(2) L'ouverture du recours pour excès de pouvoir

Sans sous-estimer l'intérêt de cette solution non juridictionnelle, le groupe de travail en a également mesuré les limites. Il a donc jugé nécessaire d'approfondir cette démarche afin d'offrir de véritables garanties juridictionnelles aux ordonnateurs et aux collectivités. Ces garanties sont, en effet, nécessaires pour rétablir un équilibre entre le " contrôleur " et le " contrôlé ".

A cette fin, le groupe de travail préconise l'ouverture du recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.

Le droit pour tout intéressé de former un recours pour excès de pouvoir pour obtenir l'annulation d'un acte dont il conteste la légalité, est un principe général du droit reconnu depuis la jurisprudence du Conseil d'Etat du 17 octobre 1950, Ministère de l'agriculture c/ Dame Lamotte . Le Conseil constitutionnel a ultérieurement donné à ce principe une valeur constitutionnelle.

Il en résulte une nécessaire imbrication entre le contrôle opéré par les chambres régionales des comptes et celui du juge administratif, comme l'illustre le contentieux relatif à la procédure d'inscription des dépenses obligatoires. Le Conseil d'Etat est, en outre, le juge de cassation des décisions juridictionnelles rendues par la Cour des comptes.

Tout en ne reconnaissant pas aux lettres d'observations le caractère d'une décision faisant grief, le tribunal administratif de Marseille a néanmoins reconnu aux collectivités locales concernées le droit de demander la rectification de leur contenu , au-delà même d'une simple rectification matérielle. Il a précisé qu'en vertu du principe du parallélisme des compétences, toute décision sur une telle demande devait être prise par la chambre statuant dans la même formation et non pas par son seul président (29 avril 1997, Commune de Fos-sur-Mer).

Cette solution constitue une réponse logique à l'influence exercée par les chambres régionales des comptes sur les gestions locales. Elle exprime l'idée simple qu'à l'existence d'un pouvoir doit correspondre un contrôle fut-il minimum. L'ouverture du recours pour excès de pouvoir à l'encontre des lettres d'observations définitives répondrait à la même exigence. Elle s'inscrirait dans un cadre existant et conforme aux exigences d'un Etat de droit.

Il resterait néanmoins à lever la difficulté, énoncée ci-dessus, qui concerne la qualification de la lettre d'observations définitives comme une décision de nature ou susceptible de faire grief . Telle est la condition préalable pour que cet acte puisse faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Toutes les décisions administratives ne sont, en effet, pas susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Le juge administratif se refuse traditionnellement à connaître de certains actes tels que les circulaires interprétatives , documents internes à l'administration et qui ne font pas grief aux tiers (Conseil d'Etat, 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker).

De même, a-t-il été longtemps réticent à contrôler les mesures d'ordre intérieur , prises dans certaines enceintes telles que les établissements scolaires ou pénitentiaires ou encore les enceintes militaires.

Cette position se fondait sur le motif qu'en vertu de l'adage latin de minimis non curat praetor, le juge de l'excès de pouvoir n'a pas à entrer dans les litiges subalternes. Elle répondait également à un souci d'efficacité des services publics.

Elle a cependant très largement évolué, le juge administratif appréciant de manière beaucoup plus souple les deux critères cumulatifs de la mesure d'ordre intérieur à savoir le caractère interne de l'acte et son effet sur la situation juridique de son destinataire. Ainsi, le Conseil d'Etat juge désormais recevable une requête présentée à l'encontre de sanctions disciplinaires infligées à un militaire ( 17 février 1995, Hardouin) ou à un détenu (17 février 1995, Marie).

Les règlements intérieurs des assemblées délibérantes des collectivités locales, longtemps considérés comme des décisions insusceptibles de recours (Conseil d'Etat, 2 décembre 1983, Charbonnel) peuvent dorénavant être déférées au juge de l'excès de pouvoir (Conseil d'Etat, 10 février 1995, Riehl ; 10 février 1995, commune de Coudekerque-Branche). Le législateur a pris soin dans ce cas de spécifier que le règlement intérieur pouvait être déféré au tribunal administratif ( article L. 2121-8 pour le conseil municipal, article L. 3121-8 pour le conseil général et article L. 4132-6 pour le conseil régional).

Si les lettres d'observations définitives ne constituent pas des mesures d'ordre intérieur, néanmoins le raisonnement qui a fondé l'évolution jurisprudentielle élargissant le champ d'intervention du juge pourrait leur être appliqué. Certes, n'étant pas des décisions, ces observations ne modifient pas immédiatement la situation juridique des personnes physiques ou morales qu'elles visent. Elles n'en ont pas moins des effets incontestables sur les conditions d'exercice de leur mandat par les ordonnateurs, sur le déroulement des travaux de l'assemblée délibérante ou encore sur la situation personnelle de tiers.

Il est vrai que l'on peut s'interroger sur l'étendue du contrôle que le juge administratif pourrait exercer sur ces lettres d'observations. Il devrait sans difficulté s'appliquer au respect de la légalité externe, c'est à dire, outre l'incompétence, le vice de procédure ou de forme, notamment le principe du contradictoire ou encore -selon les propositions du groupe de travail- l'insertion obligatoire des réponses des ordonnateurs dans les lettres d'observations définitives.

En revanche, en l'absence de définition légale de l'objet et du contenu de l'  " examen de la gestion ", dont les inconvénients ont été soulignés par l'ensemble des personnalités entendues par le groupe de travail, le contrôle sur le fond pourrait s'avérer plus délicat, la tentation pouvant alors être forte de cantonner le contrôle de la légalité interne dans la seule sanction de l'erreur manifeste d'appréciation .

Mais même dans cette forme restreinte, le contrôle par le juge administratif des lettres d'observations conserverait tout son intérêt . Il assurerait le nécessaire respect des procédures. Il sanctionnerait les anomalies les plus graves qui, si elles demeurent somme toute relativement peu nombreuses, mettent en cause le crédit même du contrôle financier et nuisent à son " acceptation " par les élus et partant à son efficacité.

Si cette voie était retenue, il appartiendrait au législateur, afin de prendre en compte la réalité et la nature du contrôle de gestion, de qualifier les lettres d'observations définitives des chambres régionales des comptes comme des décisions faisant grief ou de préciser qu'elles peuvent être déférées au juge administratif.

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