Mme Hélène GISSEROT
Procureur général
près la Cour des comptes
M. Jean-Philippe VACHIA
Avocat général
près la Cour des comptes
Jeudi 5 juin 1997

Mme Hélène Gisserot , rappelant que les chambres régionales des comptes avaient pour mission d'exercer un contrôle externe des gestions publiques, a fait observer qu'un tel contrôle existait dans tous les Etats démocratiques en particulier en Europe. Elle a néanmoins relevé que l'exercice de ce contrôle par des organes juridictionnels tels que la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes constituait une solution originale.

Mme Hélène Gisserot a ensuite fait valoir que les chambres régionales des comptes opéraient un contrôle technique des comptes et de la gestion des collectivités locales, qui devait être bien distingué du contrôle politique exercé par les assemblées délibérantes et par le suffrage universel.

Présentant les étapes successives du contrôle des comptes, Mme Hélène Gisserot a rappelé qu'entre 1807 et 1835, ce contrôle était exercé par les conseils de préfectures, lesquels avaient des prérogatives limitées.

Elle a noté qu'entre 1835 et 1982 la Cour des comptes assumait elle-même cette mission qui était néanmoins limitée aux collectivités locales les plus importantes, les autres collectivités étant soumises à l'apurement administratif effectué par le trésorier payeur général. Elle a néanmoins considéré que l'existence d'une tutelle préfectorale contribuait à garantir la bonne gestion des finances locales.

Mme Hélène Gisserot a indiqué que pendant cette période les rapports publics de la Cour des comptes comprenaient fréquemment des chapitres relatifs aux collectivités locales, ces chapitres présentant des observations intéressant un secteur de la gestion locale ou encore la gestion des grandes villes.

Mme Hélène Gisserot a alors fait observer que, depuis 1982, un contrôle financier externe a posteriori était exercé par les chambres régionales des comptes, la Cour des comptes limitant pour sa part son intervention à l'Etat et au secteur public national. Elle a relevé que, de cette manière, les juridictions financières disposaient d'une compétence générale sur les entités publiques qu'elles soient nationales ou locales.

S'attachant ensuite à démontrer la cohérence des contrôles exercés depuis 1982, Mme Hélène Gisserot a rappelé qu'à l'origine les chambres régionales des comptes avaient pour mission de juger les comptes, d'examiner le bon emploi des deniers publics et de contrôler les actes budgétaires. Elle a rappelé qu'en 1988 un recentrage avait été opéré afin d'assurer le secret des interventions des chambres régionales, de faire porter leurs vérifications sur l'emploi régulier des deniers publics et de prévoir un simple apurement administratif pour les petites collectivités.

Mme Hélène Gisserot a ensuite indiqué que la réforme intervenue en 1990 avait veillé à la publicité des interventions des chambres régionales des comptes et perfectionné les procédures contradictoires.

Enfin, elle a noté qu'en 1992, la saisine des chambres régionales des comptes avait été élargie.

Puis, traçant un bilan de l'activité des chambres régionales des comptes, Mme Hélène Gisserot a précisé que celles-ci rendaient 15.000 à 17.000 jugements des comptes par an sur un total de 65.000 comptabilités intéressant des collectivités de toute taille.

Elle a précisé que 250 jugements de débet engageant la responsabilité du comptable étaient rendus et que 1.000 observations sur la gestion étaient formulées chaque année, ce qui lui a paru raisonnable au regard des 15.000 entités examinées.

Mme Hélène Gisserot a en outre fait observer qu'un peu moins de 100 déclarations définitives de gestion de fait étaient prononcées chaque année.

S'intéressant ensuite aux saisines des chambres régionales des comptes par le préfet ou par un créancier pour des actes budgétaires, Mme Hélène Gisserot a indiqué que 1.200 saisines de ce type pouvaient être recensées chaque année, ce qui aboutissait, compte tenu des procédures en vigueur, à 1.400 avis rendus par les chambres régionales des comptes.

Elle a par ailleurs relevé que le nombre des saisines sur demande motivée, qui s'est élevé à 200 en 1996, avait tendance à augmenter.

Puis Mme Hélène Gisserot a tenu à souligner le lien qui existait entre le contrôle des comptes du comptable et l'examen de la gestion. Décrivant la procédure suivie, elle a en effet fait observer que c'était l'examen des comptes qui conduisait les chambres régionales à s'interroger sur la régularité des opérations, sur les prix payés par la collectivité locale et enfin sur le respect des objectifs qui avaient été fixés.

