b) La création des chambres régionale des comptes

La seconde innovation de la loi fondatrice du 2 mars 1982, dans le domaine du contrôle des actes des collectivités locales, et en particulier celui des actes budgétaires et financiers, réside dans l'émergence de juridictions financières : les chambres régionales des comptes.

Ces chambres régionales des comptes, qui surgissent quasiment ex nihilo dans notre paysage institutionnel, peuvent trouver leur origine conceptuelle dans la proposition de loi n° 1557 portant décentralisation de l'Etat, présentée le 10 décembre 1979, par les députés membres du groupe socialiste.

La proposition de loi portant décentralisation de l'Etat

Cette proposition de loi, dont les premiers signataires étaient MM. François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Joxe, comportaient trois articles (93 à 95), regroupés sous une section intitulée "du contrôle financier", qui prévoyaient l'institution, dans chaque département, d'une "magistrature financière" de trois membres, et dans chaque région, d'une "magistrature financière supérieure" , de même effectif, l'édifice ainsi constitué étant placé "sous l'autorité" du Premier président de la Cour des comptes.

Les magistrats départementaux étaient chargés de juger les comptes communaux et les magistrats régionaux les comptes des départements et des régions.Ces jugements pouvaient faire l'objet d'un appel devant la Cour des comptes.

En outre, la proposition de loi prévoyait l'établissement, chaque année, par un magistrat, d'une "note financière" sur la gestion de l'année précédente de chaque collectivité, avec divers ratios à comparer aux ratios moyens et une analyse comparative des taux d'impôts locaux.

Enfin, la proposition de loi contenait, à propos des "situations de crise budgétaire" (budgets votés ou exécutés en déficit), l'amorce du contrôle des actes budgétaires institué par la loi du 2 mars 1982.

La seconde source d'inspiration des chambres régionales des comptes pourrait être constituée par la Cour des comptes dont les chambres apparaissent, à maints égards, comme des " miniatures " ou des reproductions régionales.

C'est ainsi que les chambres régionales des comptes se sont inspirées de l'organisation ainsi que des méthodes d'investigation et de jugement de la cour des comptes.

Le législateur a voulu que le contrôle budgétaire, financier et comptable des collectivités territoriales et de leurs établissements publics relève d'institutions indépendantes, constituées de magistrats spécialisés et géographiquement proches des collectivités contrôlées. Mais à leur échelon régional, les chambres disposent de compétences plus réelles pour le jugement des comptes des collectivités locales, exercent une fonction originale avec la possibilité d'intervenir, aux côtés du préfet, dans le contrôle des actes budgétaires et détiennent la faculté de procéder à l'examen de la gestion des collectivités locales.

En définitive, les chambres régionales des comptes sont des institutions sui generis qui peuvent être définies comme des services déconcentrés de l'Etat dont les membres ont le statut de magistrat.

Avec la Cour des comptes, les chambres régionales forment les juridictions financières, alors qu'une seule catégorie de leurs attributions , le jugement des comptes, susceptible d'appel devant la Cour des comptes, relève d'une fonction juridictionnelle .

En effet, il n'en va pas de même pour les deux autres missions remplies par les chambres régionales des comptes : le contrôle des actes budgétaires , dans le cadre duquel les chambres émettent des avis non susceptibles de recours (sauf dans un cas, celui de la décision déclarant une dépense non obligatoire) et l' examen de la gestion des collectivités locales, lequel donne lieu à des observations qui, pour l'instant, sont réputées ne pas faire grief.

Bien plus, chaque chambre régionale des comptes constitue une juridiction indépendante et autonome qui règle librement les conditions de ses activités de contrôle au sein de son domaine de compétence.

Toutefois, les chambres régionales des comptes, sans pour autant former avec la Cour des comptes un véritable ordre de juridiction, entretiennent avec cette dernière des relations organiques et des relations fonctionnelles.

La première des relations organiques unissant les chambres régionales et la Cour des comptes réside dans le fait que la Cour est le juge d'appel des jugements rendus par les chambres sur les comptes des collectivités locales. Cet appel exerce une fonction régulatrice et "harmonisante" de la jurisprudence.

Par ailleurs, les présidents des chambres régionales des comptes, qu'ils soient issus ou non de la Cour des comptes, deviennent ès qualités membres de la Cour.

