un dispositif législatif cohérent et relativement rigide qui interdit, par exemple, en zone rurale, l'édification de constructions autres que celles destinées à l'agriculture ou à la sylviculture, ainsi que le changement d'affectation des bâtiments existants. Des plans communaux, équivalents à nos plans d'occupation des sols, déterminent l'emprise des terrains susceptibles d'être urbanisés.

Il convient, en outre, de souligner que la structure des taux de taxe foncière est favorable aux possesseurs de terres agricoles : le taux de la taxe foncière applicable en zone urbaine est de 10 à 20 fois supérieur à celui concernant les biens situés en zone rurale. La fiscalité encourage donc les propriétaires à ne pas demander le classement de leurs biens en zone urbaine.

La taxe d'urbanisation n'est que l'une des pièces d'un dispositif global tendant à préserver la terre agricole.

La base d'imposition de la taxe d'urbanisation résulte de la différence entre le prix de vente des terrains urbanisables et la valeur initiale de la terre agricole (fixée à partir de la valeur locative cadastrale).

Le taux de la taxe est élevé puisqu'il varie de 40 % pour les transactions d'un montant inférieur à 200.000 couronnes (soit environ 176.000 francs) à 60 % pour les transactions d'un montant supérieur à ce plafond.

La taxe est exigible dès le changement de statut des terrains (passage de la zone " NC " en zone " NA " ou " U ") -avant même leur urbanisation-. Elle est perçue par les communes qui conservent 50 % de son montant.

Ce mode de taxation des plus-values pénalise fortement le changement d'affectation des terres . Il s'avère, en effet, qu'en pratique, les évaluations du prix de la terre agricole par l'administration sont 56( * ) inférieures à sa valeur réelle. Pour calculer l'assiette de la taxe, on recourt, en effet, à la valeur locative cadastrale laquelle est moins élevée que la valeur du marché. Ceci a pour effet de majorer l'assiette de la taxe et d'accroître, par conséquent, le produit de l'impôt.

L'économie générale du système de taxation pénalise d'autant plus le changement d'affectation des terres que la taxe est applicable non seulement aux particuliers, mais aussi aux communes qui réalisent des ventes de terrains agricoles à des fins d'urbanisation. En outre, si elles procèdent à une modification du document d'urbanisme équivalent au plan d'occupation des sols, les communes peuvent être obligées par les propriétaires de terrains frappés d'une taxe d'urbanisation à les racheter. En conséquence, ces collectivités sont fortement incitées à ne pas modifier le zonage qui relève de leur compétence.

Votre rapporteur tient à souligner l'intérêt du système de taxation en vigueur au Danemark, qui a pour objet de protéger le terrain, parce qu'il s'agit d'un bien rare et non reproductible, tout en jugeant sans doute excessif le taux pratiqué dans ce pays.

Il y a là l'application concrète d'une vraie volonté de " durabilité ".

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