Soulignant que l'examen de la gestion constituait une activité non juridictionnelle, Mme Hélène Gisserot a néanmoins relevé qu'elle donnait lieu à la mise en oeuvre de garanties de procédures et d'impartialité.

Après avoir rappelé que ce type d'activité avait été développée dès la monarchie de juillet par la Cour des comptes, Mme Hélène Gisserot a fait valoir qu'elle conduisait les juridictions financières à procéder à un audit désintéressé qui avait pour finalité non pas de remettre en question ce qui avait été fait mais d'apporter un éclairage pour l'avenir. Relevant que cette mission portait de plus en plus sur des activités périphériques des collectivités locales, elle a souligné que les exécutifs locaux avaient tout intérêt à un contrôle efficace de ces activités.

En conséquence, elle a estimé que l'examen de la gestion pouvait constituer un instrument de prévention notamment sur le plan budgétaire évitant ainsi des saisines ultérieures des chambres régionales portant sur des actes budgétaires.

Soulignant la différence de nature entre le contrôle de légalité et celui de l'opportunité, Mme Hélène Gisserot a fait observer que seules les assemblées délibérantes et le suffrage universel pouvaient décider des sanctions adéquates portant sur les objectifs politiques.

Après avoir noté que, par définition, l'opportunité concernait la définition des objectifs et des choix politiques, Mme Hélène Gisserot a fait valoir que l'examen de la gestion n'avait pas pour finalité de remettre en question ces objectifs et ces choix. Elle a relevé qu'au contraire l'examen de la gestion consistait à apprécier des actes administratifs, des décisions ou des agissements ayant entraîné des dépenses et des recettes et ayant ainsi un effet sur la situation financière de la collectivité locale.

Mme Hélène Gisserot a fait observer que, dans l'exercice de leurs fonctions, les chambres régionales des comptes s'assuraient du respect des lois et décrets, de celui des textes propres à la collectivité concernée, une délégation notamment, de la régularité financière et comptable, et qu'elles appréciaient des critères économiques portant notamment sur le coût des mesures mises en oeuvre ainsi que l'efficacité de celles-ci par rapport à l'objectif poursuivi.

Tout en admettant que les lettres d'observation définitives pouvaient être ressenties comme une sanction, Mme Hélène Gisserot a souligné qu'elles étaient avant tout une aide très utile pour les responsables locaux.

Elle a ainsi fait valoir que les observations pouvaient confoter les élus locaux en leur permettant de résister à certaines dérives ou à des rapports déséquilibrés avec les partenaires de la collectivité locale.

Mme Hélène Gisserot a également souligné que certains rapports particuliers de la Cour des comptes portant sur la gestion de la dette et de la trésorerie ou encore sur les délégations de service public avaient eu des effets positifs en permettant aux collectivités locales de mieux adapter leur gestion. Elle a en outre rappelé que les rapports de la Cour des comptes avaient établi un bilan équilibré de l'action des collectivités locales dans des domaines tels que l'enseignement du second degré, l'aide sociale ou encore la gestion des offices HLM.

Mme Hélène Gisserot a par ailleurs estimé que, dans ces rapports, la Cour des comptes avait pu donner d'utiles avertissements aux collectivités locales sur certains risques financiers et sur des irrégularités notamment pour ce qui est du recours aux associations para-administratives (rapport public de 1995) ou à des associations pour le versement de rémunérations accessoires à des fonctionnaires (rapport public de 1993).

Mme Hélène Gisserot a donc jugé que l'examen de la gestion était à la fois normal et légitime mais qu'il devait s'exercer dans le respect du droit et de la décentralisation.

S'interrogeant alors sur les moyens d'assurer une meilleure sécurité juridique aux interventions des chambres régionales des comptes, Mme Hélène Gisserot a souligné le rôle du parquet pour veiller au respect des procédures.

Elle a rappelé qu'un décret de 1995 avait précisé et approfondi le caractère contradictoire de la procédure relative aux lettres d'observations définitives. Après avoir noté que ce caractère contradictoire était désormais mieux assuré notamment par l'audition des responsables de la collectivité concernée, elle a fait observer que le ministère public veillait par ailleurs à harmoniser les positions des chambres régionales des comptes.