En outre, le conseil supérieur de chambres régionales des comptes, compétent en matière d'avancement et de discipline des magistrats du corps des chambres régionales des comptes, comprend trois personnalités qualifiées, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, le procureur général près la Cour des comptes, trois magistrats de la Cour dont un exerçant les fonctions de président de chambre régionale des comptes et quatre magistrats des chambres régionales des comptes : il est présidé par le Premier président de la Cour des comptes.

Au-delà de ses compétences en matière d'avancement et de discipline, ce conseil est consulté sur toute question relative à l'organisation, au fonctionnement ou à la compétence des chambres régionales.

Par ailleurs, depuis la loi du 5 janvier 1988, la Cour des comptes est chargée, comme l'a obtenu le Sénat, d'une mission permanente d'inspection à l'égard des chambres régionales et territoriales des comptes. Composée de quatre magistrats de la Cour désignés par le Premier président, cette mission permanente a pour finalité de s'assurer du bon fonctionnement des chambres régionales. Au terme de ses inspections, conduites sur pièces et sur place, la mission remet un rapport au Premier président qui en donne connaissance au président de la chambre régionale des comptes afin de lui permettre de répondre aux observations formulées par la mission.

Enfin, la gestion des ressources financières allouées aux chambres régionales est assurée par la Cour des comptes qui délègue, chaque année, sa dotation à chacune des chambres.

Ces liens organiques, qui unissent la Cour des comptes aux chambres régionales, sont complétés par des relations fonctionnelles qui contribuent à l'harmonisation et à la coordination des activités des juridictions financières.

La coordination entre les programmes annuels de contrôle des juridictions financières est confiée, par l'article 53 du décret n° 85-199 du 11 février 1985, à un comité, appelé "comité de liaison", qui "détermine l'orientation des thèmes de vérification en vue de l'élaboration de la partie du rapport public de la Cour consacrée aux collectivités et organismes relevant de la compétence des chambres régionales des comptes".

Cette instance, présidée par un conseiller-maître à la Cour et composée de sept conseillers-maîtres de la rue Cambon et de sept présidents de chambres régionales des comptes, exerce des fonctions qui vont au-delà de la simple détermination des observations susceptibles de faire l'objet d'une insertion au rapport public de la Cour.

Ce comité intervient en amont de la programmation des contrôles pour définir des sujets d'enquêtes communes à plusieurs chambres régionales ou à une chambre de la Cour et à plusieurs chambres régionales des comptes, pour arrêter des thèmes de vérification communs et jouer un rôle d'alerte en sensibilisant l'ensemble des chambres régionales à des pratiques irrégulières relevées par certaines d'entre elles.

Enfin, une fois les contrôles achevés, le comité sélectionne les observations des chambres régionales susceptibles de figurer au rapport public de la Cour.

Par ailleurs, au début de l'année 1996, le Premier président de la Cour a créé, par arrêté, une commission des méthodes.

Cet organe, qui comprend douze membres, a pour mission, en vue d'une harmonisation, de réfléchir sur les méthodes des chambres régionales des comptes, c'est-à-dire sur leur manière de conduire leurs contrôles.

La commission, dont le seul pouvoir réside dans sa force de persuasion et sa capacité d'incitation, recense les "méthodes innovantes" expérimentées dans certaines chambres, afin de promouvoir leur diffusion dans les autres chambres.

C'est ainsi qu'un "logiciel d'édition automatisée" des petits jugements a été diffusé ainsi qu'un document sur les "diligences normales" du contrôle.

En outre, la commission diffuse une note trimestrielle destinée à porter à la connaissance de l'ensemble des chambres une méthode mise en pratique dans l'une d'entre elles.

Enfin, le ministère public exerce une fonction unificatrice dans la mesure où des relations permanentes existent entre le Parquet général de la Cour et les commissaires du Gouvernement des chambres régionales des comptes.

En effet, le procureur général, qui "veille au bon exercice du ministère public" près les chambres régionales, est "tenu informé de l'exécution du ministère public" par les commissaires du Gouvernement.

Par ailleurs, le procureur général de la Cour oriente et harmonise l'action du ministère public près les chambres régionales des comptes, au besoin "par des recommandations écrites".

En définitive, le procureur général, qui note chaque année les commissaires du Gouvernement, exerce sur eux un quasi pouvoir hiérarchique 7( * ) .

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