Puis, examinant les difficultés rencontrées dans la pratique des chambres régionales des comptes, Mme Hélène Gisserot a tout d'abord relevé un problème de forme et de présentation des lettres d'observations définitives. Elle a jugé possible d'améliorer cette présentation afin notamment de relativiser certaines observations au regard de l'ensemble de la gestion publique. Elle a en outre considéré que les réponses faites par la collectivité locale aux observations de la chambre régionale devraient être clairement mentionnées dans les lettres d'observations définitives.

Regrettant en outre une publicité intempestive qui pouvait être faite à certaines observations, Mme Hélène Gisserot a estimé que cette pratique avait une origine extérieure aux chambres régionales des comptes lesquelles devaient néanmoins prendre les précautions nécessaires. Elle s'est en outre interrogée sur l'idée d'adresser ces observations définitives, non seulement aux ordonnateurs en fonction mais aussi à leurs prédécesseurs. Mme Hélène Gisserot a rappelé que, lorsque l'exécutif local communiquait les observations définitives à l'assemblée délibérante, il avait toujours la faculté d'assortir cette communication de ses propres observations.

S'intéressant enfin aux conséquences juridiques des déclarations de gestion de fait en matière d'inéligibilité et de démission d'office, Mme Hélène Gisserot a considéré, à titre personnel, que les dispositions actuellement prévues par le code électoral étaient trop sévères.

Après avoir rappelé que l'inéligibilité devait être une peine complémentaire que le juge pénal pouvait prononcer au regard de la gravité des faits, Mme Hélène Gisserot a fait valoir que le caractère automatique de la sanction prévue par le code électoral gênait le juge financier.

M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , a fait observer que les élus locaux étaient très sensibles à la superposition du contrôle de légalité et du contrôle financier ainsi qu'à l'absence de lien entre ces deux types de contrôles. Il s'est en outre interrogé sur la possibilité de définir une frontière plus nette entre l'exercice par les chambres régionales des comptes du contrôle juridictionnel et du contrôle de la gestion.

Il a ensuite souhaité savoir si le parquet jouait un rôle actif dans les réflexions en cours qui tendaient à élaborer un code de déontologie à l'intention des magistrats.

Enfin, il s'est demandé s'il serait possible de réviser dans un délai proche les textes en vigueur concernant la sanction d'inéligibilité qui résultait automatiquement d'une déclaration de gestion de fait.

En réponse, Mme Hélène Gisserot a tout d'abord fait valoir que le contrôle de légalité et le contrôle financier n'étaient pas superposés. Elle a ainsi noté qu'un marché public régulier en la forme pouvait néanmoins appeler des observations du contrôle financier quant à ses mesures d'application.

Elle a fait observer que le juge financier pouvait, le cas échéant, relever une défaillance du contrôle de légalité et en informer l'ordonnateur. Elle a en outre souligné que le juge financier avait des compétences sur les services de l'Etat, ce qui lui imposait de veiller à leur bon fonctionnement.

Mme Hélène Gisserot a, par ailleurs, estimé que le juge financier ne portait pas d'appréciation subjective mais qu'il constatait certaines situations.

S'agissant du rôle du parquet, Mme Hélène Gisserot a fait observer que celui-ci participait très étroitement aux réflexions actuelles et que les commissaires du Gouvernement étaient très associés aux travaux des chambres régionales des comptes.

Relevant néanmoins qu'ils étaient rarement associés à la rédaction des observations définitives, elle a estimé qu'il serait souhaitable que le ministère public puisse participer à cette phase de la procédure, par exemple, en relisant les lettres d'observations définitives.

Concernant enfin la gestion de fait, Mme Hélène Gisserot a considéré que des solutions moins brutales que celles en vigueur pourraient être envisagées, notamment une augmentation des délais ou une suspension des fonctions d'ordonnateurs avant apurement de la gestion de fait.

M. Jean-Philippe Vachia, avocat général près la Cour des comptes , a alors rappelé que les articles L 231 et L 236 du code électoral aboutissaient à des situations complexes.

Il a fait observer que l'article L. 231 qui prévoyait l'inéligibilité d'un comptable exerçant ses fonctions dans le ressort dans les six mois précédant une élection impliquait pour le juge financier soit de tenir compte de cette conséquence juridique avant de déclarer l'intéressé comptable de fait, soit de ne pas en tenir compte obligeant alors ce dernier à régulariser sa situation dans des conditions difficiles.

M. Jean-Philippe Vachia , rappelant que l'article L. 236 du code électoral prévoyait la démission d'office par le préfet d'un conseiller municipal se trouvant dans un cas d'inéligibilité, a estimé que si cette disposition soulevait moins de difficultés, le délai de six mois prévu pour régulariser la situation de l'intéressé pouvait néanmoins paraître très court.

M. Paul Girod , s'inquiétant de la publication dans la presse de lettres d'observations provisoires, a jugé nécessaire la définition de règles déontologiques.

Il s'est par ailleurs demandé si la publication de tels documents dans la presse ne pourrait pas entraîner le dépôt d'une plainte conjointe par l'exécutif local et par le parquet.

Enfin, M. Paul Girod s'est interrogé sur une meilleure distinction au sein de la lettre d'observations définitives entre le jugement portant sur les comptes et les observations relatives à la gestion. Il a considéré que pour ces dernières une publication commune avec l'exécutif local comportant les réponses de ce dernier pourrait être envisagée.

En réponse, Mme Hélène Gisserot a fait observer que si cette divulgation trouvait son origine dans la chambre régionale des comptes il s'agissait d'une violation du secret des investigations, donc du secret professionnel. Elle a souligné que le président de la chambre régionale des comptes pouvait alors prendre des mesures allant jusqu'au dépôt d'une plainte. Elle a néanmoins relevé que ces cas étaient rarissimes.

Mme Hélène Gisserot a noté qu'une plainte pouvait également être envisagée lorsque la divulgation provenait de tiers. Elle a néanmoins fait observer que la situation était plus complexe lorsque cette divulgation était le fait du destinataire de la lettre d'observations provisoires.

Après avoir rappelé que dans le cadre d'un procès pénal une partie pouvait utiliser une pièce du dossier utile à sa position, Mme Hélène Gisserot a fait valoir qu'il serait difficile d'être plus sévère pour le destinataire d'une lettre d'observations provisoires.

S'agissant de la suggestion de diviser en deux la lettre d'observations définitives, Mme Hélène Gisserot a indiqué que ce document ne comportait en pratique que des observations et pas de jugement des comptes. Elle a en outre fait observer que la publicité des lettres d'observations définitives était une conséquence inévitable de leur communication aux assemblées délibérantes qui se réunissaient en présence du public.

Puis, M. Yann Gaillard, rapporteur par intérim , ayant fait valoir que les modalités d'exercice du contrôle budgétaire sensibilisaient aussi les élus locaux, Mme Hélène Gisserot a indiqué que les commissaires du gouvernement intervenaient dans cette procédure. Elle a estimé que celle-ci posait un problème relatif à la présentation des avis des chambres régionales des comptes mais aussi un problème de fond qui concernait les critères retenus pour l'appréciation portée par la chambre régionale sur le budget de la collectivité concernée.

Mme Hélène Gisserot a néanmoins rappelé que les chambres régionales des comptes ne jouaient à ce titre qu'un rôle consultatif, la décision définitive relevant du préfet.

M. Jean-Philippe Vachia a précisé que le contrôle budgétaire concernait en pratique quelques chambres régionales des comptes. Il a indiqué qu'une réflexion était en cours sur les voies et moyens d'une amélioration de la procédure pour les collectivités locales connaissant une situation financière très dégradée.

Il a estimé que l'intervention concomitante de la chambre régionale des comptes et de l'assemblée délibérante était une source de complications même si la décision finale appartenait au préfet.

M. Jean-Paul Amoudry, président , s'est alors demandé s'il ne serait pas possible de prévoir un " délai de neutralité " destiné à suspendre l'envoi de lettres d'observations définitives afin d'éviter que les observations de la chambre régionale des comptes ne soient exploitées dans le cadre du débat précédant une élection.

M. Jean-Paul Amoudry, président , a en outre souhaité connaître le bilan des relations entre les juridictions financières et les juridictions judiciaires et s'est interrogé sur les pistes de modernisation de ces relations.

En réponse, Mme Hélène Gisserot a indiqué qu'en pratique les chambres régionales des comptes avaient décidé de suspendre l'envoi de lettres d'observations dans un délai de trois mois précédant les dernières élections municipales.

Elle s'est en outre déclarée très favorable à la disposition prévue par le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier dont l'objet était de prévoir explicitement la faculté pour le procureur de la République de communiquer aux juridictions financières les pièces révélant des irrégularités comptables dont ils ont eu connaissance au cours de procédures judiciaires. Elle a considéré qu'une telle disposition était de nature à donner une plus grande sécurité aux relations entre les deux ordres de juridictions.

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